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Apophian - La prophétie des éléments III
Apophian - La prophétie des éléments III
Apophian - La prophétie des éléments III
Livre électronique541 pages8 heures

Apophian - La prophétie des éléments III

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À propos de ce livre électronique

Suite aux révélations faites par la Sorcière Trisha, Éthan se retrouve perdu et assailli de doutes. Lui qui a tant cherché à connaître ses origines et la vérité concernant ses parents, regrette à présent d’avoir entamé cette quête. Ses amis arriveront-ils à l’aider à s’accepter ? Malheureusement le temps presse, car les scellés qui retiennent le Démon vont bientôt céder. Les Gardiens devront alors être réunis pour vaincre Apophian et sauver les Deux Terres ou périr en condamnant tous les peuples. Mais reste une énigme épineuse : qui est le faux Gardien. Éthan doit rapidement retrouver Irina pour qu’elle lui indique où se trouve la stèle des dieux. Selon Trisha, cet artefact peut assister le jeune Ythérien à découvrir sa source, et, par la même occasion, à identifier l’imposteur. Pendant ce temps, à l’autre bout des Terres d’Antyras, Irina et les survivants d’Antalia ont trouvé refuge à Karagandha, la cité des Rockshriim. Mais l’entente avec le roi Rodrack ne s’avère pas évidente, tout oppose les deux dirigeants. À qui appartient cette voix qui torture sans cesse le pauvre Malak, anéanti par la mort de sa bien-aimée, en lui susurrant des mots utopiques et en lui promettant de ramener à la vie la douce Prisca. L’heure approche et, dans chaque camp, les forces se regroupent en vue de l’affrontement final, dont le dénouement n’est nullement écrit dans … La prophétie des éléments.
LangueFrançais
Date de sortie14 août 2015
ISBN9782312034416
Apophian - La prophétie des éléments III

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    Aperçu du livre

    Apophian - La prophétie des éléments III - James Tollum

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    Apophian

    La prophétie des éléments III

    James Tollum

    Apophian

    La prophétie des éléments III

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    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    Merci à tous les fidèles lecteurs,

    Calliope, merci pour ton souffle.

    Autour de la lumière, leur magie réunie,

    Permettra de renvoyer Apophian dans son nid.

    Mais l’absence d’un seul puissant,

    Engendrera ruine et sang.

    Seul tous unis dans la source lumière,

    Liant les éléments par la magie lierre,

    Ils auront alors l’opportunité,

    D’appliquer sur la porte, les scellés.

    Dernière strophe de « La prophétie des éléments. »

    ** Roman également disponible en version numérique **

    © Les Éditions du Net, 2015

    ISBN : 978-2-312-03441-6

    Remerciements

    Un grand merci à tous ceux qui m’ont encouragé, soutenu et fait part de leurs critiques constructives durant l’écriture de cette trilogie.

    Une pensée particulière pour les blogueurs et chroniqueurs : Yannick, Sabine, Jessica, Cocomilady, David, Taylor, Lady Faé, Aurore, Rebecca, Aurélie, Marie-Gaëlle, Cyrallen,…

    Merci aussi à Fred, qui a lu la trilogie, chapitre après chapitre pendant plus de deux ans et n’a jamais cessé de m’encourager.

    Merci à Bénédicte et Dominique pour leur lecture minutieuse et leur perfectionnisme.

    Enfin, merci à tous ceux qui prendront plaisir à découvrir ce troisième opus.

    Bon voyage sur les Deux Terres, et méfiez-vous d’Arkan !

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    Prologue

    Les Terres d’Avalyn – 1er jour de la Lune morte de l’An 1459 (An 9999 Post Eckmul).

    Il touchait quasiment au but. Encore quelques toises et il atteindrait sa destination. Le chemin n’avait pas été aisé, mais s’il réussissait, le Démon allait le récompenser au-delà de toute espérance.

    L’homme avait rejoint les rangs des Sorciers depuis vingt et un ans et il n’était pas sorti du lot. On le traitait comme un simple subalterne, alors que certains de ses frères avaient depuis longtemps obtenu des postes qui leur assuraient gloires et honneurs. Nombres d’entre eux le qualifiaient en outre de lâche, et tout particulièrement Arkan. Le terrible Arkan, seul responsable de son malheur.

    Du temps où il était Mage à Endraïle, l’homme œuvrait comme Psyché. Il était jeune, plutôt intelligent et ses visions sans être exceptionnelles étaient de bonnes qualités, mais nul n’avait su reconnaître son talent et c’était l’une des raisons pour lesquelles il avait cédé si facilement aux menaces et tortures faites par Arkan.

    Il se souvenait parfaitement de sa première rencontre avec le Sorcier à l’armure noire. Il faisait partie d’une expédition de cinq Mages se rendant sur le Mont Icar afin de consulter les documents en possession du peuple Acaran. Les Hauts Sages espéraient trouver de plus amples informations sur cette étrange arche, mais personne n’avait envisagé les mésaventures qui furent les leurs.

    Tout s’était déroulé si vite. Un groupe de six Sorciers les avait assaillis et, tandis que les quatre Mages guerriers s’étaient battus avec hargne pour sauver leur vie, il s’était recroquevillé au sol, incapable du moindre mouvement. Il avait à peine dix-neuf ans et ne brillait pas pour son art du combat.

    Malheureusement, ses alliés avaient rapidement été maîtrisés. Arkan, tel un fauve, s’était positionné face à lui tandis que les larmes inondaient ses joues. Le Sorcier l’avait alors regardé comme s’il était la plus méprisable des créatures, dont l’existence insignifiante ne faisait qu’enlaidir ce monde.

    Prompt à la réflexion et tenant à la vie, le Psyché s’était jeté au pied du Sorcier pour implorer sa clémence. Arkan avait ri de lui et de sa lâcheté. Il l’avait roué de coups, insulté, brûlé sous les rires goguenards de ses comparses.

    Entre deux châtiments, l’homme avait réussi à hurler qu’il possédait de nombreux secrets du Palais des Mages et qu’il souhaitait devenir un Sorcier. Les sévices s’étaient alors arrêtés et il avait pu reprendre sa respiration.

    Arkan s’était accroupi et lui avait promis gloire, richesse et honneur. Mais avant cela il devait faire ses preuves : éliminer les quatre Mages qui gisaient au sol, entravés par des liens magiques. Le Psyché s’était redressé en tenant ses côtes meurtries et avait pris la lame tendue par l’un des Sorciers. Lentement, il s’était dirigé vers ses compagnons en sang et n’avait pas eu le courage de les regarder dans les yeux. Sous les injures, il leur avait tranché la gorge. Les mains tremblantes, il s’était effondré en pleurs devant le carnage réalisé.

    Par la suite, il avait suivi Arkan et ses complices et avait prêté allégeance au Démon. Durant des semaines il avait révélé des informations sur le Haut Conseil, l’histoire d’Endraïle et la ceinture d’Adriëndir sur laquelle il avait accompli de multiples recherches pour sa connaissance personnelle.

    Mais aujourd’hui la réalité était tout autre. Il n’était pas un guerrier et les Sorciers ne se fiaient pas à lui. Sa réputation de couard lui collait à la peau depuis deux décennies. En outre, comme tous les Psychés, il ne commandait pas ses visions. Elles arrivaient d’elles-mêmes.

    Cela s’était de nouveau déroulé, deux semaines auparavant alors qu’il était seul dans sa chambre à se morfondre sur son sort. Un flash aveuglant s’était imposé à lui. Et tandis qu’il était tombé à genoux sur le sol de pierre, il avait discerné une grotte d’où s’échappait une douce voix. En l’espace de quelques minutes, il avait ouï des révélations qui pouvaient changer le cours de la guerre et donner une fois pour toutes la victoire au Démon. C’était l’instant qu’il attendait depuis plus de vingt ans.

    Il s’était d’abord précipité à l’extérieur pour rejoindre le bâtiment où logeait Arkan, mais s’était vite ravisé en arrivant aux portes de celui-ci. Le Sorcier à l’armure noir le méprisait depuis leur première rencontre. Sans aucun doute, Arkan tirerait seul les bénéfices des informations qu’il venait de découvrir. Aussi, avait-il décidé d’agir en solo. Il avait toutes les indications en sa possession.

    Pas moins de deux semaines lui avaient été nécessaires pour retrouver la grotte de sa vision. Et à présent il se trouvait devant sa bouche sombre. Il inspecta les alentours ; il n’y avait pas âme qui vive. Silencieusement, une épée au clair, il pénétra dans l’obscurité humide de la caverne. De sa main libre il se guidait à la paroi rêche et avançait précautionneusement. Il se devait d’être prudent.

    Cela faisait plus de vingt minutes qu’il cheminait et aucun son ne lui parvenait. Il s’arrêta quelques secondes pour tendre l’oreille et se demanda s’il ne s’était pas fourvoyé. Une fois de plus il allait être la risée des autres Sorciers. Certains l’avaient vu quitter précipitamment Osthéria et nul doute qu’il aurait droit à un interrogatoire à son retour. Mu par la colère il reprit son avancée.

    Finalement, au bout de dix minutes, une lumière diaphane commença à écarter la pénombre. Il l’avait trouvé. Il resserra la poigne sur son épée et continua sa route.

    Une douce mélodie accompagnait à présent la lueur et soudain une voix retentit. La voix de sa vision.

    « Haine, colère. Je ressens sa puissance grandissante. Le mal suinte sur le monde, les scellés sont prêts à lâcher. Les Gardiens doivent être réunis ou les Deux Terres périront. Ils ont échoué à le bannir lors de leur première rencontre. C’est leur dernière chance. Où sont mes quatre enfants ? Que leur est-il arrivé durant mon sommeil ? Je ne sens plus leur présence. »

    L’homme avança dans la lumière et fit face à celle qu’il venait détruire. Sans elle, les Gardiens ne pourraient ostraciser le Démon.

    « Pauvre Sorcier, tu n’as aucune chance de me vaincre fit la voix sans la moindre once de colère. Je lis en toi comme dans un livre ouvert et encore une fois tu as pris la mauvaise décision. Tu n’es rien et tu mourras en emportant mon secret. »

    Vexé, l’ancien Psyché poussa un hurlement et se précipita vers son ennemi en levant bien haut sa lame. Un éclair de lumière aveuglante jaillit et rayonna sur les parois de la grotte. L’homme tomba à la renverse, l’essence de vie soufflée telle une flamme de bougie.

    Chapitre 1

    Les Terres d’Antyras – 15e jour de la Lune morte de l’An 1459 (An 9999 Post Eckmul).

    Irina se présenta devant les deux grandes portes du palais de Sugilite avec la ferme intention d’aborder une nouvelle fois le sujet auprès de Rodrack, ce vieil entêté qui se proclamait roi. Au moment où elle allait passer sous le porche, dont les portes grandes ouvertes accueillaient sans discontinuité les visiteurs, les gardes en faction s’interposèrent immédiatement en lui barrant le chemin de leur lance. La vieille femme respira un grand coup afin de ne pas laisser libre court à son ire.

    Les deux guerriers, l’un brun, l’autre roux, la foudroyèrent du regard, en affichant tout de même un petit sourire espiègle qui démontrait qu’ils attendaient avec impatience cet instant.

    « Je suis venu voir Rodrack, votre roi. J’ai des affaires à régler avec lui de toute urgence. Veuillez me laisser passer.

    — D’solé la donzelle, on a des ordres. Le Roi est occupé et ne peut te r’cevoir.

    — Savez-vous qui je suis ?

    — Yep, répondit le nain.

    — Donc vous imaginez bien que votre roi ne sera pas heureux d’apprendre que vous m’avez interdit l’accès du palais.

    — Au contraire. Il a expr'ssément d’mandé qu’on te barre le chemin. Comment a-t-il dit ? » Demanda le Rockshriim roux en se tournant vers son compagnon.

    Le guerrier brun fit style de fouiller sa mémoire et s’exclama soudain.

    « Le pr’mier qui laisse rentrer l’autre vieille donzelle, je le fais raser de la tête aux pieds. Marre de ces éternelles jérémiades ! Répondit-il en imitant finalement plutôt bien, le ton du vieux nain.

    — Hargggg ! Mais qu’ai-je fait au créateur pour me retrouver face à un tel… s’énerva Irina en se retenant d’insulter le roi qui donnait asile à son peuple. Et par pitié ayez un minimum de révérence et arrêtez de me tutoyer », rajouta-t-elle aux deux gardes.

    Sans attendre la moindre réponse des Rockshriim{1} hilares, Irina rebroussa chemin. Elle devait retrouver Kilric, le Mage Psyché envoyé par Allarus pour la soutenir lors du siège d’Antalia. Lui seul pourrait plaider sa cause et celle de ses compatriotes.

    La capitale des Terres d’Antyras était tombée et moins de trois mille âmes avaient pu fuir la ville avant l’attaque finale. Aujourd’hui les survivants avaient été recueillis par les Rockshriim, au sein de leur ville souterraine et tentaient de s’acclimater comme ils le pouvaient.

    Karagandha était identique aux souvenirs qu’Irina avait gardés de son premier passage. Cette cité était à l’image de ses occupants, d’apparence négligée, sale et anarchique dans sa conception ; elle restait toutefois un véritable joyau. À condition de bien gratter la couche d’immondice. Les matériaux utilisés étaient nobles. Du marbre, des cristaux, des pierres polies et des minerais aux couleurs multiples. On ne pouvait nier le fait que les Rockshriim étaient de véritables bâtisseurs, maîtres en ingénierie.

    Rien que le Palais de Sugilite du Roi Rodrack valait le détour. Mais en ce qui concernait l’entretien il y avait largement de quoi occuper une armée. Les rues étaient crasseuses, les jardins abandonnés et les maisons puaient la graisse rance. On était bien loin du confort auquel était habituée la Mère Suprême. Mais le plus étrange à ses yeux était de ne jamais apercevoir le ciel, même lorsqu’elle était à l’extérieur.

    De fait, toute la ville se trouvait dans une immense grotte, sous les Mines de Trham. L’unique éclairage provenait de la réflexion des rayons de lumière qui s’insinuaient à travers les fentes de la roche, par les cristaux tapissant la voûte de la caverne. Cela donnait une lumière naturelle à la ville, avec une alternance de jours et de nuits mais sans jamais laisser apparaître la voûte céleste.

    Folle de rage de s’être fait éconduire, elle se dirigea vers le terrain d’entraînement. Elle savait que les Mages rescapés d’Antalia s’y exerçaient méticuleusement chaque matin avec des guerriers Rockshriim. Outre le fait de se maintenir en forme, ce défoulement leur évitait de penser à leurs compagnons tombés durant le siège de la capitale.

    Irina, pour sa part, ne cessait de penser à ceux qui avaient choisi de rester retranchés derrière les fragiles murs. Les Mères, les Novices, les Bar-Shan, les habitants de la ville. Qu’étaient-ils devenus ? Pourquoi ne l’avaient-ils pas suivie ? Elle aurait dû mieux se battre et les convaincre de la suivre. Aujourd’hui, elle n’imputait pas cet échec à la bêtise de Kirsha ou à l’ambition d’Ophanell mais à sa propre incompétence. Elle était la Mère Suprême et c’était son rôle de guider le peuple des terres d’Antyras. Elle avait échoué.

    Perdue dans ses sombres réminiscences, elle déboucha aux abords du terrain d’entraînement sans même s’en rendre compte et s’y arrêta net. Elle balaya du regard la large esplanade de terre et contempla les guerriers à l’œuvre. Cartof, le Mage Métamorphe s’était finalement bien remis de ses blessures grâce aux soins de Séraphine, la Thaumaturge.

    Le Mage s’était changé en harang, comme à l’accoutumée et tenait tête à cinq guerriers Rockshriim. À quelques toises d’eux, Naïl, Vilis et Heim, les trois Mages Elémentalistes survivants, employaient leurs pouvoirs pour contrer une escouade de nains armés de boucliers et de haches. Enfin, Kilric et Séraphine maniaient chacun une lourde épée et affrontaient trois guerriers trapus et caparaçonnés derrière d’épaisses armures.

    Au détour d’une passe d’arme, Kilric s’avisa de la présence de la vieille femme. Il fit signe à ses camarades de jeu pour solliciter une pause et se dirigea vers Irina au pas de course.

    « Bonjour Mère Suprême. Comment vous sentez-vous ce matin ?

    — Cela pourrait mieux aller. J’ai besoin de votre assistance.

    — Dites-moi », répondit le jeune Mage.

    Depuis leur fuite d’Antalia, le Psyché avait eu plusieurs contacts avec le Haut Conseil des Sages et ces derniers avaient confirmé sa mission : apporter assistance à la Mère Suprême et ce jusqu’à ce qu’elle décide d’y mettre fin. C’était la promesse à laquelle s’était engagé Allarus et il comptait bien s’y tenir.

    « Le roi Rodrack refuse de me recevoir. Or j’ai des sujets urgents à discuter avec lui. Pouvez-vous … plaider en ma faveur ?

    — Bien sûr ! Laissez-moi juste le temps de me laver et de me changer et j’irai requérir une audience. Rejoignez-moi devant les portes du palais d’ici une heure.

    — Merci Kilric.

    — Attendez qu’il vous reçoive avant de me remercier » répondit le Psyché en s’éloignant.

    Irina aimait bien ce jeune homme, malgré le fait qu’il soit Mage, bien entendu.

    À l’heure dite, la Mère Suprême se retrouva à son point de départ. Face à elle se tenaient toujours les deux guerriers Rockshriim qui lui avaient interdit le passage plus tôt dans la matinée. Ils ne cessaient de la regarder en chuchotant dans leurs barbes broussailleuses. Soudain, l’un d’eux explosa de rire et se laissa tomber au sol, tel un gamin. Leur attitude était déplorable, pensa Irina en contemplant le spectacle.

    Confrontée à une telle bêtise elle trouvait le temps extrêmement long et improductif alors qu’il y avait encore tant de sujets à régler, de choses à mettre en place.

    Cela faisait un peu plus de quatre mois que les rescapés d’Antalia avaient finalement rejoint la cité des nains et rien n’était encore résolu. Que ce soit les logements, la nourriture ou tout simplement leur prise en charge et leur occupation. De nombreux conflits ne cessaient d’apparaître entre les deux peuples et ce nain qui se préjugeait roi ne proposait aucune solution et rejetait toutes celles émises par la Mère Suprême.

    Irina ne savait plus comment réagir. Seuls les Mages avaient eu la chance d’être logés dans le palais. Les Antaliens et elle-même vivaient toujours sous les tentes utilisées durant leur fuite, à l’extrémité Est de la ville.

    Au bord de l’apoplexie devant un tel manque de respect de la part des gardes du roi, elle faillit sortir de ses gonds lorsqu’elle vit finalement apparaître le jeune Mage. Il discuta quelques secondes avec les Rockshriim et se dirigea enfin vers elle.

    « Irina, j’ai réussi à persuader le roi de vous recevoir, mais cela n’a pas été aisé. Aussi je vous demande d’être brève et de ne surtout pas vous énerver. Vous savez qu’il n’est pas patient et qu’il ne vous porte pas dans son cœur.

    — Et croyez-moi, c’est réciproque.

    — N’oubliez pas qu’il a recueilli les Antaliens survivants, ne soyez pas trop sévère.

    — Oui, vous avez sans doute raison, même si j’augure que son geste était contraint par la promesse de son fils. Sans la chevalière de Rambi, jamais il ne nous aurait permis de rentrer dans Karagandha, ajouta Irina.

    — Peut-être veut-il justement vous laisser croire ce fait, afin de ne pas perdre la face. Comme tous les Rockshriim je suis sûr qu’un cœur généreux se cache sous cette façade bourrue.

    — Êtes-vous certain que ce personnage ait un cœur ? » demanda la vieille femme en emboîtant le pas du Mage.

    Ils traversèrent silencieusement les couloirs et se dirigèrent, sans grande surprise pour Irina, vers la salle du trône qui faisait également office de lieu de banquet. Depuis son arrivée, pas une seule fois elle n’avait vu le roi en dehors de cette pièce, à croire qu’il y passait sa vie. Lorsque le Mage et la Mère Suprême arrivèrent dans l’enceinte, le phénoménal brouhaha qui y résonnait les figea brutalement sur le porche.

    Malgré ces fréquentes visites, Irina ne parvenait pas à s’habituer à une telle cacophonie et anarchie. Certains Rockshriim chantaient, d’autres frappaient de leurs gobelets la lourde table de bois, tandis que leurs congénères se goinfraient en inondant leur barbe de graisses et de boissons alcoolisées. Les murs concaves et peints de gigantesques fresques où l’on pouvait admirer des Rockshriim s’affairer dans les mines et les forges répercutaient à l’infini le vacarme.

    Au bout de la table trônait sur un magnifique siège de pierre un vieux nain, dont le regard ne pouvait que laisser deviner l’expérience d’un grand âge. Il avait le cheveu neigeux et la barbe rousse, quoique parcourue de filaments gris. Son ventre proéminent dévoilait son goût pour la bonne chère et la bière que les Rockshriim avalaient à longueur de journée.

    Irina s’avança dans la pièce, immédiatement suivie de Kilric. Rodrack qui l’avait aperçue sur le pas-de-porte, ne la quitta pas des yeux. Cette femme représentait tout ce qu’il détestait et pourtant il ne pouvait nier ni sa détermination farouche à sauver son peuple, ni l’évolution drastique qu’il avait aperçue en elle depuis sa première visite, presque deux ans auparavant. La Mère Suprême contourna la table et se positionna au côté du roi, afin de pouvoir discuter.

    « ROI RODRACK, hurla Irina pour que sa voix puisse passer au-dessus des chants et des bruits métalliques. JE SOUH.. »

    Le vieux roi leva la main et un silence de mort s’installa immédiatement dans la salle. Ce calme soudain était finalement bien plus effrayant que le charivari habituel, pensa la Mère Suprême en s’arrêtant net au milieu de sa phrase.

    « D’abord ! Faut que tu saches que c’est par r’spect pour le Mage que j’accepte de te rec’voir. Alors va droit au but. »

    Irina ne se laissa pas impressionner par le vieux roi. Elle était au pouvoir depuis bien trop longtemps pour trembler devant lui. Elle décida cependant de changer sa tactique. Elle avait prévu un long discours avec de nombreuses justifications et argumentations mais comprit que cela ne la mènerait nulle part. Aussi décida-t-elle de suivre le conseil du Mage et du Rockshriim et de faire concis.

    « Roi Rodrack, nous devons trouver une solution pour que nos deux peuples cohabitent provisoirement. Ce matin, des Rockshriim ont attaqué un groupe d’Antalien et les ont roués de coups.

    — Suis au courant. Les tiens sont allés piller le potager d’une veuve. Honte à ces lâches !

    — Ils ont faim, ils ont peur et ils s’ennuient. Leur condition de vie les pousse à faire des bêtises et ils seront sévèrement punis pour cela.

    — C’est fait. Donc l’histoire est réglée.

    — NON ! Êtes-vous des barbares ? N’avez-vous pas de lois, pour utiliser le lynchage comme punition ?

    — Attention à tes paroles fem’lle et souviens-toi à qui tu causes ! »

    Kilric, qui se tenait juste derrière la vieille femme lui empoigna délicatement le bras et lui souffla discrètement deux mots.

    « Diplomatie ! Diplomatie ! »

    Irina, rouge de colère se força à prendre de grandes respirations. Puis, retrouvant son calme elle annonça :

    « Roi Rodrack, je comprends parfaitement votre position. Vous avez accepté d’héberger et de protéger ceux qui vous ont toujours haïs, et il faudra plus que quelques mois pour que nos deux peuples s’entendent. Mais c’est de notre responsabilité de les guider vers cette voie. Ce que je vous demande aujourd’hui c’est de laisser une chance, aux hommes et aux femmes qui m’accompagnent, de faire leurs preuves. Donnez-leur du travail et des logements décents afin qu’ils puissent s’intégrer et participer à la vie des Rockshriim. Laissez leur gagner leur pitance au lieu de leur faire l’aumône. Rendez-leur un peu de dignité et cela diminuera les tensions existantes. »

    — Je vais y réfléchir et … les responsables du lynchage s’ront punis. Je tol’rerai aucun irr’spect envers nos lois, dans ma cité.

    — Les voleurs seront également traduits en justice, répondit Irina.

    — À présent laisse-nous la donz’lle. »

    La Mère Suprême se retint de répliquer face à ce énième manque de respect et, la tête haute, fit demi-tour. Elle n’était pas sûre d’avoir remporté la bataille mais elle avait marqué des points. Le roi ne devait pas conserver éternellement ses œillères. La situation ne pouvait qu’aller en empirant s’ils ne trouvaient pas un compromis.

    Une semaine plus tard, alors qu’Irina présidait à une réunion de son Conclave restreint, un étrange silence se fit entendre à l’extérieur de la tente. L’un de ses nouveaux gardes fit alors irruption en soulevant le rabat de toile.

    C’était un jeune homme volontaire qui avait su se faire remarquer par Irina, dès leur arrivée à Karagandha. Il avait immédiatement demandé audience à la Mère Suprême afin qu’elle se constitue une nouvelle garde rapprochée. Il craignait que l’un de ces nains, imbibé d’alcool, ne s’en prenne à elle. Irina avait suivi sa recommandation et avait convoqué tous les volontaires afin de les juger et de les questionner. Finalement, elle avait retenu cinquante hommes dont l’âge, la condition physique et la motivation lui semblaient adéquats.

    « Mère Suprême, veuillez me pardonner de cette intrusion, une délégation Rockshriim attend dehors.

    — Le roi Rodrack est-il parmi elle ? demanda la vieille femme.

    — Non Mère Suprême.

    — Non, bien sûr. Il ne se déplacerait pas pour me faire l’honneur de me donner sa réponse. Voyons ce qui nous attend. Faites les entrer Wilfric.

    — Oui Mère Suprême », fit le jeune homme en ressortant la tête.

    Irina et les quatre Mères du Conclave patientèrent quelques minutes. Dehors des voix résonnaient. Le ton semblait monter et Irina perçut distinctement le bruit de lames que l’on retirait de leur fourreau. Aussi rapidement que son âge le lui permit, elle quitta son siège et se précipita hors de la tente.

    Dehors, la situation semblait critique et au bord de l’explosion. Cinq Rockshriim fermement accrochés à leur hache faisaient face à dix des gardes d’Irina dont l’épée était au clair.

    « Assez ! hurla Irina. Que signifie ce remue-ménage ?

    — Mère Suprême, ils refusent de nous remettre leurs armes », répondit Wilfric.

    Irina leva les yeux au ciel. Elle aurait dû anticiper ce problème. À Antalia, nul ne pouvait se présenter armé devant elle. La seule exception avait résidé en ses compagnons de route, Mira, Malak, Rambi et Éthan, lors de leur arrivée au Grand Temple.

    Aussi bien la réaction des gardes que celle des Rockshriim étaient prévisibles. Ces derniers préféreraient se promener entièrement nus que de remettre leur hache. Elle avait côtoyé Rambi assez longtemps pour avoir au moins appris cela de son peuple.

    « Wilfric, en respect avec leurs traditions, ils ne peuvent se délester de leur arme. S’ils avaient voulu me tuer cela se serait produit lors de mes visites au Palais de Sugilite. Laissez-les garder leur hache et rengainez-moi vos lames.

    — Êtes-vous certaine, Mère Suprême, ils n’ont pas l’air chaleureux et amicaux.

    — Ça ! C’est leur tête de tous les jours. Et encore, là ils sourient », répondit Irina en fixant les nains.

    Le guerrier Rockshriim qui se trouvait le plus en avant fit un pas vers la Mère Suprême et la fixa de ses petits yeux sombres. C’était un gros nain roux, comme quasiment tous ses semblables, affublé d’une énorme barbe terminée par différentes petites tresses. Brisant le silence pesant qui régnait entre les tentes, il éclata d’un rire franc.

    « Tu manques pas de répartie la donz’lle. Je crois bien qu’un jour je pourrais, peut-être, finir par t’apprécier, lui répondit le nain en raccrochant sa hache dans son fourreau dorsal. Bon si on passait aux choses s’rieuses, j’ai pas que ça à faire.

    — Veuillez me suivre », fit Irina en retournant sous la tente.

    Avec les Rockshriim, elle avait finalement décidé d’abandonner toute notion de protocole, c’était épuisant et ne donnait aucun résultat. Des gardes apportèrent des chaises pour les nouveaux venus mais ceux-ci les refusèrent. Elles étaient bien trop hautes pour eux et ils s’y seraient sentis ridicules.

    « Que me vaut la venue de cette délégation ?

    — Je suis Gork, le cousin par alliance de la nièce de la sœur du s’cond époux de la cousine de notre roi et il m’envoie te faire une proposition. »

    Enfin, pensa Irina, qui ne chercha même pas à comprendre le lien de parenté de l’émissaire. Elle désespérait d’avoir une réaction du vieux Rodrack. Une semaine s’était écoulée depuis leur discussion dans la salle du banquet et depuis elle n’avait eu aucun retour.

    « Je vous écoute Gork.

    — Rodrack dans sa grande gén’rosité a entendu tes paroles. Il existe un large t’rrain vierge à la sortie des quartiers Est de la ville. Ce lieu peut d’venir tien, à condition que tes hommes y bâtissent des habitations resp’ctant nos coutumes. Ils pourront travailler à la mine et dans les carrières pour y extraire la matière pr’mière. Nos architectes les guideront. Ainsi ils seront occupés et bâtiront des demeures pour leurs familles. Peut-être ressortira-t-il quelque chose de bén’fique de cet échange. Les femmes pourront aider sur les chantiers, chez les tisserandes ou dans les champignonnières. Nous continuerons tout d’même à vous fournir d’la nourriture pour le moment. Voilà la proposition de Rodrack. »

    Ce n’était pas une situation pérenne à la longue, car une fois les maisons bâties une bonne partie des hommes se retrouveraient sans activité, mais cela avait le mérite d’être un compromis acceptable.

    « Gork, j’accepte la proposition. Remerciez le roi Rodrack pour sa … générosité. Quand mon peuple pourra-t-il commencer ?

    — D’main. Des Rockshriim, qui se sont tous portés volontaires, viendront dans votre camp pour instruire les vôtres sur nos m’thodes de construction, de cultures, et de tissage. Ces volontaires sont égal’ment prêts à apprendre des humains, dans le cas où vous ayez quelque chose d’int’réssant à partager ! »

    Irina ne préféra pas relever la dernière remarque et se mordit la lèvre de frustration. Cette diplomatie allait lui engendrer de nombreux ulcères et fournir énormément de travail à Maître Dallian. Ironiquement elle se demanda s’il elle n’aurait pas mieux fait de rester à Antalia et de périr sous la lame du Sorcier à l’armure noire. Au moins cela aurait été bien plus rapide.

    « Et si on trinquait à présent !

    — Pardon, demanda Irina surprise dans ses pensées.

    — Pour qu’un accord soit r’connu, les deux parties doivent trinquer ensemble, sinon tous ces d’bats n’ont aucune valeur.

    — Nous n’avons pas d’alcool.

    — Pas d’alcool ?!!

    — Non ! Rodrack fournit le strict nécessaire en fruit, légume, viande et céréales et de l’eau en abondance. Mais rien de plus.

    — Pas de bière ? Ni d’eau de feu ? Ou de l’infusion de gentiane v’rte ? Vous avez bien de l’alcool de patate au moins ou du jus de cambrium ?

    — Non ! Du moins, pas à ma connaissance.

    — Alors du vin ? Ou au pire du jus de champignon f’rmenté ?

    — Non, rien de tout cela.

    — Pauvres humains. Je comprends à pr’sent pourquoi les vôtres sont si tristes. Rodrack aurait dû penser à c’la. Il vous fournit de la nourriture mais oublie l’essentiel. P’rsonne ne peut vivre sans alcool. C’est une honte pour un Rockshriim. Quels que soient nos diff’rends, nous vous avons recueillis et avons donc des d’voirs envers vous. »

    Décidément le fossé qui existait entre leurs deux cultures était immense, pensa Irina. En contemplant la mine déconfite et rouge de honte de l’émissaire Rockshriim, la Mère Suprême explosa d’un rire franc, qui la surprit elle-même. Il y avait des lustres, voir des décennies que cela ne lui était pas arrivé.

    Finalement, au bout de deux minutes où chaque personne présente sous la tente ne la quitta pas des yeux, surpris pour les uns, effrayés pour les autres, Irina se calma et reprit son souffle. De petites larmes perlaient aux commissures de ses paupières.

    « Wilfric !

    — Oui Mère Suprême, répondit le garde en passant de nouveau la tête par le rabat.

    — Faites le tour du campement et trouvez-moi impérativement de l’alcool. Je ne peux croire qu’aucun des Antaliens n’en ait fabriqué à partir des quelques denrées fournies par cet … par notre hôte, se reprit-elle au dernier moment.

    — À vos ordres, Mère Suprême. »

    À plus de mille lieues de là, un Mage se dirigea vers le cabinet de travail qui lui avait été attribué pour ses recherches. Une nouvelle fois, il n’avait réussi à voler que quelques heures de sommeil. Les cauchemars redondants qui hantaient ses nuits ne lui laissaient aucun moment de répit.

    « Libère-toi du mal qui te ronge, efface cette souffrance qui désagrège ton cœur et laisse-moi te venir en aide. Je suis le seul qui puisse réaliser ce miracle.»

    Feignant de ne rien entendre, l’homme continua son chemin à travers les larges corridors du bâtiment.

    Chapitre 2

    Minuit était passé depuis bien longtemps lorsque la femme pénétra dans l’auberge et s’engouffra à travers l’air vicié par les relents d’alcool, de tabac et d’urine. Elle était vêtue d’un pantalon de toile noir, d’une tunique blanche à lacet et d’un pourpoint marron, qui ne dissimulait en rien ses atouts féminins. Ses longs cheveux cascadaient librement sur ses épaules et donnaient à son doux visage une sensualité sans pareil.

    Une grande partie des clients se retournèrent et chuchotèrent sur son passage. Les visages étaient patibulaires, les regards tantôt lubriques tantôt curieux. Il était rare que l’auberge du Tord-Boyaux reçoive aussi belle créature entre ses murs. La taverne n’avait jamais été fréquentée par l’élite de la ville, mais depuis l’arrivée des Sorciers et la guerre, la clientèle ne s’était pas améliorée.

    La ville portuaire de Balin, l’une des plus importantes de la côte après Antalia, était tombée dès les premiers mois de l’invasion. La plupart des habitants y étaient restés par peur ou par défaitisme et vivaient aujourd’hui sous la coupe des Sorciers et de leurs sbires. On y trouvait également depuis peu, des êtres tout droit sortis des pires cauchemars et venus de cet autre pays, au-delà de la grande mer. Certains avaient des caractéristiques presque humaines, d’autres semblaient provenir tout droit du monde de Caïlin, le frère maudit.

    La majeure partie des habitants travaillaient comme pêcheurs depuis leur plus jeune âge. Mais à présent, ils ne vendaient plus le fruit de leur labeur sur les étals des marchés ou aux négociants ambulants. Leur pêche servait à nourrir l’armée de soudards et de créatures qui occupait le pays.

    Ceux qui ne travaillaient pas en mer, vaquaient aux occupations nécessaires d’une ville de cette ampleur : tonnelier, aubergiste, tanneur, cordonnier, rebouteux, afoireur{2}, amadoueur{3}, apothicaire, … et tant d’autres. Mais l’âge d’or de l’artisanat était révolu, ils devaient payer un lourd impôt pour l’effort de guerre. En outre, les soudards avaient accès à leurs services, souvent à titre gracieux.

    Les femmes, pour les plus chanceuses, s’occupaient de diverses tâches ménagères ou de traiter la récolte des hommes. Toute la journée elles nettoyaient, écaillaient, préparaient et séchaient les poissons et divers autres produits marins afin qu’ils se conservent sur plusieurs mois.

    Les autres, dont la beauté et la jeunesse faisaient leur malédiction, servaient de putains aux barbares. On avait enfermé les plus récalcitrantes dans des maisons closes sous la garde de matrones autoritaires et cruelles qui maniaient le fouet avec délectation. Les plus dociles s’étaient quant à elles directement soumises, soit par nécessité, soit par crainte de représailles sur leur famille.

    Aussi lorsque la femme traversa la salle bondée de l’auberge, les nombreux hommes qui discutaient devant leur verre d’eau-de-vie ou leur chope de bière se demandèrent d’où pouvait sortir une telle beauté. Elle n’avait pas le teint fade et effacé des Balinniènes. Ses yeux bleus pétillaient de malice et ses lèvres pulpeuses étaient une invitation aux baisers. Elle semblait en vie, tout simplement.

    La femme termina sa course et prit sensuellement appui sur le bar crasseux, sans quitter des yeux la foule bigarrée. Un énorme cafard chemina à quelques pouces de ses mains qui se crispèrent de dégoût, mais elle réussit à garder son calme et à ne rien laisser paraître. Discrètement, elle examina les différents clients sans trop s’attarder sur chacun, afin de ne pas attirer plus l’attention sur elle-même. Il lui fallait juste dénicher sa proie.

    Elle sentait glisser sur sa peau les regards lubriques des hommes. Leur perversité s’insinuait dans chaque pore de son épiderme et lui donnait une terrible envie de vomir et de prendre ses jambes à son cou. Mais elle devait terminer sa mission. Elle ne pouvait échouer, de nombreuses vies dépendaient de son succès.

    Parmi les clients, composés essentiellement de barbares, elle découvrit un Sorcier et trois Drows{4}. Des frissons lui parcoururent l’épiderme à la vue de ces êtres à la peau sombre recouverte de tatouages gris. Depuis la chute d’Antalia, le Démon avait envoyé en renfort de nombreux Sorciers subalternes et autres créatures sur les Terres d’Antyras. Elle devait impérativement se méfier de ceux-là.

    Elle se pencha par-dessus le bar et tout en croisant le regard inquiet et surpris de l’aubergiste, elle réclama une chope et une chambre pour la nuit. Le cabaretier{5} tira une épaisse bière brune d’un tonnelet qu’il versa dans un verre à la propreté plus que douteuse et la posa sur le bar, en écrasant au passage un second cafard. Tandis qu’il faisait glisser la boisson vers la nouvelle venue il se pencha, l’air de rien.

    « Vous ne devriez pas rester ici. C’est trop dangereux pour une jeune fille, surtout aussi belle.

    — Merci du conseil tavernier, mais donnez-moi tout de même une chambre, au rez-de-chaussée s’il vous plaît, insista-t-elle la voix pleine de détermination.

    — Comme vous l’voudrez », fit l’aubergiste en s’approchant d’un panneau de bois sur lequel étaient suspendues de lourdes clés de bronze.

    La remarquable créature qui attirait toutes les attentions empoigna sa chope et continua d’inspecter la salle quand soudain son regard se posa sur sa cible. C’était un homme à la stature imposante et au visage buriné par la petite vérole. Une large brûlure sur sa joue gauche lui donnait un air peu avenant. Il portait de longs cheveux bruns, fillasses et gras noués en catogan et, lorsqu’il souriait, on pouvait s’apercevoir que certaines de ses dents étaient manquantes. Résultat très probable d’une bagarre de taverne.

    Elle le surveillait depuis plusieurs jours et le trouvait écœurant et sordide. Elle avait bien failli compromettre sa mission lorsque trois nuits auparavant, elle avait dû intervenir pour sauver une jeune fille qu’il avait immobilisée dans une sombre ruelle.

    Tandis qu’il tentait de la violer, elle avait surgi par-derrière et l’avait matraqué à l’aide d’une planche traînant au sol. La victime en pleurs n’avait pas attendu son reste et avait pris ses jambes à son cou en tenant contre elle ses jupons déchirés. Accroupie face à l’homme assommé, dont le pantalon gisait au niveau des chevilles, elle avait été fortement tentée d’exciser … toute envie de récidive. Mais son assistance lui était nécessaire et elle s’était glissée dans la nuit en abandonnant le soudard au milieu de la ruelle, les fondements à l’air.

    L’homme était attablé avec trois de ses comparses et discutait bruyamment autour de plusieurs pintes vides, mais son regard perçant était fixé sur elle. La jeune femme se força à lui sourire et les yeux de sa proie pétillèrent de convoitise. Il mordait à l’hameçon. Il ne restait plus qu’à le ferrer sans que la ligne ne casse.

    « Eh toi ! s’écria immédiatement le balafré. La belle pouliche ! Tu ne vas pas rester seule dans ton coin. Viens donc nous rejoindre. Tu ne trouveras pas de meilleure compagnie au sein de ce bouge. »

    L’aubergiste agrippa le bras de la femme et lui tendit la clé de sa chambre tandis que dans un dernier espoir de la sauver il lui murmura :

    « Non Mademoiselle ! Fuyez tant que vous le pouvez. Vous ne savez pas de quoi est capable cette ordure.

    — Je ne peux pas.

    — Prétextez le besoin d’aller vous soulager, lui répondit le tavernier en se méprenant sur le sens de sa réplique.

    — Merci brave homme, mais je sais parfaitement ce que je fais, lui répondit-elle en attrapant la clé.

    — Les humains sont parfois pires que ces monstres, dit-il résigné en jetant un coup d’œil vers les Drows.

    — Servez à ces Messieurs ce que vous avez de plus fort », conclut la femme en glissant une pièce d’or sur le bar.

    La chope en main, elle se dirigea vers la table du fond, où l’homme ne l’avait pas quittée des yeux. Sans un regard pour les autres soudards, elle se positionna derrière le balafré et fit glisser sensuellement sa main libre sur son épaule.

    « Que fait donc un individu de votre prestance ici, et seul de surcroît ? »

    L’homme éclata de rire, tout en regardant ses camarades.

    « Seul ! Je crois être en parfaite compagnie et j’ai l’idée que l’on va bien s’amuser ce soir. N’est-ce pas les gars ?

    — Ouais chef ! Répondirent les trois barbares en chœur. »

    La jeune fille ressentie une terrible angoisse lui nouer l’estomac et un filet de sueur lui coula le long du dos. Son plan était fragile et elle devait avancer prudemment, le moindre faux pas pouvait lui être fatal.

    « Prends donc une chaise et installe-toi ici », ajouta l’homme sous les rires goguenards de ses trois acolytes.

    Elle s’exécuta sans lâcher sa proie du regard. Elle se focalisait uniquement sur lui et ignorait volontairement les trois autres. L’aubergiste arriva à cet instant et déposa sur la table plusieurs verres et une bouteille contenant un alcool laiteux dans lequel flottait un énorme ver rouge à l’aspect peu ragoûtant.

    « Du frech ! s’écria l’un des soudards.

    — Cela renforce la vigueur, argumenta la femme en plongeant son regard dans celui de sa cible.

    — Oh, toi tu me plais de plus en plus », énonça le balafré.

    Il posa la main sur la cuisse de la nouvelle venue et la fit remonter lentement en direction de son entrejambe. De sa main libre, elle la lui attrapa et d’une torsion du poignet stoppa son avancée, tout en lui souriant.

    « Chaque chose en son temps mon chou ! Nous avons toute la nuit. »

    L’homme la foudroya du regard mais elle resta stoïque. Il n’avait pas l’habitude de s’entendre dire non, même si dans ce cas, ce n’était que provisoire. Sans quitter la femme du regard, il récupéra sa main et se servit un verre de frech qu’il descendit d’un seul trait. Ses trois compagnons l’imitèrent immédiatement.

    « Alors poupée, quel est ton nom ?

    — Anabelle, beau gosse et toi ?

    — Farnet ! Retiens bien ce nom, chérie, car après cette nuit tu en oublieras tous les autres. »

    Les compagnons de l’homme éclatèrent de rire.

    « Chef, t’es pas seul. Va falloir nous en laisser un morceau de la demoiselle.

    — Une gourmande comme celle-ci peut facilement satisfaire quatre vaillants gaillards », répondit le dénommé Farnet.

    La femme fit comme si elle n’avait rien entendu, mais son sang bouillait dans ses veines. Elle n’était que boule de rage. Doucement, elle caressa le visage de l’homme et remonta jusqu’à son cuir chevelu où elle sentit, non sans fierté, une énorme bosse et une croûte de sang séché, dans laquelle elle enfonça … par mégarde l’un de ses ongles.

    « Doucement, la drôlesse !

    — Oups, qu’est-ce ? demanda-t-elle en feignant le regret.

    — Rien ! Je me suis battu il y a trois nuits contre deux types alors que je roucoulais avec une jeune demoiselle. J’ai pris un coup sur la caboche mais eux ont fini dans un sale état.

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