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Le Goût de la terre
Le Goût de la terre
Le Goût de la terre
Livre électronique254 pages3 heures

Le Goût de la terre

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À propos de ce livre électronique

« J'étais sidérée d'apprendre que mon père avait un frère. Et donc que j'avais un oncle. Pourquoi nous avoir caché son existence ? Je ne pouvais pas refuser, j'étais missionnée. J'ai promis de tout faire pour retrouver sa trace. »En 2010, Lilla se retrouve confrontée à une mission inattendue : retracer l'existence du petit frère de son père disparu il y a plus de 60 ans au Maroc. Saisie par l'ampleur de la nouvelle, la narratrice s'embarque dans une mystérieuse aventure à la valeur inestimable, avec pour intention de rassembler les fragments de l'histoire de son oncle. L'enquête la dirige dans le village berbère dans lequel il a grandi, au sein d'une famille juive que la misère a séparée lors d'une vague de famine. S'entame un périple bouleversant, où le poids des découvertes vient révéler des secrets de famille enfouis depuis des décennies.Des montagnes du Haut Atlas marocain jusqu'à New-York, en passant par Paris et Israël, Lilla est déterminée à trouver la pièce manquante de l'histoire de sa famille. Inspiré de faits réels, Le Goût de la terre est le premier roman de Mina Fadli. L'autrice a pensé le personnage de Lilla comme son alter ego, toutes deux animées par le même besoin, celui de retrouver leur oncle disparu.-
LangueFrançais
ÉditeurSAGA Egmont
Date de sortie8 mai 2023
ISBN9788727027661
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    Le Goût de la terre - Mina Fadli

    Mina FADLI

    Le Goût de la terre

    Saga

    Le Goût de la terre

    Image de couverture : Shutterstock

    Copyright © 2022, 2023 Mina Fadli et SAGA Egmont

    Tous droits réservés

    ISBN : 9788727027661

    1e édition ebook

    Format : EPUB 3.0

    Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l’accord écrit préalable de l’éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu’une condition similaire ne soit imposée à l’acheteur ultérieur.

    www.sagaegmont.com

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    Nous sommes frères par la nature, mais étrangers par l’éducation.

    Confucius

    A Yamna, ma Grand-mère, À tous les villageois du douar Haha. qui a en mémoire l’histoire des habitants de Tagadirt

    À tous les villageois du douar Haha.

    PROLOGUE

    Val de Reuil, Normandie, 7 mai 2010

    C’est dans la cuisine chez mes parents en Normandie que tout a commencé en mai 2010. Dans cette cuisine, rien n’avait bougé depuis le départ de mes frères, ma sœur et moi. La tapisserie au mur avait vieilli comme mes parents, et les meubles modernes à une époque étaient passés de mode. C’était rare quand je restais chez eux pour la nuit, ou chez moi, je ne sais plus… J’y avais grandi, mais une distance s’était installée avec le temps. En 2010, j’étais moins pressée, plus libre. J’avais pris la décision de quitter mon mari après 10 ans de mariage. Et avec le divorce, la garde alternée m’avait accordé du temps, des semaines entières, des week-ends uniquement pour moi. Je pouvais savourer une semaine sur deux, le plaisir d’un temps libre retrouvé. Je pouvais rendre visite à mes parents tranquillement, m’y attarder si je le souhaitais et discuter sans être tiraillée par un enfant qui me réclamait.

    Ce matin du 7 mai 2010, je m’étais installée tranquillement face à mon père, vêtue d’une chemise de nuit sans forme que ma mère m’avait prêtée ; chemise que l’on trouve sur les étals au Maroc et que certaines femmes portent toute la journée. Sans taille, du 34 au 56, elles peuvent convenir à toutes, sans discrimination. Pour la rehausser, une petite fantaisie en dentelle avait été cousue au niveau de l’encolure.

    Mon père m’avait servi une tasse de café parfumé à la cannelle. Sur la toile cirée décorée de grandes fleurs légèrement délavées, il avait poussé vers moi une assiette avec des quartiers d’orange qu’il avait préparés à mon intention. C’était ainsi, il épluchait depuis toujours des oranges tous les matins et s’assurait que l’on en mange mes frères et moi. Pour les vitamines, c’était important.

    Plus je mangeais, plus il m’alimentait. Des tartines de pain complet, du miel bio, de l’huile d’olive. Stop, je lui disais, mais il répondait, « ce n’est pas grave Lilla, mange ce que tu peux ». Alors je me forçais à manger pour ne pas le décevoir malgré ma volonté de perdre quelques kilos.

    Il me regardait avec délicatesse, ses petits yeux s’enfonçant un peu plus à chacune de mes visites.

    « Avec internet, on peut retrouver des gens », me dit-il. Depuis peu, mes parents étaient connectés, ordinateur portable, tablette, internet illimité. Ils y passaient beaucoup de temps et découvraient ce monde qui ne s’arrêtait jamais. Ils raffolaient de tutos. Plus accessibles pour eux qui lisaient très peu.

    « Avec internet, on peut retrouver des gens », répéta-t-il, son regard plongeant dans le mien.

    J’étais perturbée par ses yeux, ce regard que je ne lui connaissais pas. Je détournai la tête, mais ses yeux continuaient d’insister sans un battement de cils, ils me fixaient.

    Je n’avais pas le choix, je devais répondre.

    « Oui, lui répondis-je, on peut retrouver des gens, mais il faut des indices, des documents ou des photos par exemple… pourquoi cette question ? »

    « Pour retrouver mon frère, mon seul frère ; il faut que tu m’aides Lilla ! Je n’ai rien, plus de trace, il a disparu depuis tant d’années... Si je dois vivre encore quelques années, c’est pour le retrouver ».

    « Ça me hante chaque jour … »

    Il avait hésité un peu et s’était tourné vers la fenêtre. Le jardin était en fleurs. De grandes roses rouges filaient le long du mur, le laurier fleur rivalisait avec ses teintes écarlates et les larges feuilles du figuier au fond du jardin formaient déjà un magnifique parasol. Le soleil bas du matin redonnait de la couleur aux fleurs mortes de la toile cirée.

    Mon père plissa les yeux face à cette lumière éblouissante et sans me regarder reprit doucement « ça me hante de plus en plus, tu dois m’aider Lilla ».

    J’étais sidérée d’apprendre que mon père avait un frère. Et donc que j’avais un oncle. Pourquoi nous avoir caché son existence ?

    Je ne pouvais pas refuser, j’étais missionnée. J’ai promis de tout faire pour retrouver sa trace.

    Et depuis ce matin du 7 mai 2010, c’est moi qui suis hantée par cet oncle, par la peur de décevoir mon père, mais aussi qu’il nous quitte sans que j’aie pu le retrouver.

    I

    1

    New York, novembre 2019

    En plein cœur du Lower East Side, je découvre ma chambre d’hôtel réservée hier avec le vol. Elle est spacieuse et surplombe les immeubles en briques rouges de l’autre côté de la rue. Je m’effondre sur le lit XXL. Ce voyage est ma dernière chance, la piste la plus sérieuse depuis le début. Je suis épuisée. Je fixe au loin les gratte-ciels au sud de Manhattan. Mes doigts s’enfoncent doucement dans l’édredon chaud et accueillant.

    L’obscurité s’installe rapidement dans la chambre d’hôtel. Je cherche à tâtons les interrupteurs pour me tenir éveillée encore quelques minutes, le temps d’une visite rapide. J’éparpille mes vêtements dans toute la pièce, bottines noires et chaussettes noires lancées près du lit, jean brut jeté au sol près du bureau, pull en cachemire blanc posé sur un fauteuil avec le soutien-gorge légèrement rembourré juste pour la chaleur. Je m’enfonce dans la fraîcheur des draps en coton d’un blanc éclatant. Mon manque de sommeil s’est accentué ces dernières semaines. La nuit, mon esprit s’agite et retrace toute l’enquête, toutes les rencontres, toutes les recherches qui m’ont amenée aujourd’hui à New York.

    Ce soir, je succombe rapidement grâce au décalage horaire.

    Un peu plus tard, ou quelques heures plus tard, je ne sais pas, mon téléphone tinte. J’ouvre péniblement un œil à sa recherche. J’aperçois la lumière du message au loin, sur la commode sous la télévision. Je referme les yeux à bout de force. Second tintement. Et si c’était urgent ?

    Je m’extirpe difficilement du lit.

    Il est 2 h 48, j’attrape le téléphone, encore le lycée.

    « Votre enfant est noté absent de 8 h 30 à 9 h 30 au cours d’anglais, merci de contacter la vie scolaire ».

    J’éteins et me précipite sous les draps, les bouts de sein raidis par la fraîcheur de la chambre.

    Impossible de retrouver le sommeil. Encore des absences. Il va finir par décrocher et ce sera en partie de ma faute. J’ai tout laissé tomber. Je ne suis plus présente, pour personne ; famille, amis, travail. Je n’ai qu’une idée en tête, le retrouver. Mon compagnon me répète depuis plusieurs semaines : « Est-ce bien raisonnable toute cette énergie pour retrouver une personne qui a disparu depuis tant d’années ? Il doit être mort sûrement ! Tes enfants ont besoin de toi ». Il ne peut pas comprendre, j’étais si près du but, je devais aller au bout.

    Je me retourne, j’essaie d’évacuer ces pensées pour retrouver une respiration apaisée. J’allume l’application que j’avais téléchargée pour m’aider à m’endormir. Impossible. La voix de la femme qui m’invite à me détendre m’agace. Tout est éveillé en moi ; mes yeux, mon corps et surtout ma tête qui est calée sur le méridien de Greenwich et il est près de 9 h en France.

    Je me lève et enfile mon pull. J’allume la bouilloire que cet hôtel 4 étoiles met à la disposition de sa clientèle et ouvre mon ordinateur.

    Avant de me présenter à mon rendez-vous demain, j’ai besoin de tout mettre à plat, remettre de l’ordre dans mes notes et surtout parer aux éventuelles questions et doutes. Je sors tous mes carnets de voyage de ma valise où sont consignées les notes de chacune de mes rencontres. Les détails que mon père m’avait livrés par touche, dans le désordre, en arabe, en berbère ou en français et parfois en devinant, les mots ayant du mal à sortir, coincés par l’émotion, la pudeur et la douleur. Et ceux livrés par la mémoire vive et directe de ma grand-mère maternelle, figure du village de mes parents et conteuse d’exception. Sans détour, elle a exhumé les zones d’ombre et m’a permis d’ouvrir les pistes pour aller à la rencontre de ceux qui ont croisé mon père et mon oncle. J’allume le dictaphone de mon téléphone. Les enregistrements des conversations avec ma grand-mère et des témoins que j’ai rencontrés me plongent directement dans ce Maroc si lointain.

    2

    Maroc, 1944

    1944 à Tagadirt, dans les montagnes du Haut Atlas au Maroc, la chaleur était déjà importante pour un mois de mai, 35° les après-midi. Le village était isolé. Pas une route, pas une piste ne menait au village. La sécheresse ravageait le pays depuis plusieurs années et les territoires berbères éloignés étaient les premiers touchés, oubliés de l’administration française et des Marocains en général. À plus de 1000 m d’altitude, Tagadirt vivait en autarcie. Les petites maisons, regroupées par grappes et blanchies à la chaux, ressortaient dans ce paysage jauni où tous les arbres paraissaient morts. Les vents chauds soulevaient la terre sèche formant comme une brume sur le village, une brume qui faisait disparaître au gré des vents toute trace de civilisation. Quand le vent s’apaisait, quelques âmes osaient défier le soleil et sortaient pour se rendre au puits, seule source d’eau pour tous les villageois.

    La famine touchait toutes les familles et le régime de ravitaillement, installé par la France au profit de la Métropole, avait aggravé la situation. Depuis 1939, le Maroc sous protectorat français s’était engagé dans la guerre et Sidi Mohammed ¹ avait appelé les Marocains à soutenir la France jusqu’au moment où le résident général du Maroc ² , Noguès, se rallia à Pétain. Le débarquement anglo-américain au Maroc en novembre 1942 avait libéré le pays, faisant du Maroc la base arrière pour libérer la France et l’Europe.

    Certains hommes étaient ainsi partis au combat, réquisitionnés par l’armée française. Abdellah faisait partie des combattants. Zahra, sa femme, était restée seule avec ses deux garçons au village et n’avait plus de nouvelles de lui depuis de nombreux mois. Toutes les rumeurs circulaient sur le retour de ces quelques hommes du village partis au front. Elle ne savait pas pour quelle armée ils combattaient, la France de Vichy, les Alliés ? Tout cela était trop confus et l’information n’arrivait pas jusqu’à Tagadirt.

    Les villageois avaient vaguement entendu parler du débarquement anglo-américain au Maroc, mais quelle différence avec les Français ? Pour eux, ils étaient tous Eromines³. La seule chose qu’ils savaient ou plutôt qu’ils pensaient savoir était qu’en participant à la guerre, le Maroc obtiendrait l’indépendance.

    Zahra essayait comme elle le pouvait de combler l’absence d’Abdellah, mais la vie était rude, trop rude pour elle. La sécheresse n’en finissait pas et trouver de la nourriture était devenu une obsession pour survivre. Chaque soir, après avoir couché ses petits, Zahra pleurait et priait, demandant le retour de son mari. Elle n’arrivait plus à nourrir les deux garçons, elle luttait. Chaque jour faisait apparaître des visages de plus en plus marqués, de plus en plus amaigris. Zahra avait plusieurs terrains d’oliviers et d’amandiers. Mais les arbres ne donnaient plus rien, plus d’eau ; juste une terre aride et des arbres qui s’asséchaient. Alors, pour s’en sortir, elle avait vendu une partie de ses terres pour une bouchée de pain.

    Certains hommes du village profitaient de sa vulnérabilité pour lui prendre ce qui lui restait. Ils l’obligeaient à vendre lui disant que c’était la volonté de son mari de ne pas la laisser mourir de faim. En réalité, peu de personnes l’aidaient. C’étaient juste des vautours qui attendaient le bon moment pour prendre les terrains. La pression était telle qu’elle craqua et accepta le contrat de cession des terres. Plus la sécheresse était difficile et les corps meurtris, moins la solidarité qui, jadis, caractérisait ces habitants berbères était présente. Dans cette lutte pour survivre, le village perdait de son humanité petit à petit ; le chacun pour soi l’emportait, laissant mourir les plus fragiles.

    Zahra portait les stigmates de la guerre et du manque. Elle avait le visage aminci, le teint pâle et l’expression de la douleur. Son foulard sur sa tête glissait sur ses cheveux qui perdaient en éclat. Ses deux tresses noires qui encadraient son visage étaient fines. Malgré sa jeunesse, à peine 25 ans, son corps en paraissait beaucoup plus.

    Elle habitait une petite maison dans le hameau des Aït Saïdoun à Tagadirt. Ce petit hameau était perché à flanc de colline. Cette maison, elle l’avait construite avec son mari sur une partie du terrain de ses beaux-parents. Tous les Aït Saïdoun étaient regroupés dans ce bourg. Malgré le danger, la perspective de quitter la falaise n’était pas envisageable. Tous y étaient nés, y avaient grandi et y étaient morts. Alors Zahra et Abdellah s’y étaient installés, nourrissant le projet de fonder une famille heureuse et prospère.

    Cette falaise haute de plus de 80 m, avait emporté de nombreuses personnes, dont des enfants. Tous les parents étaient hantés par les chutes. Zahra répétait à ses deux garçons de ne pas s’approcher du ravin, de ne pas jouer autour de la maison. Elle veillait chaque jour à sécuriser les abords du chemin qui menait à la maison et longeait le ravin.

    La maison de Zahra était composée de deux pièces, qui servaient à la fois de chambre, salon et cuisine. La petite cour intérieure était partagée avec les chèvres. Les dernières qui lui restaient.

    Chaque jour à l’aube, Mohamed, âgé de 5 ans, l’aîné des garçons, emmenait son petit troupeau composé de cinq chèvres au sommet de la montagne, à la recherche de quelques branches, quelques herbes. Depuis peu, il emmenait son petit frère, M’Bark, plus jeune de 18 mois. Il avait du mal à grimper les chemins escarpés de la montagne. Mais il insistait pour le suivre. Ses babouches étaient en lambeaux, mais il ne se plaignait pas, il voulait tellement rester avec son grand frère, Dada ⁴ . Il l’appelait toujours Dada et le suivait partout, c’était son héros.

    Mohamed avait un physique élancé et une posture déjà bien affirmée. Ses responsabilités se traduisaient dans son corps, il portait sa fokéya ⁵ comme l’aurait portée son père. Il avait le crâne rasé sauf sur un côté de la tête où il portait une grande tresse de cheveux d’un noir luisant. On devinait à travers cette tresse sa belle chevelure puissante. Son corps s’était considérablement allongé ces derniers mois, mais aussi amaigri. Ses joues si dodues quand il était plus jeune laissaient désormais entrevoir la forme de sa mâchoire. M’Bark lui ressemblait énormément, mais il avait conservé tous ses cheveux pour le moment. Il avait les joues et le corps d’un jeune enfant tout juste sorti du premier âge. Il semblait plus fragile, dépendant de son grand frère.

    Tous deux étaient déjà bien marqués par le travail. Leurs mains étaient calleuses et les pieds crasseux par la terre et par des sandales trop ouvertes. Ils se lavaient peu, cela se voyait sur leur visage et leurs vêtements. L’eau manquant terriblement, les priorités avaient changé.

    Zahra avait toujours pris grand soin de ses garçons, mais depuis quelque temps, elle avait baissé les bras, ne se sentant plus la force de les gérer, elle les avait rendus autonomes.

    Les chèvres étaient de plus en plus maigres elles aussi. Régulièrement, Zahra en vendait une. Cela ne lui rapportait pas grand-chose, mais elle pouvait acheter un peu de farine pour faire du pain.

    La famille se nourrissait principalement de pain et d’huile d’olive. Le dernier bidon qui lui restait des récoltes des années précédentes. Elle conservait ce bidon comme un trésor et versait l’huile avec parcimonie. De temps en temps, elle achetait quelques légumes pour faire un tajine sans viande, celle-ci étant trop chère et introuvable. Au fil des semaines, le troupeau s’était considérablement réduit et il ne restait plus que deux chèvres ; les dernières, celles qui appartenaient à chacun des garçons. Zahra ne pouvait les vendre, les garçons la suppliaient chaque matin de les garder.

    Monter au sommet de la montagne était un véritable plaisir pour Mohamed et M’Bark. Même si le chemin était abrupt, les deux frères adoraient la vue du sommet. Ils pouvaient sentir l’air marin, cet air salé venait fouetter leur visage. Ce plaisir, ils y tenaient et souhaitaient le conserver même s’il réclamait de gros efforts.

    Par temps clair, ils pouvaient même deviner la mer au loin près de Mogador ⁶ . Ensemble, ils rêvaient, ils s’imaginaient se baignant dans cette mer. Alors qu’elle n’était qu’à 50 km à vol d’oiseau, ils ne l’avaient jamais vue, jamais approchée, mais leur père avait raconté à Mohamed le bruit des vagues et la sensation de l’eau sur le corps. M’Bark n’avait aucun souvenir, mais pour Mohamed c’était gravé dans sa tête et il poursuivait la légende avec son frère.

    Les chèvres ne trouvaient pas grand-chose à manger, mais elles donnaient l’impression d’aimer aussi cet air frais, vivifiant.

    Les deux garçons formaient un binôme inséparable. Mohamed prenait son rôle de grand frère très au sérieux. Depuis le départ de leur père, il endossait cette responsabilité. Il sentait sa mère si fragile, si soucieuse, qu’ensemble, sans le verbaliser, ils décidèrent de l’aider ou du moins, lui apporter le moins de problèmes possible et la soulager de tout ce qui était à leur portée.

    Cette sortie matinale, cette respiration leur donnait chaque jour de l’énergie.

    Le puits du village était presque à sec, un filet d’eau passait pour l’ensemble des villageois. Remplir son bidon était dangereux au milieu de la foule. Mohamed prenait soin d’installer son petit frère à l’écart sur une pierre afin qu’il ne se fasse pas écraser et il se faufilait entre

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