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La prophétie des éléments: Tome I : Gardiens
La prophétie des éléments: Tome I : Gardiens
La prophétie des éléments: Tome I : Gardiens
Livre électronique555 pages8 heures

La prophétie des éléments: Tome I : Gardiens

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À propos de ce livre électronique

Sur un monde, que se partagent deux continents radicalement opposés et séparés par un immense abyme le combat entre les Mages et les Sorciers va chambouler l’ordre établi depuis dix mille ans.
Sur les Terres d’Antyras - pays matriarcal - la magie n’existe pas. Les humains y vivent docilement sous l’égide du Grand Temple et de ses représentantes omniprésentes : les Mères. Ces dernières, responsables entre autre, de l’éducation du peuple, se gardent bien d’évoquer les Terres d’Avalyn et la Magie. Pour les Antyriens, rien n’existe au-delà de l’abyme.
En revanche, sur les Terres d’Avalyn la vie y est tout autre. Un patchwork de peuples aux mœurs et aux caractéristiques très diverses se partagent les terres : Mages, Sorciers, Elfes, Dragons, Gobelins, Finaï, Acarans, Nâgas… Sur les Terres d’Antyras vit Éthan, seize ans. Il coule des jours heureux, entouré de ses parents au sein d’Ythéria, petit village isolé à la périphérie du monde. Ses principaux soucis résident essentiellement à approcher la jeune et belle Mira et d’arriver chaque matin à l’heure pour La Parole : l’enseignement religieux promulgué par la Mère Armania.
Mais le destin en a décidé autrement, lorsque dix-huit ans plus tôt, une ancienne prophétie, protégé par un puissant sort, resurgit sur les Terres d’Avalyn. Commence alors une course effrénée principalement entre les Mages et les Sorciers afin de retrouver les Gardiens des éléments : seuls êtres capables d’empêcher la fin du monde. Un fabuleux voyage, plein de rebondissement, de joie, de rencontre mais également de souffrance attend Éthan, Mira et leurs compagnons de voyage…
LangueFrançais
Date de sortie27 juil. 2016
ISBN9782411000084
La prophétie des éléments: Tome I : Gardiens

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    Aperçu du livre

    La prophétie des éléments - James Tollum

    cover.jpg

    Gardiens

    Du même auteur aux Éditions LEN

    La prophétie des éléments

    1. Gardiens

    2. La prêtresse lunaire

    3. Apophian

    Djinn – Le royaume d’Obrazim (à paraître)

    Du même auteur en autopublication

    Les tribulations d’un Nâga (nouvelle en numérique)

    James Tollum

    Gardiens

    La prophétie des éléments I

    img1.png

    LEN

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    À Fred. Pour ce que tu m’apportes…

    Calliope, merci pour ton souffle.

    La tranquillité de deux mondes,

    Repose sur ces deux mots :

    Bienveillance envers les amis,

    Tolérance à l’égard des ennemis.

    Proverbe Persan

    ** Roman également disponible en version numérique **

    Nouvelle édition

    © LEN, 2016

    ISBN : 978-2-411-00008-4

    Remerciements

    Un grand merci à tous ceux qui m’ont soutenu et fait part de leurs critiques constructives durant l’écriture de ce livre.

    Fred, pour ta patience et ta compréhension.

    Luc et Valérie pour l’intérêt que vous avez porté à l’histoire d’Éthan et de ses compagnons de route.

    Samuel pour tes encouragements, lorsque je me suis lancé dans cette aventure.

    Enfin, un grand merci à tous ceux qui prendront plaisir à découvrir ce livre et sa suite…

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    Prologue

    Les Terres d’Avalyn – (An 9978 Post Eckmul)

    Le sombre manteau de la nuit avait recouvert le paysage depuis peu lorsqu’Allarus quitta la maison pour s’installer confortablement sur le perron en bois rouge. Cette demeure, située près de la sortie ouest du village, lui avait été attribuée quelques années auparavant par Erani, l’intendante d’Osthéria.

    La jeune bourgade, bâtie depuis deux décennies pour les besoins des recherches faites sur le Mont Aralin, ne manquait de rien. Toute une vie s’y était développée, et presque l’intégralité des corps de métier y était représentée. Les hommes et les femmes venus ici accompagner les Sages avaient rapidement pris possession des lieux, de nouvelles générations commençaient à pointer leur petit nez rose.

    Émergeant de ses pensées, Allarus se leva du fauteuil à bascule et descendit du perron. Il réalisa quelques pas vers le champ de maïs dont les épis gonflés de vie se balançaient mollement sous la brise. Fouillant dans sa besace, il en sortit une petite poignée d’herbe à foin qu’il fourra machinalement dans sa vieille chibouque. Il aimait le plaisir simple de fumer sa pipe, tout en regardant les étoiles et en écoutant le silence de la nuit. Cela le détendait et l’aidait à réfléchir.

    Malheureusement, le bien-être et la sérénité n’étaient pas de mise ce soir-là. Allarus et les quatre autres Sages avaient consacré énormément de temps à travailler sur l’artefact découvert un siècle plus tôt sur le Mont Aralin. Ils réalisaient, dans ce but, de fréquents voyages entre le site d’Osthéria et la ville d’Endraïle, siège de l’oligarchie.

    L’objet de leurs recherches était une magnifique arche de trois toises de haut sur deux de large, dont émanait une exceptionnelle source de magie. Le monument était recouvert de signes antiques, dont la signification avait depuis longtemps été oubliée : nul Sage ne parvenait à les déchiffrer.

    Aussi, avaient-ils épluché les anciens textes de la grande bibliothèque des Mages. Ils espéraient y découvrir l’identité des bâtisseurs, un sens à cet étrange langage ou la fonction d’une telle œuvre architecturale, sans résultat. Ils n’avaient trouvé aucune référence à l’artefact, même dans les plus anciens grimoires. À maintes reprises, ils avaient pressenti qu’ils lisaient des informations capitales, sans pour autant réussir à établir de lien.

    Ne se laissant pas décourager, les Sages avaient soumis l’arche à de nombreux examens pour en percer ses secrets et comprendre l’ancienne magie qui irradiait chaque atome de l’objet. Encore une fois, en vain… L’artefact était resté muet et avait conservé tout son mystère.

    Mais, tout venait de changer. Au moment où le Haut Conseil des Sages, harassé par des années d’examens, avait pris la décision d’abandonner définitivement ses recherches, un incident s’était produit, prémisse d’une horrible découverte...

    Les inscriptions qui recouvraient l’arche s’étaient mises à luire, tel un battement cardiaque. Conjointement à ce premier phénomène, l’Aura surnaturelle qui englobait l’objet avait commencé à décroître, dévoilant alors une autre essence magique, sous-jacente.

    Une sueur froide avait parcouru l’épiderme d’Allarus lorsqu’il avait perçu cette nouvelle essence. Elle était d’une puissance incommensurable et suintait le mal absolu. Jamais il n’avait affronté un tel concentré de haine et de colère, entremêlées d’une sorte de joie sadique. Le pire était que cette Aura poisseuse s’accroissait de jour en jour, comme si son propriétaire se réveillait d’un très long sommeil.

    Ce soir, il pressentait que le monde était aux portes d’un grand bouleversement dont l’homme n’allait peut-être pas pouvoir se relever. Sa décision était prise, il devait faire évacuer Osthéria de toute urgence, ne garder sur le site qu’un petit groupe de Mages afin de surveiller l’arche.

    Alors qu’il longeait tranquillement le champ aux épis dorés, une éblouissante lueur attira son regard au firmament. S’arrêtant net, il contempla l’étrange étoile filante qui traversait le ciel. La couleur de sa traîne semblait luire d’un halo surnaturel, mélange d’une multitude de nuances. Soudain, une mélodie emplit l’air de ses douces notes. Tout en la suivant du regard, il se sentit alors plus léger, comme en transe. Sa pipe tomba au sol sans qu’il s’en rende compte. Son corps et son esprit ne lui appartenaient plus, rien ne pouvait le faire quitter cette vision, dont la lueur hypnotique le captivait.

    Ce corps céleste, à l’inverse des autres étoiles filantes, semblait sillonner le ciel au ralenti. Il brillait d’une lumière disproportionnée. Alors qu’Allarus, statique, contemplait toujours le phénomène, l’astre explosa brusquement en plusieurs morceaux qui se dispersèrent dans un éclair de couleurs. À ce moment-là, Allarus, libéré de son état hypnotique, écarquilla les yeux : un ancien charme venait de se rompre, restaurant dans sa mémoire une information dont le monde allait dépendre.

    « La porte d’Eckmul… la prophétie… les Gardiens… ! »

    Chapitre 1

    Les Terres d’Antyras – 1er jour de la Lune hivernale de l’An 36 d’Irina (An 9996 Post Eckmul).

    Pour la seconde fois en une semaine, Éthan allait rater le début de La Parole. La Mère Armania l’avait pourtant averti qu’elle ne tolérerait plus ce manque de respect. Représentante de La Voie, elle avait été détachée à Ythéria deux ans auparavant, par le Grand Temple. Comme toutes ses consœurs, son rôle était de veiller et de guider le peuple.

    Sur les Terres d’Antyras, il n’y avait pas de monarque, au sens strict du terme. L’intégralité du pouvoir était concédée au Grand Temple sis à Antalia, la capitale. Cette congrégation était dirigée par la Mère Suprême, Irina, secondée par le Conclave, une assemblée de douze conseillères. Irina détenait au creux de ses mains la vie de chaque homme et de chaque femme. Elle utilisait ce pouvoir afin de maintenir l’ordre établi, le respect et les revenus de sa congrégation. Les Terres d’Antyras étaient composées d’une multitude de petits villages agraires, séparés les uns des autres par plusieurs lieues. Certains s’étaient spécialisés dans les forages miniers, l’élevage ou encore l’artisanat. Cependant, l’isolement les contraignait à une quasi-autarcie, sous le contrôle d’une Mère qui régulièrement rendait des comptes à sa hiérarchie.

    En chemin, Éthan s’était laissé distraire par une biche aperçue à l’orée du bois. À seize ans, Éthan était un jeune homme solitaire, dont les centres d’intérêt différaient de ceux des enfants de son âge. Il aimait être en communion avec la nature, effectuait régulièrement de longues balades le long des champs, dans les bois ou près de la rivière, tandis que ses condisciples jouaient à pourchasser la volaille ou à taquiner les filles. Ce côté mystérieux ne lui valait pas le premier prix de camaraderie de la part des garçons de son âge, mais apportait en revanche un certain charme au jeune Ythérien. En effet, malgré un physique plutôt ordinaire, ses cheveux blonds, ses yeux verts et sa musculature naissante ne laissaient pas indifférentes quelques filles du village. Malheureusement pour ces dernières, toutes ces œillades et avances ne pouvaient gommer de ses rêves l’unique demoiselle qui les occupait. D’ailleurs, l’adolescent préférait généralement la compagnie des animaux à celle de ses semblables. Il y avait quelques exceptions, tels ses parents et son ami Malak.

    Lorsqu’il arriva aux portes du temple, il s’immobilisa quelques secondes. Le bâtiment trônait en place centrale du village. Il était légèrement plus imposant que les masures en chaume. Cependant, l’édifice d’Ythéria n’était pas assez important pour avoir plusieurs issues, seule la porte à double battant donnait accès à la construction. Il tenta d’y pénétrer discrètement, malheureusement, la représentante du Grand Temple avait déjà remarqué son absence, et l’attendait de pied ferme tout en rappelant les neuf chemins interdits de La Voie aux autres enfants.

    « Éthan Rawk, viens ici et donne-moi immédiatement la raison de ton retard ! »

    Alors qu’il s’approchait de la Mère Armania, le jeune homme sentit une boule de plomb prendre racine au fond de sa gorge et descendre très lentement vers son estomac. Comment allait-il se justifier ? En aucun cas, il ne pouvait parler de son « entrevue » avec une biche. Sur les Terres d’Antyras, tout ce qui sortait de l’ordinaire était marqué par le signe du Mal comme l’indiquait le deuxième chemin interdit : « Nul ne pratiquera de sorcellerie ou ne fera appel aux forces obscures. » Ce commandement faisait référence à un passage des textes de la Voie : « … Quand Antal engendra les humains, son frère Caïlin, jaloux de sa création, modela à partir de ses entrailles une multitude de Démons, afin de détruire l’homme. Ceux-ci étaient détenteurs de forces obscures, impropres à la vie. Alors, Antal utilisa le feu purificateur pour anéantir l’engeance de son frère haineux. Puis, il enchaîna ce dernier dans les tréfonds du monde souterrain, au-delà de la mer. Depuis, le peuple, avec l’aide des Mères et du pouvoir du Grand Temple, se doit de combattre tout Démon ou lignage qui aurait pu survivre. »

    Évidemment, jamais personne n’en avait réellement aperçu. Encore moins de Sorciers. Il était cependant prudent de rester dans le rang et de ne pas se démarquer par des faits inexplicables. De nombreux hommes ou femmes avaient souvent péri, par simple mesure de sécurité, purifiés par le feu à la suite d’accusations de sorcellerie.

    « Mère, je suis désolé. Je n’ai pas vu le temps passer et… Malak m’a demandé de l’aide pour rattraper sa chèvre qui s’était échappée. Je ne pouvais refuser… Mère. »

    Une sueur glacée coula le long de son dos. Par ce mensonge, il venait de bafouer le septième chemin interdit : la menterie est le socle sur lequel repose la porte menant aux tréfonds des mondes infernaux… Abuser une Mère était considéré comme un parjure, une offense envers le Grand Temple.

    La Mère Armania le fixa longuement. Avec un regard qui aurait effrayé un troupeau de crocs-tranchants, les carnassiers des plaines désertiques d’Aloria, elle le fit asseoir, tandis qu’elle précisait d’une voix mielleuse le fond de sa pensée :

    « J’irai voir Malak après La Parole, pour lui demander de te récompenser pour l’aide que tu lui as apportée. Sans toi, il aurait perdu sa chèvre ! Il est normal que tu reçoives une gratification à la hauteur de tes actions. »

    Un « Merci Mère » réussit à peine à sortir de la bouche d’Éthan, tant le message avait été clair.

    « Mes enfants, reprenons là où nous nous étions arrêtés : le huitième chemin interdit.

    — La convoitise, la jalousie et le vol sont l’apanage des êtres faibles et impurs.

    — Oui, à présent, le neuvième.

    — La recherche de l’aventure peut entraîner la perte de la vertu et libérer les forces néfastes à Antal. »

    Ainsi commençait chaque jour La Parole, par la récitation des neuf chemins interdits. Chacun devait connaître et appliquer ces préceptes. Les Mères étaient les gardiennes de ce savoir. Tous les jours, les enfants devaient assister à La Parole. La représentante du Grand Temple leur enseignait les principes de La Voie, mais également l’histoire d’Antal et de la création des Terres d’Antyras, de l’homme et des animaux.

    Si le sermon du matin était réservé à l’éducation spirituelle des enfants, les adultes devaient quant à eux participer à celui donné chaque soir. Seule une raison valable pouvait justifier d’une absence.

    Le Grand Temple, par l’intermédiaire des Mères, était chargé de l’instruction du peuple. Alors, dans un souci de paix et de tranquillité, celles-ci n’enseignaient que l’histoire d’un point de vue religieux, les préceptes et les lignes de conduite à suivre pour être un bon citoyen. Il n’y avait pas d’apprentissage de l’écriture ou de la lecture, ni de l’économie, de la politique ou encore de la philosophie : le peuple n’était pas là pour réfléchir par lui-même, mais pour suivre La Voie.

    « Aujourd’hui, nous allons revoir comment Antal a détruit les Démons et les Sorciers créés par son frère.

    — Mère, puis-je poser une question ? demanda Mira. »

    Éthan émergea de ses tristes pensées et contempla sa camarade. La jeune fille venait d’avoir dix-huit ans. Elle était d’une beauté simple et naturelle, et dégageait beaucoup de charme et d’espièglerie. Son regard bleu émeraude contrastait avec l’imposante chevelure rousse dont elle était affublée. Elle plaisait beaucoup à l’adolescent, mais semblait ne pas avoir conscience de son existence, ce qui le chagrinait. Éthan comptait bien utiliser Malak pour se rapprocher d’elle.

    En effet, Mira s’était rapidement liée d’amitié avec le fermier. Celui-ci l’avait sauvée de la noyade quatre mois plus tôt. En se promenant sur la rive, elle avait glissé et le courant lui avait fait descendre les chutes. Malak n’appartenait pas encore au village et ne faisait que passer lorsqu’il l’avait vu tomber. Il avait immédiatement bondi dans l’eau et sorti le corps inerte de Mira des remous de la cascade. Ses vêtements étaient en lambeaux et l’on pouvait apercevoir sur sa poitrine la brûlure qu’elle s’était faite lorsqu’elle était enfant.

    De cette aventure était née une grande amitié. Le lendemain, Malak avait acheté une vieille ferme et s’était établi à la sortie du village.

    Malheureusement pour la jeune rousse, l’un de ses défauts majeurs était sa soif d’apprendre, ce qui lui était souvent reproché par la Mère Armania : il n’était pas bon d’être curieux. La Voie stipulait que l’être humain devait vivre en harmonie avec lui-même et ce qui l’entoure, sans chercher à comprendre les forces mises en place par Antal. Ces forces, bien sûr, étaient au-delà de leur entendement et de leur conscience. Faire preuve d’inquisition revenait à vouloir être l’égal d’Antal, à déchiffrer le fond de sa pensée. C’était irrespectueux et malsain. L’homme devait accepter le cadeau fait par le créateur en toute confiance, sans se poser de questions sur le pourquoi ni le comment.

    « Nous t’écoutons, Mira.

    — Hier, tandis que je rentrais du temple, j’ai entendu au détour d’une ruelle quelques bribes d’une légende qui mettait en avant de puissants magiciens qui vivent au-delà de la grande mer, ainsi que d’une prophétie et…

    — Mira ! C’est blasphématoire ! Ceci n’est qu’affabulation ! Sache que la sorcellerie, les Sorciers et les Démons ne sont pas un sujet de discussion. La majorité d’entre eux a été détruite à l’aube de la création par Antal, et les quelques malheureuses personnes qui s’amuseraient à invoquer les survivants auraient affaire au Grand Temple, l’interrompit sèchement Armania.

    — Oui, Mère. Mais... la légende parlait d’hommes pratiquant la magie pour le bien et non d’êtres néfastes.

    — La sorcellerie ou magie, comme tu la nommes est le fruit de Caïlin, le frère maudit. En conséquence, elle est utilisée uniquement pour le mal. Puis-je savoir qui a colporté cette infamie ? »

    Mira hésita soudain, réalisant que cela pouvait attirer de graves ennuis à la personne en question. Une fois encore, sa curiosité allait lui générer des problèmes. Voyant le trouble de la jeune fille, la Mère reprit la parole, d’une voix radoucie.

    « Mira, ma chérie, n’aie crainte. Je souhaite juste expliquer à cette personne que la magie ou la sorcellerie ne sont pas des sujets à aborder, afin qu’elle reste sur La voie et ne s’égare pas sur les sentiers qui mènent à la folie et à la perversion.

    — Oui Mère… peut-être, ai-je mal compris. Il y avait beaucoup de bruit provenant de la grande place. Je n’ai saisi que quelques mots.

    — Mira, souviens-toi du septième chemin interdit, lui répondit Armania en la fixant droit dans les yeux. »

    Les habitants d’Ythéria savaient qu’il était difficile de mentir à la Mère. Elle devinait les mensonges à une lieue à la ronde et pouvait faire craquer le plus costaud des bûcherons, rien que par son regard.

    « Je crois que c’était… Malak. Mais je n’en suis pas certaine, Mère Armania, murmura la jeune rousse de plus en plus mal à l’aise.

    — Dis-moi Mira, à qui racontait-il cette… hérésie ? Je t’écoute !

    — C’était à une villageoise. Je n’ai pas vu son visage. Elle avait l’air furieuse et a répondu qu’elle ne voulait plus rien entendre et qu’il devait laisser sa famille tranquille. Je vous promets, Mère Armania que je n’ai pas reconnu sa voix. Elle chuchotait.

    — Bien, Mira. Je devais justement discuter avec Malak après La Parole, lui répondit-elle en regardant Éthan.

    — Le sujet est clos. Continuons, s’il vous plaît. »

    La suite de l’enseignement se déroula comme à l’habitude, mais Éthan n’arriva pas à se concentrer tant il redoutait les conséquences de son mensonge. Il était également intrigué par cette légende à laquelle avait fait allusion Mira. C’était la première fois qu’il entendait parler de Sorciers d’une manière différente de ce qui était décrit dans La Voie. Ce n’était pas un sujet à aborder, ni sur la place publique ni au cœur des chaumières, à moins de vouloir être jugé pour hérésie.

    Dès que La Parole fut finie, la Mère Armania fit sortir les enfants du bâtiment, ferma la porte du temple et se dirigea d’un pas ferme vers la demeure de Malak, sous les regards horrifiés d’Éthan et de Mira. Elle souhaitait aborder avec le fermier deux points importants.

    Premièrement, confirmer le mensonge d’Éthan et ainsi décider de la punition adéquate. Elle voulait faire un exemple qui resterait dans la mémoire de chaque villageois. Il était temps, pensa-t-elle, de châtier ce jeune effronté et de le remettre sur le chemin de La Voie.

    Puis, en second lieu, investiguer sur l’histoire entendue par Mira. Quelle était cette fable racontée par Malak ? À qui le fermier parlait-il ? Tandis qu’elle arpentait la route menant à la sortie du village, Armania réfléchissait à l’individu.

    Une chose était certaine, elle n’aimait pas cet homme. Il vivait seul à l’extérieur du bourg et ne faisait preuve d’aucun respect vis-à-vis d’elle, du Grand Temple ou de La Voie. Malak était un nomade d’une quarantaine d’années, arrivé au village depuis quelques mois. Personne ne savait réellement d’où il venait, cela la gênait particulièrement. Elle se rendit compte qu’elle ne connaissait même pas son nom de famille.

    Lorsqu’elle parvint enfin devant sa demeure, l’homme soignait l’une des pattes avant de son cheval, dont le fer usé devait être changé. Armania s’arrêta près de lui et le fixa de son œil inquisiteur. Voyant que le fermier ne réagissait pas à sa présence, toujours concentré sur son labeur, Armania fulmina de rage. Mais pour qui se prenait-il, à ignorer ouvertement une Mère du Grand Temple !

    « Hum, hum ! fit-elle, le rouge aux joues.

    — Oui ? demanda Malak, sans même relever la tête. »

    Armania respira profondément afin de retrouver la maîtrise d’elle-même, et de sa voix la plus sèche, elle répondit au fermier.

    « Bonjour, monsieur Malak ! Qu’Antal veille sur vous !

    — Honorable Mère, quel bon vent vous amène au seuil de mon humble demeure ? » s’enquit l’homme, un sourire en coin.

    Il ne réalisait aucun effort pour cacher ses sentiments envers ce qu’elle représentait, négligeant même ouvertement la formule de politesse habituelle.

    Armania avait de plus en plus de mal à se contrôler. Ses mains tremblaient de rage et elle sentait la sueur lui couler le long du dos. Respirant à grands coups, elle réussit à garder la maîtrise d’elle-même.

    « Oh ! Juste deux ou trois petites affaires à discuter avec vous... Éthan m’a dit que vous lui aviez demandé de l’aide ce matin pour… arracher une souche dans votre champ, celui qui se trouve le long de la route menant chez lui. C’est très serviable de sa part, cet enfant est un véritable ange. Cependant, il était si excité à nous raconter son aventure que je n’ai pas tout compris à son récit. Je m’interroge : en quoi Éthan a-t-il pu vous être secourable ? Un homme de votre carrure peut faire cela sans aucune aide ! »

    Durant quelques secondes, Malak se demanda de quoi parlait cette femme, avec son air arrogant et son regard inquisiteur. Ce même regard que Malak avait retrouvé chez toutes les Mères qu’il avait pu croiser pendant ses nombreux voyages. Ces mégères si sûres d’elles, de leur supériorité et qui, au nom de La Voie, gouvernaient et s’octroyaient droit de vie ou de mort sur la population des Terres d’Antyras. Que cherchait-elle ? Quel piège était-elle en train de tisser ? Alors, oubliant toute prudence, il décida d’utiliser discrètement son don. Ouvrant son esprit, il s’insinua dans celui de la Mère, fouillant parmi les méandres de sa mémoire afin de « ressentir » ce qu’elle cherchait, ce qu’elle était venue faire chez lui. C’était risqué de faire appel à la magie en ces lieux, en particulier en présence d’une Mère, mais en effleurant doucement sa conscience, cela devait passer inaperçu. Enfin, il trouva.

    « Une souche ? Non, vous avez dû mal comprendre. C’est bien la fougue de la jeunesse, ils sont incapables d’aligner trois mots dans le bon ordre afin de faire des phrases limpides. Je lui ai demandé de m’aider à rattraper ma chèvre qui s’était échappée, c’est plus facile à deux ! 

    — Ha ! Quel brave garçon, répondit Armania, déçue. Elle avait pourtant été persuadée que l’histoire d’Éthan fut un nouveau mensonge.

    — En effet ! Mère, il se fait tard, je ne souhaite pas abuser de votre précieux temps, je sais que de nombreuses personnes espèrent votre aide afin de rester sur La Voie. »

    Armania ne fut pas dupe de l’ironie de cette phrase, mais jusque-là, elle n’avait rien de tangible contre cet homme. Cependant, la donne allait peut-être changer. À présent, elle souhaitait aborder l’autre sujet qui lui semblait finalement bien plus important que l’éventuel mensonge d’un adolescent : la « légende » dont avait parlé Mira.

    « En fait, monsieur Malak, j’ai un point plus sérieux à discuter avec vous. Il m’est revenu aux oreilles que vous harceliez certaines villageoises avec une histoire d’hérétique concernant des Sorciers bienfaisants qui vivraient de l’autre côté de la grande mer. Dois-je vous rappeler que de tels propos peuvent sembler étranges et contraires à l’enseignement de La Voie ? Seule l’engeance des Démons use de sorcellerie et de plus, au-delà des flots il n’y a que l’Abysse, la fin du monde. Avez-vous une explication à me donner pour justifier une telle attitude ?

    — Mère Armania, je pense que mes propos ont été mal interprétés. Je ne vis que pour suivre l’enseignement du Grand Temple.

    — Puis-je savoir quels étaient vos dires ? Et qui est cette femme avec laquelle vous discutiez ?

    — Mon but n’était pas moins noble que le vôtre. Je souhaitais juste, tout comme vous, guider et éclairer mes concitoyens sur l’histoire de nos Terres. Pour cela, je ne faisais que déclamer à la ronde les vers d’un antique poème.

    — Que dit ce vieux poème, monsieur Malak ? Je serais fortement intéressée d’entendre ces vers.

    — Honorable Mère, à mon âge la mémoire vous joue de ces tours ! Dès qu’ils me reviendront, je ne manquerai pas de venir de ce pas vous les conter. »

    Armania se rapprocha de Malak, à tel point que seuls quelques pouces les séparaient et le regarda droit dans les yeux :

    « Je vous avertis, monsieur Malak que je ne suis pas dupe de votre courtoisie et que je vous tiens à l’œil. Je ne sais pas qui vous êtes ni d’où vous venez, mais ici, La Voie est respectée. À l’avenir, je vous conseille de ne plus répandre vos histoires, ou bien je pourrais croire que vous vous complaisez dans la pratique de la sorcellerie si bien décrite dans votre légende.

    — Je vous ai entendu Mère », rétorqua-t-il sans plus aucun sourire de façade…

    Bientôt, l’heure de la clandestinité prendrait fin et alors il devrait assumer le rôle pour lequel il s’était installé à Ythéria.

    Ils restèrent ainsi, se foudroyant du regard pendant quelques secondes, puis soudainement, Malak se retourna pour s’occuper à nouveau de son cheval. Sur ce, la Mère Armania fit demi-tour, folle de rage, et se dirigea vers le village. Elle n’avait pas aimé l’insistance de Malak sur le mot « nos ».

    À présent, cet homme lui semblait encore plus dangereux qu’elle ne l’avait présumé. Elle allait devoir en référer au Grand Temple. Il n’était pas un simple fermier qui rejetait La Voie, il y avait autre chose de bien plus néfaste. Quoi ? Elle ne savait le dire, mais il était différent des villageois des Terres d’Antyras et semblait être au fait d’éléments dont il était censé ignorer l’existence. En disant nos Terres, elle avait compris qu’il ne faisait pas uniquement allusion aux Terres d’Antyras… D’où pouvait-il connaître les Terres d’Avalyn, ce pays se trouvant de l’autre côté de la grande mer ? Depuis des millénaires, seules quelques Mères, triées sur le volet, gardaient jalousement secrète l’existence de ce lieu maudit. Même s’il avait eu l’intelligence de ne pas citer ce nom, elle savait qu’il connaissait bien plus qu’une simple légende venue de ces contrées éloignées.

    La situation prenait une ampleur inimaginable. Elle ne pouvait agir de son propre chef, et devait impérativement demander l’avis du Conclave et de la Mère Suprême.

    Chapitre 2

    « Tu peux sortir de ta cachette, Éthan, la vieille sorcière est retournée dans son antre. »

    Abasourdi, Éthan se leva. C’était la première fois qu’il entendait quelqu’un parler d’une Mère en ces termes. Pris de panique, il regarda aux alentours afin de voir si une tierce personne avait pu surprendre la métaphore de Malak. Éthan l’aimait beaucoup et une telle déclaration pouvait lui amener de sérieux problèmes. Heureusement, le fermier vivait à l’extérieur du village, peu de gens empruntaient cette route.

    Quatre mois auparavant, Éthan avait créé des liens avec Malak dans le but de se rapprocher de Mira qui passait beaucoup de temps chez lui. Mais ensuite, une réelle amitié s’était installée. Une fois remis de sa surprise, Éthan se demanda comment Malak avait pu deviner qu’il se dissimulait dans les parages. De sa position, il n’était pas repérable et il n’avait fait aucun bruit.

    « Malak, tu ne devrais pas parler de la Mère Armania ainsi, si elle l’apprend, cela peut t’attirer de sérieux ennuis.

    — Ne t’inquiète pas pour moi, les choses doivent être ce qu’elles sont… L’opinion qu’a de moi Armania est le cadet de mes soucis.

    — Pourquoi ?

    — C’est un peu long à t’expliquer. Mais en parlant de problèmes, lorsque tu mens à la Mère, tu devrais faire plus attention, c’est un vrai détecteur de mensonges.

    — Oui, je sais. J’étais encore en retard ce matin pour La Parole, je n’ai pas eu le temps de forger un prétexte plausible. Comment as-tu pu deviner ce que je lui avais dit ?

    — Oh, juste un coup de chance ! Je trouvais que cette histoire de souche à arracher était branlante. Te connaissant, j’ai su que tu avais inventé une excuse en lien avec mes animaux. Donc, c’était le cheval ou la chèvre, répondit Malak plutôt adroitement.

    — Ha ! Je l’ai échappé belle ! Merci beaucoup, Malak. Puis-je te poser une question ?

    — Oui, bien sûr !

    — J’ai entendu votre conversation concernant la légende sur des Sorciers qui vivraient dans un pays de l’autre côté de la grande mer et… j’aimerais bien que tu me la racontes. Éthan préféra taire le fait que Mira en avait parlé durant La Parole, et utilisa plutôt la conversation entendue entre Malak et Armania.

    — Je ne suis pas sûr que ce soit raisonnable pour le moment… Cela pourrait t’engendrer de gros problèmes, et accroître les miens avec la Mère Armania. Peut-être une autre fois », murmura Malak, sachant parfaitement qu’il ne souhaitait pas aborder ce sujet avec le jeune Ythérien.

    Il l’aimait beaucoup, et ne voulait pas attirer sur Éthan les foudres d’Armania et du Grand Temple. Après tout, cette histoire ne le concernait pas. Mieux valait ne pas l’embrigader dans cette aventure.

    « Je comprends, mais tu me la raconteras n’est-ce pas ? Quand la Mère Armania ne te tournera plus autour !

    — Oui, Éthan. Cependant, le vautour n’est pas près de lâcher sa proie, ironisa Malak, un sourire en coin.

    — Pardon ?

    — Non, rien. Je pensais à voix haute. Tu devrais rentrer chez toi, tes parents vont se demander ce que tu fais.

    — Tu as raison ! Encore merci de m’avoir couvert, je ferai plus attention à l’avenir pour être à l’heure à La Parole, répondit le jeune homme, en partant au pas de course.

    — Il vaut mieux ! Je ne pourrai pas toujours te servir d’alibi, tu dois réfléchir à tes actes et à tes dires. Éthan, juste un dernier point : peux-tu dire à Mira que je vais devoir m’absenter quelque temps ? J’ai de la famille à visiter. Je serai de retour d’ici quelques mois.

    — Oui bien sûr, je lui ferai la commission, lança le jeune Ythérien, heureux d’avoir une nouvelle excuse pour adresser la parole à la belle villageoise. »

    Pour Malak, il n’avait pas été très difficile de repérer son ami caché dans les buissons. Il avait reconnu ses schèmes mentaux lorsqu’il avait ouvert son esprit pour fouiller celui de la Mère. Quand il utilisait son don, il était capable de percevoir et d’identifier chaque personne par son empreinte psychique. En revanche, depuis qu’il était à Ythéria, il était impuissant à distinguer leur Aura propre. Une essence diffuse englobait le village et voilait sa « vision psychique ». Cependant, cette force expliquait sa venue sur les Terres d’Antyras.

    En rentrant chez lui, Éthan repensa à Malak, c’était son seul véritable ami. Les autres adolescents étaient immatures, alors que le fermier savait l’écouter, le conseiller et surtout l’aider sans le juger selon les règles de La Voie. Éthan avait toujours eu des difficultés avec l’enseignement donné par le Grand Temple. Tout y était si édulcoré, le bien d’un côté, représenté par Antal le créateur, et le mal de l’autre pour tout le reste.

    En tout cas, il espérait que Malak ne serait pas absent trop longtemps. Il souhaitait vite revenir à la charge pour que son ami lui raconte cette légende, même si, une fois encore, cela pouvait lui attirer des ennuis avec la Mère Armania. Il faut dire qu’elle ne ratait jamais une occasion de lui tomber dessus, à croire qu’elle passait ses journées à le surveiller, dans le but de le sermonner.

    Pour retourner à la ferme de ses parents depuis la chaumière de Malak, Éthan devait retraverser Ythéria. Cette petite bourgade était composée d’environ trois cents personnes, dont les deux tiers, les artisans et leur famille vivaient au cœur du village. Elle avait été construite comme beaucoup d’autres selon le même schéma préconisé par le Grand Temple et continuellement reproduite, quelle que soit la région.

    Le point névralgique en était la place centrale qui servait pour les fêtes, les pendaisons, l’encaissement de la dîme et les bûchers pour hérésie qui fort heureusement se faisaient plutôt rares. C’est en ces lieux que trônait le temple. Autour de celui-ci se déployaient de manière concentrique les différents artisans nécessaires au bon fonctionnement du village. On y trouvait le forgeron, la dentellière, l’herboriste, le tonnelier, le chiffonnier, le charron et bien d’autres corps de métier. Ensuite venaient les habitations, généralement faites de bois et recouvertes de chaume ou de paille de blé.

    De la grande place partaient quatre routes qui se dirigeaient vers l’extérieur du village en suivant les points cardinaux, et qui permettaient de le desservir. Le tiers restant était représenté par les paysans, à l’extérieur du hameau. Leurs terres se déployaient telle une spirale autour du bourg en un découpage parfois assez anarchique, résultat de diverses ventes et héritages.

    Ainsi, Malak qui vivait au nord-est d’Ythéria avait un champ isolé, laissé à l’abandon au sud-ouest près de la ferme des Rawk. Il en était de même pour la plupart des paysans. Aussi traversaient-ils régulièrement le village en charrette ou avec des animaux pour se rendre d’un pâturage à un autre.

    Toute cette vie donnait beaucoup de charme à la bourgade. Chacun se connaissait et en général, il n’y avait pas de problèmes d’entente. La cordialité et le respect d’autrui étaient de rigueur.

    Arrivé sur la place centrale, Éthan se fit la réflexion que malgré sa soif d’aventure, autre défaut à charge, il se plaisait beaucoup à Ythéria. Il y était heureux, aimé et choyé par ses parents et… il y avait Mira, la belle Mira. Même si jusqu’à ce jour, il semblait être totalement transparent aux yeux de la jeune rousse.

    Il lui fallut près de quarante-cinq minutes pour rejoindre la ferme de ses parents où sa mère se demandait, encore une fois, ce qu’il avait pu inventer.

    Après un délicieux repas, Éthan aida son père à récurer les étables. Ce n’était pas un travail captivant, mais il permettait au jeune homme de passer quelques heures avec lui. Même s’ils n’étaient pas très loquaces, ils se comprenaient parfaitement et appréciaient ces instants de partage. Hector, contrairement à beaucoup d’autres était un fermier dont la douceur n’avait pas d’égale, en particulier avec son fils et sa femme Galadriël.

    Éthan était son unique enfant, fait rarissime chez les paysans où les gamins représentaient une main-d’œuvre plus que nécessaire pour la culture des champs. Depuis des générations, les mœurs sur les Terres d’Antyras tendaient plus vers les familles nombreuses que la politique de l’enfant unique.

    Intrigué par ce fait, Éthan avait interrogé ses parents quelques années auparavant pour savoir pourquoi il n’avait ni frères ni sœurs, sans obtenir de réponses. Le regard attristé de sa mère fit qu’il ne reposa plus jamais la question. Cette image était restée gravée à jamais dans son cœur.

    Une fois les étables propres, le jeune homme retourna auprès de Galadriël, afin de vérifier si elle avait besoin d’aide. Ce ne fut pas le cas. La femme d’Hector avait pour habitude de ne pas surcharger son fils de tâches ménagères.

    Éthan accompagna son père pour réparer une barrière en bois, puis alla s’étendre dans le champ derrière l’étable. Rien ne stimulait plus son moral que de s’allonger sous l’éclat du soleil et de sentir ses rayons lui caresser le visage.

    Armania frappa à la porte de la chaumière et attendit que la maîtresse de maison vienne lui ouvrir. Depuis quelques semaines, elle visitait chaque habitation afin d’obtenir des renseignements sur l’histoire racontée par ce Malak, et pour identifier la femme présente dans la ruelle lorsque la jeune Mira avait surpris cette fameuse conversation. Pour Armania, il était important de récolter de plus amples informations, surtout depuis la soudaine disparition du fermier qui comme par hasard était survenue le lendemain de sa visite. Un énième visage hagard, sur lequel se lisait l’étonnement, apparut dans l’encadrement de la porte.

    « Mère Armania ! Qu’Antal veille sur vous !

    — Bonjour, Adriqua ! Qu’Antal vous protège ainsi que le Grand Temple, répondit la dirigeante, comme l’exigeaient les règles de politesse.

    — Entrez, je vous prie… Excusez le désordre, j’étais en train de mettre en flacon quelques préparations pour la boutique.

    — Oui… en effet ! fit Armania », contemplant d’un air hautain l’intérieur de la chaumière de l’herboriste.

    La villageoise approcha une chaise à la Mère, tout en secouant son tablier recouvert de divers pétales de fleurs, afin de paraître plus présentable. Mais, aux yeux d’Armania, rien n’aurait pu améliorer l’état de cette femme. Son air méprisant toujours accroché au visage, elle ignora la chaise et fit quelques pas dans la pièce où flottait un mélange d’essences végétales.

    « Adriqua, mon temps est précieux. De fait, j’irai droit au but. J’ai ouï-dire que monsieur Malak racontait une étonnante histoire. J’aimerais connaître votre opinion sur le sujet », fit Armania en s’arrêtant net face à la villageoise.

    Cette dernière se mit à trembler sous le regard oppressant de la représentante du Grand Temple.

    « Mère Armania… je… je ne sais pas… je ne suis au courant de rien concernant cette prophé…

    — Prophétie ? Mais qui donc a parlé de prophétie ? Il me semble, Adriqua que vous en savez plus que ce que vous prétendez. Dois-je vous rappeler à qui vous vous adressez ?

    — Mère Armania, je vous en prie... Je lui ai dit que je ne voulais rien entendre de son histoire et je l’ai même menacé de vous faire prévenir, s’il insistait.

    — Je vous crois, Adriqua. Racontez-moi tout. Il ne vous sera fait aucun mal. Que souhaitait-il ?

    — Il a formulé d’étranges questions sur ma… fille, avoua l’herboriste.

    — Votre fille ! Quel curieux hasard ! Quel genre de questions ? »

    Armania passa près de deux heures à supplicier la pauvre femme. Répétant à maintes reprises ses demandes pour voir la concordance des réponses, et ce, jusqu’à ce que la villageoise éreintée par cet interrogatoire fonde en larmes et soit incapable de prononcer une phrase intelligible. Alors, Armania quitta la chaumière sans un mot et sans un regard pour la femme en pleurs et se dirigea vers sa propre demeure se trouvant près du temple.

    Cela faisait maintenant quatre mois que Malak s’en était allé d’Ythéria pour rendre visite à sa famille, dont tous ignoraient la localisation. Le fermier avait toujours été très vague sur ses racines et sa région d’origine. Depuis son départ, Éthan avait redoublé d’efforts afin d’être à l’heure chaque matin pour La Parole. Jamais la Mère Armania ne lui avait reparlé de l’histoire de la chèvre, ce qui n’était pas pour déplaire au jeune homme.

    Ce matin-là, Éthan prenait place sur son banc de bois lorsqu’il aperçut dans un coin sombre de la pièce, une femme qui discutait avec Armania. Ce n’était pas une villageoise. Sa tenue était différente de celle des Mères, mais évoquait pourtant son appartenance à la congrégation d’Antal. Cette présence était fortuite. Les Mères menaient leur « cheptel » sans l’aide d’aucune de leurs consœurs. Mais, pensa Éthan, sa connaissance des mœurs du Grand Temple était tout de même très limitée. Il n’était pas le mieux placé pour juger de la situation inhabituelle.

    « Mes enfants, avant de commencer La Parole, je vous présente la Novice Prisca, envoyée par Antalia pour me remplacer durant quelque temps. Je dois effectuer un voyage auprès de la Mère Suprême, et serai donc absente pendant deux mois.

    — Bonjour, j’espère être à la hauteur de Mère Armania durant ce laps de temps. Je sais pouvoir compter sur votre soutien et votre participation. »

    Prisca était une jeune femme aux yeux marron, d’une vingtaine d’années, dont la fraîcheur, la beauté et surtout le sourire contrastaient avec le visage fermé d’Armania.

    Contrairement aux Mères, les Novices ne portaient pas l’éternelle robe blanche aux manches longues et les cheveux noués en chignon, mais plutôt une tunique grise. Leurs têtes étaient recouvertes par un voile noir qui leur descendait jusqu’à mi-dos. Les futures Mères étaient choisies dès la naissance. Elles étaient élevées au Grand Temple, en qualité de Novices durant les vingt premières années de leur vie. À la fin du noviciat, une série d’épreuves, dont tous ignoraient la teneur en dehors de l’enceinte du Grand Temple, permettait à la candidate de se présenter au statut de Mère. Selon certaines rumeurs, les postulantes ne réussissant pas les tests ne réapparaissaient jamais. À se demander si la nature des examens n’était pas plus dangereuse que le Grand Temple le laissait entendre lors de la sélection des futures Novices. Beaucoup s’interrogeaient sur le devenir de celles qui rataient l’épreuve. En tout cas, dès le premier coup d’œil, Éthan apprécia beaucoup Prisca.

    La Parole fut menée, comme à l’accoutumée par la Mère Armania. Prisca observa l’office et les jeunes du village ce jour-là. C’était sa toute première mission, elle devait faire ses preuves. Elle attendait beaucoup de cette expérience et pensait que c’était un grand honneur d’avoir été choisie pour remplacer une Mère durant ces quelques mois. Peu de Novices avaient cette chance, nombre d’entre elles devaient se présenter aux épreuves sans jamais avoir quitté l’enceinte du Grand Temple.

    Comme à son habitude, Éthan trouva La Parole interminable, son esprit vagabonda à plusieurs reprises avant d’être rappelé à l’ordre par la matriarche en robe blanche. Il tenta alors de se concentrer sur l’origine des fêtes des Terres d’Antyras que leur expliquait Armania. Elles étaient toutes en relation avec Antal et son histoire : comment il avait créé le monde et décimé ses ennemis, comment il…

    Pour Éthan et la plupart des jeunes du village, les festivités étaient surtout une excuse pour s’amuser, manger et parfois boire un peu de bière. Armania passa ainsi deux heures à leur expliquer les raisons des fêtes d’Irastile.

    Après La Parole, Éthan sortit soulagé du temple et fit quelques pas sur la grande place. Il s’approcha de l’immense fontaine qui trônait en son centre et contempla les myriades de couleurs qui se reflétaient sur les ondes bleues. Fermant les yeux, il écouta le bruit du clapotis, ressentit la douceur des rayons du soleil qui le baignaient. En cette période de l’année, les matinées commençaient à être très agréables et chaudes. Perdu dans sa contemplation sensorielle, il ne perçut pas les pas derrière lui, et sursauta lorsqu’une main se posa sur son épaule.

    « Oh ! Je suis désolée. T’ai-je fait peur ? demanda d’une voix douce Mira.

    — Non, bien sûr ! C’est juste que… je ne t’ai pas entendu arriver. »

    Éthan contempla la jeune fille, dont la chevelure rousse s’auréolait d’une aura de feu sous les rayons du soleil. Ses yeux bleus s’éclaircissaient toujours à l’arrivée du printemps, prenant un éclat turquoise qui rendait son regard plus profond.

    « Dis-moi, Malak t’a-t-il précisé combien de temps il serait absent ? Cela fait un moment qu’il est parti,

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