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Le Temps des Sang-Mêlés
Le Temps des Sang-Mêlés
Le Temps des Sang-Mêlés
Livre électronique439 pages6 heures

Le Temps des Sang-Mêlés

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À propos de ce livre électronique

Alak et Ethan, deux moines au caractère opposé, ont été choisis pour répondre à l'appel du souverain de Kernak et lutter contre une menace à la fois terrible et soudaine.

Pendant ce temps-là, Jandar, un jeune sorcier, s'endurcit au cours d'un entraînement qui lui permet de prendre conscience de ses pouvoir et du rôle qu'il est appelé à jouer. Son intervention semble indispensable tandis que l'Empereur Kedrax se prépare à conquérir tout le continent, aidé par la mage Lenara. Cette dernière se voit confier une mission secrète et périlleuse : recruter six individus aux compétences uniques qui devront réaliser ce que personne d'autre n'a jamais réussi à faire avant eux...

LangueFrançais
ÉditeurBadPress
Date de sortie29 oct. 2020
ISBN9781393413073
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    Aperçu du livre

    Le Temps des Sang-Mêlés - Rob Himmel

    Rob Himmel

    Le TEMPS DES

    SANG-MÊLÉ

    Livre premier :

    L’ASCENSION DE LA CHIMÈRE

    À Toi,

    pour Ta présence, même lorsque

    je ne suis pas en mesure de Te voir.

    Note de l’auteur : à la fin de ce livre, vous trouverez divers glossaires permettant de guider le lecteur à travers l’immensité de ce monde, riche en personnages et en lieux qui, au départ, peuvent être difficiles à mémoriser.

    IMPORTANT : Les droits de l’œuvre, dans sa version italienne, sont détenus par la maison d’édition DZ Edizioni, aussi connue sous le nom de Dark Zone. Les droits étrangers appartiennent à l’auteur, Rob Himmel, disposé à les céder à des maisons d’édition étrangères pour publication. Toutefois, en cas d’intérêt pour ce roman, il convient de prendre en compte dans le contrat la rémunération de Robin Fournier pour la traduction en français depuis l’italien. Pour me contacter, rendez-vous sur le site www.robhimmel.com ou écrivez-moi à l’adresse robhimmelauthor@gmail.com

    Le temps des sang-mêlé : 1 — L’ascension de la chimère

    De Rob Himmel

    Couverture : Antonello Venditti

    Édition : Stefano Mancini

    Traduction Robin Fournier

    Copyright © DZ edizioni 2018 (édition italienne)

    Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans le consentement préalable du détenteur des droits d’auteur.

    Ce livre est une œuvre de fiction. Sa publication ne porte pas atteinte aux droits des tiers. Les personnages et les lieux mentionnés sont des inventions de l’auteur et visent à donner de la véracité à la narration. Toute analogie avec des faits, des lieux et des personnes, vivantes ou disparues, est absolument aléatoire.

    Première partie

    APPRENTISSAGES

    ––––––––

    Animées par une haine inhumaine, des hordes entières déferlèrent depuis les cimes. Nous étions au plus froid de l’hiver, et seuls des fous pouvaient se lancer dans une bataille. Mais les orques lorgnaient nos terres plus que toute autre chose au monde. Ils pensaient pouvoir s’emparer de Kernak, prise au dépourvu. [...] Depuis l’Exil, au début de la Cinquième Ère, les peaux vertes préparaient leur retour au cœur des plaines sauvages d’Erebia. [...] Même s’il était vieillissant, le roi Bodorn guida les Aghoriens vers la victoire et permit de débarrasser le royaume de cette menace. Le prix payé par le souverain de Kernak fut bien élevé ; les blessures reçues au cours de la bataille le firent passer de vie à trépas trois jours plus tard. Le trône revint à son fils unique et héritier : Bredon...

    Treghendal, Historien d’Aghoria

    Registre de Kernak, volume IV

    An 98 de la Cinquième Ère

    1

    Par delà le nord, vers l’inconnu

    Winky, le chien-loup, se mit à grogner.

    — Nous avons de la visite, alerta Enialis. Colle-toi contre la paroi et ouvre l’œil, ordonna-t-il au jeune homme.

    Le rôdeur retira son sac et le posa à terre tout en prenant soin de ne faire aucun bruit. Puis il s’empara d’une épée et d’un poignard. Impossible de tirer à l’arc dans ce labyrinthe naturel à cause du confinement. Jandar obéit et se colla contre la paroi de glace avant de sortir son épée du fourreau.

    L’attente au milieu du froid, en plus d’être désagréable, n’aidait en rien. Des volutes d’air condensé s’élevaient dans le ciel à chaque expiration. Winky se tut, laissant au vent et à ses pas lourds le soin de combler le silence.

    Le jeune sorcier se mit à trembler de froid tandis qu’il observait le demi-elfe à l’œuvre : Enialis, le visage angélique pareil à celui d’un jeune homme, les traits fins et les yeux bleus lumineux, tendait l’oreille, qu’il avait légèrement en pointe, à l’affût de la menace. Il affichait un air sérieux et concentré. Un rôdeur expert qui savait parfaitement ce qu’il faisait, ou en tout cas, c’est ce qu’il laissait paraître. Il vit son expression changer et se transformer en un masque d’agacement, puis l’instant d’après il disparut.

    Jandar comprit immédiatement ce que cela signifiait. Il avait passé les dernières années auprès du demi-elfe puisqu’Orideus avait souhaité qu’Enialis devienne son maître d’apprentissage et lui enseigne à survivre et à se battre. Il lui avait enseigné à manier l’épée, à tirer à l’arc et à survivre au milieu des terres sauvages. Il déchiffra donc en un instant sa réaction : des problèmes étaient à prévoir. Il en eut la confirmation l’instant d’après.

    Un spécimen de près de deux mètres de haut fit son apparition devant eux lorsqu’il tourna à l’angle pour se glisser dans le passage. Il avait la peau bleu clair, le corps musclé, de longs cheveux blancs hirsutes et une barbe composée de trois tresses. Il portait des vêtements de peau brute qui laissaient apparaître ses bras et ses jambes. Sur son épaule reposait un ours blanc et il tenait dans la main une hache aux dimensions impressionnantes.

    — Comment osez-vous pénétrer sur mon territoire ?! gronda le géant de sa voix furieuse dès lors qu’il les vit. Il jeta au sol l’animal mort et brandit son arme, prêt à combattre.

    Enialis commença à reculer pour l’entraîner vers une partie plus exiguë où il pourrait le mettre en difficulté en raison de sa taille.

    — Reste bien derrière moi ! ordonna le rôdeur à son élève tandis que la brute s’avançait d’un air assuré, ignorant le champ de bataille. C’est alors que le chien-loup attaqua d’un bond.

    — Winky, non ! hurla le demi-elfe, mais le géant le frappa du revers du poing, le cueillant directement en plein vol.

    L’animal fut projeté sur une paroi de glace avant de s’écrouler au sol. Il émit des gémissements de douleur avant de se taire et de perdre connaissance.

    Le géant avança sans ralentir le pas, le regard fixé sur le rôdeur et la main prête à asséner un autre coup.

    Enialis observait son compagnon : il aurait aimé courir vers lui. Toutefois, ce n’était pas le moment de se laisser emporter par ses émotions, en effet, c’est à lui que revenait de couvrir Jandar. Il fixa son attention sur la menace et suivit ses mouvements. Il continua à reculer comme si de rien n’était. Quand il vit le coup arriver, il se jeta au sol et sentit la hache frôler sa tête. La deuxième attaque fut portée dans la foulée de haut en bas et il roula sur le côté pour l’éviter.

    L’arme de la brute resta coincée dans la glace, mais il l’en extirpa sans aucun mal. Il était animé d’une force brute qui allait de pair avec son apparence.

    Le jeune sorcier, de nouveau sur pieds, commença à reculer vers Enialis, mais en vérité, il était encore sous le choc tant il craignait que Winky soit mort. Il mit de côté ses craintes et décida de s’engager dans le combat. Il en appela aux enseignements magiques d’Orideus, commença à réciter la formule d’un enchantement de protection. Il sortit de son sac une plaque de fer qui lui servirait d’ingrédient. La magie la consuma et une faible lueur jaunâtre enveloppa le garçon telle une armure.

    Il vit le géant s’avancer dans le passage étroit et porter deux autres coups à Enialis, lequel les esquiva avec une célérité toute elfique. C’est à ce moment-là que Jandar se décida à intervenir : il tira de son sac une bougie et se mit à la briser en petits morceaux tandis que ses lèvres se mirent à prononcer des mots en ansindium. Plusieurs jets d’une lumière blanche jaillirent de sa main pour aller frapper le géant au niveau des yeux.

    — Vise les jambes ! lui intima le demi-elfe. Fais-le tomber à genoux !

    Enialis, exhibant un sourire amusé, se glissa entre les jambes de la créature pour réapparaître dans son dos. Il roula sur lui-même et plongea ses lames qui laissèrent derrière elles de profondes entailles.

    Le géant, désormais frappé de cécité, tomba à genoux. Son cri à la fois de douleur et de rage retentit dans tout Ghiarkur. Il gémissait, la main sur les yeux.

    Jandar saisit cette occasion pour fondre sur son adversaire, et ce malgré la fatigue due au froid. À l’aide d’un affleurement de glace dont il se servit pour prendre son élan, il s’élança dans les airs et plongea son épée dans le cou de la créature, jusqu’au torse. La lame pénétra de tout son long et le sang gicla, mais cela ne suffit pas pour en venir à bout.

    Encore agrippé à la poignée de son épée, Jandar fut frappé par le géant qui l’écrasa avant de le propulser au loin et de retomber sur la glace. Le sort de protection s’évanouit, mais suffit à lui sauver la vie. Le garçon respirait difficilement et resta à terre, perclus de douleurs. Il se releva, comme s’il venait de remporter la victoire.

    Enialis sauta sur les épaules du géant et plongea ses lames au niveau de la nuque, il les fit se croiser et d’un mouvement sec le décapita.

    Le cadavre tomba à terre, gisant dans une marre de sang. La neige et la glace se teintèrent alors de rouge.

    Le rôdeur se précipita vers le jeune sorcier. — Comment te sens-tu ? demanda-t-il inquiet.

    Jandar avait le cœur qui battait la chamade, un véritable tambour de guerre. Ses mains et ses jambes tremblaient. Il n’avait toujours pas relâché sa prise sur l’épée dont la lame était couverte de sang, à l’instar du manteau en peau qu’il portait. Ses yeux verts et brillants affichaient une expression hébétée. Ses cheveux châtains s’étaient défaits sous son capuchon. Il était intervenu au bon moment malgré son hésitation permanente. Son esprit avait réagi avec lucidité, envoyant des ordres précis à son corps ; cela avait été effrayant.

    — Tu vas bien ? insista Enialis.

    Jandar lui fit un sourire forcé qui disparut aussitôt qu’il se mit à tousser. Tout son corps lui faisait mal, mais il savait que sa vie n’était pas menacée. La magie de protection avait fait son œuvre. — Je ne vais pas mourir... Va voir Winky, il a besoin de toi, ajouta-t-il tout en se levant avec difficulté. Dès le demi-elfe parti, il se laissa retomber à terre.

    Enialis se précipita vers le chien-loup. Il respirait encore, mais de façon irrégulière. — Winky, bats-toi, lui murmura-t-il avec douceur. Il inspecta le corps de l’animal de sa main, à la recherche de blessures. Quand il passa la main au niveau de son dos, l’animal gémit. Le rôdeur jura. — Je ne te laisserai pas tomber, mais toi, tu n’as pas le droit d’abandonner.

    Le sang-mêlé produiga des soins à Winky, lui fabriqua une attelle pour le poitrail et une civière de fortune. Il soulagea ses douleurs grâce à des compresses d’herbes médicinales qu’il utilisa également sur les lésions de Jandar. — Ça devrait aller mieux, dit-il cherchant à cacher ses craintes.

    — Merci, répondit Jandar. Puis, tout en observant le chien-loup, il ajouta : — Il va se refaire, j’en suis convaincu.

    Le demi-elfe opina, un sourire forcé sur son visage.

    Jandar ne sentait plus ni ses mains ni ses pieds paralysés par le froid. Ce dernier le rongeait jusqu’à la moelle, implacable et insatiable. Enfin, même Enialis, rôdeur habitué des zones inhospitalières, ne cachait pas sa souffrance.

    Lorsqu’ils eurent dépassé les monts Bagadon, ils découvrirent une vue à couper le souffle. Ghiarkur, candide et surréelle, s’était présentée sous la forme d’un paysage blanc infini composé de pics de glace en dents de scie qui, ensemble, formaient un labyrinthe naturel fait de tunnels interminables et de sentiers bordés de parois bleuâtres. Au milieu, parsemées au hasard, ils apercevaient des zones planes dans lesquelles le ciel se reflétait, à l’instar d’un miroir. On aurait dit un champ de diamants dans lequel le soleil faisait rebondir ses rayons dans un jeu de lumière d’une beauté incommensurable. Ils étaient en lieu sûr.

    Ils firent une courte pause pour se recouvrir de nouveaux manteaux de peau. Ils en profitèrent pour grignoter quelque chose, car le climat hostile n’avait pas fait perdre son appétit au jeune sorcier.

    — Je-je comprends bien pou-pourquoi tu déte-testes ce-ce lieu, balbutia Jandar les dents serrées.

    Une bourrasque souffla entre eux, leur giflant le visage.

    — Mon ami, je ne voudrais pas être à ta place... annonça le demi-elfe. — Ces terres sont un véritable enfer, y survivre est une gageure et j’ignore comment tu y arriveras au cours de ton entraînement.

    Jandar ne se laissa pas décourager. S’ils étaient venus jusqu’ici, c’était pour rencontrer celui qui allait devenir son maître en sorcellerie. S’il habitait ce lieu, alors lui aussi pourrait y arriver. — J’apprendrai auprès du sorcier, répondit Jandar d’un air résolu.

    Le rôdeur fut pris d’un éclat de rire. — Eh bien oui, il habite ici...

    Cette réponse fit naître en lui un certain agacement. Il ne supportait pas cette façon de faire d’Enialis et d’Orideus. Tous deux se moquaient de lui tout en sachant ce qui l’attendait. Ils aimaient bien jouer aux prophètes mystérieux. Orideus avait joué un rôle clé pour lui, et ce dès le jour où il l’avait trouvé dans les rues d’Ishdara. Le vieux mage l’avait pris sous son aile et emmené avec lui. Il l’avait élevé comme son fils et en avait fait son élève. Toutefois, même s’il avait essayé de lui enseigner la magie, Jandar n’en restait pas moins un sorcier. Il lui était impossible d’apprendre auprès d’un mage quelconque. Il lui fallait la développer, car elle était déjà en lui. Orideus l’avait compris, accepté et admis. Ce n’était pas rien pour un mage. D’où ce voyage à Ghiarkur. C’est pour cela qu’Enialis, le meilleur ami d’Orideus et son compagnon d’aventure de toujours, le guidait sur ces terres. Alors, pourquoi diable faire les mystérieux ?

    — Tu sais où nous allons ? demanda Jandar. — Moi, j’ai l’impression qu’on s’est perdus...

    — Oui. Je sais où nous sommes et où nous devons aller, asséna le rôdeur sur un ton étrangement agressif. J’ai une excellente mémoire, rassure-toi, lui dit-t-il d’une voix qui s’était adoucie.

    Le jeune homme se demandait comment le demi-elfe s’y prenait pour distinguer la route dans cet environnement où tout se ressemblait, en tout cas à travers ses yeux à lui.

    Ils avaient récupéré leur avance et depuis quelques heures, le paysage avait cessé de changer. L’humeur n’était pas au beau fixe. Fatigués et affamés, tout cela leur sembla bien loin derrière eux quand ils atteignirent le Miroir du ciel : une immense plaine de glace dans laquelle se reflétait la voûte céleste, bercée par les rayons rougeâtres du soleil couchant.

    Jandar sortit l’amulette qui lui avait été remise par Orideus : un saphir ovale contenant un fragment argenté, le tout relié à une chaînette en fer. Dévoré par la curiosité, il le serra fort dans sa main : il lui tardait de faire la connaissance de son nouveau maître.

    La voix empreinte d’émotion, il se mit à réciter : — Laahck nar’din thuden !

    2

    L’oracle

    — Ce temps me rend triste, dit Eilema à son père tandis que, depuis la tour du monastère, ils regardaient la pluie tomber en trombes.

    — Ferme les yeux. Peu importe ce que tu vois, écoute, lui intima Garret en la tenant fort contre lui comme si elle était le trésor le plus précieux qui soit.

    La jeune fille suivit le conseil. Le mauvais temps se fit soudain apaisant. Les gouttes reproduisaient le son délicat d’une berceuse.

    — Tu as raison, c’est magnifique !

    Le Grand Maître de Ferabath lui rendit un timide sourire. Il observa sa fille avec une expression pleine d’amour : des yeux de biche, marrons comme ses cheveux qui tombaient jusqu’au menton. Des traits aussi fins que simples. Rien d’extraordinaire, mais elle avait en elle ces traits qui rappelaient sa mère, morte depuis des années. Cette pensée fit naître en lui une pointe pointe de tristesse, mail il ne laissa rien paraître.

    Avec la pluie, l’esplanade devant le monastère se recouvrit de flaques. Aussi normal que cela parût, Garret remarqua quelque chose d’étrange : l’eau semblait se déplacer, comme si elle était vivante. Normalement, elle reste au centre, formant une sorte de petit lac, puis elle se disperse. Chaque masse aqueuse se mit à se déplacer de façon aléatoire et erratique, puis ensemble, elles se mirent à former des mots.

    Eilema observait la scène hébétée, tandis que Garret sentait poindre en lui une peur enfouie depuis des années.  Envoie tes enfants à la Source, indiquait le message dont il connaissait déjà l’auteur.

    — Père, qui est-ce ? Qu’est-ce qu’on nous veut ?

    Le visage de l’homme s’assombrit. — C’est l’Oracle de la Source. S’il te plaît, va chercher tes frères. Qu’ils prennent le nécessaire pour une journée. Nous partirons dès l’aube, ordonna-t-il le regard perdu dans le vide.

    — Comme vous voudrez, père. J’y vais immédiatement, comme ça je me prépare également.

    Eilema se retourna prête à partir, mais il la prit par le bras. Il se tenait face à elle, le visage fier, le regard déterminé, les yeux noirs et profonds. Son visage était entouré de cheveux bruns bouclés et hirsutes, un grain de beauté sur le front. Il portait l’habit de Grand Maître. — Attends ! Demain, nous partirons seuls, je souhaite que tu restes au monastère.

    Un coup de poing aurait été moins douloureux. Ses yeux rougirent, elle était au bord des larmes.

    — Mais pourquoi ? Je ne comprends pas ! répondit-elle frustrée.

    — Parce que je tiens à toi plus que tout. Tu es trop importante et je ne veux pas t’exposer à des dangers inutilement. Je t’en prie, fais-moi confiance...

    Eilema lui opposa une expression de colère avant de prendre la fuite.

    ***

    Avant même que le soleil ne pointe à l’horizon, Alak était déjà debout, ballotté par ses émotions. Il tremblait à l’idée de pouvoir s’enfuir de cette prison, même pour un jour. Qui plus est, il avait été convoqué par l’oracle. Dans son cœur, il sentait que le moment tant attendu était proche : le moment de quitter Ferabath. Même Garret ne pouvait s’y opposer.

    Il arriva le premier dans la cour du monastère, suivi de peu par Ethan. Sous ses blondes boucles, l’habit marron des élèves, la posture qu’il s’était composée et ces yeux bleus transparents, Alak n’eut aucun mal à comprendre que son frère partageait son enthousiasme. Si tout les opposait d’ordinaire, cet instant fut l’un des rares moments où ils se sentirent proches.

    L’air affligé et semblant prendre son temps, Garret les rejoignit.

    L’essentiel du voyage se fit dans le silence, plongés dans leurs pensées, leur attention tournée vers la route escarpée. Cette route qui menait à la Source du Bien-Être était extrêmement dangereuse, entre parois escarpées, chemins étroits et pics rocheux.

    — Il nous sera difficile d’atteindre la cascade, qui est par ailleurs bien cachée. Il nous faudra faire preuve d’adresse pour y arriver, expliqua Garret brisant ainsi le silence de sa voix monocorde.

    — Encore mieux alors, nous allons pouvoir nous échauffer ! répondit Alak plein d’enthousiasme.

    — Les plus grandes conquêtes le sont en raison de leur difficulté, reconnut Ethan.

    Le Grand Maître souffla, comme s’il avait échoué dans sa tentative. — Quand vous serez devant l’Oracle, prenez garde à ce que vous dites, faites preuve de respect. Elle vous observera l’un après l’autre, elle sondera votre cœur. Je sais que je peux faire confiance à Ethan, mais toi Alak, je t’en prie, lui intima l’homme avec son éternelle sévérité.

    — Père, t’es-tu déjà rendu auprès de l’Oracle de la Source ? demanda Ethan.

    — Oui.

    — Combien de fois ?

    — Un certain nombre. Assez parlé, concentrons-nous sur la route. Un seul faux pas, et c’en serait fini de nous.

    ***

    Des sentiers étroits bordés de précipices, des parois montagneuses à la roche coupante comme un rasoir, telle était leur route. Garret ne rencontra que peu de difficultés, mais les deux garçons ne pouvaient se permettre d’être distraits. Ils avançaient en file indienne, retenus l’un à l’autre par une corde solide. L’erreur d’un seul pouvait entraîner la mort de tous.

    Après plusieurs heures, ils arrivèrent au niveau d’une brèche le long de la paroi contre la montagne. Elle donnait vers l’intérieur, sur une galerie sombre et escarpée. Garret pénétra en premier et parcourut une dizaine de mètres.

    Dès qu’ils atteignirent la sortie de ce tunnel humide, ils restèrent abasourdis. Le spectacle qui s’offrait à eux était envoûtant. Au cœur des monts Bagadon se trouvait une incroyable oasis naturelle. Un fleuve se jetait du haut du promontoire, donnant naissance à une large cascade qui plongeait dans le lac enveloppé dans la brume. L’eau était transparente comme du cristal, le ciel bleu et les nuages se reflétaient en elle comme dans un miroir. À cette altitude, le froid laissait place à des températures plus clémentes. Le reste de la plaine était entouré de murs en pierre, hauts et naturels. Elle était recouverte de vertes prairies où poussaient de magnifiques arbres chargés de fruits. Le bord du lac était parsemé de fleurs. C’est la Source qui était à l’origine d’une nature aussi luxuriante, créant ainsi un environnement bien différent des roches stériles au sommet des monts Bagadon.

    — Mais... c’est magnifique ! s’exclama Ethan qui était bouche bée.

    — Tu as raison... J’avais fini par oublier, nota Garret qui se souvint alors que treize années s’étaient écoulées depuis sa dernière venue en ce lieu.

    Au centre du lac, des ondulations circulaires commencèrent à se former, l’une après l’autre avec toujours plus de régularité. Enfin, une forme humanoïde émergea, une femme, entièrement composée d’eau et à la beauté exceptionnelle. De longs cheveux lui tombaient jusqu’aux genoux tels des ruisseaux de pluie. Dans ses yeux, l’immensité de l’océan, insondables, comme l’abysse le plus profond. Elle avança sur la surface du lac de manière envoûtante jusqu’à atteindre la rive.

    — Soyez les bienvenus à la Source du Bien-Être, dit-elle d’une voix suave, douce comme le miel et claire comme l’eau d’une rivière. N’importe quel homme aurait pu passer des jours en sa présence, simplement à l’écouter.

    Les trois hommes lui répondirent d’un discret hochement de la tête.

    — Ce sont donc vos fils, Grand Maître de l’Ordre du Tonnerre ?

    — Oui. Voici Alak, l’aîné, répondit Garret en désignant son fils, et voici Ethan, ajouta-t-il de la même manière.

    — C’est un plaisir de faire votre connaissance, répondit-elle avec gentillesse. Où est votre fille ? demanda-t-elle à l’homme directement dans son esprit, mais sans obtenir de réponse.

    — Tout le plaisir est pour nous, ô Grand Oracle, répondit Ethan en se baissant largement.

    — Pareil, ajouta Alak.

    — Je lis dans vos yeux comme dans votre cœur que vous êtes impatients de savoir pourquoi je vous ai fait venir jusqu’à moi. Les deux frères opinèrent. — Eh bien, comme pour toute chose d’importance, il faudra du temps, et vous ne faites pas exception. Asseyez-vous confortablement, les invita-t-elle d’un geste de la main.

    Alak et Ethan échangèrent rapidement un regard enthousiaste avant de s’installer.

    — Les gens de votre race m’appellent l’Oracle de la Source. J’existe depuis la Première Ère, une époque oubliée de tous. Le Créateur m’a accordé un don, celui de voir des fragments appartenant à l’avenir. Écoutez-moi bien, car il n’existe pas de chemin préétabli. Non, il n’y a pas de destinée. Chaque créature est libre de choisir son avenir, mais rien, et je dis bien rien, n’arrive pas hasard. Elle s’arrêta un instant afin de scruter du regard les deux garçons. — Sachez toutefois qu’il existe parfois des desseins qui nous dépassent. Malgré notre opposition, ils se réalisent. Cela étant, nous restons libres de faire des choix.

    Ils buvaient les paroles de l’oracle qui se déversaient en eux comme un fleuve se jette dans la mer.

    — Vous vous demandez pourquoi je vous raconte tout cela. Eh bien, plus de deux siècles se sont écoulés depuis qu’un jeune homme, à pleine plus grand que vous, s’est aventuré pour la dernière fois au milieu de ces sommets. Il pensait être arrivé jusqu’ici par hasard. J’avais prévu sa venue, je lui ai parlé et lui ai révélé ce que je savais du chemin qui l’attendait : un long voyage au-delà des frontières d’Erebia, par delà le désert du Sharami, en Extrême-Orient, à Shikoghin. Il lui fallait apprendre un art inconnu sur notre continent afin qu’il puisse créer un ordre spécial : les Enfants de la Lumière. Cet enfant s’appelait Dath. Vous connaissez sans doute la suite de l’histoire de la fondation de l’Ordre du Tonnerre de Ferabath. Toutefois, ce que tout le monde ignore c’est que de cet ordre naquirent des étoiles, appelées les Ascètes : des moines aux capacités extraordinaires nés pour lutter contre l’obscurité. Ce jour est arrivé.

    Les deux jeunes hommes restèrent silencieux, abasourdis par cette révélation. Alak était presque extatique tandis qu’Ethan semblait mal à l’aise, inquiet de cette responsabilité naissante.

    — Êtes-vous en train de dire que mes fils sont ces étoiles ? demanda Garret, d’un ton légèrement hésitant.

    Les deux frères reportèrent immédiatement leur attention sur l’oracle.

    — Vous connaissez déjà la réponse, Grand Maître de l’Ordre du Tonnerre.

    En effet, Garret la connaissait déjà. Au plus profond de lui-même il la connaissait, mais il préférait l’étouffer de toutes ses forces. Ses fils s’étaient distingués depuis leur plus jeune enfance, émancipés et prometteurs comme personne avant eux dans l’histoire de Ferabath. Ce qu’il ne parvenait pas à comprendre en revanche, c’était pourquoi la Cinquième Ère devait être la plus sombre de l’histoire. Depuis la création du Conseil des Peuples, tout semblait aller pour le mieux. Il était porteur d’espoirs immenses.

    — Je vais vous révéler ce que j’ai vu. Je sais que cela vous semblera incompréhensible, alors je vais coucher mes mots sur le papier afin que vous puissiez vous en souvenir et les comprendre plus tard, quand l’heure sera venue, suggéra-t-elle.

    Garret tira de son sac un rouleau de parchemin, une plume et un encrier ; ils les avaient emportés, anticipant les exigences de l’Oracle.

    Quand il fut prêt, elle se mit à chanter :

    Un jour retentira l’appel du chêne de jadis,

    quand s’élèvera la couronne ennemie.

    Les fils du grand tonnerre seront convoqués,

    pour protéger les frères menacés.

    Mais sur le chemin par eux parcouru,

    naîtra une compagnie inattendue.

    Il leur faudra trouver le saphir glacé,

    le bon méchant et le rebelle aux griffes acérées.

    Ils seront rejoints par le poète à la lame,

    pour s’opposer au menteur qui brame.

    — C’est tout. C’est à vous de décider si, le moment venu, vous répondrez à l’appel, ou l’ignorerez.

    — Pourquoi parlez-vous toujours par énigme ? Ce ne serait pas plus simple de nous dire ce qu’on doit faire et ce qui va se passer ?! grommela Garret.

    — Tout vous sera révélé au moment opportun, chaque chose en son temps. Je ne sais pas tout, les choix déterminent l’avenir et les conséquences, tant que l’on n’a pas fait de choix, il n’y a que l’incertitude. Ceux qui observent l’avenir ne voient que des images en constant changement, car les possibilités sont infinies, répondit l’oracle avec le plus grand calme. Le destin n’existe pas, chacun est l’artisan de son propre avenir, leur expliqua-t-elle mentalement. Deviens qui tu es et non ce que ton environnement voudrait faire de toi. Trouve ta voie...

    Alak et Ethan écarquillèrent les yeux en entendant sa voix dans leur tête.

    Je connais bien votre douleur, dit-elle à Garret, mais pour autant vous ne pourrez les garder auprès de vous éternellement. Même si vous voulez les protéger, ils doivent suivre leur propre chemin, en toute liberté. Vous ne pouvez vivre dans la douleur du passé, elle finira par vous épuiser, vous et ceux qui vous entourent.

    — Je ferai tout mon possible afin de prendre la meilleure décision pour nous tous, ne perdons plus de temps, lui assura Ethan en s’inclinant bien bas. — Merci à vous Oracle.

    — Aujourd’hui, une nouvelle vie commence pour moi, ajouta Alak. — Je me sens le cœur léger et je sais avec certitude que là se trouve ma véritable vie. Comptez sur moi. Je vous remercie ! 

    Elle lui sourit avec de se retourner vers Garret dont le malaise se lisait sur son visage. — N’ayez crainte. Ayez confiance en eux, ce ne sont plus des enfants. Vous savez bien que cela fait partie du cycle de la vie, vous ne pourrez pas toujours les empêcher de grandir. Que vous décidiez de suivre la prophétie ou non, poursuivit-elle en s’adressant aux garçons, vous devrez revenir ici afin de parcourir le même chemin que parcourut jadis votre père. Pour devenir des Ascètes, vous devrez emprunter le Sentier des Esprits.

    Garret écarquilla les yeux, car il connaissait le danger qui les attendait. Oui, il se le rappelait très clairement. C’est pour cela que le Sentier des Esprits était un secret pour les élèves et les moines, et ce depuis la fondation de Ferabath. Seuls les maîtres connaissaient son existence, seuls les meilleurs candidats au rang de Grand Maître l’empruntaient.

    — Partez maintenant, et réfléchissez. Une fois votre décision prise, vous ne pourrez plus faire marche arrière.

    3

    Namidaxonsegurhegalias

    Le saphir se mit à pulser dans la main du sorcier, le seul à même de s’en rendre compte. En tout cas, jusqu’à ce qu’il ressente une forte vibration suivie d’une vague de puissance qui se répandit dans l’air. Tous les deux restèrent silencieux, à l’affût de ce que Jandar attendait avec impatience. Il éprouva un mélange de sentiments et d’émotions : de la curiosité, de la joie et de la peur. Il sentait le pouvoir de la gemme sur laquelle se déchaînait une tempête de neige et, quand il posa les yeux sur elle, il vit sa main recouverte de fragments de glace.

    Le Miroir du Ciel se mit à vibrer, en proie à un tremblement de terre. Toute l’étendue fut parcourue de craquements. Tout d’un coup, un rugissement se fit entendre dans toute la zone ; la plaine en miroir éclata dans un grand fracas. Des morceaux entiers de glace s’envolèrent dans les airs après avoir été arrachés violemment. Le Miroir du Ciel vola en éclats, révélant ainsi le lac qui dormait en dessous. Au centre, une masse immense commença à sortir de l’eau, elle était faite d’un métal brillant, argenté. Les lueurs rougeâtres du crépuscule se reflétaient sur le flanc ouest, créant ainsi des reflets violet et écarlate.

    Le rôdeur ne sembla pas s’en émouvoir, tandis que le jeune homme était émerveillé. La vue qui s’offrait à eux était à couper le souffle. Comment ce sorcier avait-il réussi à submerger cet édifice tout entier sous la surface du lac ? Et comment faisait-il pour y survivre ?

    Toutefois, ce qui émergea du lac n’était ni une forteresse ni un édifice, mais malgré tout quelque chose de gigantesque. Il était fait d’argent et brillait comme un millier d’étoiles à l’ombre de la montagne. Du côté frappé par les rayons du soleil, on aurait dit un mur constellé de pierres précieuses.

    La créature émergea de la surface de l’eau et déploya ses ailes comme pour s’étirer, plongeant le Miroir du Ciel dans l’obscurité. Il étira son cou massif en direction de la voûte céleste apparaissant dans toute sa splendeur. Le dragon avait l’air fier, sage et était en même temps terrifiant. Ses pattes étaient parcourues de puissants muscles, surtout les pattes arrière - plus grandes que les pattes avant. Ses ailes faisaient environ cinquante mètres d’envergure. De la tête à la queue, il arborait une crête majestueuse. Alignées avec son museau et surplombant ses oreilles, deux cornes argentées telles de longues griffes se déployaient vers le dos. Il avait des épines osseuses qui lui sortaient sous le menton et tout autour de la tête. Ses yeux étaient argentés, sans iris ni pupille ; ils ressemblaient à du mercure fondu sous forme de gemme. Le dragon irradiait de pouvoir ; il émanait de lui une impression de sagesse ancienne mélangée à une intelligence fine.

    Après avoir pris le temps de s’étirer correctement, la créature replia ses ailes et se tourna vers ses deux spectateurs.

    — Où se trouve le jeune

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