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Moi Cyrilia, gouvernante de Lafcadio Hearn: 1888. Un échange de paroles à Saint-Pierre de la Martinique
Moi Cyrilia, gouvernante de Lafcadio Hearn: 1888. Un échange de paroles à Saint-Pierre de la Martinique
Moi Cyrilia, gouvernante de Lafcadio Hearn: 1888. Un échange de paroles à Saint-Pierre de la Martinique
Livre électronique124 pages1 heure

Moi Cyrilia, gouvernante de Lafcadio Hearn: 1888. Un échange de paroles à Saint-Pierre de la Martinique

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À propos de ce livre électronique

Souvenirs de Martinique

"Cyrilia, j'ai dit bonjour ! - J'ai répondu, commère ! Et comment va ta vie ? - Pas trop mal, grâce à Dieu ! Entre donc, ma fille ! Tu tiens bon ? - Sans faiblesse, Cyrilia, et je ne te dis qu'une chose : honneur ! - La même chose pour toi, ma sœur, et je te réponds : respect !"

Ainsi débute, dans cette Martinique de la fin du XIXe siècle, une conversation entre Renélise Belhumeur, lavandière de son état et sa voisine Cyrilia Magloire. Le sujet de ces bavardages ? Le séjour à Saint-Pierre d'un singulier personnage, Lafcadio Hearn, journaliste passionné de culture créole, qui a engagé Cyrilia comme gouvernante. Par la suite, devenue l'informatrice privilégiée de celui qui disait vouloir tout connaître de la culture populaire martiniquaise, elle se fera ethnographe avisée de sa propre culture.

Cet "échange de paroles" entre les deux commères, prend son origine dans les souvenirs que l'écrivain Lafcadio Hearn - plus tard connu pour ses écrits sur le Japon - a laissé de son séjour à Saint-Pierre de la Martinique, en 1888. Véritable document ethnographique, ce livre est aussi un moment de pur bonheur oratoire, l'écriture d'Ina Césaire restituant merveilleusement l'inventivité, l'humour et la vigueur poétique de la langue créole.

Un récit riche en informations tel un document ethnographique

EXTRAIT

La barrière qui donnait sur la ruelle pavée, surplombée par la haute falaise couverte de sapotilliers sauvages, grinça désagréablement, annonçant à Cyrilia une visite inopinée. Occupée à nourrir ses quelques poules dans la courette de sa maison, située sur la façade qui donnait sur la mer, elle interrompit sa tâche en maugréant pour accueillir l’intrus qui se présentait chez elle à cette heure matinale. Elle n’aimait guère être surprise au saut du lit, entre le café de l’aube et sa promenade quotidienne le long de la plage qui s’éclairait des lueurs du soleil levant.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Ina Césaire, fille d’un père qui aura marqué la littérature du XXe siècle, est née en Martinique en 1942. Ethnologue spécialisée dans l’étude des littératures orales de la Caraïbe, elle a publié plusieurs ouvrages sur les contes de la Martinique. A côté de ses travaux universitaires, elle est également l’auteur de nombreux textes de fiction, romans, nouvelles et pièces de théâtre.
LangueFrançais
Date de sortie1 févr. 2016
ISBN9782356391773
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    Aperçu du livre

    Moi Cyrilia, gouvernante de Lafcadio Hearn - Ina Césaire

    Les termes suivis d’un astérisque renvoient au glossaire de mots créoles.

    LA BARRIÈRE qui donnait sur la ruelle pavée, surplombée par la haute falaise couverte de sapotilliers sauvages, grinça désagréablement, annonçant à Cyrilia une visite inopinée. Occupée à nourrir ses quelques poules dans la courette de sa maison, située sur la façade qui donnait sur la mer, elle interrompit sa tâche en maugréant pour accueillir l’intrus qui se présentait chez elle à cette heure matinale. Elle n’aimait guère être surprise au saut du lit, entre le café de l’aube et sa promenade quotidienne le long de la plage qui s’éclairait des lueurs du soleil levant.

    Un rituel quasi immuable exigeait que la marche soit suivie d’un bref bain de mer, d’une longue douche puis du démêlage de son épaisse chevelure de câpresse * qu’elle enduirait abondamment de vaseline locale, avant de la tresser en couronne. Elle reconnut sans hésiter la voix claironnante de sa voisine, la lavandière Renélise Belhumeur :

    – Cyrilia, j’ai dit bonjour !

    – J’ai répondu, commère ! Et comment va ta vie ?

    – Pas trop mal, grâce à Dieu ! Entre donc, ma fille ! Tu tiens bon ?

    – Sans faiblesse, Cyrilia, et je ne te dis qu’une chose : honneur !

    – La même chose pour toi, ma sœur, et je te réponds : respect !

    Cyrilia précéda l’arrivante, belle chabine * à la quarantaine opulente, jusqu’à la courette :

    – Tu arrives avec le soleil, ma commère ! Que dirais-tu d’une petite promenade matinale sur la plage ? J’ai coutume de me rendre tous les jours jusqu’au ponton…

    L’expression dépitée de l’arrivante traduisit un évident manque d’enthousiasme :

    – J’ai déjà marché mon compte pour venir te rendre visite, voisine… et depuis quelque temps, je souffre un peu des jambes !

    – Tu n’aurais pas dû abuser de tes forces pour me visiter, Renélise, répondit l’hôtesse. Je viens à peine de me réinstaller dans la vieille maison de ma pauvre maman… Il faudra consolider le toit… Il fuit un peu…

    Renélise tendit à Cyrilia un grand coui * débordant de poissons frais.

    – C’est vrai que tu as dû déménager, ma pauvre ! Mais regarde un peu ce que je t’ai apporté pour te réconforter : une petite pêche de balarous * que mon homme a attrapés hier soir, à la fraîche !… Je les ai déjà écaillés et ils ont macéré toute la nuit dans la saumure… Je n’ai pas oublié que tu es friande de friture !

    Cyrilia éclata de rire.

    – Ne me dis pas que Siméon s’est décidé à aller à la pêche… Je me suis laissé dire qu’il était devenu spécialiste de la sieste !

    La lavandière parut inaccessible à l’ironie de sa voisine.

    – Siméon n’est qu’un vagabond, mais il sait parfois se rendre utile.

    – Tu le remercieras de ma part, car ses balarous que je vais faire frire ce jour même sont les bienvenus ! Et comment vont les enfants ?

    – Je n’ai pas à me plaindre, ma chère. Ils profitent bien ! Les enfants sont une bénédiction du ciel ! Je ne dis pas ça, bien sûr, pour toi, qui n’en as pas… enfin… pas officiellement !

    Ce sujet de conversation avait généralement pour effet d’agacer Cyrilia. Assombrie, elle tendit un tabouret à sa commère qui s’installa bruyamment.

    – Alors ma chère, on dit dans tout Saint-Pierre que ton Monsieur est parti sur le bateau d’hier. C’est donc vrai ?

    Cyrilia répondit, avec acidité :

    – C’est la vérité même, voisine, mais cet homme-là était mon patron, pas mon Monsieur ! Il m’avait engagée en tant que gouvernante…

    Le sourire affable de Renélise s’élargit.

    – Gouvernante ? Comme c’est gentil !

    – Et il est parti, en effet… Son séjour a pris fin…

    – Alors, tu vas reprendre ton ancien métier de couturière ?

    – C’est ça même. Couturière, repasseuse, cuisinière… J’ai le choix… Une gouvernante, c’est un peu tout ça à la fois, pas vrai ?

    La chabine hocha benoîtement la tête.

    – C’est tout ce qu’il y a de plus vrai, ma bonne Sissi. Une bonne gouvernante, c’est un peu comme une femme mariée… Ça doit savoir tout faire…

    Pour masquer son mécontentement croissant, Cyrilia chassa bruyamment une volaille caquetante qui tentait de s’introduire dans sa cuisine.

    – Allez-donc ! Chou, poule ! C’est fou ce que ces bêtes-là deviennent hardies, ces jours-ci ! Celle-là devrait savoir qu’elle est trop dodue pour ne pas craindre de finir à la casserole !

    Renélise lui lança un regard innocent.

    – Et comment l’appelait-on, encore ?

    Cyrilia se retourna sans hâte vers sa voisine.

    – Qui ça ?

    – Mais ton Monsieur, voyons… Enfin… ton patron…

    – On l’appelait Hearn… Lafcadio Hearn.

    Renélise prit un ton choqué.

    – Hearn ? Ce n’est pas un nom chrétien, ça ! Cet homme-là n’était pas anglais, tout de même ?

    – Je crois bien qu’il était… irlandais.

    Les yeux de l’accorte chabine s’écarquillèrent.

    – Irlandais ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

    Cyrilia, contenant son agacement au prix d’un effort méritoire, se donna le temps de suivre longuement du regard le tracé d’une frégate aux ailes écartées qui survolait la rade, avant de répondre avec calme que, n’ayant jamais quitté le Nord Caraïbe, elle devait reconnaître qu’elle ignorait tout de l’Irlande, mais qu’elle pouvait affirmer devant tous les mal-parlants de Saint-Pierre et d’ailleurs, que Monsieur Hearn était un homme très comme il faut. Bien qu’européen de race, il ne devait pas être considéré comme un aventurier. Son métier, c’était de voyager et d’écrire dans les journaux ce qu’il avait vu… Elle ajouta que le plus ignorant des bitacos * savait que la place d’un voyageur n’est pas de rester en place ! Sa commère, ayant eu l’audace de mettre en cause l’existence même de cette étrange occupation, se vit répondre vertement que celle-ci portait un nom, et que son ancien employeur était ce que les Blancs appellent un gazetier. Peut-être Renélise avait-elle aperçu sur le port les jeunes garçons qui vendaient à la criée des feuillets imprimés, exclusivement destinés, il est vrai, aux gens qui savaient lire et écrire…

    La rieuse voisine n’était pas femme à se laisser désarmer par des arguments intellectuels.

    – On dit que ce Monsieur-là aimait beaucoup bavarder avec toi…

    Cyrilia n’eut pas un tressaillement.

    Place de la Bourse à Saint-Pierre

    – On dit beaucoup trop de choses, selon moi… Monsieur Hearn était un esprit ouvert et éclairé, un savant ! Il s’intéressait aux choses et aux gens des pays qu’il traversait.

    – Aux gens surtout, d’après moi !

    Ignorant l’interruption, Cyrilia poursuivit sereinement.

    – Il voulait tout savoir de la vie à Saint-Pierre. Il avait même appris le créole !

    Renélise éclata de rire.

    – Le créole ! Comme un béké-gouyave * ?

    Son hôtesse lui ayant fait aigrement remarquer que le créole était la langue la plus couramment parlée à la Martinique, elle comprenait mal le mépris dont l’accablaient certains de ses locuteurs. Son amie lui répondit sur le même ton qu’il ne fallait pas se leurrer : les pauvres parlaient créole et les riches, même quand ils connaissaient le parler du peuple, savaient s’exprimer en français ! C’était comme ça et pas autrement : une langue pour les nantis, une langue pour les miséreux et à

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