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Livre électronique364 pages6 heures

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À propos de ce livre électronique

Amélia voit des choses qui ne sont pas réelles. Hantée par les âmes de ses proches et de ses amis décédés, celles-ci lui apparaissent toujours de façon inattendue et se révèlent de plus en plus envahissantes au fur et à mesure qu’elles se montrent chaque fois plus agressives. Elles semblent vouloir obtenir quelque chose d’Amélia sans pour autant s’octroyer sa confiance, mais il s’agit de sa famille, alors elle n’a aucune raison de les craindre… n’est-ce pas ?
Abattue à la suite du suicide de son père, bien après celui de sa mère, elle s’enfonce petit à petit dans une zone d’ombre psychologique qui lui fait découvrir des crises de somnambulisme dans le même temps que des accidents impromptus se produisent autour d’elle. Apparitions, inconsciences, messages sur les miroirs ; quelque chose semble vouloir attirer son attention sur un fait qu’elle ne parvient pas à toucher du doigt. Est-elle la cible d’une entité plus maligne qu’elle ? Ou n’est-ce qu’une simple illusion ?


À PROPOS DE L'AUTEURE


Après avoir écrit une romance dramatique, Laurie Donner s’investit dans l’univers de l’obscure, du drame, de l’intrigue qui sont les domaines de prédilection de l’expression de son imagination débordante.
LangueFrançais
Date de sortie25 févr. 2022
ISBN9791037738936
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    Aperçu du livre

    Divers je - Laurie Donner

    Prologue

    Il en est dans ce monde des choses que l’on ne s’explique pas. Comment raconter que nous avons vu telle ou telle chose, entendu tel ou tel son, senti telle odeur ou tel frisson lorsque ceux-ci ne sont propres qu’à nous-mêmes ? Pour beaucoup, la science demeure la seule explication exacte et réelle à toute chose, excluant par conséquent toute hypothèse grotesque de phénomènes décrits comme anormaux. À partir de quand débute l’anormal ? Tout doit s’expliquer. C’est ainsi. Et c’est scientifique. Un grincement dans votre plafond ? Ce n’est que le plancher qui travaille. Une porte qui claque ? Ce n’est qu’un courant d’air. Un bruit métallique ? Ce n’est que la tuyauterie qui vieillit.

    Mais alors, comment expliquer le fait que je voie des fantômes ?

    Oh, non, pas ce genre de fantômes. Pas ceux que l’on voit dans les films d’épouvante et qui viennent nous effrayer dans nos cauchemars. Ni ceux qui portent lourdement un misérable drap blanc sur la tête. Je parle de vrais fantômes. Ceux qui nous hantent et apparaissent aux moments les moins opportuns afin de s’assurer que notre cœur s’emballe à en faire rompre une artère ou que nos cheveux blanchissent prématurément. Je veux parler de ceux qui souffrent et qui, par-dessus tout, nous connaissent.

    Ils me suivent comme s’ils voulaient quelque chose. Mais je ne sais pas quoi. Ils ne font rien, ils se contentent de me regarder et je me contente personnellement de retenir mes cris. Puis, ils s’en vont. Ils disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Alors, je ferme les yeux et continue ma journée de jeune fille ordinaire.

    Pourquoi moi ? Pourquoi eux ? Avais-je quelque chose de particulier ? Étais-je moi-même normale ? Il allait s’en dire que je me posais beaucoup trop de questions auxquelles je n’avais jamais obtenu aucune réponse depuis toutes ces années. Et ça me suffisait. Je m’en contentais.

    Chapitre 1

    Les liens indéfectibles

    Mon réveil sonna dans une mélodie si lointaine qu’elle me parut irréelle et imaginaire. La veille, j’avais été à une fête organisée par un élève de dernière année dans son appartement d’étudiant qu’il partageait avec cinq autres de ses camarades. Autant dire que toute la faculté avait été invitée à cet évènement de fin d’études. La nuit avait été bonne ; l’alcool avait coulé à flots, la musique était parvenue à faire déhancher la petite prude de la classe, et la nourriture avait sustenté chacun d’entre nous. Des assiettes et des verres en plastique avaient été renversés, de jeunes gens saouls avaient vomi tandis que d’autres avaient satisfait leurs bas instincts primaires liés au sexe. Tout avait été parfait, comme prévu. Tous y avaient également survécu. Néanmoins, j’en payais ce matin-là le prix car mes yeux avaient une grande difficulté à s’ouvrir. La mélodie joignant chants d’oiseaux et coulée d’eau cristalline s’intensifiait en même temps que les secondes passaient. Je grimaçai. Me tournant sur le ventre, j’enfouis mon visage au plus profond de mon oreiller afin de ne pas affronter la réalité qui était juste à côté de moi en train de vibrer. Soudain, la sonnerie s’arrêta.

    Sa douce voix matinale vint me tirer de mon sommeil pourtant si profond.

    Je ronchonnai.

    D’un geste net, elle fit voler ma couverture afin de me découvrir les jambes puis me donna une tape sur les fesses.

    Elle ouvrit le rideau en grand, laissant de ce fait la puissante lumière du jour pénétrer dans notre chambre bien trop petite pour toutes nos affaires.

    Mes yeux s’écarquillèrent d’un seul coup.

    Créant un déséquilibre sur mon matelas, Olivia s’assit sur le rebord de celui-ci et se mit habilement à tapoter mes fesses en imitant le rythme du tambour de la fanfare.

    Clac clac, clac clac.

    Excitée, Olivia tapa frénétiquement dans ses mains comme si sa plus grande idole était en face d’elle.

    Je me redressai vivement sur mon lit, prête à l’explosion. Ensemble, nous nous élevèrent sur le matelas, main dans la main, et nous mirent à sauter comme des enfants agitées le jour de Noël au risque d’en faire craquer des lattes.

    Nous continuâmes de sautiller en tournoyant durant quelques secondes qui nous firent revenir bien vite à la raison.

    Stoppées, nous attendîmes que le matelas se stabilise avant de nous donner une tape dans la main, puis d’en descendre afin de nous préparer.

    Au sol, nos valises étaient déjà pleines et presque prêtes à être refermées afin de quitter ces lieux qui nous avaient accueillis durant ces trois années. Quelques vêtements et affaires de toilette traînaient encore çà et là, mais le plus dur du travail de rangement avait déjà été fait.

    Je pris ma serviette de bain et allai dans notre salle de bains partagée afin de me rafraîchir. Les cheveux attachés en un chignon mal fait, je commençai par me passer le visage sous l’eau froide ; il n’y avait rien de tel pour se donner un bon coup de fouet dès le matin. Après quoi, je lavai ma peau avec un savon doux puis m’essuyai cette dernière avec ma serviette devenue rêche du fait d’avoir séché au soleil, et les mains. Au passage du linge sur mon poignet, je ressentis une douleur passagère qui eut pourtant l’effet de me faire grimacer. Effectivement, en examinant la zone de plus près, je pus constater que quelques bleus étaient apparus sur ma peau.

    C’est étrange, pensai-je.

    Assez bêtement, j’appuyai du bout du doigt sur chaque petit hématome qui formait des ronds asymétriques à l’intérieur de mon poignet.

    Un instant, je tentai de réfléchir et de remémorer la soirée passée, en vain. Je me souvenais de quelques détails, certes, mais de trop peu. Je me souvenais avoir vu Rachel mettre une main aux fesses de Luke dans les escaliers, lequel avait sursauté au point d’en renverser un tiers du contenu de sa boisson. Je me souvenais également de ce quatrième verre qu’Olivia m’avait glissé dans les mains en m’obligeant à boire selon les règles du jeu auquel nous étions en train de jouer. Verre après lequel j’avais arrêté de compter… Et à partir duquel j’avais commencé à oublier. Il était vrai que nous avions tous bu plus que nous l’aurions dû. Mais c’était notre dernier soir tous ensemble, alors… « Qui boira, verra », comme disait Timothée, un autre élève de la fac. Quel imbécile ! Tout ce que je voyais, moi, c’étaient mes cernes et ma gueule de bois.

    Allant à elle, nous effectuâmes notre échange comme s’il s’était agi de drogue.

    De retour devant mon miroir, je mis quelques points du produit sous mes yeux et tapotai délicatement jusqu’à totale imprégnation. Ensuite, je me maquillai légèrement et simplement les yeux d’un tracé d’eye-liner et de mascara avant de me rosir les joues d’un coup de pinceau poudré. Mes cheveux étaient longs, bruns, et bouclés. De grandes et lourdes boucles qui étiraient ces derniers et qui faisaient qu’heureusement je ne ressemblais pas à un mouton. Même les petits cheveux entourant mon visage s’amusaient à onduler autour de mon front. Afin de mieux supporter la chaleur de cette journée qui s’annonçait comme particulièrement longue, je me fis une tresse dont l’extrémité vint presque chatouiller le creux de mes reins pour les longueurs les plus aventureuses. Olivia avait préparé ma robe du jour en l’étendant sur un cintre qu’elle avait pris soin d’accrocher à la barre de douche. C’était une robe violine souple et légère aux bretelles fleuries et à la taille cintrée. Sa longueur arrivant tout juste au-dessus des genoux lui retirait tout caractère provocateur tandis que son décolleté, légèrement incurvé, lui rajoutait un soupçon de chaleur.

    Je fermai la fermeture éclair dans le dos.

    Un instant, je me contemplai dans ce grand miroir marqué dans son angle inférieur par quelques petites traces de dentifrice mal nettoyées. Un poil stressée, je regardai partout à travers celui-ci. Je ne savais pas vraiment ce que je cherchais, ni même pourquoi je le faisais. Ce jour était si important pour moi… Peut-être que, si j’attendais encore… Juste un peu… Me sentant complètement stupide en me voyant droite comme un i devant cette glace trop grande par rapport à ma taille tout à fait standard de fille de moins d’un mètre soixante-cinq – si, si, standard je vous dis – je soupirai. Il n’y avait rien hormis moi. Que moi.

    C’était moi.

    Cette dernière se battait avec les lacets de ses chaussures à talons.

    En face d’elle, j’enfilai les miennes, de chaussures.

    Interrompue dans mon élan, je la considérai dans l’attente d’une suite à son injonction, muette.

    Mes yeux jonglèrent entre Olivia et mes chaussures, mes chaussures et Olivia.

    Il s’agissait de ballerines en cuir beige clair, sans broutilles ni superflus. Simples, mais efficaces.

    Elle expira lourdement.

    Je haussai une épaule et lui lançai un sourire malin, fière de ma répartie.

    En effet, l’année était terminée. Nos trois années ensemble étaient arrivées à leur terme. Trois ans à dormir l’une à côté de l’autre, à supporter les ronflements de l’une, les reniflements ou la toux de l’autre quand elle était malade, les pleurs lorsque l’une de nous avait le cœur brisé. Dois-je parler des pets ? Non, non, non, je vais m’arrêter là. Ainsi, nous quittions dès l’après-midi même cette chambre qui nous avait si chaleureusement accueillies afin de mener à bien nos études de commerciales.

    Soudain, ses sourcils se courbèrent et sa bouche fit une moue qui n’annonçait rien de bon.

    Je me précipitai sur son lit.

    Ses yeux se mirent à briller.

    Se ressaisissant face à mon argument choc, elle ferma les yeux quelques secondes et inspira une grande bouffée d’oxygène remplie du parfum avec lequel elle s’était imprégnée juste avant.

    Se moquant de moi, elle répéta pour la énième fois – comme elle l’avait déjà fait auprès de tous nos amis d’ailleurs – ce que j’avais pu dire cette nuit-là.

    Comme noble de ce fantastique compliment, je pris ironiquement une pose d’aristocrate en posant une main sur mes jambes préalablement croisées et en levant bien trop haut le menton.

    Il sembla préférable à Olivia de me ramener sur terre en me claquant le front à l’aide d’une pichenette.

    Abasourdie, je la fixai, bouche bée. Ce après quoi elle s’empressa de m’enlacer en jouant avec ma natte.

    L’heure était venue pour nous d’enfiler nos jolies robes en soie bleu marine prévues pour la remise de diplôme. Nous n’étions pas obligés de la porter mais, grâce à un vote unanime, tous avaient décidé que perpétuer la tradition était la meilleure décision. Ainsi, tous sosies des uns des autres, nous nous baladèrent dans les couloirs en direction de l’amphithéâtre dans lequel tous nos professeurs nous attendaient. Un buffet dressé à l’aide d’une nappe en papier sur une table branlante avait été installé dans le hall afin que nous puissions nous servir au choix du café ou du jus d’orange, des croissants ramollis ou des mini muffins au chocolat. Les sourires étaient présents sur chaque visage que mon regard croisait. Tout le monde s’enlaçait, se souhaitait à l’avance une bonne continuation, se remémorait de bons souvenirs de l’année passée et voire quelques petites gaffes de dernière minute effectuées la veille à la soirée. Nous étions jeunes, nous étions encore si ignorants et indécis sur la suite qui s’inscrirait à nos vies actuelles. Je n’avais aucune idée de l’endroit où je finirais, de là où je travaillerais, où j’habiterais. Est-ce que j’y serais heureuse, satisfaite, comblée ? Ou bien est-ce que j’y serais à l’inverse angoissée, malheureuse, et je me rendrais alors compte que je m’étais totalement trompée ? Toutes ces pensées m’émouvaient. Parfois, dans des moments de faiblesse, elles m’effrayaient tandis que, d’autres fois, elles me paraissaient complètement infondées et illusoires.

    « Qui vivra verra », comme avait si bien détourné le proverbe Timothée.

    Mon père devait être présent ce jour-là. Le savoir m’attendant dans l’autre salle me réconfortait terriblement. En effet, selon le programme de la journée, il était prévu que nos professeurs nous féliciteraient dans l’amphithéâtre et nous souhaiteraient le meilleur pour notre avenir, le tout accompagné de quelques petits conseils toujours utiles. Ensuite, nous devions tous nous déplacer dans la salle de remise des diplômes où des centaines de chaises pouvaient accueillir toutes les familles venues voir leur enfant se faire délivrer le fameux papier doré et signé sur l’estrade faite à cet usage. Après quoi, en dernier point au planning, était prévu un immense déjeuner à l’extérieur, sur les espaces verts, que nous avions tous organisé et payé pour contribuer à sa création. Cette journée se promettait mémorable.

    Des amis nous avaient rejoints avec Olivia, tous plus fiers et heureux de pouvoir enfin retourner chez eux et commencer à chercher un emploi. Enfin presque tous car, d’autres, plus motivés, avaient dans l’idée de poursuivre leur parcours sur deux ou trois ans de plus afin d’affiner une spécialité ou même d’obtenir une seconde qualification.

    Les poubelles à côté de la table du petit-déjeuner étaient déjà pleines de gobelets en plastique et d’emballage de gâteaux déchiquetés.

    Ainsi, nous nous exécutâmes et allâmes nous asseoir dans les rangs les plus hauts et par conséquent les plus éloignés de l’entrée. De ce fait, nous avions une vue globale sur tous les élèves assis devant nous. À vrai dire, ça ressemblait à une peinture assez intéressante ; pleins de bustes vêtus du même bleu créant un océan irrégulier et pentu dans une salle grandement éclairée par les rayons du soleil qui traversaient aisément les larges vitres situées à notre droite.

    Comme prévu, chaque professeur présenta à son tour ses remerciements pour l’année passée en évoquant quelques souvenirs marquants censés nous faire rire et déstresser en ce qui concernait la suite de la matinée.

    Un large écho d’expressions en diverses onomatopées résonna dans la salle face auxquelles l’élève initiateur de la raillerie s’inclina avec humour.

    Les oreilles étaient grandes ouvertes, les mains claquaient et les jambes trépignaient d’impatience de passer à la suite. Sentant la fin du discours arrivé, Olivia m’en avait même saisi le bras d’excitation.

    Quand l’autorisation nous fut donnée de rejoindre la salle où nos familles respectives nous attendaient, l’océan de robes se souleva et se déchaîna en créant des vagues éparpillées et inégales. Mais il vint bientôt se reformer et s’agglutiner près de la porte, comme une espèce de détroit entre deux frontières imaginaires, où il fallait que l’on attende chacun notre tour pour espérer pouvoir passer à l’étape suivante.

    Touché.

    Il était vraiment que, contrairement à certains, j’avais eu la chance de n’habiter qu’à cinquante minutes de l’université. Enfin, ce détail n’était valable qu’en ce qui concernait un trajet de nuit ou le dimanche car, si j’avais dû rentrer chez moi à chaque fin de journée et repartir chaque matin, j’en aurais eu pour deux heures et demie de bouchons infernaux. C’était la raison pour laquelle nous avions opté d’un commun accord avec mon père pour un internat. Option sans laquelle il m’aurait été impossible de travailler ou de faire mes devoirs au volant de ma voiture d’occasion qui n’aurait pas supporté le choc des allers-retours.

    Pour comprendre la raison pour laquelle j’avais tant hâte de le retrouver, il fallait pour cela remonter trois semaines en arrière.

    Le six juin était la date d’anniversaire du mariage de mes parents. Chaque année, mon père appréhendait malgré les années passées cette date butoir à partir de laquelle il savait pertinemment qu’il risquerait de perdre pied à la moindre faiblesse. Pour cela, à cette période et uniquement à cette période-là, il prenait des médicaments qui l’aidaient à surmonter cette épreuve et se sentir un tantinet mieux. Du moins, c’était ce que le médecin avait préconisé, c’était ce que la notice sur les boîtes affirmait. De ce fait, je ne pouvais que m’inquiéter pour lui, surtout si l’on jouait sur le fait que je n’avais plus été là pour le soutenir et le surveiller continuellement depuis trois anniversaires. En dehors de ce mois difficile, il était un homme heureux, tout à fait charmant et positif. Il vivait bien et aimait son travail. Il voyait ses amis de temps en temps autour d’une bière et d’un bon dîner, et il me téléphonait tous les trois ou quatre jours. Mon père était un homme bon, mais il avait souffert. Et, cela me faisait beaucoup de peine à l’admettre mais, il avait un cœur si pur et si fragile, il était un être tellement entier que jamais il ne s’était remis ni avait accepté le suicide et par conséquent la disparition de ma mère. De sa femme.

    Ma mère s’était suicidée quand j’avais sept ans. Un mercredi après-midi où je n’avais pas école, elle m’avait laissé jouer avec mes poupées dans la salle de jeux du rez-de-chaussée pendant qu’elle était allée se faire couler un bain chaud et relaxant. Elle avait travaillé tôt ce matin-là, elle avait eu un planning chargé et n’avait alors eu qu’une seule hâte lorsqu’elle eut fini de s’occuper de moi et faire toutes ses tâches ménagères ; celle de se détendre. Elle n’était pas loin de moi. Après tout, la salle de bains n’était qu’à l’étage. Je n’avais qu’à grimper les escaliers si j’avais besoin de lui demander quelque chose. Et ce fut le cas lorsque j’avais emmêlé les cheveux de ma poupée Stella dans les doigts en plastique de ma poupée Véronica. À grandes enjambées de petite fille, j’avais alors gravis les marches de notre escalier recouvert d’un tapis aux motifs gris foncé et marron, et avait trotté jusqu’à la porte de la salle de bain entrouverte.

    Elle avait mis de la musique sur son téléphone. Je m’étais alors dit qu’elle ne pouvait pas forcément m’entendre. Ainsi donc, sans réponse immédiate et connaissant la patience limitée qu’une petite fille de sept ans pouvait avoir, j’avais poussé la porte. Celle-ci s’était ouverte très lentement, me laissant par conséquent découvrir petit à petit le corps de ma mère, inanimé, languissant dans la baignoire remplie d’eau rougeâtre et au rebord en porcelaine blanche ensanglanté. Une flaque de sang s’était formée sur le carrelage et avait même continué sa course dans quelques sillons des carreaux plus lointains. Les yeux ronds, j’avais été paralysée par la peur, pétrifiée par la terreur. Aucun son n’était sorti de ma bouche. Je n’avais pas crié, je n’avais pas pleuré. Pas tout de suite. J’étais resté là, le cœur battant la chamade, inutile face à cette situation qui m’avait échappée. Puis, quelques minutes plus tard – combien exactement, cela m’était impossible de le déterminer –, mon père m’avait trouvée plantée devant la porte, mes poupées sous mes bras ballants et fébriles.

    Je n’avais même pas entendu la porte d’entrée claquer. Quand il s’était approché de moi et avait vu la scène devant laquelle j’avais fait un blocage, il m’avait immédiatement extirpée de là afin de me conduire dans ma chambre. Le reste, je n’étais pas là pour le voir. Tout ce dont je me souvenais était d’avoir entendu mon père essayer de sauver ma mère, appeler les urgences, entendre des sirènes dans l’allée du garage puis plein de pas faire des va-et-vient dans les escaliers, reconnaître les pleurs et gémissements de mon père qui ne comprenait pas ce qui avait pu se passer, pourquoi sa femme venait de se suicider en s’ouvrant les veines dans son bain avec un couteau de cuisine retrouvé au fond de l’eau. Tout cela avait relevé de l’irréel. Il avait même retrouvé des traces de sang sur ma robe blanche et sur ma chaussette. Pourtant, je ne me rappelais même pas m’être approchée d’elle. Plus tard, le psychologue avait dit que j’avais dû exclure de ma mémoire certains souvenirs trop traumatiques, comme quand on ne veut plus se rappeler un détail afin de moins en souffrir. Mon cerveau avait alors choisi de l’enfouir au plus profond de mon subconscient, à jamais.

    Ma mère ne s’était pas suicidée un six juin. Mais le fait de se rapprocher et de devoir passer la date d’anniversaire de mariage rappelait à mon père le nombre d’années qu’il aurait pu avoir avec elle. Et ça, ça le perdait.

    Ça y était, nous y étions. Le moment tant attendu depuis notre entrée dans cette immense bâtisse, le jour tant convoité par les parents qui s’assuraient que leur descendance se forgeait un avenir autre part que dans la criminalité. Aujourd’hui, nous devenions quelqu’un.

    Un à un, dans l’ordre, nous étions appelés par le directeur qui nous remettait notre précieux Oscar entre les mains sous les applaudissements continuels de tous les spectateurs. Je venais à peine de poser mon premier talon sur l’estrade que je cherchais déjà mon père dans l’audience. Je lui avais dit deux jours plus tôt que je lui gardais une place au premier rang, sur la droite. J’avais même réservé son siège en toute illégalité. Et, effectivement, je voyais bien son siège. Or, celui-ci était vide.

    J’eus un instant d’incompréhension.

    Ce n’était pas possible, il fallait que je cherche ailleurs. Sans doute n’avait-il pas compris que ce siège lui avait été destiné par mes soins. Il devait être assis ailleurs, tout simplement. Ça ne servait à rien de paniquer. Mes yeux patrouillèrent de droite à gauche, puis de haut en bas et ainsi de suite. Encore et encore au fur et à mesure que nous avancions l’un après l’autre au gré des appels de l’homme au milieu. En regardant quelques personnes derrière moi, je pus voir qu’Olivia était déjà en train de faire de grands signes et d’envoyer des baisers à sa famille.

    Papa, où es-tu ? m’énervai-je, anxieuse.

    Comme tirée de ma rêverie, je m’avançai sous l’éclairage qui aurait pu illuminer la côte à un navire en perdition.

    Il me plaça le bout de papier cartonné entre les doigts, me félicita et m’accompagna d’une main dans le dos vers l’autre côté de l’estrade afin de céder ma place à la personne suivante. Petit pas par petit pas, je me dirigeai vers là-bas, confuse. Je cherchais toujours désespérément s’il était là. Personne ne s’était levé pour m’applaudir avec les bras en l’air et en sifflant.

    Mon père m’aurait applaudie de cette façon.

    Je descendis.

    Dans le couloir où tous les étudiants s’étaient décidés à se rassembler au lieu de sortir là où le déjeuner se déroulerait, je tentai de me trouver une place dans laquelle je pourrais m’enfoncer et réfléchir. J’étais partagée entre diverses sensations et émotions. J’étais baladée un coup entre l’incompréhension, la crainte, la nervosité, la rancune. Où pouvait-il bien se trouver ? Tous ces ressentis jonglaient en moi comme si je n’avais été qu’une marionnette.

    Olivia tenta un furtif coup d’œil vers la salle bondée.

    Le visage enfoui dans mes mains, je niai.

    Je ne comprenais pas comment il aurait pu arriver en retard précisément ce jour-là alors qu’il m’avait soutenu mainte et mainte fois qu’il partirait à quatre heures du matin s’il le fallait.

    Acquiesçant à ses instructions plus que plausibles, je m’empressai d’aller vers les sanitaires réservés aux filles.

    Les lieux étaient vides et silencieux. Mes oreilles ne s’en sentirent qu’apaisées. L’endroit ressemblait à des sanitaires tout à fait semblables à ceux d’un lycée ou d’une gare. Trois toilettes étaient disponibles sur la droite tandis que trois lavabos surplombés d’un large miroir occupaient l’espace de gauche.

    Je me ruai sur l’évier du milieu et fis couler de l’eau froide que je m’empressai de boire et de faire couler sur mon front. Les mains fraîches, je me tapotai les joues comme pour me ramener à moi-même. Puis, celles-ci appuyées sur le rebord humidifié par les gouttes que j’y avais déposées, je penchai la tête légèrement en avant et fermai les yeux.

    J’inspirai par le nez, j’expirai par la bouche. Lentement.

    Encore une fois.

    Voilà. Je me sentais déjà plus calme.

    Soudain, je sentis que quelque chose était devenu étrange. Je rouvris doucement les yeux et ce fut lorsque je voulus appuyer de nouveau sur le bouton-poussoir que je l’aperçus.

    Elle.

    Son reflet apparaissait dans le chrome du robinet aussi nettement que s’il s’était agi d’une fenêtre. Mes yeux s’arrondirent. Mon souffle se coupa net. J’étais figée. Pour la voir ainsi, je savais par conclusion qu’elle se trouvait tout près de moi. Doucement, avec une certaine appréhension, je relevai la tête. Même si j’avais pour habitude de voir ce genre de phénomènes, ils ne m’en étaient néanmoins jamais devenus familiers, ni même banaux. À chaque fois, je ressentais la même peur, la même sensation de détresse. Je voulais hurler au secours, je voulais que quelqu’un voie ce que je voyais, qu’on puisse enfin comprendre ce que je pouvais vivre. Mais il en était hors de question, car je savais pertinemment que ce genre de choses n’étaient pas usuelles et tabou. Qui viendrait vous voir en vous disant : « Hey, viens avec moi, j’ai vu un fantôme, je veux te le montrer ! ».

    Vous passeriez pour un fou. Soyez-en sûr.

    Mes doigts se crispèrent. J’avais l’impression que mes ongles allaient pénétrer jusqu’au bois du plan de travail carrelé.

    Dans le miroir, je ne la voyais pas. Prenant mon courage à deux mains, je me décidai à tourner sur moi-même et à m’orienter vers le sèche-mains devant lequel elle était censée se tenir. Mon cœur ne fit qu’un bon. Un vif courant électrique me traversa tout le dos tandis que la globalité de mes muscles se raidit. Elle s’était déplacée sans que je ne m’en aperçoive juste à côté de moi. Mon souffle s’amplifia, s’accéléra. Je pouvais entendre l’air sortir de mes narines et y rentrer immédiatement. Je ne voulais pas parler. Toutefois, quand bien même j’aurais voulu exprimer quelque chose, cela m’aurait été chose impossible. Dans ces situations, je perdais tous mes moyens. Ce n’était pas la première fois que je la voyais, oh, ça non. Je ne m’y étais malgré tout jamais faite.

    Immobile et intimidante, elle me ne me quittait pas du regard.

    Elle semblait si triste… si abattue. Sa peau était pâle, grisâtre, comme abîmée par cet accélérateur de décomposition qu’était l’eau. Mais elle était pourtant toujours si belle. Ses longs sourcils expressifs ainsi que sa bouche fine et fermée à jamais pointaient vers le bas comme s’ils étaient à la fois en colère et éplorés. Ses yeux, d’un bleu devenu bien trop clair et morbide, perçaient mon âme comme si elle y cherchait quelque chose de précis. Ses avant-bras montraient deux larges plaies ouvertes dans la longueur, mais il n’y avait pas de sang pour la simple raison que son corps n’en comptait plus une seule goutte. Ses lèvres, gercées, se mirent à trembler, ses narines à se dilater. Ses mains tentèrent de bouger, de m’exprimer quelque chose, mais elle ne pouvait que trembler. À l’instar de moi-même.

    C’était elle. Ma mère. Elle me hantait depuis plusieurs années, depuis que je l’avais vue morte dans son bain. C’était comme si nous avions été, dès cet instant, liées pour l’éternité par le biais d’un lien mystique et surnaturel. J’espérais à chaque fois que ce serait la dernière fois que je la voyais, mais ça ne l’était jamais. Et il n’y

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