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INVINCIBLE
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Livre électronique424 pages6 heures

INVINCIBLE

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À propos de ce livre électronique

Voici le dernier tome d’une saga qui plonge le lecteur en plein cœur d’une guerre ultime dans un monde ne connaissant aucune limite. Après Incontrôlable et Déchaîné, Andrée-Anne Chevrier signe une finale époustouflante qui nous garde en haleine du premier au tout dernier mot. Elle y tisse un univers magique, d’une grande originalité, qu’elle peuple de personnages inoubliables. Un roman fantastique, teinté d’humour qui mélange aventure et magie.

Face à ses ennemis,
Jonathan doit repousser les limites de sa propre magie…
Au risque de perdre ce qui compte le plus.

Partout à travers le monde, les magiciens affranchis de l’oppression des sans-pouvoirs sèment le chaos pour obtenir la vengeance tant désirée. La terreur domine, mais Jonathan résiste, jusqu’à ce que de puissants ennemis se mettent à convoiter ses pouvoirs... ou pire, ceux de sa petite sœur, Dorelle.

Jonathan se trouve confronté à la déchéance qu’il redoutait plus que tout.

Pour sauver sa famille, jusqu’où devra-t-il aller?
LangueFrançais
Date de sortie3 nov. 2020
ISBN9782924782323
INVINCIBLE
Auteur

Andrée-Anne Chevrier

Native de Québec, Andrée-Anne Chevrier vit au rythme de ses nombreuses passions. Amoureuse de la littérature jeunesse sous toutes ses formes, elle cherche dans ses lectures et dans son écriture l'étincelle qui fait briller les yeux et accélérer les battements de coeur.

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    Aperçu du livre

    INVINCIBLE - Andrée-Anne Chevrier

    PREMIÈRE PARTIE

    L’art de trouver un adversaire à sa taille

    — Vous n’êtes que des vieux tas d’os pourris barbouillés avec du caca!

    Je savais même avant d’entendre sa voix que je retrouverais Dorelle ici. Et en fort agréable compagnie, qui plus est. L’orage faisait déjà rage dans les corridors quand Cordélia, Nik et moi sommes apparus dans le dortoir de l’aile D. Je ne voulais pas que le pirate nous accompagne dans un endroit où le simple fait de ne pas avoir de pouvoirs faisait de lui une cible facile, mais j’ai compris rapidement qu’il n’était plus question de le laisser derrière.

    Je ne l’avouerai jamais, mais je suis soulagé qu’il soit là.

    Ce qu’il y a de bien avec la pluie, c’est que lorsqu’elle tombe à l’intérieur, elle annonce habituellement de bonnes nouvelles. Il n’y a qu’une seule magicienne sur cette planète qui ait l’imagination pour accomplir un tel exploit, et elle mène en ce moment même son propre combat contre les deux magiciens qui s’en sont pris à notre famille.

    Ces images repassent en boucle dans ma tête. La force et la fureur qui habitaient maman quand elle s’est attaquée à moi et à papa, alors qu’elle était sous l’emprise des jumeaux.

    Ses supplications quand elle est revenue à elle et qu’elle savait que ceux qui avaient pris le contrôle de son esprit étaient toujours là, quelque part.

    À attendre le bon moment.

    Je revis l’instant où elle s’est jetée sur moi. Le fusil brûlant entre mes mains. La détonation résonne encore, il me semble. Mais ce n’est pas ça qui l’a tuée.

    Maman luttait contre leur emprise, et de son côté, Dorelle les affrontait aussi. Et en les suppliant de sauver ma petite sœur, j’ai sacrifié ma mère.

    Cette fois, je n’ai pas l’intention de les laisser gagner et changer les règles à leur avantage.

    Au-dessus de notre tête, le plafond est remplacé par des nuages noirs qui se superposent, gonflés de pluie et illuminés par les éclairs. L’infini et l’espace ont remplacé le béton et l’éclairage artificiel. C’est à la fois troublant et magnifique.

    Je connais ce Refuge dans ses moindres recoins, mais ce n’est pas pour l’avoir visité dans mes temps libres. Le labyrinthe est imprimé dans ma mémoire grâce aux souvenirs que j’ai volés à quelques employés de Black qui travaillaient ici avant la chute de son entreprise.

    Sans parler de la moindre vibration que je perçois dans l’air, provoquée par un mouvement ou une simple respiration. Depuis que j’ai surpassé le pouvoir de la puce implantée dans ma nuque, ma connexion avec la magie ne fait qu’augmenter. Comme Cordélia qui est devenue le feu, pour se protéger lors des tests que faisait Black sur elle, je ne fais plus qu’un avec le vent, avec l’air qui m’entoure.

    Ce ne sont que des frôlements sur ma peau auxquels je ne porte pas nécessairement attention, mais quand il est question de Dorelle, on dirait une avalanche de coups de bottes de pluie sur les tibias.

    Elle déplace de l’air comme personne.

    C’est ainsi que je peux la retrouver.

    Le corridor près de la salle de réunion est muni de fenêtres offrant une vue panoramique sur la salle occupée par une immense table qui ne sert pas à manger. La pluie embue les vitres, mais nous pouvons apercevoir à travers la buée les silhouettes élancées et rachitiques d’Arnaud et de Dimitri, les deux jumeaux au corps complètement tatoué. Chacune de nos rencontres s’est mal terminée, depuis que je les ai libérés de leur cellule au sous-sol du Département, puis du centre de détention. Ils ont infiltré l’esprit des agents de Wallace, déclenchant la rébellion des magiciens.

    Puis ils se sont emparés de ma mère, la manipulant comme une marionnette pour qu’elle nous élimine, papa et moi. Ils l’ont tuée.

    Une petite tache rose leur fait face, qui ne peut qu’être Dorelle dans sa robe de dentelle. Filius a pris sa forme humaine et c’est contre sa protégée qu’il lutte, utilisant toute sa force pour immobiliser une petite peste folle de rage qui cherche à arracher les yeux de leurs adversaires avec ses dents.

    Je sens immédiatement que quelque chose ne va pas. Les épaules de Filius sont voûtées et son visage est défiguré par les spasmes. Ses mains se resserrent autour de Dorelle avec une certaine violence, une fureur de la protéger contre elle-même. Comme nous, il est trempé par la pluie, mais je me doute que le mucus que sa peau sécrète lorsqu’il ne va pas bien y est pour quelque chose aussi.

    Moi, cette pluie me convient, elle me permet d’oublier le sang de mes parents qui souille mes vêtements.

    Et le tonnerre qui gronde accompagne à la perfection la tempête qui tourbillonne en moi.

    D’un mouvement de bras, j’envoie une puissante bourrasque dans la vitre pour les prévenir de notre arrivée. Elle se brise en millions de petits éclats, que j’envoie vers les deux squelettes.

    — Vous devriez trouver des adversaires à votre taille, scande Cordélia.

    Le verre s’immobilise toutefois en arrivant à leur hauteur, figé net par un mur invisible. Je perçois une force contraire à la mienne, une autre magie qui cherche à s’en emparer. D’un regard furtif, j’essaie d’encourager Cordée à m’aider en joignant sa puissance à la mienne, mais elle comprend trop tard ce qui se passe.

    Ma magie me glisse entre les doigts comme l’eau d’une source que j’essaierais de contenir entre mes mains. Ils combinent leur puissance contre moi, la force de deux esprits qui fonctionnent comme un seul. Je n’ai plus d’emprise sur la vitre brisée, elle ne m’appartient plus. Lentement, les éclats de verre se fondent les uns avec les autres avant de se solidifier à nouveau pour former un être humain de cristal. La même silhouette rachitique que les deux frères. Un troisième jumeau magique.

    — Voilà qui change un peu les plans, lance Nik.

    Je le réalise au même moment qu’un sourire narquois étire les lèvres des deux jumeaux.

    Et que leur nouveau jouet de vitre se tourne vers moi avec la même expression. Seule la table nous sépare, et les chaises ont déjà été renversées pour la plupart. L’une est même enfoncée dans le mur derrière les jumeaux.

    — Je suis une adversaire à leur taille! hurle Dorelle en faisant claquer ses bottes de pluie roses d’un coup de talon tandis qu’un éclair illumine le ciel, accompagné d’un vrombissement de tonnerre assourdissant. Qu’ils viennent se frotter à mes super-bottes, pour voir!

    Elle se précipite à nouveau vers eux, mais Filius l’intercepte d’un mouvement rapide, déployant toutes ses capacités pour sa protégée malgré l’épuisement. Il referme sa main sur son bras d’un geste brusque qui prend Dorelle par surprise. L’instant suivant, il l’attire contre lui et cache son visage dans son cou en fermant les yeux, refermant ses bras autour de ses épaules dans une étreinte contraignante.

    Épuisé. Torturé par je ne sais quoi.

    — Vous m’aviez promis de la laisser tranquille, dis-je en m’adressant à Dimitri et Arnaud. De ne pas lui faire de mal.

    Je n’avais même pas remarqué que je suis à bout de souffle. Je perçois le contact de l’air sur chaque parcelle de ma peau, mais mes poumons sont incapables de se remplir, trop atrophiés par la peur et la panique. La pluie se mêle à la sueur qui coule sur mon front.

    Je suis encore épuisé par le combat que je viens de mener contre eux alors qu’ils possédaient l’esprit de ma mère. Ma peau souffre encore de la brûlure provoquée par le feu qui a consumé une partie de mes vêtements et de mes cheveux.

    Et les yeux de ma mère quand ils la contrôlaient me hantent encore.

    — Vous aviez une dette envers moi, dis-je, incapable de supporter l’idée de perdre quelqu’un d’autre. Vous m’avez promis d’épargner Dorelle. Alors, laissez-la repartir.

    — Et c’est ce que nous aurions fait si cette petite peste n’avait pas tant insisté pour nous arracher le visage avec ses ongles, s’excuse l’un des jumeaux, stoïque.

    — Il nous a fallu beaucoup de patience pour respecter notre entente, tu comprends? ajoute l’autre. Tu devrais nous remercier. Et nous faire un nouveau cadeau.

    — Oui, nous ne voulons plus de la petite. Tu peux la garder.

    — C’est avec le gardien qu’on veut s’amuser, maintenant.

    En une fraction de seconde, je saisis tout ce qui se déroule à notre insu. Le mal invisible qui empoisonne Filius. La violence. La rage. Je comprends trop tard ce que ça veut dire. Cordélia et Nik aussi.

    Dorelle n’en a même pas idée. Et elle est emprisonnée entre ses bras.

    — C’est que nous n’avons jamais eu de gardiens, tu comprends? Et cette petite peste l’a depuis beaucoup trop longtemps, déjà. On devrait lui apprendre à partager.

    Les bras de Filius se referment de plus en plus sur Dorelle tandis que ses épaules se voûtent davantage. Je ne sais pas s’il essaie de l’étouffer ou si, au contraire, il s’accroche à elle pour lutter contre les jumeaux qui cherchent à dominer son esprit.

    — Je ne vous laisserai pas leur faire de mal! siffle Cordélia entre ses dents.

    Filius pousse un hurlement tandis que son dos se courbe en prenant de l’ampleur. Son cri se transforme en grondement.

    Son chandail se déchire, dévoilant sa peau à vif sur laquelle poussent de longs poils blancs.

    Il est en train de se transformer. Non, pas lui. C’est trop douloureux. Anormal.

    Ce sont les jumeaux qui le transforment.

    — Dorelle… gémit-il. Dorelle, je t’en prie… Do…

    — Filius!

    Elle se libère de son emprise seulement pour mieux se jeter à son cou et le serrer contre elle. La protégée qui veille sur son gardien jusqu’au bout.

    Mais ce n’est plus son gardien. C’est maintenant la marionnette des deux esprits les plus vils que j’aie rencontrés. Des pattes puissantes munies de cinq longues griffes acérées comme des couteaux. Une gueule immense.

    Un immense ours blanc dont la fourrure tire un peu sur le jaune, le seul symbole qui nous rappelle que c’est encore Filius.

    Je l’oublie au moment où il se redresse sur ses pattes arrière, obligeant une Dorelle en larmes à reculer. Elle n’abandonne pas.

    Elle hurle son nom en tendant les bras vers lui.

    Mais ce n’est déjà plus son gardien.

    Dorelle fait fondre les cœurs (super-bottes et magie surpuissante incluses)

    Au moment où la patte de l’ours s’abat sur Dorelle, je revois en souvenir toutes les horreurs provoquées par les jumeaux: ma mère qui tire sur mon père, le corps d’Allan parcouru de spasmes à mes pieds, le crâne écrasé d’Isabelle. Et je sais que je ne laisserai pas les deux frères ressortir vivants de cet affrontement.

    Je n’en peux plus de perdre les gens que j’aime.

    Je réalise aussi qu’il y a quelque chose de plus puissant que la peur.

    Et même… de plus puissant que la colère.

    Je l’ai compris dans le laboratoire, avec Cordélia. Quand elle est devenue incontrôlable.

    Je me suis toujours réfugié dans la haine puisque c’était plus facile. Je détestais les Carcaciens parce que je ne savais rien faire d’autre. Et puis j’ai détesté Nik parce qu’il ressentait de l’amour pour Cordée. Je me suis éloigné de Filius parce que je ne pouvais pas tolérer de le voir avec Dorelle.

    J’ai sacrifié Allan parce que c’était plus facile de le détester.

    Et maintenant, je l’ai perdu. J’ai perdu les pirates. J’ai perdu ma mère. J’ai perdu des personnes que j’aurais pu aimer. Si je m’en étais donné le droit.

    J’aurais pu devenir le monstre que je vois en Dimitri et Arnaud.

    Mais je suis épuisé de détester. Épuisé d’avoir peur.

    Au moment où Cordélia se précipite vers Dorelle et la protège de tout son corps en s’exposant à l’attaque de Filius, je sais que toutes ces choses ont changé en moi. C’est comme si tout à coup, tout devenait clair.

    Comme si je pouvais voir les particules de magie qui émanent du corps de Cordélia. Elles m’invitent à suivre ma sœur. À mêler ma magie à la sienne pour protéger ce qu’il me reste.

    C’est le côté que j’ai choisi.

    La patte de l’ours se percute contre un bouclier invisible que ma grande sœur dresse au-dessus de sa tête en croisant les bras. Il recule à son contact, frustré, et pousse un cri, sa gueule béante grande ouverte pour dévoiler ses dents larges et profondes.

    — Ne faites pas de mal à mon Filius, sales boutons de pus sur le nez d’un vieux lépreux!

    Des éclairs tombent du ciel en trombe et frappent le sol en mettant le feu aux chaises renversées.

    — Va t’amuser, ordonne l’un des tatoués à leur jumeau de verre.

    La statue s’élance aussitôt vers Nik et moi, mais le pirate me repousse d’un mouvement de bras en tirant le couteau attaché à sa ceinture.

    — Je m’en occupe, fait-il.

    Sa lame traverse le verre, qui éclate en millions de particules avant de se ressouder chaque fois, le blessant tandis que certains éclats s’enfoncent dans sa peau. Tous les coups trouvent leur cible, mais Nik lutte contre un ennemi magique.

    Invincible.

    Il n’existe qu’une seule façon de mettre fin à son combat.

    D’une puissante bourrasque, l’immense table qui se trouve au centre de la pièce se renverse et plaque les deux jumeaux dans le mur. Je sens aussitôt une force contraire s’opposer à la mienne, comme les pôles semblables de deux aimants.

    Sauf que je possède quelque chose qu’eux n’ont pas.

    — Fil! hurle Dorelle en sanglotant. Arrête! Je t’en prie! Cordélia, ne lui fais pas de mal!

    Le grondement de l’ours résonne avec le tonnerre. Cordée bloque chacune de ses attaques sans jamais riposter, mais elle recule sous la force de ses coups. La puissance qu’elle doit déployer pour les protéger, elle et Dorelle, fait rougeoyer les veines sous sa peau. Mon aînée pousse un hurlement en serrant les dents, comme si elle tentait de contenir sa magie plutôt que de la libérer, dans la peur de blesser notre gardien, sans doute.

    Sauf que lui, c’est tout ce qu’il désire. Et ça fait de lui le plus fort.

    D’un brusque et puissant coup de tête, il renverse ma grande sœur en l’expulsant de la pièce par le trou de la fenêtre brisée.

    — Cordée! s’écrie Nik.

    Un simple moment d’inadvertance et la main de la statue de vitre s’abat sur sa tempe, explosant en éclats avant de se reconstituer. Ensanglanté et un peu secoué, Nik reprend le combat avec l’allure d’un ivrogne, titubant à chaque pas.

    Cordée recule en rampant pour éviter de se faire piétiner tandis que Dorelle pousse un hurlement strident avant de se jeter sur le dos de son gardien pour le retenir de manière absolument inutile. On dirait plus une étreinte désespérée qu’une attaque, mais le gardien ne fait pas la différence. Il en oublie Cordélia et se secoue en donnant des coups de patte pour se débarrasser de Dorelle comme d’un vilain moustique. Secouée dans tous les sens, elle s’agrippe à lui en refermant ses poings sur les longs poils jaunes tout en poussant une longue plainte aiguë.

    Lorsque je me tourne à nouveau vers les jumeaux, je croise leur regard par-dessus l’épaisse table de bois. Leur sourire déformé par une grimace de douleur. Ils empêchent la table de les écrabouiller, mais ils reculent lentement contre le mur à cause de la pression. Je peux voir toutes les questions traverser leurs yeux laiteux. Et je jubile à l’idée qu’ils n’aient jamais été confrontés à un adversaire qui sache leur résister.

    La brise me rapporte leur peur. Leur souffle de plus en plus court.

    «Tu te penses plus fort que nous, le minet?»

    Les mots résonnent dans ma tête, répétés par un écho étrange. Comme si les deux garçons me parlaient avec une seule voix.

    «Mais tu ne sais pas ce que tu fais. Tu n’es pas du bon côté. Tu es des nôtres. Nous sommes pareils, tu sais? Tu as mal choisi ton ennemi.»

    — Oh, je sais très bien qui est mon ennemi, répondis-je à haute voix.

    Pas parce que je ne peux pas entrer dans leur tête, à vrai dire, je n’ai même pas essayé. C’est plutôt parce que je ne veux pas aller là. J’aurais trop peur de ne pas pouvoir supporter leurs pensées.

    «Tu aurais pu être notre ami, le minet. Tu pensais comme nous, avant. Tu n’avais pas peur de la magie. Au contraire… Et tu les as laissés t’empoisonner…»

    Ils ne peuvent pas savoir tout ça sans avoir accès à mes pensées. Et pourtant, je ne ressens rien. Je ne perçois pas l’aiguille qui tente de se frayer un chemin jusqu’à l’élément qu’ils cherchent, je ne… Et si… Et si mes pensées étaient devenues aussi volatiles que celles de Destinée? Et si je leur avais donné accès à mon passé, sans même le savoir? Comme c’est arrivé avant, avec Filius, dans le corridor où Allan était emprisonné. Mes pensées lui étaient apparues aussi clairement que si je lui avais parlé tout haut. C’était avant. Quand la peur me dominait. Avant de retrouver toutes mes capacités, d’être capable de jouer avec la magie de nouveau, sans la craindre.

    Je vacille, étourdi à l’idée de recommencer à perdre le contrôle alors que je n’ai jamais été autant en possession de mes pouvoirs.

    «Les petits humains normaux n’ont pas changé, mon minet. Ils sont stupides, manipulables et remplaçables. C’est toi qui as changé. C’est toi qui ne les vois plus comme avant. C’est à croire que tu es devenu l’un des leurs. Tu es tout aussi minable. Manipulable. Et remplaçable.»

    Je me sens défaillir. J’ai besoin de toute ma concentration pour les maintenir immobiles entre la table et le mur. Et plus je m’affaiblis, plus ils reprennent confiance. Ce n’est plus leur peur que je ressens. C’est la mienne qui me glace le sang. Il faut que je me ressaisisse.

    Il faut que je me souvienne de ce qui me rend différent.

    — Ces gens sont mes amis et ma famille, dis-je. Et je ne laisserai personne leur faire du mal.

    «C’est dommage.»

    Je peux entendre la déception dans leur voix, le soupir qui accompagne chaque syllabe.

    «On commençait à t’apprécier. Mais tu n’es plus qu’un jouet brisé. Et nous n’avons plus envie de jouer.»

    Au moment où Filius pousse un profond gémissement en s’effondrant au sol, j’entends Dorelle hurler en s’affaissant sur lui dans leur chute. Je sens toute la force de la tempête qui m’habite. Prête à se déchaîner.

    La table éclate en morceaux tandis que les deux jumeaux s’encastrent dans le mur. Le béton les avale, se refermant autour d’eux pour contrôler leur corps, à défaut de pouvoir contenir leur esprit. Leur tête, leurs bras, leurs genoux et le bout de leurs pieds dépassent encore, emprisonnés dans une posture ridicule.

    Je sens aussitôt leur attaque à l’intérieur de ma tête. Ils essaient de m’imposer leur volonté.

    La haine monte en moi, m’étouffe.

    Je me tourne vers Cordélia, vulnérable, agenouillée devant Filius pour lui porter secours. Refroidi par la tournure de la situation, le feu ne circule plus dans son sang. Elle aurait pu déployer toute sa puissance pour protéger Dorelle. Mais elle n’est pas comme moi.

    Elle est pathétique. Et faible.

    C’est sa faute. Elle et Filius. Ce sont eux qui me…

    Eux que je dois…

    Qui ne cessent de m’empoisonner, qui…

    Ils m’ont fait tant de mal! Ce sont eux, les monstres! Eux qui m’ont fait croire que…

    J’agrippe ma tête à deux mains, tirant sur mes cheveux, puisque n’importe quelle douleur physique peut me permettre d’oublier celle dans ma tête. Et je hurle.

    Parce que tout à coup, j’en veux à ma famille. Je ressens cette haine que j’éprouvais envers Cordélia quand elle m’a laissé dans le sous-sol du Département. Je revis tout ce que j’ai tant voulu effacer de ma mémoire.

    Je les déteste. Je sens la haine qui m’anime, cette même colère qui m’a entraîné à causer tant de mal.

    Quelque chose en moi souhaiterait qu’ils soient morts.

    Mais ce n’est pas moi.

    Je ne veux pas m’oublier.

    Faisant fi de la douleur, je redresse la tête pour affronter les jumeaux du regard. La haine est là, en moi. Si familière. Si douce. Si… rassurante. La colère gronde à son tour. Elle qui m’a toujours guidé. Qui contrôle ma magie.

    Je ne peux pas les faire taire. Elles font partie de moi.

    Mais je ne suis pas que cela.

    Et je ne les laisserai pas me faire oublier qui je suis.

    L’expression sur le visage des jumeaux se transforme quand ils croisent mon regard. Au moment où ils réalisent qu’ils n’ont aucune emprise sur moi.

    Parce que je suis plus fort qu’eux.

    — Je ne laisse personne faire de mal à ma famille, leur dis-je.

    Dorelle se redresse tandis que les nuages forment une masse sombre et opaque au-dessus de leur tête. Filius est étendu sur le sol, sa respiration est sifflante et son corps est secoué de spasmes. Les poils tombent sur le sol, sa silhouette rétrécit, et Cordélia tient sa tête entre ses mains pour l’apaiser.

    Filius gémit, mais il est toujours vivant.

    Il lutte. Encore.

    — Personne. Ne. Touche. À. Mon… Gardien, grogne Dorelle.

    Et elle s’élance vers les deux jumeaux pour leur marteler toutes les parties du corps qui ont le malheur de sortir du mur avec ses super-bottes.

    — Espèces de vieilles crottes de nez poilues!

    — Nik!

    D’un coup de couteau bien net, le pirate tranche la tête de la statue. Avant qu’elle n’ait le temps de se reconstituer, je projette les morceaux de verre sur l’un de ses frères de chair et de sang. Les éclats s’enfoncent dans le crâne de Dimitri ou d’Arnaud, je n’ai jamais su faire la différence. Et le tuent.

    La statue de verre s’effondre en s’éparpillant au sol, retrouvant la forme dans laquelle je l’avais laissée en détruisant la fenêtre. La peau parsemée de points rouges ensanglantés, le souffle court, Nik s’attarde sur les débris une ultime fois pour s’assurer que son adversaire ne se reformera pas, puis il court rejoindre Cordélia auprès de Filius.

    Le visage du dernier frère se crispe dans une grimace de douleur. Du coin de l’œil, il voit son reflet sans vie coincé dans le mur à ses côtés.

    — Tu vas le regretter, le minet, jure-t-il d’une voix vibrante.

    Presque déchirante. Douloureuse.

    Presque.

    — Et moi, je dis que tu n’es qu’une vieille crotte de nez, chantonne Dorelle en approchant son visage de celui figé dans le béton.

    Et c’est alors que la peau du jumeau survivant se ramollit, puis se liquéfie lentement dans une substance gélatineuse.

    — Dorelle, qu’est-ce que tu fais? murmuré-je, horrifié.

    Les gouttes épaisses coulent sur le mur, laissant une traînée qui ressemble au mucus d’escargot. Ses yeux se révulsent dans leur orbite et fondent à leur tour. Tout son corps devient mou et flasque avant de couler lentement le long du mur.

    Jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un trou étrange dans le mur, recouvert d’une substance verte gluante et abondante.

    Et juste comme ça, dans une marée de morve verdâtre, c’est terminé. Une vieille crotte de nez. Dorelle recule d’un pas, promenant son regard sur les coulisses luisantes qui descendent sur le sol pour former une flaque visqueuse.

    En silence.

    Comme si elle essayait de comprendre ce qui s’est passé.

    — Oups, dit-elle.

    Et elle reste là à le regarder, jusqu’à ce que Filius murmure son nom. Elle s’élance auprès de lui et son gardien l’accueille dans ses bras humains, plongeant son nez dans ses cheveux châtains emmêlés comme si c’était la chose la plus douce au monde. Comme si plus rien n’existait.

    Nik entrecroise ses doigts avec ceux de Cordélia et il l’attire contre lui à son tour. Je m’approche en silence, écrasant au passage des morceaux de verre qui grincent sous ma chaussure. Parce que même si c’est douloureux… je n’ai plus envie d’être seul.

    — Tu vas me le pardonner, Do? murmure Filius, épuisé.

    Non, il n’est pas seulement épuisé, il est anéanti. Je n’ai jamais vu le gardien dans cet état. Mais je peux comprendre. Affronter les jumeaux alors qu’ils essayaient de contrôler mon esprit est la chose la plus difficile que j’aie eu à faire. Mes mains tremblent, mes jambes ne supportent plus mon corps et je m’agenouille auprès de ce qu’il reste de ma famille.

    C’est terminé.

    Dorelle se détache de Filius et lui montre l’une de ses bottes de pluie roses en tenant sa jambe dans les airs avec ses mains. Son gardien lance un petit sourire en réalisant que sa question était totalement stupide. Il n’y a rien à pardonner, avec Dorelle.

    — Regarde, Fil! s’exclame-t-elle, débordante d’enthousiasme comme si elle avait fait la découverte du siècle. Il y a de la morve sous ma super-botte! Et ça, ça me dégueule!

    Mignon, ennuyant et autres nouveaux adjectifs qui ne seraient pas dignes d’une couverture de livre

    La première chose que je sens, ce sont ses ongles qui s’enfoncent dans mes joues et serrent mon menton pour tourner mon visage de force. La deuxième, c’est sa langue qui s’infiltre entre mes lèvres pour aller agacer la mienne. Dans la précipitation, nos dents s’entrechoquent et elle pousse un petit rire qui envoie quelques vapeurs de son déjeuner au fond de ma gorge.

    — Alors? demande Destinée en détachant ses lèvres pour fixer son regard dans le mien. Je t’ai manqué?

    Je passe ma langue entre mes dents et mes lèvres pour me débarrasser de l’arrière-goût amer que m’a laissé son baiser. Je pense que je ne m’habituerai jamais à ça.

    — Je ne m’habituerai jamais à ça, soupire Cordélia en grimaçant.

    Elle murmure à l’intention de Nik, mais son dédain n’échappe pas à Destinée. Ma nouvelle copine fait signe à Filius de se déplacer d’une chaise pour qu’elle puisse se joindre à nous et elle la lui arrache avant même qu’il en ait levé les fesses. La tournant sur elle-même pour appuyer ses coudes sur le dossier, elle la colle à la mienne et joue avec mon lobe d’oreille avec ses doigts. Je la repousse d’un coup de bras pour qu’elle me laisse tranquille, ce qui la fait rire.

    Moi, ça m’agace et me fait grincer des dents.

    Nous avons choisi une table plus isolée des autres groupes à la cafétéria pour que notre présence soit remarquée, sans trop attirer l’attention. Mais avec Cordélia dont la chevelure brille autant que sa réputation, Dorelle qui a insisté pour manger de la lasagne encore froide au petit-déjeuner, et maintenant Destinée, impossible de passer inaperçus.

    — On dirait qu’il est grognon, aujourd’hui, mon minet, ricane-t-elle.

    — J’ai très mal dormi, dis-je platement, ennuyé par sa curiosité.

    Je ne veux pas qu’elle pose de questions, mais je ne veux pas non plus m’attirer sa colère. La dernière chose dont j’ai besoin, c’est de devenir le centre de l’attention, ce matin. Je me contente de manger mes céréales sèches même si elles me roulent dans la bouche, en attendant de pouvoir quitter le Refuge et retourner à la maison.

    — Tu aurais pu venir me rejoindre, roucoule-t-elle en ramenant une jambe sur sa chaise pour mieux se coller à moi. J’ai cru comprendre que tu avais commencé à… t’ennuyer?

    Son ton est empreint de sous-entendus, mais je décèle l’accusation derrière l’étincelle perverse qui fait briller ses yeux. J’ai compris trop rapidement ce que des magiciens qui s’ennuient sont capables de faire. Et cette expression est lourde de sens.

    Pour la première fois depuis que Destinée s’est jointe à nous, les regards de Nik, Cordée et Filius convergent vers elle. Même moi, j’ose la regarder dans les yeux. Ses cils sont lourds de mascara et l’épaisse ligne noire qui marque le tour de ses yeux s’est répandue à quelques endroits où elle a frotté les doigts.

    Et dans son sourire, le même que celui des jumeaux, je réalise qu’elle me manipule.

    — Je sais que c’est toi, murmure-t-elle. Toi et… ta petite famille, ajoute-t-elle en leur jetant un regard méprisant en coin. Dimitri et Arnaud ne sont pas revenus au dortoir hier soir, tu vois? Ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète, bien au contraire. Mais d’autres s’en sont rendu compte aussi, tu comprends? Ceux qui les ont retrouvés enfoncés dans le mur. Juste Arnaud, en fait. Dimitri, lui… il n’en reste pas grand-chose. On peut dire que le magicien qui leur a fait subir ça avait… beaucoup d’imagination…

    Je soutiens son regard sans broncher, même si je sais que mon manque de réaction me dénonce encore plus qu’un mauvais mensonge.

    — Ça me dégueule vraiment, grogne Dorelle tout à coup. J’ai même encore de la morve sous ma super-botte!

    — Dorelle!

    Cordélia lui lance l’un de ses fameux regards de grande sœur, un pouvoir étrange dont elle a été affublée à la naissance en tant qu’aînée pour manipuler vilement les pauvres victimes qui auraient le malheur de naître après elle. Le mal est déjà fait, elle s’y prend trop tard, mais de toute façon en tant que benjamine, Dorelle a hérité du pouvoir d’être totalement immunisée contre l’autorité familiale.

    — Je te le jure! insiste-t-elle. C’est tout gluant quand je marche et ça fait un drôle de bruit, comme ça…

    Elle imite un bruit de succion en faisant passer sa bave entre ses dents serrées avec sa langue. Filius la prend par la main et s’empresse de lui faire quitter la table avant que les choses ne dégénèrent.

    Trop tard pour ça aussi.

    En réalisant ce qui se passe, Destinée éclate d’un rire exagéré en frappant la table avec le plat de sa main.

    — Alors c’est une gamine qui les a réduits en bouillie? pouffe-t-elle.

    Je lui fais signe de se taire, même si sa réaction est plus positive que ce que je craignais. Mais le rire de Destinée n’a jamais rien de rassurant.

    — Avec un peu d’aide, disons… marmonne Cordée, elle aussi déstabilisée par sa réaction.

    — Ça ne change rien que tu l’aies aidée, sale garce. Je parle avec mon minet.

    Cordée recule, plus surprise que blessée par l’insulte. Je ne crois pas que l’opinion de Destinée ait une quelconque influence sur l’estime de ma grande sœur.

    — Si tu ne veux pas que ton petit humain de compagnie finisse avec la même tête que Dimitri, tu peux partir du Refuge tout de suite. C’est pas une place pour vous, ici, crache ma charmante compagne à l’adresse de Cordélia.

    — Nik en a fait beaucoup plus pour notre cause que tous les magiciens réunis ici, dis-je sur un ton qui devrait la convaincre de laisser le copain de ma sœur tranquille.

    Nik passe son bras autour de l’épaule de Cordée, comme un affront. Destinée éclate d’un rire hachuré qui grafigne sa gorge. Elle secoue la tête en caressant la ligne de mon cou du bout d’un ongle.

    — Je ne pense pas, non, dit-elle. Vous avez tué les deux favoris du trapu chauve…

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