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L’éternel recommencement - Tome 2: Roman
L’éternel recommencement - Tome 2: Roman
L’éternel recommencement - Tome 2: Roman
Livre électronique407 pages6 heures

L’éternel recommencement - Tome 2: Roman

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À propos de ce livre électronique


Après deux ans de paix et de reconstruction sur Ganduana, les ténèbres ressurgissent et frappent à nouveau le continent du grand Architecte au moment où les mages blancs ne s’y attendaient plus. La contrée de Motec est ravagée, les gobelins décimés et l’inestimable baguette de vérité a disparu. L’incroyable puissance et la perfidie de l’attaque plongent le grand Architecte dans le désarroi. Il perd le contrôle de sa précieuse création ; Trahisons, guerres et manipulations gangrènent son royaume, et les premières légions de démons se préparent à envahir le monde du dessus, précédées par des traîtres insoupçonnables. Le mal s’infiltre partout, sa victoire semble inéluctable. Et Dieu dans tout ça ? Cette nouvelle déchéance est-elle le fruit de Sa vengeance ? Sans oublier ce mystérieux démon sans visage, qui est-il ?
Les divinations prophétiques de Léa et le retour en grâce du jeune oracle Matthew suffiront-ils à sauver l’âme du monde d’Audin ? Le soulèvement des créatures fantastiques d’Arago pourrait bien annoncer la fin du continent béni, Ganduana est en péril !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Stéphane Nançoz est un auteur Suisse, passionné de Fantasy et de Science-Fiction, il est le créateur de la saga L’Éternel Recommencement.
Pour ces romans, il invente un univers mystérieux et flamboyant, qu’il nous fait découvrir au travers des destins extraordinaires de ses personnages.
LangueFrançais
Date de sortie25 nov. 2019
ISBN9791037702425
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    Aperçu du livre

    L’éternel recommencement - Tome 2 - Stéphane Nançoz

    Stéphane Nançoz

    L’éternel recommencement

    Tome II

    Le soulèvement d’Arago

    Roman

    ycRfQ7XCWLAnHKAUKxt--ZgA2Tk9nR5ITn66GuqoFd_3JKqp5G702Iw2GnZDhayPX8VaxIzTUfw7T8N2cM0E-uuVpP-H6n77mQdOvpH8GM70YSMgax3FqA4SEYHI6UDg_tU85i1ASbalg068-g

    © Lys Bleu Éditions – Stéphane Nançoz

    ISBN : 979-10-377-0241-8

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    « L’honnêteté, la sincérité, l’humilité, la générosité, l’absence de vanité, la capacité à servir les autres – qualités à la portée de toutes les âmes – sont les véritables fondations de notre vie spirituelle »

    Nelson Mandela

    Prélude

    Le baiser mortel

    La nuit avait figé le monde. Autour du palais d’Helvetia, la forêt de la Confession, étrangement silencieuse, distillait un parfum de mort. L’atmosphère était irrespirable et la lune, quasiment absente, ne pouvait rien faire contre la noirceur de cette étouffante nuit d’été. Un homme étrange sortit des bois, la démarche mal assurée, il avançait prudemment. Il avait de petits yeux ronds et inquiétants, le teint du visage horriblement blafard, une bouche fine presque sans lèvre et la peau de ses mains, qui dépassaient de sa tunique noire, était craquelée, comme écaillée. Il se déplaça maladroitement en direction du château. Arrivé proche du mur d’enceinte, il baissa sa capuche, laissant apparaître son crâne chauve et recouvert d’une couche d’écailles verdâtres. Il leva son bras en direction des dragons protecteurs, trois doigts tendus et deux repliés vers le centre de sa main. Il prit facilement possession de la volonté des créatures fantastiques et les força à s’éloigner de son périmètre. Il s’avança encore jusqu’à la massive porte d’entrée et l’observa quelques instants. Il devait franchir l’enceinte sans éveiller les soupçons des chambellans, pas question d’utiliser des sortilèges détectables par les bassines aux sorts, qui répertoriaient toutes utilisations de la magie sur Ganduana. Il se déplaça sur sa gauche, plaqua ses mains sur le mur de pierres blanches, prit une longue inspiration, puis, tel un lézard, grimpa la paroi avec la facilité du reptile. L’aisance de son ascension était inversement proportionnelle à la difficulté qu’il avait éprouvée lors de son approche. Avant d’atteindre le sommet du mur, il prit grand soin d’éviter le tour de garde des soldats de faction en se plaquant derrière un créneau du chemin de ronde et, une fois le danger écarté, avec la même dextérité, redescendit de l’autre côté. Il atteignit enfin la cour intérieure, qu’il traversa accroupi, en s’aidant de ses bras pour faciliter sa progression. Profitant d’une chance inouïe ou d’une complicité traître, il se glissa à l’intérieur du palais, entre-ouvrant la porte d’entrée qui n’avait pas été verrouillée cette nuit-là. Sans hésitation, il grimpa l’escalier qui menait à la chambre du vieux général chambellan Cahill. Les deux gardes, postés devant la porte, étaient profondément endormis. Encore une fois, la chance était du côté de l’étrange visiteur ou, plus vraisemblablement, quelqu’un avait pris soin de faciliter son intrusion. L’homme lézard entra dans la chambre sans aucune difficulté et s’installa à côté du lit où le guide du peuple Helvetis dormait d’un profond sommeil. Il l’observa quelques minutes, fixant le vieil homme presque amicalement. C’est ce qu’on aurait pu croire de cette scène si ses petits yeux perfides avaient permis une quelconque forme de sentiment. Enfin, il se décida à s’approcher de Cahill et le mordit légèrement à l’arrière de la nuque. Il y déposa son baiser de la mort, juste assez pour le condamner à une irréversible agonie, mais pas trop non plus, afin que personne ne remarque cette petite morsure sous la chevelure épaisse du général des armées du nord. Le chambellan ne réagit pratiquement pas à la démoniaque étreinte, il lâcha un petit soupir de complainte, rien de plus. L’homme lézard s’assit à nouveau sur le même fauteuil et attendit encore. Il posa ses mains sur ses genoux et, sous la lueur des bougies accrochées au mur derrière lui, étira les cinq longs doigts reptiliens qui lui avaient permis d’escalader si facilement l’enceinte du palais. Au bout de deux minutes, il se leva, balaya l’air de quelques battements de sa langue fourchue, puis ressortit de la chambre. Les soldats ne s’étaient pas réveillés, il longea le corridor sans se presser, traversa à nouveau la cour bien à l’abri de tous les flambeaux, escalada le mur avec la même adresse et disparut dans la forêt sans laisser la moindre trace. À l’intérieur du château, une ombre discrète vint se glisser derrière l’entrée principale et verrouilla la grande porte, comme pour mettre un terme à cette parenthèse morbide. Le palais des guerriers du nord retomba dans la profonde léthargie d’une asphyxiante nuit d’été.

    Ganduana vivait l’été de l’an 163 avant la naissance du sauveur, quelques semaines à peine après le retour triomphal des héros qui avaient fait reculer les ténèbres en Arago et ramené Selmia et Sebastian du côté clair. Personne n’entendit plus parler de l’homme lézard après cette nuit-là.

    Chapitre 1

    Le retour de la fraternité

    Avec l’enquête menée par les soldats Helvetis sur Arago et la victoire des mages blancs sur les ténèbres, les habitants de Pyrennéa avaient découvert l’existence d’un monde caché derrière la frontière magique du sud, inquiétant mais plein de mystères. Même si la plupart avaient été abasourdis par la présence de créatures fantastiques derrière le rideau bleu, beaucoup se seraient volontiers laissés tenter par l’attrait d’aventures nouvelles sur les contrées inconnues, ils éprouvèrent même une certaine excitation à l’idée de rencontres extraordinaires avec des elfes, des fées, des sorciers ou des gobelins. Les plus hardis d’entre eux avaient même envisagé de partir sans tarder à la découverte du continent nouveau. Il n’en fut rien. Le puissant mage Audin, maître des deux terres, avait finalement renoncé à faire disparaître la barrière infranchissable qui séparait le nord et le sud. L’association contre-nature entre les loups-garous et les harpies sur les terres du milieu avait retardé l’ambitieux projet du Père Fondateur. Il avait jugé la menace des rebelles trop imminente et bien trop proche de la frontière avec les hommes pour se passer de cette sécurité. Ainsi les mois passèrent, puis les saisons, si bien que les humains sentirent l’excitation des belles alliances s’estomper, et même s’éteindre. Comme souvent, la routine finit par étouffer les ambitions, même les plus folles.

    Le printemps de l’année -161 amena avec lui une terrible et inattendue sécheresse, les récoltes des Agarniens souffraient et dépérissaient, au grand désespoir de tous les peuples du nord, dépendants de leur agriculture. Depuis des mois le ciel était sans nuage, les paysans de Raron scrutaient avec inquiétude leurs terres craquelées, épuisant les maigres dernières réserves d’eau avec parcimonie. Jamais de mémoire d’homme, les Ganduanéens n’avaient été confrontés à une telle catastrophe naturelle, ils étaient totalement désemparés face à cette épreuve. Dans le palais de Cristal des Agarniens, le chambellan Shartan, préoccupé par le sort des peuples du nord, frappa à trois reprises sur des points précis de la porte de sa salle du passage. Les yeux envoûteurs de Mélissandre apparurent sur la surface boisée, puis son nez aquilin, ainsi que sa bouche voluptueuse.

    — Chambellan Shartan, que me veux-tu donc de si bonne heure ?

    — Je viens préparer la salle du passage, j’attends de la visite. Rien qui ne nécessite ton aide, sage Mélissandre, un simple rendez-vous de courtoisie.

    La gardienne des traversées s’écarta et le chambellan des hommes de la terre pénétra dans la salle. Il sortit sa baguette et lança quelques flammes en direction de torches qui s’enflammèrent aussitôt. Il se concentra ensuite sur le mur du fond de la pièce et, la baguette tendue devant lui, invoqua les couloirs de liaison :

    — AQUARIOS !

    La grande chute d’eau spectaculaire envahit la paroi, donnant à la pièce cette lueur bleutée si tranquillisante. Les passages magiques entre les palais étaient ouverts, Shartan s’installa sur une chaise en osier, en face du mur aquatique, et attendit patiemment ses invités.

    La chute d’eau se mit à frémir. Shartan se leva de son fauteuil et se rapprocha de la cascade. Une forme humaine se dessina à la surface, puis le chambellan des Aquals, Huyana, apparut. Le nouvel arrivant sourit à son ami et s’approcha en le saluant chaleureusement :

    — Shartan, vieil ami, quel plaisir de vous revoir. Comment allez-vous ?

    Les deux mages engagèrent la discussion et échangèrent bien volontiers des nouvelles de leur peuple respectif. Le mur d’eau frétilla à nouveau. Diane, leur homologue Smallis, émergea à son tour. Les deux dignitaires la saluèrent respectueusement, entamèrent encore une fois une conversation consensuelle. Une fois les politesses terminées, Shartan invita ses deux convives à le suivre au dehors de son palais de Cristal. Ils empruntèrent les longs corridors qui menaient vers l’extérieur, traversèrent la cour, avant d’atteindre les murs d’enceinte. Shartan devança ses amis puis referma la lourde porte en prenant bien soin de veiller à ce que personne ne les suive. Ils s’engagèrent sur la route poussiéreuse qui serpentait devant eux.

    Le soleil brillait comme aux plus beaux jours de l’été et tout le long du chemin, ils s’inquiétèrent de cette terre assoiffée et terriblement meurtrie. À quelques centaines de mètres du palais, le piteux état des premiers champs de plantations printanières leur permit de mesurer l’ampleur du désastre. Il fallait agir vite pour sauver la récolte et éviter une crise alimentaire majeure pour toutes les contrées du nord. Les trois mages s’installèrent sur les flancs d’une petite colline aride, ils se concertèrent à nouveau, débattant une fois de plus de l’interdiction d’utiliser la magie en dehors des lieux sacrés. Ils finirent par placer le bien-être de leurs peuples au-dessus des lois :

    — À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, s’enhardit Shartan. Audin comprendra et appuiera notre décision.

    Ils prirent encore toutes les précautions afin de s’assurer qu’aucun humain ne puisse assister à leurs manipulations mystiques, puis se mirent à la tâche. Diane, la fille d’Eole, se servit du don fait à son peuple pour soumettre les vents puissants. La belle chambellan du nord ferma les yeux et débuta une chorégraphie gracieuse et extatique. Les jambes légèrement écartées, genoux repliés, les deux pieds ouverts à l’opposé l’un de l’autre, elle balayait l’air de ses deux bras à l’image d’une déesse orientale. Un souffle léger se leva, obéissant à chacun des gestes de la Smallis. D’abord doux et chaud, puis de plus en plus violent et plus frais, il amena avec lui de gros nuages gris. Les nuages venaient des confins de l’est et ne tardèrent pas à s’accumuler au-dessus des champs de légumes. À son tour, Huyana se saisit de sa baguette et leur ordonna de lui obéir, le maître des eaux fit s’abattre d’abord une pluie fine sur toute la région, puis, une fois le sol enfin humidifié, le chambellan Aqual intensifia les précipitations pour que la terre s’engorge des fruits de ce bel orage tant attendu. Une fois, les champs bien arrosés, Diane s’empara à nouveau des vents pour pousser une dizaine de menaçants nuages vers les grandes citernes en bois. Huyana fit tomber la pluie en abondance sur ces points névralgiques afin de remplir les cuves et donner à Shartan assez de réserve d’eau pour les jours à venir. Le rituel achevé, les trois magiciens s’en retournèrent au palais, trempés, mais heureux de leur collaboration. Shartan les invita à partager un excellent repas et goûter son meilleur vin, avant de les laisser repartir par les couloirs magiques qui reliaient les palais entre eux.

    À quelques milliers de kilomètres de là, dans son château de Bellissaure, Audin passa la main au-dessus de sa bassine aux sorts pour apaiser l’eau ensorcelée. Il souriait. Il avait observé l’utilisation des sortilèges comme s’il avait assisté lui-même aux travaux des trois mages. Chacune des étapes lui était apparue à la surface de sa large cuve de pierre, de la maîtrise des vents qui portait la signature de Diane, jusqu’à l’arrivée de la pluie, qui portait celle d’Huyana. Certes, les dignitaires avaient influencé le cycle de la nature en leur faveur, ce qui était contraire aux lois fondamentales, mais la magie avait été utilisée à bon escient, dans l’intérêt du plus grand nombre et aucun humain n’avait été témoin de son utilisation hors des enceintes protégées, difficile de leur en tenir rigueur. Le grand Architecte décida de ne pas intervenir, il savait d’expérience que les mages comme les non-mages seraient de plus en plus enclins à outrepasser certaines limites, que la frontière ténue entre initiatives équivoques et détournements criminels allait inexorablement s’atténuer. Une décision lourde de conséquences pour l’avenir de son Ganduana, l’intransigeance des lois premières, qu’il avait maintenues jusque-là, venait de laisser la place à une nouvelle doctrine ; L’interprétation de l’intention de l’acte. Une règle fondamentale avait été contournée par ses chambellans sans que le Père Fondateur ne les condamne, une infraction non punie qui en provoquerait fatalement d’autres, le premier pas vers l’exégèse.

    Malgré tout, Audin était fier de la solidarité retrouvée de ses chambellans, la grande harmonie qui régnait à nouveau sur Pyrennéa l’enchantait au plus haut point et la grande fraternité des peuples du nord le rassurait. Il sortit de la salle des sorts, soulagé, et se rendit directement au réfectoire du château pour partager un repas avec son confident, Gabriel.

    Depuis que l’archange avait été chassé du paradis, les deux amis avaient appris à contourner son mutisme par l’utilisation du langage du cœur, Audin et Gabriel ne communiquaient qu’au travers de cette forme extrêmement rare de télépathie. Aucun autre mage n’était en mesure de partager leurs discussions, aucun sauf le jeune oracle Matthew, celui-là même qui avait accompagné le grand Architecte dans ses aventures sur les terres du sud, afin de combattre et vaincre les ténèbres. Fatalement, l’élu Aqual et l’archange déchu avaient rapidement tissé des liens forts, ils passaient beaucoup de temps à philosopher sur le pouvoir des âmes et l’équilibre du monde, ils parlaient fréquemment du sens des aventures vécues en Arago, mais surtout, Matthew était friand de toutes les informations concernant les êtres de lumière. Depuis leur rencontre fortuite, proche du village de Schrägdach, en bas de la vallée de Bellissaure, Matthew avait pris conscience de la destinée peu enviable mais fascinante de son illustre aîné. De son côté, petit à petit, Gabriel s’était pris de passion pour leurs discussions métaphysiques intenses. Le niveau de connaissance de Matthew était phénoménal et sa capacité à apprendre, époustouflante. Gabriel avait bien vite compris que la rencontre entre le plus intuitif et brillant des Pères Fondateurs et du plus génial oracle de tous les temps faisait de cette sixième circonvolution la plus prometteuse de toutes. L’archange était fasciné par l’étendue de leurs talents respectifs et par leur belle complémentarité. Réunis, ils avaient montré tant de courage, tant d’habileté à repousser le mal, qu’ils semblaient invincibles, mais séparés, tous deux étaient tristes et orphelins de l’autre. C’est pourquoi Gabriel regrettait la distance qu’Audin avait instaurée avec son disciple depuis leur retour. Il sentit que le moment d’intervenir en faveur de son protégé était arrivé. Une fois que son ami Audin fut installé à la table, Il appréhenda rapidement le sujet :

    ** Bonsoir, monsieur le directeur**.

    Audin sourit de cette entrée en matière cérémonieuse, il lui répondit sur le même ton badin :

    **Bonsoir monsieur l’invité d’honneur. Tu me sembles soucieux, un problème ? **

    **Pas vraiment ! Une inquiétude plutôt**

    Gabriel hésita encore un peu, puis se lança :

    **J’ai eu une discussion avec Matthew aujourd’hui. Il est un peu désorienté par ton manque d’attention envers lui, et j’admets que ton attitude à son égard me trouble également. Aurait-il fait quelque chose qui t’ait déplu ?**

    Audin ne fut pas contrarié par la question de son confident, il se doutait bien du contenu de ses échanges avec l’élu Aqual, il resta muet quelques instants, le regard soudainement triste, puis enchaîna, machinalement :

    **Non absolument pas ! Je suis toujours aussi fier de lui et crois-moi, je sais ce que je lui dois. Cependant, j’aimerais tellement pouvoir revenir en arrière et lui redonner la vie de jeune oracle insouciant qu’il mérite**.

    Il resta encore un temps sans rien dire, puis ajouta, de l’émotion plein la voix cette fois-ci :

    **Je me sens comme un père pour lui et comme tous les pères, je m’inquiète de son avenir. Un incommensurable danger pèse sur sa destinée et j’en suis le responsable. Je crains qu’en l’exposant à nouveau, cette terrible menace ne refasse surface et tente de l’anéantir. Je ne suis pas assez fort pour lutter contre cette épreuve. Alors j’essaie de le tenir à l’écart pour le protéger… Enfin, je pense…**

    **Je ne suis pas ta conscience bien évidemment et je comprends tes réticences légitimes, mais je me permets de te donner mon conseil malgré tout ; Parle-lui, explique-lui tes craintes et laisse-le décider de son avenir. Il a démontré tellement de maturité jusqu’ici, cette mise à l’écart le fait souffrir et j’ai peur qu’il ne s’éloigne de toi, Audin. Tu as besoin de lui, comme il a besoin de toi. Tu sais mieux que quiconque la fragilité de l’équilibre entre le bien et le mal et que la noirceur n’est jamais loin, prête à s’emparer des esprits en proie aux doutes ! Laisse-lui une place auprès de toi**

    Gabriel posa sa main sur l’avant-bras de son ami et tous deux restèrent encore longtemps ensemble profitant du moment sans rien ajouter.

    Juin de l’an -161

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    Chapitre 2

    Jefferson

    La lourdeur de l’été frappait le château de Bellissaure sans concession, le bâtiment de l’école des oracles se vida dans un silence inhabituel. Les cours de l’après-midi étaient terminés et Matthew profitait des belles heures de la fin de journée dans le jardin de la cour extérieure, en compagnie de la jolie Lilou. Ils étaient assis côte à côte sur le banc, au pied de la fontaine centrale, se frôlant discrètement la main, heureux et gênés de cette proximité. Le fier cheval de pierre, qui ornait le centre de la pièce d’eau, la patte gauche dressée vers la porte d’entrée, crachait inlassablement son flux continu. Le jeune oracle tendit la main en direction du filet d’eau et d’un simple mouvement gracieux du doigt fit faire une double boucle au jet d’eau. L’élue Troths s’en amusa. Elle émit son petit rire sonore qui plaisait tant au jeune Aqual. Matthew savait que le professeur principal Charmefol n’appréciait pas qu’il utilise ses dons pour de si vaines raisons, mais il ne pouvait s’en empêcher, il aurait fait n’importe quoi pour faire rire sa petite amie. Ils avaient dix-sept ans, et après deux ans passés dans cette académie des élus, à fréquenter les mêmes cours, ils étaient de plus en plus proches. Quelques jours auparavant, après les cours de mathématiques dispensés par le professeur Aurasius, en retournant vers le bâtiment principal, Matthew avait enfin trouvé le courage d’embrasser sa belle. Émus jusqu’aux larmes, les joues rouge vif, ils avaient ensuite rejoint le réfectoire, pour dîner avec leurs camarades, comme si de rien n’était.

    Cela faisait maintenant deux ans que Matthew, novice du peuple des maîtres de l’eau, avait accompagné Audin, Charmefol et Diane dans leur périple au sud pour sauver leurs amis, la sorcière rouge Selmia et le valeureux commandant Sebastian. Ils avaient combattu les ténèbres et vaincu l’arrivée des démons dans une lutte sans merci. Leur gloire avait été chantée et vantée sur tout le continent de Ganduana, au nord comme au sud. Bien évidemment, depuis ces extraordinaires exploits, Matthew était considéré comme un héros dans son école et bénéficiait de toute l’attention des autres élèves. Malgré sa timidité, il s’était finalement habitué aux regards d’admiration ou d’envie, aux discussions à voix basse derrière son dos, même aux petits commentaires à peine discrets. Il s’appliquait à rester humble et honnête, à avoir une vie normale, étudiant comme les autres élus des peuples du nord, évoluant au sein du château de Bellissaure au rythme des cours de mathématiques cantiques, de politique, d’histoire et de gestion des peuples, mais aussi de sortilèges, de potions, de divination ou de sorts d’attaque et de défense. Il rêvait simplement de devenir un bon régisseur ou pourquoi pas un chambellan, comme son père, Huyana le vertueux, guide de son peuple Aqual. Depuis le retour de la paix sur Ganduana, l’euphorie qui régnait autour du jeune oracle était certes un peu retombée, mais il restait le sujet principal des conversations, particulièrement pour les nouveaux arrivants qui se réjouissaient de rencontrer enfin le « héros de Bellissaure ». Lorsque Matthew traversait les couloirs, s’entraînait au tir à l’arc, à jeter des sorts ou même simplement lorsqu’il s’exerçait pour muscler un peu son corps de jeune adulte, il y avait toujours une dizaine d’élèves de première année pour épier ses moindres mouvements, avant de les commenter le soir même dans le réfectoire avec leurs amis, associant chaque manœuvre du prodige à un possible retour des ténèbres ou à un complot démoniaque. Matthew avait fini par s’habituer à cette rançon de la gloire, même si ce n’était pas ce qu’il préférait. Lilou, quant à elle, avait été moins prompte à accepter ce fanatisme autour de son fiancé, particulièrement lorsque sur la dizaine d’admirateurs, la majorité était de belles jeunes filles, elle n’oubliait jamais de le lui faire remarquer si par malheur, le héros se laissait aller à répondre aux sourires admiratifs de ces petites prétendantes.

    Mais à ce moment du récit, ces tentations futiles n’étaient pas l’inquiétude principale de l’élue du peuple Troths, Lilou n’aimait pas sentir son Matthew inquiet, et depuis quelques semaines, ces troubles étaient devenus fréquents. Son amoureux passait régulièrement de longues heures à méditer et à ressasser certaines visions sombres qui perturbaient la plupart de ses nuits. De son côté, le jeune homme tentait tant bien que mal d’épargner sa bien-aimée du poids de ses problèmes, sentant bien que ces périodes de perplexité lui faisaient du mal, mais malgré ses efforts, il la devinait inquiète et tiraillée. Alors, du haut de leurs dix-sept ans, ils essayaient d’équilibrer leurs vies de leur mieux, luttant contre la confusion de tous ces sentiments contradictoires qui remplissaient leurs têtes et rendaient l’entrée dans le monde adulte un peu chaotique.

    À l’heure du repas, déjà installés à leur table ronde habituelle du magnifique réfectoire du château, Matthew et Lilou virent arriver leur ami Jefferson. Il remontait l’allée tout sourire, comme d’habitude il était un peu en retard. Jefferson Chaan était grand, mince et très musclé, il avait les cheveux blonds et les yeux bleu-vert. Il était beau et comptait beaucoup d’admiratrices dans le château. Il le savait et usait de son charme sans aucune retenue. Il s’installa sur le siège vide à côté de ses deux amis et les salua :

    — Un cordial salut à mes deux tourtereaux préférés, auquel j’ajoute un bonjour obligé aux autres tristes occupants de cette tablée ! Qu’est-ce qu’on mange de bon ?

    — Potée de légumes et viande blanche – Répondit Lilou amusée – comme c’est écrit sur la petite pancarte au milieu de la table. Tu ne vas jamais me croire, mais c’est ainsi tous les jours, les cuisinières indiquent ce qu’elles nous ont préparé à l’aide d’un menu ! Magie, magie…

    — Tu sais bien qu’il n’a pas encore appris à lire ! Ajouta Matthew pour se moquer de son camarade.

    Les autres convives de la table s’esclaffèrent. Jefferson les toisa méchamment du regard, avant d’éclater aussi de rire. Trevor, l’Agarnien, fit voltiger le menu devant les yeux du nouvel arrivant et ajouta :

    — Besoin de lunettes le blond ? L’affublant du surnom que lui donnaient volontiers ses camarades.

    Jefferson souffla sur le menu qui virevoltait devant son nez et le fit s’enflammer.

    Toute la petite tablée rit de bon cœur, ils étaient friands des incessantes facéties de Jefferson, insouciants et heureux d’être ensemble.

    Les flammes bleutées qui avaient consumé le menu avaient aussi attiré l’attention des professeurs, en particulier celle de Charmefol, qui ne goûtait définitivement pas aux blagues d’adolescents. Il n’appréciait pas que Matthew, qui avait montré tant de courage et de perspicacité lors de leur dangereuse quête en Arago, puisse s’amuser de telles futilités. Au contraire de l’austère professeur Barrel, Audin se réjouit de la légèreté et de la saine frivolité retrouvée par son protégé. Il aurait voulu que leurs aventures ne fussent qu’un mauvais rêve et que Matthew puisse oublier la gravité de ce qu’il avait vécu. Depuis l’apparition du petit page joueur de flûte devant la grotte du premier démon Astaroth et sa terrible demande de sacrifice, Audin craignait chaque jour pour la vie du jeune homme, il savait que Matthew ne retrouverait jamais l’insouciance qui fait la beauté de la vie des jeunes adultes ; Vivre, aimer, rire, apprendre de tout, s’endormir sans craindre qu’il puisse s’agir de la dernière nuit. Alors, ces quelques instants d’insouciance, passés avec ses camarades, ôtaient un peu de ce poids insupportable qui compressait le cœur du Père Fondateur depuis deux longues années. Il sourit et d’un froncement de sourcils fit comprendre à Charmefol qu’il n’interviendrait pas.

    Jefferson était issu du peuple Helvetis, les guerriers, maîtres du feu et des armes. Comme les autres élus, ses dons étaient apparus à l’âge de six ans, lorsqu’il avait commencé à développer des aptitudes exceptionnelles et à guérir plusieurs de ses camarades. Comme les autres, il avait été élevé par ses parents biologiques jusqu’à ses quinze ans, puis avait rejoint Bellissaure pour y recevoir la formation spécifique des oracles. Son père, un habile forgeron nommé Chaan, était décédé lors de l’année qui avait suivi son admission à l’école, c’est pour cela que le jeune mage portait également son nom, Jefferson Chaan. À son arrivée, il ne faisait pas partie du groupe d’amis de Matthew, il ne suivait du reste pas les mêmes cours. Matthew était un oracle télépathe comme Lilou ou Trevor, tandis que Jefferson faisait partie des élus envoûteurs. Les envoûteurs étaient moins puissants, ils possédaient certes de nombreux dons et avaient une capacité phénoménale pour apprendre, mais ils n’atteignaient jamais la virtuosité des télépathes. Néanmoins, dans la hiérarchie des oracles, les envoûteurs étaient supérieurs aux guérisseurs, ce que Jefferson ne manquait jamais de faire remarquer aux élèves de première année qui débarquaient à Bellissaure.

    À la suite des aventures de Matthew sur les terres d’Arago, de nombreux élèves avaient rêvé de sympathiser et devenir intimes avec le héros. Attirés par la célébrité du jeune homme, les candidats étaient nombreux, mais très peu avaient eu l’honneur de rejoindre le petit groupe qui entourait le jeune Aqual. Lilou veillait farouchement à préserver la sérénité autour de son fiancé. Jefferson avait eu cette chance, sa bonne humeur permanente, son humour cinglant et sa faculté à dédramatiser toutes les situations avaient fini par séduire la sélective Lilou. Entre autres facéties, c’est lui qui avait affublé le petit cercle d’amis du nom bizarre « les larbins du héros », mais tout le monde avait trouvé l’idée géniale et avait adopté ipso facto cet étrange sobriquet. Depuis plus d’un an, Jefferson était même devenu le meilleur ami de Matthew, ils étaient inséparables.

    Ce soir-là, après le repas, les trois jeunes adultes décidèrent de s’isoler un peu du groupe pour parler d’un sujet qui préoccupait Matthew depuis quelques semaines. Ils sortirent du château par la porte principale, descendirent le grand escalier, puis bifurquèrent sur la gauche avant de s’enfiler sous les arcades gothiques de l’aile est du palais d’Audin. Lilou s’assit sur la balustrade en bois qui séparait le couloir du jardin, Matthew et Jefferson vinrent se placer en face d’elle. La nuit tombait sur la vallée, mais la température restait très agréable. Matthew ne fit pas attendre plus longtemps ses amis et entra dans le vif du sujet :

    — Je ressens des choses de plus en plus bizarres concernant le commandant Sebastian.

    — Le chambellan Sebastian, le reprit instantanément Jefferson.

    — Oui, tu as raison, le chambellan Sebastian, guide de ton peuple Helvetis depuis le décès de son père. Quoi qu’il en soit, il se passe de drôles de choses dans le palais de Cristal d’Helvetia, Jefferson, j’en suis persuadé. Je ressens une influence négative autour du nouveau chambellan.

    — Je t’assure que tu te fais des idées, amigo, j’étais invité au palais lors de l’adoubement des nouveaux élus, j’ai parlé avec Sebastian et avec tout son entourage. À part le pauvre Godric, qui semble bien peu à l’aise avec ses nouvelles responsabilités de régisseur, tout m’a paru normal là-bas. Tu es peut-être un peu trop stressé par les cours de divination du professeur Tanando, j’ai remarqué qu’il n’aime pas beaucoup ton petit côté arrogant de héros de la nation !

    Ce fut Lilou qui vint au secours de son amoureux.

    — Jeff, nous t’avons déjà expliqué le lien unique qui unissait Matthew et Sebastian, ce lien existe peut-être encore et si Matt ressent le mal qui rôde autour de ton peuple, c’est qu’il y a danger. Veux-tu bien prendre cela au sérieux pour une fois !

    — OK princesse, admettons, mais avoue que depuis que ton Matt a chassé les ténèbres, le monde est bien tranquille, non ?

    — Ce n’est pas parce qu’il ne se manifeste pas que le mal n’est pas présent. Et arrête de m’appeler princesse, tu veux bien !

    — OK, princesse.

    Matthew aurait volontiers pris part à leurs chamailleries, mais il n’avait pas l’esprit à cela pour l’instant, il poursuivit sur un ton grave :

    — Je vous assure que je n’exagère rien, il se passe quelque chose d’étrange chez les Helvetis et Séverin n’y est pas étranger.

    Lilou réagit immédiatement à cette remarque.

    — Séverin ? Le gentil caporal qui a accompagné Sebastian et l’elfe Silas Toffen lors de la traque au pays des loups-garous ? Celui qui est considéré comme un des héros de la résistance contre le mal ? Qu’a-t-il à voir là-dedans ?

    — Je ne sais pas chérie, je ne contrôle pas toujours ce que je ressens.

    Lilou ne posa plus aucune question. Matthew l’avait appelée chérie !

    Jefferson s’insurgea à son tour :

    — Séverin ? N’importe quoi. Il est dévoué corps et âme à Sebastian et à mon peuple. Il est le premier pourfendeur du mal et tellement fier de ses origines, c’est d’ailleurs lui qui m’a offert le grand grimoire des Helvetis qui est dans ma chambre. Severin, – répéta-t-il – non, là tu déconnes mon vieux, va faire réparer ta boîte à divination !

    Lilou fit mine de s’énerver après Jefferson pour défendre son amoureux, mais elle eut du mal à être convaincante cette fois-ci. Severin était tellement serviable, Matthew devait faire erreur.

    Lorsqu’ils rentrèrent au château, la nuit était totalement tombée. Chacun rejoignit sa chambre de son côté. À partir du dix-septième anniversaire, les oracles quittaient les dortoirs communs du début pour intégrer leur propre chambre.

    Chapitre 2.1 : La discussion secrète

    Le lendemain, Matthew entra dans la grande bibliothèque des étudiants de Bellissaure. Une sacoche de cuir beige pendue à l’épaule, il y venait pour chercher des informations sur les divinations et les songes. Le professeur Tanando leur avait demandé de provoquer une divination pour le lendemain. Les élèves avaient pour tâche de prédire un évènement précis qui devait absolument avoir lieu la semaine qui suivait le cours. Matthew voulait vraiment réussir, il aimait par-dessus tout cette magie et contrairement à ce que pensait Jefferson, il était probablement l’élève le plus assidu de Tanando. Il se dirigeait vers la rangée des ouvrages qui traitaient des prémonitions, lorsqu’il remarqua Gabriel au fond de la salle,

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