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Jindrich: Roman
Jindrich: Roman
Jindrich: Roman
Livre électronique182 pages3 heures

Jindrich: Roman

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À propos de ce livre électronique

Jindrich est un garçon de dix ans né en Tchécoslovaquie pendant la période du bloc de l’Est qui, en 1985, part à la recherche de son père qu’il ne connaît pas. C’est le début d’une aventure qui le mènera très loin de son passé dont il se nourrira pour fabriquer son avenir. Toutefois, on ne peut vivre son présent sans vouloir renouer avec son passé, jusqu’à ce que ces deux univers se télescopent.
LangueFrançais
Date de sortie20 mai 2021
ISBN9791037727282
Jindrich: Roman

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    Aperçu du livre

    Jindrich - Alain Vinot

    Première partie

    Chapitre 1

    Il y a 35 ans, en Tchécoslovaquie…

    Jindrich jouait au ballon sur le terrain en friche qui longeait la pauvre maison qu’essayait de tenir en ordre sa mère. Jindrich vient de fêter ses dix ans cette année. Enfin, fêter est un mot que Jindrich ne connaît pas précisément, il dit que ce n’est pas un mot pour lui. Il connaît le mot, il l’a appris à l’école, mais pas sa véritable signification, son véritable sens. Il sait qu’il a dix ans. Sans plus ! Il n’a jamais fêté son anniversaire. Pas plus celui-ci, qui a eu lieu il y a un mois maintenant, que ceux qui se sont écoulés jusqu’à aujourd’hui. La famille de Jindrich est trop pauvre pour pouvoir se permettre de fêter un anniversaire, et encore plus pauvre pour s’autoriser à faire des folies. Ce n’est certainement pas l’envie qui manque. C’est l’argent. Alors Jindrich a pris l’habitude de ne pas fêter son anniversaire. On arrive mieux à se passer de ce que l’on ne connaît pas. C’est quand on connaît les choses, et qu’il arrive d’en être privé qu’elles finissent par nous manquer. Sans quoi, à force de les côtoyer, ces choses-là, il arrive qu’on n’y prête plus tellement d’importance. En tous cas, moins d’importance que la première fois où on les a découvertes. Pour fêter un anniversaire, il faudrait que les autres y pensent, qu’ils prennent le temps de l’organiser, de préférence une surprise agréable, ou à tout le moins une attention qui fasse plaisir. Quels qu’en soient les moyens, l’investissement parfois est plus dans la valeur de l’acte que dans la valeur matérielle de l’offrande. L’anniversaire est l’occasion de marquer le temps. De le suspendre un moment pour en faire une célébration.

    Il en va des choses comme des hommes. De fait, Jindrich n’est pas malheureux puisqu’il ne sait pas ce qu’est un anniversaire, du moins le sien. On ne lui a jamais fêté. On lui a simplement dit : « tiens, aujourd’hui tu as grandi… tu as dix ans ! ». Il sait que ça se fête un anniversaire. Mais pas le sien. D’ailleurs, il ne s’en plaint pas, ou du moins, il ne marque pas d’intérêt spécifique à cette date-là, comme s’il s’en était détaché au fil du temps. Ou alors parce que l’habitude a été imprimée dès l’origine. Ce qui amène souvent au même résultat. Quelques-uns de ses copains d’école font des fêtes pour leurs anniversaires. En général, ça s’organise autour d’une brioche que la maman aura fait cuire au four, et un verre de lait. Rien de plus, normal quoi ! Juste histoire d’être ensemble, et de faire un peu comme ça se fait dans les grandes villes, celles où l’on peut gagner un peu plus d’argent que dans ces campagnes isolées et abandonnées.

    Jindrich sait qu’il est né ici, à Stramberk, une petite ville de paysans dans la province de Moravie-Silésie, au sud-ouest d’Ostrava, la grande ville la plus proche du village. Il n’est jamais allé à Ostrava. Pourquoi d’ailleurs y serait-il allé ? Il n’a rien à y faire là-bas. Sa maison et son école, ses deux principaux pôles d’attraction, sont ici, au village. L’école, c’est une simple classe unique, avec un professeur parfois un peu dépassé mais gentil. À l’école, Jindrich est un enfant assidu, observateur, attentif, et respectueux. Il a beaucoup d’estime pour l’instituteur, monsieur Marcus. Jindrich se dit parfois que, plus tard, il fera instituteur, comme monsieur Marcus. Pour cela, il devra apprendre beaucoup de choses, de celles qu’il ne sait pas encore, pour pouvoir les enseigner à son tour à d’autres enfants. Comme son professeur. Il ne connaît que son prénom, Marcus. Il ne sait même pas s’il a un nom de famille. Certainement qu’il doit en avoir un, comme tout le monde. Mais il n’a jamais posé la question, pas celle-là, parce Marcus ne veut qu’on ne l’appelle que par son prénom. Il s’est parfois demandé pourquoi Marcus ne voulait pas qu’on l’appelle par son nom de famille. Il en était arrivé à penser qu’il avait sans doute à cacher quelque chose, qu’il avait probablement quelque chose à se reprocher, et que pour que sa vie soit plus simple il était préférable qu’on ne l’appelle que par son prénom. Jindrich était persuadé que Marcus avait dû certainement participer aux évènements qui s’étaient déroulés il y a maintenant dix-sept ans, pendant l’invasion et la mise sous tutelle des Soviétiques, et que ce qu’il avait vécu avait laissé des traces indélébiles, au point que personne ou quasiment personne, sauf peut-être le maire du village, ne connaissait le nom de famille de Marcus.

    Il se souvient du premier jour où il est allé à l’école. Il en avait gardé un goût spécial, comme un grand jour de fête, plus important que son propre anniversaire. Il avait été fait tout beau par sa mère qui l’avait accompagné jusqu’au pas de la porte de la classe. Facile, il suffisait de passer le portail qui donne dans la rue principale, près de l’église délabrée, de traverser la cour et d’approcher de la petite maison qui servait d’un côté de salle de classe, de l’autre de l’habitation de Marcus et sa femme. Il lui semble d’ailleurs que Marcus a toujours été là, instituteur gravé dans les murs de l’école, qu’il y est né et qu’il y finira sa vie. Comme il arrive souvent aux enfants de croire que les choses et les gens sont immuables. Parfois, il arrive que l’on pense que les choses, comme les gens, sont éternelles. Qu’ils étaient là avant nous, et le serons encore bien après nous. Qu’ils nous appartiennent et que rien ne pourra changer cet ordre-là, celui qui nous rassure et nous repose. On aime savoir se rassurer avec l’éternité des choses et des gens. La preuve, on s’en souvient presque toujours, même lorsqu’ils ont disparu…

    Depuis qu’il y était entré, Jindrich connaissait chaque recoin de l’école. Il en avait même trouvé des endroits qu’il pensait naïvement être le premier à avoir découvert. Comme si les générations précédentes n’y avaient pas construit, elles aussi, les souvenirs les plus marquants de leurs enfances. Il aimait à l’infini l’ambiance de cette salle de classe, avec les bureaux sagement alignés les uns derrière les autres, les bancs de bois qui vous laissent quelquefois des échardes plantées derrière les cuisses, les plateaux des tables des bureaux, avec leurs immanquables gribouillages, leurs messages codés, les vestiges du passage des anciens. Il regardait souvent les panneaux instructifs qu’avait confectionnés l’instituteur avec une attention toute particulière. C’étaient à la fois des rappels de ce qu’il enseignait, et aussi des découvertes à venir. Dans cette classe unique, il y avait plusieurs niveaux d’enseignements, et au tout début de son arrivée à l’école, Jindrich avait été subjugué par tout ce qui était détaillé sur ces panneaux. Il s’était dit que tout ce qui était écrit là devait entrer dans sa tête, qu’il aurait à l’apprendre, parfois pour le réciter par cœur, et que toute cette instruction étalée sur les murs de la classe était là pour lui permettre d’aller encore plus loin que ce qui l’avait amené là. Jindrich était captivé par l’étendue du savoir que dispensait Marcus, et celui qu’avaient déjà retenu les plus âgés de la classe. Il se disait que bientôt il serait de ceux-là et qu’il ferait l’envie et l’admiration de plus jeunes arrivants, comme lui l’était au tout début. En classe, Jindrich posait beaucoup de questions. Trop parfois selon les dires de Marcus. Si dans la journée il n’avait pas interrogé Marcus une dizaine de fois, alors il l’avait fait cent fois, mille fois. Il arrivait que Marcus le freine un peu dans sa quête du savoir, non sans mal. Jindrich lui accordait une pause, mais dont il ne restait pas longtemps sur la touche. Jindrich était gourmand. Gourmand de savoir, de comprendre. À la fois pour approfondir sa propre connaissance, mais aussi pour se permettre d’avoir à expliquer aux autres, à ceux qui avaient mis plus de temps que lui pour assimiler l’information. Il avait exercé son esprit à toujours rester en éveil, et attentif à tout ce qui pourrait l’enrichir. Il savait que s’il continuait à travailler aussi bien il serait autorisé à aller au collège, à Ostrava, à prendre le bus qui passait chaque matin au bas du village pour collecter les quelques plus âgés du village qui avait déjà cette chance. Jindrich en était à la fois impatient et inquiet. Impatient de découvrir un autre univers encore plus complexe, plus ardu, et inquiet de tous les efforts et les sacrifices que la situation ne manquerait pas de provoquer, notamment laisser temporairement sa mère et sa sœur seules au village, pour parvenir à acquérir la connaissance nécessaire à son développement. Il s’en savait capable et très vite l’inquiétude cédait la place à l’envie. Très tôt, Jindrich a su positiver la moindre de ses décisions. Il savait aussi qu’il n’en avait pas le choix. C’était ça ou succomber à la facilité, et devoir se contenter de la vie misérable du village. Non pas qu’il méprisa cette vie-là, mais il se savait convaincu qu’il devait se donner toutes les opportunités de satisfaire sa curiosité grandissante, sa soif de savoir, et que cette chance-là ne lui appartenait qu’à lui. On lui donnait certaines clés, à lui d’enfoncer les clés dans les serrures qui ne manqueraient pas d’ouvrir des espaces dont il se savait friand.

    Parfois, à la sortie de l’école, Jindrich regardait les autres mamans qui venaient chercher leurs progénitures. Il ne pouvait s’empêcher de faire la comparaison avec sa propre mère, qui rarement venait le chercher. Il s’était imaginé que c’était sûrement parce qu’elle n’était pas assez bien habillée qu’elle ne venait que très rarement. Rapidement, il chassait cette idée en observant que les autres mamans de ses camarades d’école n’étaient après tout pas si bien habillées que ça, et se convainquait que c’était surtout parce qu’elle travaillait dur dans les champs, qu’elle n’avait pas toujours le temps à trouver pour venir le chercher. Parce qu’elle travaillait très dur, sa mère. Elle se levait tôt, souvent, revenait vers midi, et repartait jusqu’à tard le soir, presque à la tombée de la nuit. Elle travaillait dans les champs, dans une ferme située un peu à l’écart du village. Elle allait aussi bien dans les cultures que dans l’étable pour s’occuper des vaches.

    Elle vivait seule avec Jindrich et sa petite sœur.

    Jindrich aime le chemin qui le mène presque chaque jour à l’école. Il en connaît tous les recoins, tous les secrets disséminés sur le parcours, tous les habitants des maisons que le trajet sème sur sa route. Parfois, il en retire un de ses copains pour l’accompagner. Il frappe à la porte, attend patiemment dehors l’été, alors que l’hiver il peut entrer dans la maison, et il repart avec son camarade de classe, un peu comme s’il venait délivrer un copain d’école. Jindrich n’est pas un garçon d’intérieur. Il ne l’a jamais été et pense qu’il ne le sera jamais. Il est souvent dehors, dans le village, en contrebas, dans les champs, dans les bois. C’est d’ailleurs là, dans les bois environnants, qu’il se sent le plus libre. Libre comme les animaux qu’il parvient souvent à débusquer, à rencontrer. Il vole avec les oiseaux, court avec les lièvres, se repose avec les biches, les sangliers, cherche des graines pour les écureuils, ramasse des feuilles, des légumes qu’il chipe en catimini et qu’il rapporte aux lapins, aux rongeurs. Il aime la nature. Bien plus que les hommes. Souvent, il leur parle. De longues heures parfois. Il sait que les animaux ne peuvent pas lui répondre, et le sachant, il n’attend pas de réponse, sinon de se contenter de leur présence condescendante et parfois involontaire. De fait, Jindrich a appris naturellement à ne pas attendre de réponse, surtout des êtres qui étaient incapables d’en donner. C’est vrai des animaux, mais aussi des humains. Il pensait que la meilleure réponse était celle qu’il pouvait trouver, seul ou bien avec l’aide du comportement des autres. Mais qu’en aucun cas, la réponse qui lui conviendrait serait celle dictée par un autre que lui. Il arrive même que certains animaux, s’étant habitués à sa venue presque quotidienne, se rapprochent de lui un peu plus chaque jour. Il a bien essayé d’en caresser un ou deux, des lapins ou des lièvres surtout, une fois seulement ce fut un écureuil, mais les bougres s’échappaient toujours trop vite, à peine le temps d’avoir eu l’impression de faire partie de leur monde que déjà ils rétablissaient l’immuable frontière entre les deux genres. L’animal est capricieux et se méfie des intentions non avouées de l’humain.

    Pour les hommes, c’est différent. Ils vous laissent vous approcher, ou se laissent approcher, c’est pareil, vous parlent parfois, communiquent fréquemment, de différentes manières, mais avec toujours une drôle d’impression cachée derrière leurs intentions. Ces dernières peuvent être louables, sans demandes spécifiques que la reconnaissance de soi-même, soit envieuses et jalouses, soit malveillantes et destructrices. Les intentions de l’homme sont toujours dévoyées et suspectes.

    Il sait que les animaux sont directs, sauvages, et difficilement domptables. Bien fou serait celui qui pourrait croire pouvoir dominer l’animal. L’animal se laisse quelquefois convaincre, jamais dominer. Pour amadouer un animal, il faut l’habituer à une situation, exercer un échange, une contrepartie. Mais au final, l’animal n’est pas dupe, et reste fidèle à ce qu’il est, un être sauvage. Sauvage par opposition à la signification qu’en ont donnée les humains, c’est-à-dire non civilisé. Même le plus petit animal de compagnie sait pouvoir rester sauvage. Dans un coin de sa mémoire épigénétique, il sait qu’il peut vivre sans l’homme. L’homme n’a jamais su vivre sans l’animal. Il s’en est toujours servi, soit pour s’en nourrir, soit pour le domestiquer.

    Jindrich se méfie plus des hommes que des animaux. Surtout dans les parages, où les animaux ne sont pas hostiles à l’homme, bien au contraire. Sauf le loup. Il y en a bien quelques-uns dans les environs. Mais même lui, le loup, sait se tenir à l’écart de la civilisation. Le loup réagira à une opposition, il n’attaquera jamais sans raison. Le loup chassera, comme tous les autres animaux, il se nourrira des plus faibles qu’il rencontrera au cours de son périple. Mais la raison de sa férocité vient de sa volonté de survivre et de se nourrir. Pas de vouloir tuer pour le plaisir de tuer. Le loup ne laisse jamais la carcasse de sa victime sans en manger les meilleurs morceaux. Il arrive quelquefois que le loup attaque des troupeaux en estives, plus haut dans la montagne. Mais il le fait parce qu’il cherche de quoi se nourrir. Les bergers lui font alors la chasse, et il arrive qu’ils en tuent quelques exemplaires, dont ils se glorifieront en buvant un verre à la taverne du village, sur la place, mais l’homme victorieux et prétentieux de sa fallacieuse victoire ne mangera pas la carcasse du loup. Il la laissera croupir et pourrir sur place ou dans une décharge. Il l’aura tué par simple plaisir ou par instinct le plus abject, en oubliant qu’ils font partie, l’un comme l’autre, d’une chaîne dont les ressorts leur échappent totalement. Les animaux ne sont pas forcément hostiles à l’homme.

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