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La coulisse des douceurs: Roman
La coulisse des douceurs: Roman
La coulisse des douceurs: Roman
Livre électronique110 pages1 heure

La coulisse des douceurs: Roman

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À propos de ce livre électronique

La vie s’écoulait, sucrée à souhait, au cœur de l’enseigne pâtissière familiale. Entre croissants et religieuses, entre réglisse et crème au beurre. Jusqu’à l’irruption de Raoul, l’apprenti mitron, sur le territoire de la narratrice. Une offensive à l’allure d’un grain de sel dans ses rouages. Désorganisation, réaction, recomposition.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Nathalie Foltzer Gallo, apparition en avril 1973. Statut : électron libre. Voguant au gré des expériences terrestres. La coulisse des douceurs est son premier roman.
LangueFrançais
Date de sortie26 janv. 2021
ISBN9782889492305
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    Aperçu du livre

    La coulisse des douceurs - Nathalie Foltzer Gallo

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    Nathalie Foltzer Gallo

    La coulisse des douceurs

    À mon père, pâtissier illustre

    Je suis née dans le sucre. J’ai grandi dans le sucre, j’ai mangé dans le sucre, j’ai dormi dans le sucre. Je suis le sucre. Mes premiers rots s’adressèrent inévitablement à Saint-Honoré, sous l’étoile duquel j’ai été placée dès ma naissance. Et j’ai su très tôt ce que les mots goût et orgie signifiaient. J’ai été bercée à la chaleur du four, aux battements du pétrin et à l’incessante clochette de la porte du magasin. J’ai découvert à quatre pattes ce qu’est un client, ou du moins ce que sont les pieds d’un client. Je définirais un client comme un être appartenant à une espèce très particulière, aux multiples facettes et d’humeur ô grand jamais égale. J’ai su très tôt qu’il fallait m’en méfier. Mais le client est et reste roi, alors j’ai cohabité.

    À l’heure où mes congénères, munis de feutres et de feuilles blanches, ébauchaient quelques gribouillis artistiques, j’avais déjà entre les mains un cornet de papier sulfurisé, rempli de crème au beurre, que je maniais pour exécuter, sur une chute de génoise ou un coin de marbre, torsades et arabesques, pleins et déliés. Mon premier essai se solda par une série de pâtés difformes, plus ou moins identiques. Les pressions que mes doigts exerçaient sur le petit cornet faisaient gicler la crème de façon anarchique. Comme on apprend à jouer au golf, mon père posait sa main sur la mienne, guidait mes premiers tracés élémentaires, mes premières saccades. Puis, je progressais dans les motifs d’ornement : des flots tremblants et des fresques dissymétriques. J’acquis tout de même très rapidement la notion de pression sur le cornet. J’eus donc le droit de passer à la poche à douille dentelée, et de réaliser mes premières bordures d’entremets.

    Je peux affirmer sans me tromper que la résistance d’un estomac se cultive dès le plus jeune âge. J’en veux pour preuve l’extrême rareté, voire l’inexistence, de mes maux de foie, problèmes digestifs, aigreurs, brûlures et autres ballonnements. Le test de base de cet apprentissage consiste en l’ingurgitation de la pâte à choux sortant du four. Cette pâte, que mon père alignait consciencieusement en formes ovales sur de grandes plaques huilées, exhalait une odeur irrésistible à la cuisson. À la sortie du four, je m’empressais de casser sans aucun scrupule ces alignements parfaits de coques dorées et brûlantes pour ne laisser que des trous portant la marque indélébile de ma gourmandise en pleine éclosion. Au total, disons une dizaine de trous, parfois quinze. Je ne mâchais pas, j’avalais. Le tout arrosé d’une grande giclée de soda glacé pour qu’opère la fermentation.

    J’eus l’extrême privilège de communiquer à ma sœur ce rite initiatique, et le résultat de cette expérience, s’il était positif, symbolisait pour moi l’appartenance légitime au clan familial. En ce qui concerne la conséquence physique, celle-ci était flagrante et surtout immédiate : doublement – au minimum – de ce que l’on appelle communément le ventre. Je dois ajouter que ces expériences se renouvelaient très fréquemment. C’est ainsi qu’au rythme effréné des cuissons et du défilement des plaques noires, j’ai pu sans effort dompter cet organe si souvent redouté lors des repas gargantuesques.

    Un autre rite, qui selon moi est tout aussi digne d’intérêt, avait pour composant unique la crème au beurre, et en particulier la crème parfumée au café. La crème était conservée dans des plats en inox appelés culs-de-poule. Fraîchement fouettée, elle devait subir les assauts de mon doigt ravageur, et les crevasses trahissaient alors mon passage. Le but premier, en plongeant le doigt dans la crème, était d’équilibrer sur l’index une hauteur de cette matière grasse la plus importante possible. Cette hauteur correspondait en fait à la profondeur du cul-de-poule. Le but second était d’absorber le petit dôme de crème en une seule ingestion. J’avais alors pour ambition de déposer le brevet de ma technique. Elle consistait à placer le dôme sur la langue, puis exercer en une seule fois une importante pression – langue contre palais – pour obtenir une crème se liquéfiant légèrement au contact de la salive. La pression devait être continue et la matière s’échappait alors d’elle-même dans le gosier. Une seule déglutition était nécessaire pour évacuer le surplus tenace enrobant les dents du fond. D’aucuns pourront croire que la satiété ou même l’écœurement dictaient leur loi à un moment ou à un autre. Ce n’était pas le cas. L’acte prenait fin lorsque je réalisais mon abus d’après la diminution notoire de la matière première. Je faisais parfois des courses à la crème avec ma petite sœur. Le principe était le même : celle qui avait avalé le plus de crème au beurre avait gagné.

    J’évoluais dans mon milieu sucré en goûtant chaque gâteau, chaque nouvelle création, chaque confiserie. Je m’adaptais à tout, mais j’avais bien entendu mes préférences. Dans mon classement de pâtisseries, je plaçais en première position l’éclair au café. Suivaient, en deuxième et troisième position, le moka et la bûchette à la crème pâtissière. J’en faisais une consommation non négligeable. Dans le classement des douceurs matinales (comprenez par là croissants et autres), la brioche à tête dominait la liste, suivie du pain au chocolat, sortant du four, bien chaud, quand la petite barre de chocolat noir fond encore. En troisième position, le croissant, traditionnel. Côté confiserie, les Zans torsadés avaient ma préférence. Pour ce qui était des chocolats au détail et des glaces, respectivement les chocolats au praliné et la glace à la pistache. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, j’entretenais une amitié des plus ordinaires avec le dentiste. Les visites de routine, comme tout le monde.

    Mon corps fonctionnait au sucre. En matière de mémorisation cellulaire du saccharose, je battais tous les records et m’excluais par conséquent du processus de don d’organe : incompatibilité avec tout receveur pour cause de concentration hors normes. Mon assimilation était telle que je pouvais avaler une demi-douzaine de pâtisseries dans la journée, sans effet secondaire. J’abritais dans mes fonctions vitales un hôte invisible qui s’infiltrait dans mon sang pour le rendre plus précieux encore. C’est ainsi qu’en période de forte chaleur, les moustiques s’attablaient, guillerets, se délectant de mon liquide élémentaire sans retenue. Il est vrai qu’ils auraient eu tort de s’en priver.

    La boutique, ou plutôt mon Empire, dominait la rue commerçante. Mais je savais au plus profond de moi que c’était davantage l’aspect fabrication que l’aspect commercial qui m’attirait par-dessus tout. La diplomatie de la vente et le contact avec le client n’étaient pas de mon ressort, fort heureusement, car la faillite nous aurait guettés au coin de la rue. C’est ma mère qui excellait dans ce domaine. Je faisais cependant une exception lors des mois d’été, pour la vente des glaces maison. En connaissance de cause, bien évidemment, car je savais qu’une partie de la recette – parfois la totalité – allait dans ma poche. Mon premier salaire, en quelque sorte. J’accumulais les pièces de un et cinq francs, et cet écart m’était donc tout à fait supportable.

    Je régnais sur l’établissement à la façon d’un chef d’entreprise et je m’autorisais parfois quelques remarques sur la présentation ou le goût. Je me conférais également l’aptitude à juger de la qualité de tel ou tel produit concurrent. J’accordais alors un label lorsqu’un cas intéressant se présentait (situation rare, disons-le franchement, car les produits et le savoir-faire de mon père étaient uniques, ou du moins, j’en étais persuadée à cette époque). Je me permettais de dire bonjour uniquement aux clients que je trouvais sympathiques ou sincères, et à ceux qui me rendaient habituellement mon salut, ce qui me valait des remontrances enflammées de la part de mes parents. J’avais pour habitude de me faufiler, tête baissée, derrière les gens en espérant que personne ne me voie entrer ou sortir. Mon but n’était pas de provoquer, mais bien de passer inaperçue. Si un client m’apercevait, je me voyais alors dans l’obligation de relever la tête, de sourire et surtout de dire bonjour. Situation extrêmement désagréable pour moi. Quelques clients fidèles, et surtout rancuniers, en profitaient donc pour me rendre la monnaie de ma pièce. Leur silence et leur visage fermé m’humiliaient. C’était un jeu mesquin et continuel auquel je prenais part malgré moi. Tantôt je gagnais un point en les ignorant, tantôt je lançais un bonjour trop inhabituel et mon comportement versatile était immédiatement sanctionné. Mais je persistais à penser que j’étais chez

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