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Concierge / Facteur: Fictions sur nos travailleurs essentiels en pandémie
Concierge / Facteur: Fictions sur nos travailleurs essentiels en pandémie
Concierge / Facteur: Fictions sur nos travailleurs essentiels en pandémie
Livre électronique225 pages3 heures

Concierge / Facteur: Fictions sur nos travailleurs essentiels en pandémie

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À propos de ce livre électronique

BIOCIDE
Métier : Concierge

Michel est un jeune concierge né d’un père cri et d’une mère innue. Il a quitté la Basse-Côte-Nord pour Montréal, à la recherche de l’anonymat. Se fondre dans la foule est vite devenu son objectif à partir du moment où toute la communauté d’Ekuanitshit (Mingan), située au bout de la 138 Est, s’est mise sur son dos. Enfin… toute la communauté, peut-être pas, mais à partir du moment où sa mère, sa tante et sa soeur aînée s’y sont mises, c’est comme si toute la Côte Nord avait les yeux rivés sur lui en permanence…

On attendait de lui de grandes choses, voire l’impossible.

Alors il a choisi de devenir concierge.

Michel rêve de se faire oublier, mais ce printemps-là, la réalité l’amène au front, où il doit combattre le virus et son ennemi intérieur.

___

DU PAPIER ET DES ARCS-EN-CIEL
Métier : Facteur

Il n’y a pas si longtemps, prendre l’air était tout ce qu’il suffisait à Arnold pour s’éclaircir l’esprit. En optant pour le métier de facteur, il s’assurait de profiter au maximum de la vie en extérieur. Or, toutes ses belles habitudes seront chamboulées par l’arrivée de la COVID-19.

À cause du virus, Arnold ne peut plus voir sa fille Léa. Le fossé qui le sépare de son ex ne fait que se creuser davantage. Les pistes de solutions se raréfient alors que le seul fait de marcher dehors semble être devenu un risque démesuré. Masque, gel désinfectant, distanciation sociale… Rien ne semble être suffisant désormais.

C’est avec l’esprit plus sombre que jamais qu’Arnold s’interroge.

À quoi bon dresser autant de barrières entre lui et ses proches?

Et surtout, est-ce possible de réparer un coeur déjà en mille morceaux?
LangueFrançais
Date de sortie27 nov. 2020
ISBN9782898180668
Concierge / Facteur: Fictions sur nos travailleurs essentiels en pandémie

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    Aperçu du livre

    Concierge / Facteur - Chantale Gingras

    Copyright © 2020 Chantale Gingras, Stéphanie Sylvain

    Copyright © 2020 Éditions Monarque Inc.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : Simon Rousseau

    Révision éditoriale : Gabriel Thériault, L.P. Sicard

    Révision linguistique : Amélie Hamel, Mélanie Boily

    Conception de la couverture : Mathieu C. Dandurand

    Photos de la couverture : © Getty images

    Mise en pages : Catherine Bélisle

    ISBN papier : 978-2-89818-064-4

    ISBN PDF numérique : 978-2-89818-065-1

    ISBN ePub : 978-2-89818-066-8

    Première impression : 2020

    Dépôt légal : 2020

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Éditions Monarque Inc.

    1471, boul. Lionel-Boulet, suite 29

    Varennes (Québec) J3X 1P7, Canada

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    BIOCIDE¹

    ~

    CHANTALE GINGRAS

    1. Un biocide est un produit destiné à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à en prévenir l’action ou à les combattre, par une action chimique ou biologique (source : Wikipédia).

    Le plus difficile, c’est de ne plus voir son sourire.

    Il n’est pas seulement caché derrière un masque, il est enterré sous des couches et des couches de fatigue et de peur viscérale. Oh, les yeux ont encore quelque douceur pour lui, mais il s’y mêle désormais une tristesse teintée de résignation.

    La belle Sarah est lessivée. Son regard est un lac sans vagues.

    Quand elle s’approche de lui, ses paupières se ferment lentement, le menton se relève : façon pour elle désormais de dire « Ça va encore, salut toi, allez, on tient le coup ».

    Mais à les voir tous, on croirait plutôt qu’ils s’épuisent à défendre la bande de Gaza.

    19 avril 2020. Temps gris, déprimant. Le soleil se confine encore derrière les nuages. C’est comme ça depuis trois jours : comme si les états d’âme de tout un chacun avaient fini par déteindre sur le ciel et l’air ambiant. Un vent glacial siffle sur les vitres comme un acouphène entêtant. Cette année, avril, c’est novembre : on finit par croire qu’on s’en va vers plus froid et plus noir, que l’été ou même le vrai printemps, ça tient de l’abstraction.

    Michel est dans la salle d’habillage, dans la zone tampon. Il enfile son équipement de protection sous l’œil attentif d’un gardien de sécurité. Son haleine de café remplit tout son masque et lui revient sans cesse. Il a maintenant besoin de trois cafés avant le début de chaque quart de travail, sans quoi il cogne des clous et perd sa concentration. Et perdre sa concentration peut mener à des erreurs fatales : on effleure sans s’en rendre compte des surfaces infectées, on touche son visage pour calmer une démangeaison ou essuyer une goutte de sueur et hop ! on grossit les statistiques. Et tomber malade, c’est porter le fardeau moral d’une désertion en temps de guerre. On sait que d’autres devront mettre les bouchées doubles ou même triples pour tenir les tranchées. Et ça, tout comme le coronavirus lui-même, ça coupe le souffle.

    Au mur, l’horloge affiche 6 h et Michel en a pour jusqu’à 20 h au moins. Ensuite, il enlèvera tout son attirail, repassera la porte en sens inverse et empruntera les trottoirs jusque chez lui, dans une ville désormais trop tranquille pour être vraie. Il prendra une douche, essaiera de manger un morceau, regardera un peu de télé, puis ira se coucher sans grande conviction : il sait trop bien que son corps et son cerveau font la grève du sommeil. Depuis la fin mars, Michel ne s’endort plus, il s’évanouit. D’où l’excès de caféine pour tenir le coup. Le jour, il lutte contre le sommeil ; la nuit, il maudit son éveil. Il sait très bien qu’il ne pourra pas tenir comme ça longtemps sans recourir aux somnifères.

    Heureusement, certaines choses l’aident à rester bien éveillé, les sens en alerte : l’équipe médicale sur le qui-vive, l’arrivée d’une ambulance ou, comme en ce matin gris du 19 avril 2020, l’entrée dans son champ de vision de l’infirmière Sarah Champeau.

    Elle a quitté la zone chaude, elle se dirige vers la zone tampon où elle se délestera, dans l’ordre, de ses gants, de sa blouse de protection, de sa visière embuée, puis de son masque, en prenant bien soin de laver minutieusement ses mains entre chacune des étapes. C’est long. C’est pénible. Mais malgré la fatigue et la lassitude, surtout, surtout ne pas baisser la garde, car le virus est un prédateur toujours aux aguets. C’est surtout quand on enlève la blouse que les erreurs peuvent survenir, que le tissu infecté risque d’entrer en contact avec ses vêtements à elle ou avec la peau nue de ses avant-bras. Parfois, elle se dit que si ça arrivait, elle serait délivrée de tout ce cirque… Oh, c’est une pensée fugace, elle disparaît aussitôt. Mais comme les avions qui filent vers un ailleurs, l’idée laisse une traînée dans son sillage.

    — Je sors prendre ma pause ! lance-t-elle à ses collègues.

    Elle attrape son manteau, une bouteille d’eau, une collation santé. Tout est trop lisse, trop précautionneux : elle souhaiterait presque se mettre à fumer pour mettre un peu de crasse dans tout ça.

    Une fois dehors, elle se contente de respirer le vent qui jette un peu de sable dans ses cheveux.

    Michel aimerait bien être un grain de sable, pour être plus près d’elle.

    Dès qu’il l’a vue sortir, il a saisi son chariot et s’est avancé vers les portes vitrées. Il fait mentalement le chemin qu’elle fera dans quelques minutes tandis qu’il désinfecte les poignées extérieures puis les vitres, sans oublier les rebords et les côtés. Il nettoie les murs, les interrupteurs, le bouton-pression ouvrant les portes menant à la salle consacrée à l’enfilage de l’équipement de protection individuel. Là, il lave tout : les comptoirs, les tablettes, il met un soin maniaque à ce que toutes les surfaces soient nettoyées. Enfin il vide les poubelles et vérifie les réserves de matériel pour s’assurer que Sarah aura accès à de l’équipement neuf.

    Michel n’est pas médecin, il n’est même pas infirmier, il n’est pas grand-chose, sans doute, mais pour Sarah, il est prêt à devenir un superhéros zélé, un protecteur de l’ombre.

    Durant tout son quart de travail, il repassera deux fois plutôt qu’une dans chaque aile, local et chambre où devra aller Sarah. C’est sa façon à lui de veiller sur elle. De s’assurer que cette saleté de virus se tient loin d’elle.

    C’est sa façon à lui de jeter son manteau en travers d’une flaque d’eau pour que la jolie demoiselle puisse continuer son chemin.

    Michel a 23 ans et toutes ses dents, troisièmes molaires comprises. Il est né d’un père cri et d’une mère innue. Il a quitté la Basse-Côte-Nord pour Montréal, à la recherche de l’anonymat. Se fondre dans la foule est vite devenu son objectif à partir du moment où toute la communauté d’Ekuanitshit, située au bout de la 138 Est, s’est mise sur son dos. Enfin… toute la communauté, peut-être pas, mais à partir du moment où sa mère, sa tante et sa sœur aînée s’y sont mises, c’est comme si toute la Côte-Nord avait les yeux rivés sur lui en permanence.

    On attendait de lui de grandes choses, voire l’impossible.

    Alors il a choisi de devenir concierge.

    Pierre, son père, était un Cri de la baie James. Il venait de Waskaganish, un petit village situé à l’embouchure de la rivière Rupert, où a été établi le tout premier poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson, à l’époque de Pierre-Esprit Radisson et de Médard Chouart, dit lord Des Groseillers. Il a passé toute sa jeunesse à explorer la baie James, à arpenter le territoire, à faire siennes toutes les rivières et les forêts qu’il découvrait, chassant petits et gros gibiers, apprenant à vivre comme ses ancêtres autrefois nomades. À vingt-huit ans, il a quitté les siens pour marcher vers l’est et c’est tout au bout du continent, avant de toucher l’Atlantique, qu’il a trouvé où déposer son cœur : la belle Gabrielle Nituenimakan avait son avenir dans les yeux.

    Il a pris femme et pays.

    Il s’est mis à travailler pour Parcs Canada.

    Il est mort de façon horrible, dans un accident de la route.

    Michel n’avait que douze ans. Et, désormais, un trou à la place du cœur.

    Très tôt, le fils a senti qu’on voulait qu’il devienne son père, qu’il le remplace. C’était trop pour lui, ces attentes immenses à satisfaire, ce vide tout aussi immense à combler, alors même qu’il s’esquintait dans le tourbillon de la puberté.

    Alors il a fait couler à pic plusieurs de ses qualités ; il a laissé tomber les sciences, exit les espoirs de devenir docteur ; il a laissé tomber les explorations des îles de Mingan, exit l’héritage de son père ; il s’est mis à manger, manger et manger mal, exit l’estime de soi.

    De jeune garçon bourré de potentiel, il est devenu un jeune obèse tout juste capable de passer la moppe. C’était vrai dans son esprit, du moins.

    Il s’appelle Coon. C’est un patronyme cri qui signifie « raton laveur ». Dans « raton laveur », il y a laveur. Avec son estime croupissant au troisième sous-sol, Michel a choisi d’y voir une prédisposition pour le nettoyage des surfaces.

    C’est la pause. Michel avale un café de distributrice en compagnie de Boris Todorovic, son supérieur immédiat. Celui-ci le questionne sur sa région natale :

    — C’est en face de l’île d’Anticosti. À 200 kilomètres à l’est de Sept-Îles. En face du golfe du Saint-Laurent. À Ekuanishit, ou Mingan, comme on l’appelle aussi, on est comme devant l’océan, vous savez.

    — Au boutte du boutte du Québec ?

    — Oui. Vous connaissez votre géographie, monsieur Todorovic. Pis la langue québécoise !

    Boris Todorovic, début quarantaine, est un Bosniaque qui est arrivé au Québec comme on tombe d’un arbre : à la fois complètement sonné et surpris d’être encore en vie. Avec sa femme et ses trois filles, il a embrassé sa nouvelle vie avec l’énergie du survivant. Tout était nouveau pour lui : la langue, la culture, la géographie. Mais il s’est appliqué comme un premier de classe à apprendre par cœur son nouveau pays.

    — Connaître l’accent québécois, le vocabulaire, les expressions, c’est une question de survie.

    — Comment ça ?

    — Eh bien… avec tous les patients qui aiment pas trop les étrangers pis qui te regardent de travers quand ils te voient, c’est pratique de lancer un « Y fait frette en maudit à matin ! » : tout d’un coup, ils se sentent plus en confiance, c’est comme si tu faisais partie de la gang. C’est comme apprivoiser un renard !

    — C’est pas facile, apprivoiser un renard. Des fois on pense y être arrivé, pis c’est pas le cas.

    — C’est ça que je dis : c’est comme apprivoiser un renard ! réplique Todorovic, sourire en coin.

    Michel se sent bien avec cet homme-là. C’est Todorovic qui l’a intégré à l’équipe de ménage. D’abord sur le quart de nuit, ce qui faisait l’affaire de Michel, qui pouvait s’imaginer n’être qu’une ombre se glissant dans la ville endormie. Exister à moitié, c’était déjà bien suffisant pour lui. Mais avec l’arrivée de la COVID-19, les horaires ont été chamboulés et Michel s’est retrouvé sur le quart de jour, à devoir côtoyer les vivants.

    — Votre famille va bien, monsieur Todorovic ? C’est pas trop difficile à la maison ?

    — Boro, appelle-moi Boro, fiston. C’est comme ça que mes amis m’appelaient, en Bosnie.

    — OK, monsieur Boro.

    — Juste Boro.

    — OK, Boro.

    — Ça va, c’est pas toujours facile, mais ça va. Pendant que ma femme travaille au service de garde du quartier, ma plus vieille s’occupe des deux plus jeunes, elle leur fait faire leurs devoirs. On s’arrange. Pis toi ?

    — Moi, ça va. Je suis tout seul, faque c’est moins compliqué.

    — Je suis pas sûr de ça. Tout seul dans un demi-sous-sol, ça doit être long.

    — Ça va, réplique Michel.

    — Ton océan te manque pas ? Je veux dire… un demi-sous-sol à Montréal…

    — Oh des fois, oui, c’est sûr. L’air, le vent… À Montréal, y’a pas de vent.

    — Tu peux le dire : y’a pas de vent, ça pue pis y’a pas de vue !

    Sourires.

    — C’est quoi, ton histoire, Michel ? Pourquoi un jeune comme toi se ramasse ici, je veux dire, concierge dans un hôpital ? Pour moi, c’est facile, c’est la guerre. J’étais ingénieur en mécanique, me voilà ingénieur en balais, mais toi ?

    — Oh… longue histoire.

    — Ça tombe bien : on a du temps.

    Oh, du temps, ils n’en avaient pas tant que ça, peut-être encore un gros sept minutes avant la fin de la pause, mais pour qui avait le moindrement l’esprit de synthèse, c’était amplement suffisant pour jeter le gros de ses cartes. Sans bluffer.

    — C’est pas facile, le rapport au père, fiston. Je comprends ça. Toi, t’avais le père parfait, difficile à imiter. Moi, c’est le contraire : mon père, c’était un alcoolique. Un alcoolique qui est devenu violent à partir du moment où l’usine l’a mis à la porte. C’est ma sœur aînée qui devait payer les factures. Ça m’a donné le coup de pied au derrière qu’il me manquait pour aller chercher un diplôme et nous sortir de là. Des fois, faut juste savoir quoi prendre pis quoi laisser. Ton père, prends ce qu’il a de bon, ce qui te motive, pis laisse le reste, la pression, tout. Tu fais ta vie, fiston. Tu fais ce que tu peux avec ce que t’as. Personne t’oblige à le remplacer.

    — Oh, c’est pas si simple.

    — Je le sais. C’est pas simple, mais c’est pas impossible. Comme ben des affaires dans la vie.

    La pause est finie, les deux hommes se dirigent, la tête pleine de pensées, vers la zone tampon. Là, devant les lavabos et la série de miroirs qui épient chaque mouvement, ils feront corps et esprit net, car ils ont besoin de leur pleine concentration.

    Ce printemps-là, les concierges deviennent particulièrement indispensables en raison du coronavirus qui s’empare de toute la planète. Michel travaille sans relâche. Il est épuisé et à bout de nerfs. Il sent une forte pression peser sur lui : la totale propreté n’a jamais été aussi importante. Nettoyer et désinfecter les planchers, les murs, les portes, les chariots, les salles de bain n’a jamais été aussi primordial. Le moindre racoin oublié peut coûter une vie. Ou plusieurs. Ce virus se colle aux surfaces de métal, de plastique, de carton-plâtre, de céramique et de bois. Il y prolifère. Il y survit des heures.

    La survie : chaque jour, chaque heure est teintée par cette idée.

    — On a un code bleu, patiente de 79 ans, COVID positif !

    L’ambulancière transmet les informations cruciales à l’urgentologue pendant que son collègue dirige la civière dans l’unité des soins intensifs.

    Un branle-bas de combat s’engage aussitôt. Toute l’équipe est sur le qui-vive pour traiter l’arrêt cardiorespiratoire. On enclenche les manœuvres vitales de base : on branche le masque sur une nouvelle bonbonne d’oxygène et on amorce les compressions thoraciques. C’est là que tout se joue : l’urgentologue fait le décompte à voix haute pendant qu’il pratique le massage cardiaque continu. L’infirmière prépare le défibrillateur et applique la pâte conductive.

    — Défibrillateur à 160 joules.

    — Paré.

    Une puissante décharge traverse la patiente. Son corps s’arque et s’écrase aussitôt. On dirait une marionnette désarticulée.

    — Pas de pouls, Docteur.

    C’est la vitesse d’exécution et la synchronisation parfaite des membres de toute l’équipe qui comptent ici. On alterne massage cardiaque et défibrillation. C’est une chorégraphie violente : le contraste entre le corps affalé de la patiente et la violence qui le soulève par à-coups a des airs d’exorcisme. Sourcils froncés et yeux quasi exorbités, l’urgentologue Pierre Gagnon semble lutter contre le Diable en personne. Non, il ne perdra pas cette patiente, c’est hors de question. Il compte comme d’autres récitent un mantra.

    — Un, deux, trois, quatre, cinq, six…

    Gagnon en est à sa deuxième série de trente compressions thoraciques. Il appuie le talon de sa paume sur la patiente, il effectue une pression s’enfonçant de 5 à 6 cm de profondeur dans le thorax. La femme est toute frêle, on dirait le corps d’une enfant.

    — Toujours pas de pouls, Docteur.

    Ses pensées filent à toute allure. Doit-il ordonner une injection d’un milligramme d’adrénaline ? Son instinct lui dit non, cela risquerait de provoquer une vasodilatation… Il maintient le rythme des compressions, il sent son équipe toute tendue vers lui, prête à agir. Et s’il se trompait ? Et si l’adrénaline avait pour effet d’augmenter la pression diastolique et de rendre la défibrillation plus efficace ? Mais son instinct lui dit non, pas dans ce cas-ci…

    — …24, 25, 26…

    — Docteur, présence de CO2 en fin

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