Le Corrupteur - Larmes de crocodile
Par Vic Verdier
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À propos de ce livre électronique
Elles reçoivent un défi sordide, qui doit être accompli en 24 heures.
Les victorieux se méritent l’antidote. Les autres subissent une mort atroce.
Isabelle Fortin élève seule ses deux jumeaux dans l’amour de ses propres passions : l’art et le savoir. Vic Verdier joue
au papa d’emprunt quand ça lui chante. Ils sont collègues à l’université et amis d’infortune.
Un soir, après le souper, alors qu’Isabelle soutient Vic dans une épreuve, le Corrupteur frappe. Il a empoisonné les jumeaux d’Isabelle !
Le défi semble simple : prouver qu’elle aime ses fils plus que l’art ou que les livres anciens dont elle s’occupe.
Jusqu’où une archiviste amoureuse de culture et un érudit spécialiste du mensonge peuvent-ils aller pour sauver les garçons ?
Le compte à rebours est lancé… Vic jure à Isabelle qu’elle n’est pas seule, il ne la laissera pas tomber.
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Avis sur Le Corrupteur - Larmes de crocodile
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Aperçu du livre
Le Corrupteur - Larmes de crocodile - Vic Verdier
10 septembre
12 : 10
Victor-Emmanuel Verdier espère qu’il ne croisera personne ici.
Il porte des lunettes noires sous sa casquette et marche d’une façon délibérément nonchalante, tout en poussant son panier dans les rayons de la succursale SAQ Dépôt de Québec, sur la rue Einstein.
Quand un ami l’interroge, « Hé ! Vic, tu les prends où, tes bouteilles ? », le professeur Verdier affirme en souriant que la plupart des vins dans son cellier proviennent d’importations privées. « Parfois, je les prends à la SAQ Sélection de l’avenue Cartier. C’est vraiment la meilleure succursale. Tu connais Jean-Pierre, le gérant ? Non ? Un flair exceptionnel pour dénicher des petits bijoux. »
Ce sont de bons conseils ; reste que la SAQ Dépôt, elle, offre une foule de vins de qualité pour moins chers. C’est là que Vic s’approvisionne réellement.
Personne a besoin de savoir ça.
Vic se prépare à une soirée qui s’annonce phé-no-mé-nale. Il cherche quelque chose de spécial à partager, un « jus d’exception », comme il aime le dire. Il flâne un peu parce que les trouvailles sont souvent cachées derrière les produits proposés à la douzaine, dans des caisses empilées les unes sur les autres.
Une femme en robe ample, la soixantaine, un homme en jeans propres avec un polo noir sans logo, une autre femme, très jeune, à peine majeure – non, Vic ne connaît personne ici.
— Monsieur ? Je peux vous déranger ? Je me présente : Émilie, sommelière-conseil. Seriez-vous intéressé par une dégustation ?
La jeune femme qui interpelle Vic sourit à pleines dents. Elle doit avoir presque 30 ans, une quinzaine d’années de moins que Vic. C’est le bas de la fourchette d’âge des femmes avec lesquelles le professeur Verdier se permet de coucher. Il se redresse un peu, se carre les épaules dans son veston sport et ajuste son foulard en lin froissé. Le foulard, c’est une signature de son style vestimentaire.
Le look intello-artiste, ça intrigue les femmes.
Le même principe s’applique à son appareil photo. En se présentant comme un photographe d’art, il obtient souvent des séances mémorables. L’appareil se trouve donc toujours à portée de main, dans son VUS.
— Oh, oui, oui. Bonjour, Émilie. Qu’est-ce que vous offrez ?
— J’ai un tout nouveau malbec de la vallée de Mendoza en Argentine… Maison réputée… Beaucoup de fruits et des tanins qui fondent déjà.
Vic fronce un peu les sourcils et retirant ses lunettes, l’air de dire : « juste ça ? »
— Il est surprenant, je vous assure.
— Vous avez pas quelque chose de plus fin ? Moi, le malbec…
La sommelière hésite quelques instants. Elle porte son index à sa bouche en réfléchissant. Quand l’idée lui arrive, sa main quitte sa bouche et replace ses mèches bouclées.
— Ah ! Je crois que… Je ne devrais pas, mais…
Émilie se penche sous son kiosque et en retire une bouteille de Bourgogne. C’est un Grand Cru, Clos de Vougeot. La bouteille est pleine, mais le bouchon a déjà été retiré.
— Je l’ai ouverte par erreur ce matin. C’est un vin qui se détaille à un peu plus de 130 $. Je pensais que j’avais en main son petit cousin, vous savez, le deuxième vin, pas le Grand Cru lui-même… Un Clos de Vougeot ! Je vais devoir le payer de ma poche. Tant pis, hein ? Maintenant qu’il est ouvert, voulez-vous goûter ?
Vic flaire la bonne occasion ; un Clos de Vougeot…
— Ah, maintenant vous parlez sérieusement, Émilie. D’accord, je veux bien goûter.
Le vin danse sur sa langue comme une fête champêtre. Vic fait tourner les quelques gouttes qui restent dans son verre avant de les avaler. Il a rarement bu un vin aussi charmeur.
— Alors ?
— Eh bien, quel tourbillon de saveur !
— On l’a dégusté en équipe, le mois dernier. Impressionnant, non ? Ce producteur travaille en biodynamie, mais il n’a pas encore obtenu la certification. Ça arrive souvent en Bourgogne. Le millésime 2015 a été exceptionnel. Il est déjà prêt à boire.
— Hmmm ? Il est à 130 $, vous dites ?
— 132 $, pour être précise. J’en ai encore trois bouteilles, juste derrière vous.
Elle pointe une étagère à quelques mètres, mais une ombre passe sur son visage. Émilie s’avance de deux pas. Vic peut admirer ses formes malgré la chemise de travail peu flatteuse de la SAQ.
— Voyons ? Mais… est-ce que les bouteilles ont été déplacées ?
La sommelière consulte son équipement portatif.
— Je m’excuse, monsieur, quelqu’un les a déjà achetées. Je vous ai induit en erreur.
— Aaah ! C’est moche… j’aurais vraiment aimé les rapporter chez moi. Les trois…
Vic n’a aucunement l’intention de payer 132 $ pour une bouteille. Encore moins le faire trois fois. Il laisse tomber ce petit mensonge pour mieux paraître aux yeux de la jolie femme devant lui. C’est un phénomène archi-connu : une des fonctions du mensonge est de paraître plus que l’on est. Les animaux utilisent cette stratégie ad nauseam dans la nature ; on n’a qu’à penser au paon, qui déploie une queue de plumage démesurée alors que son corps n’en représente qu’une fraction.
Vic ne se souvient pas d’un de ses cours dans lequel il n’ait pas évoqué le paon. Son doctorat en Communications Studies, de l’Université McGill, portait justement sur les fonctions du mensonge dans les médias – une étude de terrain. Ses étudiants, maintenant qu’il enseigne à l’Université Laval, sont friands de cette matière qui paraît simple. Plusieurs s’y rivent le nez.
Le petit côté pop culture de ma spécialité cache une complexité qui les surprend souvent. Le mensonge a des racines profondes.
— Je pourrais peut-être vous débarrasser de la bouteille de dégustation ? demande Vic.
— Non, je suis désolée. On ne peut pas vendre une bouteille ouverte.
— Mais vous allez la payer, non ?
— Oui, c’est sûr, en terminant mon quart de travail.
— Alors, réglez ce compte tout de suite. La bouteille sera à vous et vous pourrez me la vendre. Je vous en offre 75 $, ça couvrirait une part de vos pertes. Je peux vous faire le transfert bancaire d’avance, ni vu ni connu.
Émilie rougit. Elle jette quelques regards autour d’elle.
Parfait. Elle y pense.
— Je sais pas. Ça pourrait…
— Mais non, comment est-ce que ça pourrait se savoir ? J’ai un rendez-vous ce soir, je voudrais vraiment servir un vin comme celui-là. Une fois en carafe, on verra pas que la bouteille était déjà ouverte.
Émilie soupire.
— Écoutez, Émilie. Je vais continuer mon tour des rayons, je vais faire quelques choix, puis je vais sortir de la succursale. J’ai un camion Land Rover noir. Je vais discrètement rouler vers l’arrière… vous sortez et vous me donnez la bouteille que j’aurai déjà payée. Je vous fais confiance.
Toujours utiliser le prénom, pour forcer la proximité et provoquer un sentiment de sécurité. Évoquer la confiance qu’on a en l’autre, pour se montrer plus vulnérable. Vic souhaite que la sommelière comprenne qu’il prend un risque, lui aussi. Mais que tout ça est pour une bonne cause.
— OK. 75 $. Emicollodi@me.com, mot de passe « vino » en minuscules. Je vais vous attendre derrière.
— Super. Merci, Émilie.
Vic est fier de son coup. Il vient de s’offrir tout un cadeau et de quoi impressionner. Il choisit quelques bouteilles de blancs de la Loire, toujours bons en apéritif, et deux beaujolais, puis, en attendant à la caisse, il transfère 75 $ à la sommelière.
Le moteur de son LR3 ronronne. Il fait bon à l’extérieur. Vic démarre.
Depuis ce matin, les dirigeants de la Faculté des lettres et des sciences humaines se rassemblent. C’est une rencontre du comité de titularisation. On devrait lui annoncer rapidement que sa demande a été acceptée. Il lui semble que l’affaire est dans la poche. Professeur titulaire, enfin ! La classe d’emploi la plus élevée, celle réservée aux érudits reconnus – et quelque 25 000 $ d’augmentation. Pourquoi ne pas célébrer avec un Grand Cru ?
Émilie l’attend à l’arrière, comme prévu. Vic voudrait la convaincre d’accepter un rendez-vous, mais elle paraît nerveuse. Très nerveuse.
— Voilà, dit-elle en tendant un sac à Vic par la fenêtre de son VUS.
— Parfait. Merci encore.
Vic adresse un clin d’œil à la sommelière, mais celle-ci se confine dans une attitude crispée. Le professeur se dit qu’il ne sert à rien de la bousculer. Son appareil photo, qui se trouve dans son sac, à l’arrière, y restera ce soir. Pas de séance coquine. C’est pas elle que j’aurai entre mes draps cette nuit… Tant pis.
— Monsieur Verdier, je…
— Émilie, ne vous inquiétez pas.
La femme soupire et secoue la tête. Elle tapote la portière avant de regagner l’intérieur de la succursale d’un pas pressé.
Quelques instants plus tard, Vic reçoit la confirmation qu’elle a accepté le virement de fonds. Il retire sa casquette et gratte le haut de son crâne dégarni. Il se sourit dans le rétroviseur.
C’est ce que je pensais ; ni vu ni connu. Au final, c’est Vic qui en profite.
Vic ne remarque pas une Sonata grise, qui le suit jusqu’à l’université.
10 septembre
13 : 02
Isabelle Fortin soupire.
Son regard se porte sur le manuscrit de Toros y Toreros qu’elle est chargée de restaurer, puis de confier au catalogage. C’est un objet unique qui rassemble les dessins originaux de Picasso, avant la publication de l’ouvrage en tant que tel en 1961 – comme une maquette complète qui préfigure l’œuvre elle-même.
La Section des livres rares de la bibliothèque de l’Université Laval, qu’elle supervise, regorge de tels volumes dont la valeur est impossible à estimer. Celui de Picasso est un don de la famille Benisti, la royauté de Sillery. Les copies de l’édition originales commandent des prix salés, dans les milliers de dollars, mais cette version « prototype » représente beaucoup plus. Il y a des nuances dans les croquis qu’on ne retrouve pas dans la version finale. Isabelle doit déterminer la meilleure façon de rassembler les feuillets détachés dans un tout cohérent qui va permettre la préservation et faciliter la consultation.
— Il va me falloir un boîtier neutre… dit-elle pour elle-même.
Isabelle caresse délicatement l’image sur la feuille du dessus. Malgré le film de ses gants, elle essaie de sentir au bout de son doigt la texture de l’encre dans les fibres du papier – y a-t-il une sensation différente ? Peut-elle percevoir la touche du génie de Pablo Picasso ? L’âme de l’artiste se trouve-t-elle dans ces coups de pinceau ?
Un son – un petit « toc » creux – attire son attention. Ses sens se placent en alerte. Elle se retourne brusquement. Du café ! Du café qui se répand ! Jérémy a encore rapporté du café dans l’atelier.
Dans la même seconde, ses yeux s’écarquillent et elle s’interpose entre le liquide noir, brûlant, et l’œuvre qu’elle restaure. Isabelle se jette sur la table de travail en poussant un cri. Sa manche sert de rempart, absorbant le café chaud et la forçant à crisper la mâchoire contre la brûlure. Elle balaie le liquide répandu hors de la table, vers le sol.
— JÉRÉMY ! Encore ? Peux-tu croire ? ENCORE ton maudit café ! ?
Le Jérémy en question n’en mène pas large devant sa superviseure.
— Je m’excuse, Isabelle. J’ai pas pensé…
Isabelle constate le dégât sur le sol et sur ses vêtements. La copie manuscrite de Toros y Toreros est sauve. Isabelle rage malgré tout.
— T’as pas pensé ? T’as pas PENSÉ ? Jérémy… c’est trop ! Je t’ai déjà averti une fois. J’ai été claire ! Tu trouves pas ça important ce qu’on fait ? On a la mission de préserver le savoir et la culture, ici, pas de rêvasser avec un café. Pas. De. Café. Dans. L’atelier.
Jérémy rentre la tête dans ses épaules pendant que Valérie, une autre collègue, éponge le café avec des essuie-tout.
— Tu me déçois. Je commence à penser que t’as pas ta place chez nous… Je vais être obligée de parler aux RH. Attends-toi au moins à recevoir une lettre disciplinaire. Ça me désole.
Isabelle grogne, Valérie demeure silencieuse. Jérémy ouvre la bouche – puis il la referme. Le rouge aux joues, Isabelle se rassoit sur son tabouret. Elle évalue la vilaine tache de café sur son vêtement.
— Et mon chemisier de soie… regarde : il est fichu. Je voulais le… Merde ! Merde !
Les émotions d’Isabelle, qu’elle contrôlait plutôt bien malgré sa colère, semblent lui échapper.
— Oublie ça ! Ça fait : va-t’en, Jérémy, t’es suspendu. Reste chez toi jusqu’à ce qu’on fixe une rencontre.
Le jeune homme se confond en excuses et il quitte l’atelier.
Isabelle secoue la tête. Elle est sidérée du manque de considération de certains de ses employés. Elle se demande sincèrement comment ils ont pu obtenir leur diplôme.
Du coin de l’œil, elle remarque Valérie, un peu contrite, qui s’approche avec un t-shirt noir.
— Tiens, j’avais ça dans mon sac de sport. Ça devrait te faire.
Valérie Leblanc est la collègue préférée d’Isabelle. Celle à qui elle peut se confier, même si, techniquement, elle demeure la supérieure hiérarchique de la jeune femme. Isabelle soupire en fixant la porte par laquelle Jérémy est sorti.
— J’ai perdu les pédales un petit peu, hein ?
Val croise ses bras sur sa poitrine.
— Tu vas avoir le syndicat sur le dos.
— Pis ? Il est dangereux.
— Maladroit et étourdi, OK. Mais on fait pas d’opérations à cœur ouvert ici, Isabelle. Come on.
Isabelle rage quand on minimise son travail.
— C’est sûr, c’est sûr, il y a pas mort d’homme, je le sais. Mais si la vie est unique, un manuscrit aussi ! Il aurait pu le détruire. C’est détruire une part de l’âme de l’humanité. Un Picasso imbibé de café… c’est comme de le tuer !
— En tout cas, toi, tu voulais le tuer, lui.
Le regard un peu fou d’Isabelle confirme les propos de Valérie.
Isabelle adore son travail. Les documents précieux ont tant de choses à nous apprendre. Il faut les préserver, il faut les mettre en valeur.
Elle se demande souvent ce que les autres ne comprennent pas.
Sans gêne devant son amie, elle retire son chemisier de soie brute et le remplace par le t-shirt. Il lui va effectivement bien.
Isabelle sait que Val a remarqué son corps plus svelte dans le vêtement ajusté. Isabelle a perdu du poids, cet été. Elle