On fera la fête sous le parasol rouge: Journal d'une Bruxelloise confinée
Par Martine Bronzin
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À propos de ce livre électronique
C’est qu’on n’allait pas se laisser aller ! On allait voir ce qu’on allait voir ! Ce moment serait celui des victorieux, de nous tous qui, modestement, allions lutter, chacun à notre manière, pour traverser cette épreuve et prouver que l’humanité n’est pas un vain mot.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Martine Bronzin, Bruxelloise, est née en Afrique. Professeure de littérature et de langue française, elle écrit depuis toujours pour son plaisir et se consacre à sa famille ainsi qu’à ses autres passions : la peinture, la nature et les voyages. On fera la fête sous le parasol rouge est son premier ouvrage publié.
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Aperçu du livre
On fera la fête sous le parasol rouge - Martine Bronzin
Préambule
18 mars 2020
En Belgique, le Conseil National de Sécurité, présidé par notre Première Ministre, Sophie Wilmès, venait de décréter le confinement. En un jour, 243 nouveaux cas de Covid avaient été détectés.
Les Belges et les Bruxellois en particulier, d’habitude si festifs, prêts à s’asseoir aux terrasses des cafés dès les premiers rayons de soleil printanier, allaient devoir se figer, pris dans les glaces d’une longue, longue attente, qui durerait des mois.
Une deuxième vague, en octobre, viendrait à nouveau nous forcer à vivre différemment.
Le printemps, l’année dernière, avait beau être en avance, nos cœurs prenaient du retard sur la saison et nos pensées restaient bien sombres. C’est là que l’écriture et le partage allaient prendre tout leur sens.
Mercredi 18 mars 2020, 1er jour de confinement
en Belgique
Ce matin, dès huit heures, seuls les plus âgés peuvent rentrer dans les grandes surfaces. Je me suis donc levée tôt, puisque je peux arborer fièrement mes rides et remonter la file grâce à mes pattes d’oies qui sourient.
Dans le magasin, les rayons seront bientôt dévalisés et les pauvres vendeurs.euses sont déjà débordé.es. Espérons que les jeunes seront plus raisonnables !
Déjà, je constate que nos regards ont changé. À présent, le voisin devient l’ennemi, la méfiance rôde, nous apprenons la distance, la peur, l’égoïsme, tout en glissant silencieusement dans les allées et en remplissant nos chariots jusqu’à ras bord.
L’ennemi est tapi, invisible, en chacun de nous, potentiellement.
Sommes-nous entrés en guerre ?
Jeudi 19 mars, 2e jour de confinement
Le bonheur à distance
Le soir tombe sur cette journée agréable et douce. Il est un peu plus de dix-neuf heures. Nous regagnons la voiture quand, soudain, nous recevons un appel vidéo : Céline, Thibault et Eva – ma première petite-fille, qui vient de naître – sont là, devant nous, dans la pénombre qui s’installe. Les voix ont remplacé les bras, mais le bonheur, heureusement, traverse bien les écrans. Nous rions, nous pleurons, nous parlons doucement, nous nous étreignons en pensées.
Bienvenue, ma chérie, dans ce monde fabuleux et effrayant à la fois qui vient juste de se confiner !
Je suis si heureuse que je ne réalise pas tout de suite que je ne pourrai pas te serrer dans mes bras avant longtemps…
Vendredi 20 mars, 3e jour de confinement
L’Europe sous le choc
Il n’est plus l’heure d’être dans le déni, et pourtant, certains d’entre nous, parfois même nos politiciens, continuent à minimiser la situation. Or, en Belgique comme partout en Europe, les hôpitaux commencent à être saturés, le personnel médical et les épidémiologistes tirent sans cesse la sonnette d’alarme, les infirmières apparaissent au JT, le visage cerné. La plupart des Belges découvrent qu’ils ont neuf ministres de la santé, beaucoup s’insurgent contre des mesures qui ont tardé et les masques sont au cœur d’un grand débat : faut-il, oui ou non, en porter ? Un peu perdus dans le flot d’informations, les Européens, et les Belges en particulier, vivent les yeux rivés à l’écran de télévision et l’oreille attentive aux nouvelles de la radio, encore incrédules et complètement paniqués. Les images d’Italie nous le confirment : la pandémie s’accélère.
Alors, chacun improvise une nouvelle façon de vivre : certains commencent à coudre et la solidarité remplace la cohérence nationale. Ainsi, certaines activités d’un autre temps, presque oubliées, comme la couture, reprennent tout leur sens.
Samedi 21 mars, 4e jour de confinement
Réinventer nos vies
C’est le printemps. Tout autour de nous, la nature insouciante explose de couleurs et nous voudrions faire la fête à la vie. Pourtant le cœur est à la peine, à l’inquiétude, à la peur. Ce confinement peut-il, malgré tout, devenir l’allié du bonheur ? C’est ce que nous devrons découvrir.
Être grand-mère est une étape délicieuse de la vie. Je l’espérais depuis longtemps. La chambre d’enfant est prête, avec son lit en bois blanc, son étagère de marionnettes endormies, quelques livres d’images écornés, une vieille peluche qui attend de retrouver des câlins. Mes mains et mes bras sont prêts également, tout en moi est dans un élan d’amour et de reconnaissance pour la vie qui m’a gâtée.
Ma petite Eva est loin de moi, et je n’ai pas encore pu la serrer dans mes bras. Elle dort à poings fermés, elle sourit aux anges, mais tout autour d’elle, derrière les murs de la maison, au-delà du chemin de campagne, dans toutes les villes d’Europe et par-delà les mers, le monde s’agite, s’inquiète, se lamente, panique. Tout autour d’elle, c’est le chaos d’un printemps que nous ne fêterons pas.
Alors, comme vous, je vais devoir inventer de nouvelles formes de bonheur, faire des conserves de souvenirs pour les jours heureux qui reviendront. Vous écrire aujourd’hui, partager mes sentiments et mes émotions, plus que jamais, trouve tout son sens. Je referme le bocal. L’étiquette rouge porte la mention : « petit plaisir : penser à Eva. »
Quel sera le vôtre aujourd’hui ?
Dimanche 22 mars, 5e jour de confinement
Les mains dans la terre
Aujourd’hui, le soleil inonde les parcs et les jardins, la lumière du printemps vient nous redonner la force qui nous manquait peut-être, l’espoir, l’énergie. J’écoute le chant d’un rouge-gorge, je contemple le ciel d’un bleu insolent, je sens l’herbe coupée. Les mains dans la terre, je plante des primevères. Un bourdon passe tout près de moi en vrombissant dans l’air frais.
Je n’aurai rien d’autre à faire, cet après-midi, que de jardiner et d’écrire et demain, puisque je fais partie des privilégiés, je continuerai à donner mes cours, derrière l’écran de mon ordinateur. Pour le moment, donc, rien ne change pour moi, et j’ai conscience de ma chance. Pourtant, je me demande chaque jour davantage comment feront mes voisins, mes amis, la petite vieille du bout de la rue ou cet inconnu, seul, là-haut, dans son appartement, sans jardin, sans famille, sans travail.
Le manque nous dévore, peu à peu. Alors, il faut lutter, rester connecté.e à la nature, sortir dans les parcs qui, désormais, sont bondés de familles désœuvrées, acheter des fleurs comme on achèterait un morceau de paradis, et les emporter précieusement, pour les planter ensuite, puis les arroser, en espérant faire pousser le bonheur.
Lundi 23 mars, 6e jour de confinement
Dans nos bulles
Nos pensées font des bulles et s’envolent dans l’air toujours bleu. On ne peut les voir, mais des millions de bulles flottent en ce moment entre nous, nous reliant les uns aux autres. Nos pensées fouillent le silence, envahissent l’espace, dévorent le temps. Penser, c’est ce qu’il nous reste, heureusement, et je me promène en souriant. Nos pensées doivent rester belles, comme le savon irisé des bulles de notre enfance, puis éclater de joie, quand viendra l’heure des retrouvailles. Je pense à toi, Eva, et la bulle s’envole, tandis que je souris tranquillement parce que je te sais en sécurité. Tous, nous sommes seuls, mais nous savons que nous ne sommes pas seuls à ressentir la même peine.
Puisque nous sommes dans une « bulle » - le nouveau sens du mot est sur toutes les lèvres - autant que ce soit une belle bulle, non ?
Mardi 24 mars, 7e jour de confinement
Il est vingt heures, avenue du Silence
C’est à vingt heures, chaque soir, que l’avenue du Silence, où j’habite, oublie son nom. Une fenêtre s’ouvre, puis une autre, encore une autre. Quelqu’un apparaît au balcon, un voisin est sur le pas de sa porte, la maison d’en face dessine l’ombre chinoise d’une fillette avec un tambourin. Soudain, il n’y a plus de silence, plus de tristesse, plus de solitude, mais des dizaines de personnes qui applaudissent, tapent sur des casseroles, agitent des maracas, crient, toutes ensemble. Ensemble pour conjurer le mal. Ensemble pour remercier – le ferons-nous jamais assez ? – nos femmes et nos hommes du front. Ensemble pour nous persuader, quelques minutes, que nous allons le vaincre, ce foutu virus, grâce à eux, grâce à vous, grâce à tous. Puis, on se crie « À demain », « Bonne nuit »… et les portes se referment les unes après les autres, à regret, sur nos solitudes apprivoisées et nos écrans allumés. Nous rentrons en hivernation.
Donc, aujourd’hui, à vingt heures, comme à l’accoutumée, je mettrai encore une fois le museau dehors ! C’est notre rendez-vous, notre bulle d’oxygène. Ensuite, je refermerai la porte avec le sentiment cosmique d’être reliée aux autres qui sont là-bas, au cœur du danger, qui ne dorment plus, qui ont peur, qui veillent sur nous, sur nos proches, partout dans le monde. J’ai le cœur lourd et léger à la fois, plein de gratitude. J’ai engrangé quelques provisions de joie que je rapporte dans le terrier.
Mercredi 25 mars, 8e jour de confinement
Plus de salon de coiffure !
Ça y est, les coiffeurs ont dû fermer boutique. C’est vrai que se faire souffler dans la figure des milliers de nano particules, ce n’est pas très tendance en ce moment ! En plus, cette proximité, la cape de d’Artagnan que l’on endosse en silence en espérant qu’elle ne soit pas d’époque, la serviette que l’on vous « tirbouchonne » contre la nuque, l’eau chaude qui vous gicle dans la figure, les postillons par-dessus votre épaule, le peigne et les ciseaux qui galopent dans votre cuir chevelu, ce gros nuage de mousse blanche que de longs doigts sans gant étalent sur votre crâne, les paquets de cheveux qui jonchent le sol et volettent dans l’air saturé de laque, brrr, ça fait froid dans le dos par les temps qui courent !
Alors voilà, à vos ciseaux, les nanas ! Dorénavant, vous êtes les reines du bigoudi et de la boule à zéro ! Car oui, certaines, plus hardies, se sont essayées au rasoir sur la tête de leur chéri. J’en connais une qui lui a fait une autoroute après avoir oublié de changer la position de la lame. Eh oui, coiffeuse, c’est un métier, ma bonne dame ! En tout cas, croyez-moi, ça va grincer dans les chaumières quand les hommes vont s’apercevoir que leurs femmes ont bien soixante ans… Ben oui, quoi, comme vous, les gars ! Comme vous qui êtes poivre et sel et siiiii sexy, mais qui nous imposez subtilement de toujours rester brunes, blondes ou rousses, mais surtout ni grises, ni blanches ! Moi, je dis : vive le naturel, vive les blanches, vive les grises ! Mais bon, je dois avouer, je m’en fiche totalement, je peux rester trois mois sans coiffeur, ça ne changera rien, na na na… (Pas bien, ça, Martine, on te croyait si solidaire !)
Ah, ce corona ! tout de même, c’est un coquin, non ?
Jeudi 26 mars, 9e jour de confinement
Contrastes
La nature peut se passer de nous, nous l’avions oublié, mais nous ne pouvons pas nous passer de la nature, nous l’avions aussi perdu de vue.
Il est sept heures, je suis assise, face au jardin, c’est l’heure du petit déjeuner. J’avale une gorgée de café chaud, puis beurre une tranche de pain grillé, croustillant. Pot de confiture de l’an passé pour adoucir le présent. Goût doux-amer de la rhubarbe. Puis, je contemple, comme chaque jour, le petit morceau de nature qui s’offre à moi.
Soudain, j’aperçois un mulot moustachu qui se hisse dans la coupelle que j’avais posée la veille sur la terrasse, pleine de graines pour les oiseaux. Furtif coup d’œil à gauche, à droite, hop, une petite graine et le voilà disparu sous le plancher de bois. Puis, c’est au tour du gros pigeon. Celui-là aussi est un peureux, il picore en roulant des yeux et s’envole vite dans un bruissement soyeux. Enfin, ce seront le rouge-gorge, le pinson et les mésanges qui volèteront gaiement autour de la mangeoire. L’une d’elles ramassera même quelques poils de mon chien, pour préparer son nid. Deux rouges-queues se poursuivent en gazouillant. Sur le muret, là-bas, le chat roux, en boule, se chauffe