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La Planète Cramoisie: Roman
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Livre électronique308 pages4 heures

La Planète Cramoisie: Roman

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À propos de ce livre électronique

Autrefois quand l’eau et la nourriture abondaient sur Terre, personne ne voulait croire qu’avec l’utilisation que nous en faisions, il viendrait un temps où les Hommes se battraient pour un litre d’eau potable et s’entretueraient pour un abri contre le soleil et le froid. Il y a eu bien sûr de temps en temps quelques personnes clairvoyantes pour sonner l’alarme et dire que nous avions abusé de notre belle planète bien au-delà de ce qu’elle pouvait supporter. Mais leurs cris n’ont pas eu d’écho, et on a continué à gaspiller l’eau et à empoisonner la flore et à brûler l’air sans se soucier de ce que nous allions laisser en héritage à nos enfants.
Mais la prophétie de ceux qu’on prenait pour de pessimistes il-luminés a fini par se réaliser. La disette s’est vite installée et s’est généralisée touchant tous les pays, même ceux-là qui se croyaient à l’abri du besoin. Les révoltes se sont multipliées, suivies de guerres civiles qui n’ont épargné personne. Les scénarios les plus catastro-phiques que l’on avait élaborés furent dépassés. C’était pire que dans les plus horribles des cauchemars. Et une cinquantaine d’années a été suffisante pour anéantir tout ce que les Hommes avaient mis six mille ans à édifier.
Il n’y a plus rien de tout cela maintenant. À présent, le monde n’est plus peuplé que par des hommes organisés en hordes qui écument la Terre à la recherche de la nourriture et de l’eau.
Dans ce monde ravagé, un grand-père, qui a été témoin de l’effondrement de la civilisation, se lance avec sa petite famille sur les dangereux chemins de l’exode à la quête d’un havre où il serait encore possible de survivre en paix.
LangueFrançais
Date de sortie2 janv. 2017
ISBN9791029006258
La Planète Cramoisie: Roman

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    Aperçu du livre

    La Planète Cramoisie - Rachid El Attar

    cover.jpg

    La Planète Cramoisie

    Rachid El Attar

    La Planète Cramoisie

    Roman

    Les Éditions Chapitre.com

    123, boulevard de Grenelle 75015 Paris

    Du même auteur

    Visions, Nouvelles ; Édilivre, 2013

    © Les Éditions Chapitre.com, 2017

    ISBN :979-10-290-0625-8

    Avant-propos

    Autrefois quand l’eau et la nourriture abondaient sur Terre, personne ne voulait croire qu’avec l’utilisation que nous en faisions, il viendrait un temps où les Hommes se battraient pour un litre d’eau potable et s’entretueraient pour un abri contre le soleil et le froid. Il y a eu bien sûr de temps en temps quelques personnes clairvoyantes pour sonner l’alarme et dire que nous avions abusé de notre belle planète bien au-delà de ce qu’elle pouvait supporter. Mais leurs cris n’ont pas eu d’écho, et on a continué à gaspiller l’eau et à empoisonner la flore et à brûler l’air sans se soucier de ce que nous allions laisser en héritage à nos enfants.

    Mais la prophétie de ceux qu’on prenait pour de pessimistes illuminés a fini par se réaliser. La disette s’est vite installée et s’est généralisée touchant tous les pays, même ceux-là qui se croyaient à l’abri du besoin. Les révoltes se sont multipliées, suivies de guerres civiles qui n’ont épargné personne. Les scénarios les plus catastrophiques que l’on avait élaborés furent dépassés. C’était pire que dans les plus horribles des cauchemars. Et une cinquantaine d’années a été suffisante pour anéantir tout ce que les Hommes avaient mis six mille ans à édifier.

    Il n’y a plus rien de tout cela maintenant. À présent, le monde n’est plus peuplé que par des hommes organisés en hordes qui écument la Terre à la recherche de la nourriture et de l’eau.

    Dans ce monde ravagé, un grand-père, qui a été témoin de l’effondrement de la civilisation, se lance avec sa petite famille sur les dangereux chemins de l’exode à la quête d’un havre où il serait encore possible de survivre en paix.

    PREMIÈRE PARTIE

    L’exode

    Chapitre 1

    « Nadia, ne va pas dehors ! » Cria le grand-père.

    Nadia avait environ seize ans. Elle avait les cheveux longs et blonds et les yeux bleus de sa mère décédée depuis trois ans d’une étrange maladie qui attaquait la peau avant d’emporter les gens dans de terribles souffrances. À ses traits fins et harmonieux, on devinait sa beauté sous la couche de crasse qui recouvrait son visage. Son regard était serein. Elle paraissait heureuse malgré les haillons sales qui ne couvraient son corps qu’à moitié. L’absence d’une mère ou d’une autre femme près d’elle pour l’instruire la laissait dans l’ignorance de sa féminité. Alors, malgré son corps de femme, elle avait la candeur d’un enfant et n’avait donc pas besoin de grand-chose pour son bonheur.

    Elle revint vers son grand-père. Celui-ci était adossé à un mur décrépi et allongeait ses jambes vers le feu qui crépitait entre trois pierres disposées en triangle et au-dessus desquelles une vieille marmite toute cabossée fumait sans dégager aucune odeur. Les cheveux argent-jauni du vieillard lui tombaient sur les épaules en formant à leurs racines un demi-cercle parfait autour du sommet du crâne dégarni. Une longue barbe de la même couleur que les cheveux lui cachait presque entièrement le visage où on apercevait, quand il parlait, une fine bouche avec toutes ses dents malgré ses quatre-vingts ans. Sur ses mains aux doigts longs et fins apparaissaient de petites taches aussi noires que de l’encre.

    Près du foyer une vieille femme était occupée à écraser quelque chose dans un autre ustensile aussi mal en point que celui qui était sur le feu. C’était la grand-mère. Elle était enveloppée d’une couverture qui avait dû être noire ou bleue autrefois et dont dépassaient deux mains squelettiques aux phalanges longues et une mèche de cheveux orangés. Son visage était dans l’ombre, mais, de temps en temps, quand la flamme montait, on pouvait voir une peau ridée, tannée et couverte des mêmes taches noires qu’il y avait sur les mains de grand-père. Un peu plus loin, deux enfants dormaient sous une lourde couverture rayée dont les bords étaient tellement usés qu’on n’arrivait plus à en deviner la forme. La grand-mère versa ce qu’elle écrasait dans la marmite, touilla longuement puis se mit à appeler d’une voix cassée : « Yoseph, Meriem ! Venez si vous voulez manger ! »

    Yoseph fut le premier debout. C’était un jeune garçon de treize ans, mais qui paraissait en avoir beaucoup plus. Il était bien maigre, mais on devinait sa puissance et son agilité au bond qu’il fit en direction du dîner qu’on venait d’enlever du feu. La grand-mère s’appuya sur un bâton et se leva pour aller secouer la lourde couverture. Une fillette d’environ six ans en émergea. Elle se leva, rajusta une vague robe qui n’avait plus de couleur et qui n’était en fait qu’un ensemble incohérent de pans de tissu qui voilaient à peine son corps malingre. Elle se frotta les yeux du dos des mains, et rejoignit le groupe qui ne l’avait pas attendue pour commencer à manger. Ils mâchaient avec un grand bruit. Elle ne prit que deux ou trois bouchées avant que les ongles ne commencent à racler le fond de la ferraille. Yoseph avait la main pleine et il s’écarta un peu des autres pour finir de manger. Ses sœurs lui lancèrent un regard terrible, et il se mit en boule en grognant. Elles renoncèrent à aller lui disputer la bouchée qu’il avait encore dans la main.

    Le repas fini, la concorde régna de nouveau, et le groupe se réunit autour du feu. Le grand-père porta sa main à son gousset et sortit une gourde qu’il déboucha avant de la tendre aux enfants. Il la leur retirait avant qu’ils n’eussent étanché leur soif. Puis, s’étant disposés en étoile autour du feu, avec les pieds au centre, tous s’endormirent.

    Dans le vaste hangar désert où la petite famille se reposait régnait un lourd silence qui n’était troublé que par les ronflements intermittents de la vieille. Dans le foyer, il n’y avait plus que quelques courtes flammes qui dégageaient encore un peu de chaleur. Le grand-père se retournait dans son sommeil afin de reposer ses côtes qui n’avaient plus assez de chair pour les protéger de la dureté et du froid du sol.

    À l’entrée éclairée par la lueur de la pleine lune, se dessina tout à coup une silhouette courbée et flanquée d’une sorte de cape. La silhouette avançait lentement et lourdement en s’appuyant sur un gros bâton. Elle arriva à hauteur du groupe endormi et se mit à fouiller tout ce qui traînait du bout de son bâton. Elle se pencha sur le récipient où le repas avait cuit, le porta à sa bouche et se mit à le lécher. Ensuite, elle aperçut la gourde que le grand-père serrait sous son aisselle. Elle bondit dessus sans ménagements et réveilla le vieillard. Celui-ci se dressa, mais reçut un coup sur la tête. Il hurla. Yoseph se leva d’un bond et, voyant son grand-père en difficulté, il ramassa un morceau de brique et l’écrasa sur la nuque de l’intrus. Celui-ci tomba par terre et essaya de reprendre le bâton qui lui avait échappé des mains. Mais Yoseph enchaîna son action en lui envoyant sur le front un bout de brique qui lui était resté dans la main. L’intrus ne demanda pas son reste et se rua vers la sortie en grognant et en traînant une jambe.

    Tous étaient réveillés à présent et entouraient leur grand-père.

    – Ça va grand-père ? Tu n’as rien ? demanda Yoseph en s’accroupissant devant le vieillard.

    – Non, dit-il en portant la main à son front et en la ramenant couverte de sang. Rien de grave, assura-t-il en tâtant de nouveau sa blessure.

    Grand-père jeta ensuite un coup d’œil autour de lui et sursauta : « L’eau ! La gourde ! Où est la gourde ? » Yoseph ramassa le gros bâton que l’agresseur avait abandonné et allait s’élancer à sa poursuite. Grand-père le retint. « Ce n’est pas la peine, il doit être loin maintenant, dit-il. Il ne faut pas prendre de risques inutiles ! » Tous reprirent leurs places autour du feu dans lequel on ajouta quelques bouts de bois avant de se coucher. Grand-père qui se retourna longtemps avant de succomber à la fatigue et de sombrer dans le sommeil à son tour.

    Le soleil ne s’était pas encore levé lorsqu’il réveilla tout le monde. « Allez, il faut partir ! »

    Trois jours auparavant, grand-père avait rencontré un vieillard presque du même âge que lui. Ce dernier lui avait parlé d’un village loin au nord, une sorte de paradis où les gens avaient gardé un peu de leur humanité et où l’eau ne manquait pas. Il y avait, semblait-il, séjourné et était revenu pour chercher sa femme et ses deux enfants. Il avait même tracé un croquis pour grand-père et tous les deux avaient convenu de faire le voyage ensemble. Ils s’étaient donné rendez-vous deux jours plus tard dans ce vieux hangar délabré où grand-père et sa petite famille séjournaient. Grand-père avait attendu une journée supplémentaire, puis, impatient de mettre ses petits-enfants en sécurité et ne voyant pas ce vieil homme arriver, il avait décidé de prendre la route. De temps en temps, des doutes le prenaient, alors il sortait le croquis de son gousset et le regardait longuement avant de le remettre à sa place. Le seul espoir qu’il avait était que ce paradis décrit par cet homme existe vraiment.

    Nadia et Yoseph avaient déjà fait leurs baluchons et s’apprêtaient à sortir lorsque Meriem se mit à pleurer. Elle avait soif. Grand-père fouilla dans les quelques affaires qu’ils avaient et sortit une outre, mais elle était presque plate. Il l’examina. On avait dû marcher dessus durant la bagarre de la veille, et elle s’était abîmée ; elle ne contenait plus une seule goutte d’eau. « Je croyais qu’il restait encore un peu d’eau, dit-il, c’est pour ça que je ne me suis pas trop inquiété quand ce voleur s’est emparé hier de ma gourde. Nous devons nous procurer de l’eau avant de prendre la route. Yoseph, va chercher ces magnifiques prises que tu as faites hier. Nous allons les troquer contre de l’eau avant de partir. »

    Yoseph apporta une boîte fermée d’un couvercle percé de trous. À l’intérieur couraient des lézards dont quelques-uns étaient gigantesques. Grand-père en prit quelques-uns qu’il mit dans une autre boîte plus petite. « Tiens, dit-il encore à Nadia en lui tendant le récipient, nous allons garder ceux-ci pour les manger. Yoseph va m’accompagner. Vous ne bougez pas d’ici en attendant notre retour. Nous allons essayer de faire vite. Ne t’aventure surtout pas dehors et prends soin de ta sœur et de ta grand-mère ! » Ajouta-t-il.

    Dehors, le soleil n’était pas encore assez haut dans le ciel, mais il était déjà brûlant. On avait l’impression qu’il se rapprochait un peu plus de la terre à chaque flamboiement, brûlant la peau et tapant sur les crânes pour s’y enfoncer et faire bouillir les cervelles. « Quelle belle journée ! » Se serait-on exclamé autrefois. Mais à cette époque-là, les hommes tentaient d’éviter ce soleil embrasé avec lequel ils paraissaient jouer à cache-cache, courant de sous un balcon encore entier à un mur et de mur en corniche. Une belle journée, à présent, c’était quand des nuages bien denses masquaient le soleil, et offraient un peu de clémence à la terre et aux hommes. La nuit n’était pas meilleure. Dès le coucher du soleil, la température chutait très vite, et un froid glacial s’installait, forçant les hommes à trouver des abris pour se protéger ou à allumer un feu pour se chauffer s’ils arrivaient à trouver du combustible. Le temps était désormais comme cela : Une chaleur tropicale le jour et un froid presque polaire la nuit.

    La chaleur était déjà étouffante et, comme si cela ne suffisait pas, un vent violent soufflait par rafales et soulevait la poussière ocre qui s’infiltrait partout, dans la bouche, dans les yeux, dans le nez et jusque sous les vêtements. Grand-père et Yoseph marchaient côte à côte dans les ruelles qui serpentaient entre les bâtiments déserts. Ils avaient enroulé des sortes d’écharpes autour de leurs têtes de manière à se protéger des rayons ardents du soleil qui brûlaient la peau et finissaient par rendre complètement aveugles ceux qui ne se protégeaient pas les yeux.

    De temps en temps, ils rencontraient des hommes affairés dans une chasse extraordinaire au milieu de la pierraille des immeubles délabrés. Ils les dévisageaient d’un regard hostile puis détournaient les yeux quand ils voyaient que les deux marcheurs n’avaient rien qui puisse leur servir. Parfois même, ils passaient près d’un corps allongé qui respirait bruyamment et qui levait vers eux un regard pitoyable. Yoseph s’arrêtait par curiosité, mais grand-père lui criait de le suivre et de ne pas s’occuper de ce qui ne le regardait pas. Malgré son âge très avancé et bien qu’il soit obligé de s’appuyer en permanence sur sa canne, le vieux arrivait encore à marcher si rapidement que le jeune Yoseph devait souvent trotter pour rester à sa hauteur.

    – C’est encore loin ? demanda le jeune garçon.

    – Non, répondit grand-père, tu vois ce nuage de fumée là-bas au-dessus des maisons… C’est là que nous allons.

    Yoseph s’arrêta un moment en essayant d’estimer la distance, puis continua de marcher. Dans une rue perpendiculaire, son regard fut attiré par un couple penché au-dessus d’un homme qui ne bougeait pas. Ils étaient en train de le dépouiller de ses vêtements.

    – Regarde, grand-père ! cria-t-il en attrapant le vieux par un pan de son habit.

    – Je t’ai déjà dit de ne pas t’occuper de ce qui ne te regarde pas, répondit grand-père en arrachant son vêtement de la main du petit.

    L’homme du couple regarda le garçon en grognant. Ce dernier bondit pour rattraper son grand-père.

    – Pourquoi font-ils ça ?

    – Les vivants ont plus besoin de vêtements que les morts, répondit sèchement grand-père.

    Soudain, un colosse déboucha d’une ruelle devant eux. Il portait un long bâton et poursuivait un gros rat. Quand il l’eut en ligne devant lui, il envoya son arme qui tournoya dans l’air avant de faucher la bête qui s’écrasa contre le mur. Elle était seulement étourdie, mais avant qu’elle pût se relever, quelqu’un d’autre qui venait de sortir d’une espèce de vieille administration en ruine, ramassa un grand caillou, fracassa la tête du rat et s’en saisit. Le poursuivant arriva près de sa proie, et, ayant ramassé son bâton, hurla : « Pose ça ! C’est à moi ! » L’autre se redressa en tenant bien fermement la bête ensanglantée. « Non ! répondit-il d’une voix assurée, c’est moi qui l’ai tué ! » Un éclair de rage animale brilla dans le regard du géant. Il se rua sur son rival et lui donna un violent coup de tête en plein visage et, avant que ce dernier n’ait pu réagir, il le frappa une nouvelle fois sur le crâne avec son bâton. L’infortuné chancela et s’effondra en râlant. Le colosse s’empara de son rat et l’exhiba avant de disparaître en ricanant par où il était apparu.

    – Pourquoi ne l’ont-ils pas partagé au lieu de se battre ? demanda Yoseph.

    – Très bonne question ! dit le vieil homme.

    Yoseph et son grand-père arrivèrent devant une haute grille qui cloisonnait une vaste cour. L’entrée était gardée par plusieurs hommes armés de fusils qui assuraient en même temps l’ordre devant la porte. Quelques hommes faisaient la queue devant le portail. Ils portaient tous sous leur vêtement quelque chose qu’ils venaient troquer contre de l’eau. D’autres arrivaient en faisant rouler de vieux pneus devant eux.

    Quand ce fut le tour de grand-père, il montra aux surveillants la boîte des lézards et leur expliqua les raisons de sa venue. Il dut ensuite se prêter à la fouille assez brutale de l’un des gardes. La chair de lézard était très recherchée à l’époque. C’était un met bien meilleur que les rats qu’on trouvait plus facilement dans les ruines de cette grande ville où les charognes ne manquaient pas. Grand-père passa le portail en réajustant ses vêtements. Yoseph resta dehors sous les regards inquisiteurs des gardiens.

    Derrière les grilles et au centre de la cour encombrée de vieux pneus, il y avait deux hangars surplombés de hautes cheminées qui crachaient une fumée âcre. Une dizaine d’hommes en uniformes noirs faisaient rouler des barils pour les déplacer d’un hangar à l’autre tandis que d’autres, le fusil à l’épaule, allaient et venaient sur les toits. Grand-père, qui avait disparu dans l’un des bâtiments, ne tarda pas à réapparaître dans la cour. Il portait une grande outre à la main. Quand il arriva au portail, il enleva la couverture qui lui servait de manteau, mit l’outre en bandoulière puis remit la couverture dessus pour la cacher. Ensuite, il s’avança vers son petit-fils qui l’attendait. « Allez, pressons le pas, dit grand-père, les autres nous attendent pour partir. »

    Chapitre 2

    Nos amis s’apprêtaient à partir à présent qu’ils avaient suffisamment d’eau pour quelques jours lorsque le vent qui n’avait pas cessé de souffler se déchaina. Il tournoyait de plus en plus fort et eut vite fait de se transformer en vraie tornade.

    Un groupe de gens marchait dans la rue malgré le mauvais temps. Il était conduit par un homme d’un certain âge qui avançait en tête en portant une sorte d’étendard. Le groupe était composé de personnes de tous les âges et des deux sexes ainsi que de trois aveugles qui suivaient en se tenant par leurs cannes. « Tremblez âmes pécheresses, criait le chef, ceci est le châtiment divin ! Expiez vos fautes, car voici venu le jour du jugement dernier. »

    – C’est vrai ce que dit cet homme, grand-père ? demanda Yoseph.

    – Je ne sais pas, répondit le vieillard pensif, les Hommes sont comme ça. Chaque fois qu’une intempérie un peu exceptionnelle a frappé la Terre, il s’en est toujours trouvé parmi eux un esprit hystérique pour annoncer la fin du monde. Dans le désespoir, les Hommes sont frappés d’une telle paresse d’esprit qu’ils sont prêts à suivre le premier esprit chimérique venu ; pourvu qu’ils n’aient pas à réfléchir par eux-mêmes.

    – Vous ne croyez pas au jour du jugement dernier, grand-père ? demanda Nadia qui écoutait attentivement, grand-mère nous en parle souvent, ajouta-t-elle.

    – Si, mais j’y crois de façon un peu différente de celle de cet homme. À chacun son jour du jugement dernier, ajouta-t-il en souriant.

    Le groupe marchait en procession en remontant un chemin qui avait dû être une avenue commerçante jadis. À chaque coin de rue, d’autres processionnaires s’y joignaient. À d’autres endroits, des hommes les attaquaient en leur jetant des pierres. Elles atteignaient quelques fois le meneur du cortège en pleine tête et provoquaient un saignement, mais au lieu de fuir, il semblait heureux d’être ainsi frappé et ensanglanté, et continuait ses lamentations de plus belle.

    Nos amis attendirent en vain que la tempête cessât et durent passer une nuit supplémentaire dans le hangar. Ils ne prirent le départ que le lendemain matin de très bonne heure. Grand-père avait continué d’espérer que l’homme avec lequel il avait rendez-vous viendrait et que les deux familles prendraient la route ensemble, mais il n’en fut rien. Il avait également souhaité que quelques nuages viennent adoucir le jour de leur départ, mais le ciel était désespérément bleu. Ils prirent quand même la route.

    Ils avançaient depuis trois jours le long d’une rivière qu’on devinait à l’ondoiement de la couche de liquide cramoisi et visqueux. Ils n’avaient plus rencontré personne depuis la veille. La grand-mère faisait des efforts surhumains pour maintenir la cadence. De temps en temps, elle poussait de petits gémissements qu’elle essayait d’étouffer. Grand-père se retournait. Elle lui faisait signe de continuer. Il se remettait alors en marche en se retournant de temps à autre pour lui demander si elle voulait se reposer un peu. Elle faisait « non » de la tête.

    – Quand j’étais petit, dit-il, je suis venu ici une fois avec mon père pour pêcher du poisson.

    – Du poisson ? demanda Nadia, ça se mangeait ?

    – Oui ma petite ! répondit-il en regardant les enfants d’un œil attendri. C’était un animal oblong. Il vivait dans l’eau, continua-t-il, et sa chair était succulente.

    – Comme la chair des lézards que nous avons attrapés l’autre jour ? demanda Yoseph.

    Grand-père s’arrêta, se retourna et prit ses trois petits-enfants dans ses bras. Il voulut leur parler encore des poissons, mais un gros sanglot qu’il contint au fond de sa gorge l’empêcha de continuer.

    – Qu’est-ce qui est arrivé à ces… poissons ? Lui demanda doucement Nadia, comment ont-ils disparu ?

    – La Terre était un vrai paradis, ma fille. Personne n’aurait jamais pu imaginer que nous aurions pu un jour manquer de nourriture, mais nous avons tout fait pour la salir et la détruire avec tous nos déchets sans prêter d’attention à tous ceux qui ont essayé de nous mettre en garde contre une destruction imminente de notre belle planète bleue.

    Ils étaient absorbés par la description de ce monde révolu que l’un avait connu et que les autres ne connaîtraient peut-être jamais et n’avaient pas fait attention à la grand-mère qui était restée en arrière. Elle appelait d’une voix presque inaudible. Meriem courut vers elle. Les autres la rejoignirent. Grand-père se mit à genoux et posa la main sur son front. Elle était brûlante. Il l’aida à s’allonger puis sortit le goulot de l’outre qu’il portait sous son vêtement. « Je n’en ai plus besoin, dit-elle en haletant. » Il insista et se fâcha, alors elle prit quelques gorgées. « Laissez-moi ici, dit-elle encore, je vais vous retarder pour rien. » Elle haleta longtemps avant d’ajouter : « Je sens que c’est la fin. Partez ! »

    Les enfants pleuraient. Ils ne comprenaient pas à l’exception de Nadia qui remplaça grand-père pour soutenir la tête de la grand-mère qui tremblait en promenant son regard d’un enfant à l’autre craignant sans doute qu’ils ne fussent pas entre de bonnes mains après elle. Meriem sanglotait. Elle se jeta dans les bras de grand-mère et faillit la renverser. Elle la couvrit de baisers et de ses larmes chaudes. Tout le monde pleurait à présent. Même grand-père, qui savait si bien dissimuler sa peine, avait donné libre cours à son émotion comme il ne l’avait jamais fait auparavant devant ses petits-enfants. Un long moment s’était écoulé ainsi, puis grand-mère se redressa en geignant.

    – J’ai moins mal maintenant, parvint-elle à dire, nous pouvons continuer.

    – Tu es sûre de pouvoir marcher ? s’enquit grand-père.

    – Absolument ! répondit-elle de son ton le plus ferme.

    Des nuages venus de nord avaient commencé à masquer le soleil. « Profitons de ce temps pour avancer », dit grand-père. On aida alors grand-mère à se relever, on lui mit sa canne dans la main, puis le groupe se remit en branle. Le grand-père marchait lentement en soutenant sa femme pendant que Nadia et les enfants, qui étaient devant, continuaient de se retourner de temps en temps pour s’assurer que leur grand-mère allait vraiment bien. Les ricanements d’une hyène à leurs trousses leur firent accélérer le pas. Ces bêtes avaient beaucoup proliféré après le grand effondrement à cause de tous les cadavres qu’il y avait un peu partout et auxquels personne ne pensait plus donner une sépulture.

    Meriem marchait tout près de la rivière et s’amusait à fendre la croûte molle de la rivière avec un long bâton.

    – On peut boire cette eau ? interrogea-t-elle soudain.

    – Non, répondit grand-père. Tu vois sa couleur ? Pour qu’elle devienne bonne à boire, il faut la purifier.

    – Comment ça, la purifier ?

    – C’est un procédé… assez compliqué, répondit-il.

    – Tu ne sais pas comment faire pour purifier l’eau ? demanda Yoseph.

    – Si, je sais… un peu… Mais il faut un certain équipement que nous n’avons pas.

    – Et si on l’avait, ajouta Yoseph, on purifierait l’eau pendant que les autres chasseraient pour nous comme les hommes auxquels nous avons rendu visite l’autre jour pour avoir de l’eau.

    – Peut-être, dit grand-père. Peut-être aussi que nous leur montrerions comment le faire eux-mêmes. Allez ! ajouta-t-il à l’adresse de Yoseph, viens me relayer pour soutenir grand-mère. Je suis fatigué.

    Ils traversaient à présent une forêt d’arbres pourris qui penchaient tous en tendant leurs tentacules vers le sol. Ils semblaient implorer le pardon du seigneur comme ces habitants de Sodome et Gomorrhe qui auraient été figés jadis en statues de sel pour avoir péché. Plus loin, des arbres nains avaient poussé entre les cadavres de bois, mais ils ne ressemblaient pas à leurs prédécesseurs. Leur bois ne brûlait pas et leurs feuilles avaient cédé la place à d’affreuses épines grises qui accrochaient tout ce qui passait à leur portée. Le petit groupe de marcheurs avait resserré les rangs et on devinait dans leur silence une peur lourde qui pesait sur les poitrines au point de

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