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Paulette est une ingrate: Roman humoristique
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Paulette est une ingrate: Roman humoristique
Livre électronique447 pages6 heures

Paulette est une ingrate: Roman humoristique

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À propos de ce livre électronique

Sans tarder, faites la connaissance de Paulette, une fille ingrate et drôle, candide et impertinente, et plongez-vous dans son monde onirique !

Vous ne connaissez pas encore Paulette ? Ne paniquez pas, une séance de rattrapage est prévue. Paulette est une ingrate drôle. Candide et impertinente, avec sa jovialité, son humour décalé et son enthousiasme à toute épreuve, elle est un rayon de soleil. Quand on plonge dans son monde onirique, on boit une tasse de bonne humeur. Sa muse Clochette est le fil rouge de l’histoire. Atypique, Clochette est lumineuse, malicieuse, effrontée… et parfois paresseuse. Mais elle est terriblement puissante. Clochette associe la passion et la raison, souvent à contretemps. Dieu passe de temps en temps voir Paulette, même s’il se fait parfois remonter les bretelles. Un vent de désobéissance et de liberté souffle. Des bourrasques d’amour aussi, car Paulette n’est pas une économe du palpitant… Grâce à Clochette, Paulette princesse se transforme en Paulette suffragette. Au cours de cette mutation, on survole en musique l’insouciance des années quatre-vingts, les bouleversements des années quatre-vingt-dix puis les doutes de l’an deux mille. On atterrit enfin dans notre société moderne et décomplexée : Internet, les sites, les rencontres cocasses et la revanche d’une femme accomplie. Paulette nous surprend par son originalité et ses réactions fantasques. À mi-chemin entre Bridget Jones et Peter Pan, ce roman, saupoudré d’étoiles de Jean Cocteau, restitue à nos vies bien rangées, l’humour et la légèreté dont nous avons besoin.

Suivez l'évolution surprenante de la fantasque Paulette depuis l'insouciance des années quatre-vingts jusqu'aux années 2000 et 2010 dans une société moderne et décomplexée, dans un roman bourré d'humour, d'originalité et d'onirisme.

EXTRAIT

— Qu’est-ce que tu veux chameau de gosse ? Je savoure l’heure du snooze, un bon sommeil paradoxal où se mélangent zénitude et plénitude. Enfin, j’oublie ma servitude quelques minutes. La quiétude totale ! Clochette est ma muse. Elle ronchonne mais ne me laisse pas tomber. Je lui sonne les grelots et lui tire l’oreille à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Avec un gros soupir, elle finit par me répondre avec douceur, patience, objectivité et dérision.
Non, je ne suis pas schizophrène. Clochette est mon équilibre, ma bonne conscience, mon Jiminy Cricket. J’aime la regarder se reposer sur son lit de coton. Elle dort avec un sourire de bienheureuse, juste vêtue d’une mini robe en taffetas lavande. Elle a la joliesse et le charme d’une sirène, avec des ailes graciles et des étoiles dans sa chevelure ondulée.
— J’ai une idée du tonnerre Clochette. Mais sans la présence de ma muse chérie, c’est se lancer dans la bouillabaisse sans les poissons de roche, ou peine perdue si tu préfères.
— Tu veux devenir Chef ? Tous aux abris et au régime ! Les recettes, pour toi, c’est comme un énoncé de probabilités avec remise pour un billard chinois. Apprends déjà ce que signifie clarifier, mijoter, réduire, écumer, faire un lit, mouiller, barder, déglacer… Après on en parle.
— Meuh non, pas Chef… Écrivain.
— N’emploie pas de grand mot Paulette. Gratte-papier colle plus à ce que tu produis. Tu ne fais que noircir du papier avec un mouchoir humecté de larmes et de morve dans les mains, tout en espérant que chougner par écrit t’apporte la reconnaissance.
LangueFrançais
ÉditeurThoT
Date de sortie30 avr. 2019
ISBN9782849215005
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    Aperçu du livre

    Paulette est une ingrate - Virginie Paradiso

    vraisemblable.

    Prologue

    — Tu voudrais qu’ils clabotent en se grattant la lune ? C’est une image Paulette, tu plaisantes j’espère…

    *

    — Coucou ma Clochette, tu es là ? J’ai besoin de ton aide. Allez Clochette, réponds-moi, c’est ton job… Je sais, je suis ton boulet, ta pomme Paulette, ton cas désespéré. J’ai une petite idée dont je voudrais te parler. Sans toi, je n’y arriverai pas. Réveille-toi…

    — Zzz zzzzut Paulette.

    — Tu boudes ? Tu as un tas de raisons, je l’admets… Je ne suis ni fidèle, ni conciliante, encore moins attentionnée. J’en ai fait qu’à ma tête. Tu m’en veux ? Pardonne-moi encore une fois. J’essaye d’être une bonne fille, tu sais. Je n’y parviens toujours pas. Mais connaître ses limites c’est déjà bien non ?

    — Qu’est-ce que tu veux chameau de gosse ? Je savoure l’heure du snooze, un bon sommeil paradoxal où se mélangent zénitude et plénitude. Enfin, j’oublie ma servitude quelques minutes. La quiétude totale !

    Clochette est ma muse. Elle ronchonne mais ne me laisse pas tomber. Je lui sonne les grelots et lui tire l’oreille à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Avec un gros soupir, elle finit par me répondre avec douceur, patience, objectivité et dérision.

    Non, je ne suis pas schizophrène. Clochette est mon équilibre, ma bonne conscience, mon Jiminy Cricket. J’aime la regarder se reposer sur son lit de coton. Elle dort avec un sourire de bienheureuse, juste vêtue d’une mini robe en taffetas lavande. Elle a la joliesse et le charme d’une sirène, avec des ailes graciles et des étoiles dans sa chevelure ondulée.

    — J’ai une idée du tonnerre Clochette. Mais sans la présence de ma muse chérie, c’est se lancer dans la bouillabaisse sans les poissons de roche, ou peine perdue si tu préfères.

    — Tu veux devenir Chef ? Tous aux abris et au régime ! Les recettes, pour toi, c’est comme un énoncé de probabilités avec remise pour un billard chinois. Apprends déjà ce que signifie clarifier, mijoter, réduire, écumer, faire un lit, mouiller, barder, déglacer… Après on en parle.

    — Meuh non, pas Chef… Écrivain.

    — N’emploie pas de grand mot Paulette. Gratte-papier colle plus à ce que tu produis. Tu ne fais que noircir du papier avec un mouchoir humecté de larmes et de morve dans les mains, tout en espérant que chougner par écrit t’apporte la reconnaissance.

    C’est vrai que j’ai griffonné en pleurnichant sur mon pauvre sort, ou en riant de me voir pleurnicher sur ledit pauvre sort. Aujourd’hui, j’ai choisi la dignité productive. Je consomme l’écriture comme une médecine douce. Un défi aussi. Devenir une loque en jogging de nylon, les cheveux persillés et filasse, les doigts jaunis par la nicotine, les lèvres teintées par le rouge aigre, c’est inacceptable.

    Le respect de soi est un credo. Je suis une ingrate digne. Et soigner mon statut d’ingrate est une exigence de tous les jours, un rôle à tenir. J’y mets tout mon cœur.

    — Non, je ne cherche pas la reconnaissance : l’écriture est un besoin, comme une araignée qui t’a piqué le creux poplité et ça te démange du feu de dieu.

    — Et comment comptes-tu t’y prendre super Paulette ? Tu ne sais pas te servir correctement d’un Mac : tu t’énerves avec les majuscules et les minuscules, les accents circonflexes, et je ne te parle même pas du pavé numérique !

    Clochette a absolument raison. Je revendique cette nullité technique générationnelle.

    À l’école, j’ai appris la couture, les points de croix, les nids d’abeille, l’art de la table et du bien recevoir, savoir séduire en uniforme. Le cours de technologie nous apprenait à dessiner des cubes cassés en perspective.

    Je dois donc me familiariser à la va-comme-je-te-pousse avec l’ordinateur, le web, le smartphone – encore un bidule de plus dans le sac à main – à communiquer par sms comme les ados.

    — Et surtout Paulette cacahuète, as-tu songé un instant à ton impatience, ton manque de concentration ? Quand tu écris, tu te lèves toutes les deux minutes : tu coupes le son de la radio pendant la pub, tu ouvres dix fois la porte du frigo d’un air désespéré – non le chocolat n’est pas au frais – tu vides le lave-vaisselle, mets le linge à sécher, mixes la soupe, fais rentrer minou, et tu bois une gorgée de coca zéro à la bouteille, bien sûr. Puis tu files te balader parce que tu as mal à ton popotin à rester plantée sur ta chaise. Enfin, tu rentres, tu passes par la salle de bains pour badigeonner de baume tes lèvres que tu as mordues, et tu analyses précisément la croissance de ton bouton sur ton nez. Pense d’ailleurs à acheter de l’anticernes, tu clignotes !

    C’est vrai que je me lève le matin avec une liste de devoirs à faire. Une habitude prise en classe. Une exigence quotidienne bien féminine. Et si j’accomplis plus de tâches que celles indiquées sur ma liste, alors je ressens une grande satisfaction. Comme dit la maîtresse, il faut prendre l’habitude de vous avancer dans votre travail, mes enfants.

    Et comme toutes les femmes – les hommes n’ont pas cette faculté –, j’arrive à penser et à faire plusieurs choses en même temps. Faire l’amour par exemple, et se demander comment resserrer la branche de mes lunettes avec le petit tournevis, alors que j’ai les lunettes dans les mains et que je ne vois pas la fente de la vis.

    — Clochette, je te promets de l’organisation et de la méthode, une gestion rigoureuse du rituel de ma dispersion. Mais j’ai besoin de ton discernement pour toute la mélasse que j’ai dans la cervelle. Donne-moi un fil conducteur, télécharge-moi un pare-feu, installe-moi une jauge antidébordement dans mes neurones et un disjoncteur si je pète un fusible. Sélectionne dans ma carte mémoire des données qui ne soient ni sournoises ni ennuyeuses. Apporte-moi de la tendresse quand je suis grognon, du courage quand je suis vidée. Et des MaronSui’s, Clochette chérie adorée de mon cœur.

    — Aide-toi, le ciel t’aidera Paulette.

    1. Un poisson rouge pour blue baby

    Papilou, mon père, est revenu des États-Unis avec une poupée nommée Virginie pour ma grande sœur Sylvette. La petite fille qui manquait à la maison. Il n’en voulait pas d’une vraie, avec déjà trois gloutons à nourrir, Sylvette, René, et Louis.

    À la maison, il y a des jouets partout : c’est les 24 heures du Mans dans le couloir. On entend le doux bruit des cris, et la bonne qui hurle après les garnements. On a aussi le privilège d’avoir la directrice du collège des garçons, qui appelle pendant l’heure du dîner pour être certaine de joindre le chef de famille.

    Louis est encore collé, il a montré ses fesses au prof de maths. C’est ce jour-là qu’il a étrenné le cuir de la ceinture paternelle. Moumine, ma maman, par crainte de représailles, ne peut s’opposer à cette méthode et soigne les marques. Pour mon frère, s’asseoir sera douloureux un ou deux jours.

    Il fallait donc un miracle pour que j’existe. Le miracle eut lieu avec le voyage de mon père, son retour semant la confusion sur la feuille de température. Super zut ! J’ai dû me tromper, a soupiré Moumine. Une petite tricherie sans conséquence…

    Le 13 février, Moumine et Papilou débarquent en fin d’après-midi à la clinique du Belvédère à Boulogne. Les contractions reviennent toutes les vingt minutes.

    — Il faut patienter, informe la sage-femme un peu embarrassée, le docteur est en rendez-vous extérieur.

    Dans ces circonstances, la patience de Papilou est au niveau zéro. Il n’ignore pas que le Doc est un amateur de soirée cigare-poker.

    — Qu’est-ce qu’il fout ? Il est où ? Il arrive quand ?

    Papilou pointe deux bazookas bleus vers la pauvre dame qui rétrécit d’un mètre derrière son comptoir.

    — Gardez votre calme monsieur, je vous en prie, je vais soulager votre femme en attendant son arrivée.

    Un costaud en blouse blanche s’approche de Moumine, la piqûre en l’air. Ma mère bénéficie alors d’un super cocktail anesthésiant, soporifique et planant : le grand vol de l’éléphant bleu léger comme de l’éther.

    En fin de soirée, Doc se pointe. Il embaume le couloir de vapeurs whisky et de cigare froid. Vu sa grise mine, il a perdu.

    — Mais tout va bien cher monsieur, je suis à vous, suivez-moi au bloc avec votre bulldozer, car les travaux ont commencé…

    — Nous avons une très jolie petite fille ma chérie, s’étrangle Papilou, mais elle est toute bleue, elle ne respire pas. Le barbiturique est passé dans le sang du bébé.

    Papilou s’énerve vite. Diplômé de l’école vétérinaire de Maisons-Alfort et de l’Institut Pasteur à vingt-deux ans, il ne supporte pas les incompétents. Il exprime sa colère sans retenue :

    — Allez pousse-toi connard, donne-moi ma fille ! Va cuver ailleurs !

    L’agneau désarticulé passe dans les bras du vétérinaire, plus habitué à décoincer les pattes repliées du poulain, à réanimer le veau né derrière les barbelés, et à extraire le chevreau mort dans le ventre de sa mère.

    Papilou me tient par les pieds. Suspendue dans le vide, il me donne une claque sur les fesses.

    … Pas de réaction. Les poumons sont collés.

    — Allez, bébé bleu, crie, ouvre tes poumons, respire.

    Pan, une autre claque plus énergique.

    … Toujours ce silence interminable. Le silence de l’agneau.

    Il sait qu’il n’a pas beaucoup de temps. Une minute au plus pour me sauver. Il garde son sang-froid, fait mine de contrôler son anxiété. Là, il faut y aller, c’est la dernière chance.

    Papilou me flanque une méga fessée, prompte à soulever l’indignation des associations de la protection de l’enfance.

    — Aaaaaahhhhhhhrrrgggg, tu m’as fait mal, Clochette vient à mon secours !

    Enfin ce cri tant espéré. Viens ma petite fille, viens sécher tes larmes sur l’épaule de ton Papilou. Respire doucement… Ton souffle, c’est la mélodie du bonheur. Crie de ta voix de petit chat. Pleure sur mon épaule, mouche-toi sur mon épaulette… ma Paulette.

    Et voilà, d’où vient mon nom ridicule à souhait, une sonorité de première guerre mondiale, alors que les Beatles sont à l’Olympia.

    Tu m’as sauvée avec une fessée carabinée Papilou. Ce ne sera sûrement pas la dernière raclée.

    Je ne devais pas être là. Pour faire passer la pilule, j’ai décidé d’être la poupée joviale, charmeuse et désopilante de toute la famille.

    Le berceau est installé directement dans la chambre rose de Sylvette, la chambre des filles. J’ai eu une petite maman de dix ans. Près d’elle, la poupée respire doucement. Si le temps sourd et impatient s’est écoulé, demeure encore mon lit rose en fer forgé.

    *

    Justement, parlons un peu de mon lit… un grand lit d’enfant repeint grossièrement en rose malabar avec des arceaux en fer forgé, suffisamment tordus et rapprochés pour que l’enfant ne puisse pas passer. Oui, mais j’ai remarqué que celui près de ma tête est mal soudé au cadre… Voici enfin la mission du siècle, La Grande Évasion, le tunnel à la petite cuillère. Steve McQueen est de retour, Paulette aussi.

    Il m’a fallu des heures, des mois de siestes à rester éveillée pour tirer, pousser de toutes mes forces, tordre le métal et rompre la soudure. Puis j’ai agrandi l’ouverture afin de passer par ce trou de souris. Une réussite exemplaire.

    Un mercredi, alors que les frères et ma sœur sont à l’école, je reste à la maison sous la garde de la bonne portugaise, nommée Ida Lina, joli minois, fausse blonde de son état avec racines charbon, sourcils et duvet également.

    Sachez que pour m’initier à la littérature française, Sylvette me lit régulièrement Les Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur. En voici une héroïne me dis-je, un modèle de compétition à imiter. L’heure est à mon émancipation comme la petite demoiselle.

    Il ne me reste plus qu’à suivre le mode d’emploi indiqué. Je choisis donc une belle bêtise, bien méchante et irrémédiable : les poissons rouges cuisinés.

    Il ne peut y avoir de meilleur choix, puisqu’est posé sur notre commode à foutoir, le bocal avec les deux poissons rouges de Sylvette, Jojo et Bubulle, impossible à distinguer l’un de l’autre selon moi. Cuisinés, découpés en tranches vivants, recouverts de gros sel, voici une initiation digne d’une Paulette en devenir. Je décide d’y ajouter une touche d’originalité. Les deux poissons ne bénéficieront pas du même traitement. L’élève dépassera le maître.

    Enfin sonne l’heure de la sieste… le moment idéal pour exécuter mon plan de génie. Pour une fois, je ne ronchonne pas, ouh elle est très fatiguée Paulette. Oui je vais faire un gros et long dodo… Plus de bruit dans la maison, plus personne non plus d’ailleurs, puisque la bonne en profite pour monter dans sa chambre se reposer. Je ne suis pas censée pouvoir sortir de mon lit.

    C’est ignorer les pouvoirs magiques de Super Paulette. Et Clochette n’est pas là non plus, youpi ! La voie est libre.

    En petite culotte et maillot de corps rose rayé Petit Bateau dernier cri, je pousse l’arceau, me glisse hors du lit en me dandinant comme une chenille pour ne pas m’accrocher. Et hop, un roulé-boulé sur le tapis à fleurs bleues qui amortit la chute.

    Je traîne la petite chaise derrière mon bureau jusqu’à la commode sans bruit. De toute façon il n’y a personne, mais on n’est jamais trop prudent : une initiation doit s’accomplir dans les règles de l’art avec discrétion, rapidité et contrôle.

    Je monte sur la chaise. Je regarde les poissons comme les chats siamois dans la Belle et le Clochard. J’en saisis un comme je peux, et je referme mes petites mains. Ooh, c’est gluant, mouillé et ça gigote !

    Pour descendre avec le monstre dans les mains sans tomber, comment faire ?

    Je m’accroupis doucement et m’assois délicatement sur la chaise. Je pose un pied par terre, puis deux, et hop debout.

    — Petit poisson, je ne te veux pas de mal. Je comprends que tu en aies ras le bol de tournicoter dans ce bocal. Tu as besoin de plus de place.

    Je me dirige vers la porte… Super zut elle est fermée. Je m’approche avec le petit poisson agité qui me chatouille les doigts. Je tente d’abaisser la poignée avec mon coude, juchée sur la pointe des pieds. Trop petite, je suis toujours trop petite.

    — Tu ne bouges pas, je ne t’abandonne pas poisson chéri. Je te pose juste une minute sur le tapis le temps d’ouvrir la porte. Sois sage.

    Voilà, c’est ouvert, tout va bien. Je reprends mon trésor et lui chante une petite chanson adaptée par mes soins en son honneur.

    Je l’attrape par la queue, je la montre à ces messieurs, ces messieurs me disent, trempez-le dans l’huile, trempez-le dans l’eau, il deviendra un poissonnet tout chaud.

    Ti-clop, ti-clop-ti-clop, je trottine dans le couloir. Ooh quelle bravoure mademoiselle ! Tout ça me donne une envie de pipi. Vite, un arrêt aux cabinets d’abord.

    — Pas facile de baisser ma culotte avec toi dis-donc.

    Je monte, sans les mains s’il vous plaît sur les WC, serre le poisson dans une seule main pour… zip zip le malin s’échappe entre mes jambes. Plouf !

    — Ooh ben tu es tombé dans la cuvette ! Ah tu voulais plus d’espace encore, une grande rivière pour toi tout seul ? Alors parce que tu es gentil, l’eau ne sera pas transparente, mais de la couleur du soleil, tu verras c’est plus joli…

    — Hum… ayé. Tu vois nous sommes soulagés tous les deux, bon voyage petit poisson. À toi la liberté.

    Et je tire la chasse d’eau. Ça, c’est fait.

    Allez, depêche-toi Paulette. Occupe-toi du deuxième poisson, avant que la bonne ne revienne. Mais cette fois-ci, plus de porte fermée et plus d’envie de pipi.

    J’attrape le second poisson. Je le dépose dans l’armoire rouge de mes Barbies, et le tasse dans le petit tiroir avec les chaussures et les sacs des poupées mannequin.

    — Rentre là-dedans. Attends-moi deux minutes, je reviens. Et ne mange rien.

    Je fonce dans le couloir-autoroute aussi vite que les Renault 8 Gordini bleu pétrole des frères. J’imite le vrombissement des gros moteurs en faisant vibrer mes lèvres et en crachouillant à moitié. Je passe devant le salon, la salle à manger, le bureau de Papilou, en direction de la cuisine. Je gare mon bolide, coupe le contact et claque la portière. La voie est libre… Mon Dieu que c’est froid ce carrelage, j’ai des frissons partout !

    Chère Sophie, tu as dit du poisson rouge cuisiné, tranché avec du gros sel. C’est quoi le gros sel ? Le sel je sais ce que c’est, mais le gros sel, c’est parce qu’il a trop mangé ?

    Toute l’épicerie se trouve dans les placards du haut, au-dessus des machines. Je tire une chaise de cuisine avec les pieds en métal qui font du bruit quand on les traîne, et un coussin en plastique orange dessus qui colle aux fesses, sur lequel on peut faire tomber les coquillettes sans se faire gronder.

    Je l’approche de la machine qui tourne très vite. Je suis sûre que les parents ont choisi le placard le plus haut pour ranger l’épicerie, parce qu’il y a dedans les gâteaux et les immenses tablettes de chocolat mauve, où les noisettes sont trop grosses pour mes dents. Enfin, c’est ce que disent mes frères, qui ne veulent pas m’en donner au goûter.

    Mission escalade sans équipement : je n’ai pas la trouille, je suis Super Paulette.

    Mesdames et messieurs, nous assistons en un temps record à l’assaut de notre concurrente : je me hisse sur le plateau de la machine, me redresse sans basculer vers l’arrière, marche sur le bord du plan de travail, me décale vers les feux de la gazinière sans me coincer les pieds dans les grilles, puis j’ouvre la porte de placard.

    Victoire incontestable de notre athlète Paulette.

    Primo, je vais piquer la tablette de chocolat pour la cacher dans le lit de ma Barbie.

    Secundo, je dois trouver ce que peut-être le gros sel, ingrédient de ma potion magique… Le temps presse Super Paulette. La bonne va revenir et ton poisson dans le tiroir à chaussure va s’ennuyer sans toi.

    J’inspecte le premier étage du placard. Je saisis le reste de la tablette de chocolat que je coince dans ma culotte contre mon popotin bien au chaud. Le reste ne me dit rien.

    À l’étage du dessus il y a plein de bocaux, de tubes et des pots de toutes les tailles et de toutes les couleurs agglutinés les uns aux autres. Je reconnais le sel, le moulin à poivre, le verre à moutarde avec Platini dessus, le Ketchup rouge, mais je n’identifie pas le truc gros sel. Je ne sais pas lire. Peut-être est-il au fond derrière, mais là je dois monter sur la cocotte en fonte. Heureusement que son couvercle est plat, bien que rempli d’eau. Super Paulette, ne renonce pas, vas-y. Oui c’est bien, tu es courageuse. Allez, attrape le gros bocal vert au fond.

    Oups ! Qui n’a pas fermé le couvercle ?

    Cling, crouic, blam ! Pourquoi trois bruits ?

    Je me retourne : le pot s’est fracassé sur le carrelage en répandant les cornichons, le vinaigre, les oignons, les grains de moutarde, le poivre et l’estragon. La bonne est rentrée avec sa clé, a claqué la porte en hurlant de me voir si belle en ce miroir.

    — Jésou Marie Josep, qu’eche que tou as fait, bilaine fille ! Regarrrde che foutoir, la cuichine elle est toute sale, faut que che cherpille tout. Oh là là, ch’ai pas achez de trabail comme cha, deschends de là. Non bouche pas tou vas te blecher.

    Ida Lina, contrainte de mettre ses pieds dans le vinaigre pour me soulever, crie de plus belle avec des mots que je ne comprends pas, et me repose un peu plus loin.

    — Va-t’en d’ichi, bilaine. Tu es punie dans ta chambre tout l’après-midi, plou de parc Moncheau.

    Clac. Clac. J’écope d’une fessée sur mon derrière chocolaté.

    Je décampe aussi vite que je peux, en émettant un ouin tout le long du couloir, telle une sirène de police. Le chocolat sautille dans ma culotte comme une boulette de popo. Je n’ai pas de larmes, mais je ressens plutôt la rage d’avoir été interrompue dans ma recette.

    Paulette, ne perds pas ton sang-froid. Cache le reste de la tablette dans le lit de ta Barbie.

    — Ah ben, j’ai oublié mon poisson… Tu as été sage en m’attendant ? dis-je, en ouvrant le petit tiroir de l’armoire. C’est bien, tu dors. Toi au moins, tu es gentil avec moi.

    Ida Lina parfumée au vinaigre entre dans ma chambre, grogne, ouvre les rideaux, me remet mon kilt et mon chemisier. Elle mouche mon nez avec sa grande douceur habituelle, replace la chaise et m’assois d’office derrière mon bureau.

    — Tou bouches plou et tu dessines.

    Je renonce à négocier et m’exécute. Je préfère qu’elle sorte au plus vite de ma chambre… Hé hé, elle n’a pas vu le bocal !

    Je fais un beau dessin pour me rattraper, une princesse avec une grande robe rose et des fleurs, un diadème dans ses cheveux blonds qui descendent jusqu’aux pieds.

    Alors que je suis sage comme une petite fille modèle, j’entends un concert de cris au fond du couloir : mes frangins. Les deux tornades blanches en kimono reviennent du judo. Ils foncent à la cuisine pour goûter.

    — Ida Lina, t’as mis où le chocolat noisette, il restait la moitié de la tablette hier, t’as tout bouffé ou quoi ?

    Grand silence…

    C’est au tour de Sylvette de rentrer de la piscine. Elle est fatiguée, ses cheveux sont mouillés et sentent pas bon le chlore. Elle est toujours belle que ce soit après l’entraînement, le petit matin, ou après une journée de devoirs sur table. Ma grande sœur est fine, élancée, les cheveux longs blond foncé avec des yeux bleu-gris comme Jane Birkin.

    Ce n’est pas son jour : elle renonce à la compétition. Elle ne souhaite pas devenir baraquée comme une nageuse est-allemande, et Kiki Caron l’exaspère.

    Je continue mon dessin. J’ajoute quelques étoiles et madame la Lune qui rigole.

    — Bonjour mon gigot de sel, tu fais un beau dessin mon chou ?

    Pourquoi me parle-t-elle de sel ? Elle a deviné et n’est pas fâchée alors ? Ouf. Je souris.

    Pas longtemps.

    Sylvette ouvre son sac de piscine, étend sa serviette et son maillot, essuie ses cheveux. Machinalement, elle saisit la boîte de nourriture pour Jojo et Bubulle, cette espèce de poudre couleur caca-boudin qui sent le pourri. Elle jette deux pincées dans l’eau…

    — Ben, où sont mes poissons ?

    Pas de réponse. Je poursuis mon dessin, très concentrée.

    — Tu as touché à mes poissons Paulette ?

    Je lève la tête. Je sens que mes joues chauffent comme le grille-pain. Mon regard s’échappe une fraction de seconde vers l’armoire à poupées, puis remonte sur les yeux de Sylvette inquisiteurs.

    — Non, je ne sais pas. Moi je dessine. Je n’ai pas vu qu’ils s’étaient sauvés.

    Ma réponse ne convainc pas ma grande sœur.

    Des larmes commencent à perler le long des mes joues, mon nez coule et mon bidon gargouille. Une taloche s’approche à grands pas de mes fesses.

    Je vois la colère monter au visage de Sylvette comme les bulles d’une bouteille de champagne, et ses yeux prêts à sauter comme le bouchon.

    Sylvette est très irritée et triste. Elle perçoit ma peur et renonce à lever la main sur moi.

    Elle me secoue comme un prunier tout de même. Je lui demande pardon. Je comprends que la cuisine ne se pratique pas toute seule, tant qu’on n’a pas atteint le mètre étalon.

    Elle m’aime malgré tout. Je regrette de lui avoir fait de la peine.

    2. J’écoute aux portes

    — Mets-moi les casseroles, Sylvette, les casseroles encore.

    Tous les jours, je réclame ce morceau des Rolling Stones, Honkytonk Women. J’adore la musique de ma grande sœur, je la préfère à Meunier Tu Dors ou la Cloche du Vieux Manoir.

    Chaque soir avant d’aller dormir, j’ai le privilège d’écouter sur la platine de luxe de Papilou Petit Garçon de Graeme Allwright.

    Mes journées sont réglées comme l’horloge parlante, malgré les engueulades dans la famille et les secrets dévoilés par bribes. Les frères et ma sœur font tout pour me préserver.

    Le clairon sonne à sept heures et demie. Le petit déjeuner est toujours très agité dans la cuisine. Je m’habille à toute vitesse, ce qui est possible lorsqu’on porte un uniforme. Puis je file pour l’école où il y a des sœurs qui ne doivent pas écouter Jésus tous les jours, tellement elles sont grognons et autoritaires.

    Tous les mois, je rapporte un bulletin de notes qui me fait plus mal au ventre que les règles pour les grandes filles. Grammaire et dictées, je ne décolle pas du zéro. En mathématiques et sciences, ce n’est pas nul, mais mauvais. Par contre, la poésie, le globe, le dessin et la gymnastique, j’excelle. Le pire étant la note de conduite, avec l’appréciation qui l’accompagne.

    « Paulette n’écoute pas en classe, se dispute avec ses camarades quand elle ne les incite pas à être dissipées. Le Conseil se demande s’il sera possible de garder Paulette l’année prochaine. »

    — Tu te rends compte Paulette ? Comment va-t-on montrer ça à Moumine et Papilou ?

    J’écoute Sylvette. Je baisse la tête en me mordant les lèvres avec quelques larmes pour solliciter de la compassion. Ma grande sœur procède, trop souvent à son goût, à l’élaboration d’un argumentaire de défense en ma faveur face au tribunal.

    Elle sera avocate plus tard, j’en suis sûre. Je l’ai entraînée à plaider pendant des années.

    — Pour cette fois, on ne le fait signer que par Moumine. On cache ton bulletin derrière l’autorisation pour la sortie au zoo de Vincennes. Mais Paulette, tu ne peux pas continuer à faire le clown, il faut que tu fasses des efforts… Tu risques vraiment d’être renvoyée et que Papilou se fâche très fort. Et là, je ne pourrai plus t’aider.

    Le suivant ne fut évidemment pas meilleur.

    Mon indiscipline est exemplaire au cours de travaux manuels. J’imagine une activité bien plus ludique avec de la colle Scotch et de la colle blanche, qui sent si bon la pommade et que je mange.

    À la place du carnet en simili cuir à fabriquer pour la fête des mères, je deviens une experte en cicatrice et en maquillage de cinéma sur mes copines. Je dépose un peu de crème avec la colle blanche sur le visage de mes modèles, pour préparer et illuminer leur peau, c’est bien plus seyant. Puis je réalise une cicatrice bien creuse et bien rouge avec la colle Scotch, en pinçant la joue en deux. Enfin, j’ajoute au stylo bille un gros trait noir sur la fente collée et des petits traits perpendiculaires pour imiter les points de suture. Un vrai travail de sorcier Cherokee qui recoud ses guerriers avec des épines de cactus.

    Je remporte avec mes chefs-d’œuvre une mention spéciale dans mon bulletin, suite à la désapprobation des parents et les allergies développées sur mes cobayes.

    Dans le feu de l’action, je ne tente même pas la conciliation et décide de ma propre initiative de signer le carnet de notes. Je me cache dans ma penderie et griffonne avec mon premier Stypen tout neuf, une signature digne d’un faussaire, avec une tache d’encre en prime.

    Et hop, je planque mon carnet au fond du cartable jusqu’au lundi matin…

    — Qui a signé votre carnet de notes ma fille ?

    La mère supérieure et directrice – qui se prend pour notre maman à toutes, puisqu’elle est mariée avec Dieu, et que nous sommes les enfants de Dieu – me regarde d’un air suspicieux, totalement injustifié.

    — Ce sont mes grands-parents, ma mère. Mes parents sont en voyage et je suis gardée par Bon papa et Bonne maman en leur absence, dis-je avec aplomb.

    Je découvre qu’il ne faut jamais montrer que l’on est prise la main dans le sac. Le culot permet d’ajouter un mensonge encore plus grossier et visible que la bêtise elle-même.

    C’est passé comme une lettre à la poste.

    Soulagée, j’ai continué mon lot habituel de sottises et d’insolence.

    Évidemment, je n’ai pas pensé que le pot aux roses serait découvert par mes parents le mois suivant. Je reçois donc une convocation au tribunal en bonne et due forme, en audience privée, à heure fixe, après mon bain, à dix-neuf heures, dans le grand bureau de mon père.

    Il règne un silence anormal dans la maison. Chacun est dans sa chambre, porte grande ouverte, pour ne pas perdre une miette du tête-à-tête entre Papilou et moi.

    J’ai très peur. Mes mains sont toutes mouillées et mes joues tremblent.

    Je frappe.

    — Entre Paulette. Viens ici.

    J’avance à tout petits pas vers le bureau empire en acajou de Papilou. Sa lampe vert bronze n’éclaire que son visage. Il est assis, raide comme une sucette au sucre tournicotée, très grand, très fort, les sourcils froncés et les dents serrées. Mon carnet est posé sur son sous-main en cuir, ouvert à la page du délit.

    Je reste debout, immobile. Ma robe de chambre écossaise traîne, car j’ai fichu le pied dans l’ourlet. Ma chemise de nuit se coince dans ma culotte. Mes chaussons ponchos se plient sous mes orteils parce qu’ils sont trop grands.

    — Je n’ai pas eu l’occasion de voir ton bulletin de notes depuis au moins deux mois Paulette. Sais-tu pourquoi ? N’as-tu pas une petite idée ?

    — Zzwwkkxehkkh…

    — Parle plus fort Paulette, s’il te plaît. Je ne comprends pas ce que tu dis.

    Je ne sais pas si j’ai plus peur de sa grosse voix, ou bien de son regard acier courroucé au-dessus de ses lunettes. En tout cas les deux s’assemblent pour me rouler comme une crotte de nez et me projeter du bout des ongles sur la moquette.

    Papilou se lève de son fauteuil – non, il se déploie si je garde la proportion par rapport à moi – et retire d’un coup sec et précis sa ceinture des passants de son pantalon…

    Pourquoi fait-il ça ? Il a envie d’aller aux cabinets ? C’est pressé on dirait.

    Mon père milite pour l’égalité des sexes en matière d’éducation. Dans ce domaine seulement. Mais il est très motivé et convaincant.

    — Tu n’as pas été sage en classe. Tu as signé ton carnet de notes en cachette. Tu as menti. Tu as triché. C’est très grave Paulette. Tu mérites la même correction que ton frère…

    Il s’approche de moi. Il est très fâché. Il me fait peur avec ses yeux. Son visage est tout noir. Il lève le bras et me frappe avec sa ceinture. Je sens le cuir tourner autour de ma taille et finir par claquer d’un bruit strident le long de ma cuisse. Je déteste ce bruit. Je déteste les ceintures. Je déteste mon père. Je hurle de peur, tombe assise par terre, protège ma tête avec mes bras nus. Il continue à me fouetter là où il peut, trois fois en bas des reins et sur mes jambes repliées.

    — File dans ta chambre et ne recommence jamais. Je te pardonne.

    Moi, tant que tu seras vivant, je ne te pardonnerai jamais.

    Je me sauve de son bureau en versant de vraies larmes. Je rentre dans ma chambre, me couche en fœtus sur mon lit, ma panthère noire dans mes bras. Je suis en colère. La ceinture, son regard, le geste ample et la sangle qui claque défilent dans ma tête. Je ne ressens plus la douleur physique tellement je souffre dans mon cœur.

    Dès lors, mes relations avec mon père reposent sur la peur et la honte de son comportement violent. Je refuse le contact car je redoute le moindre dérapage. Je ne peux m’empêcher de penser à mon frère qui rapporte des bulletins de colle toutes les semaines, et écope de sa série de coups en échange. Un cycle infernal provocation-sanction. Il est un enfant battu. Moi, c’est la première fois. Ce soir, mon père m’a coupé le souffle.

    *

    Moumine reproche à Papilou de ne pas l’aider à s’occuper de nous. Elle a quatre mouflets à assumer – tous avec des problèmes différents – les supermarchés monstrueux pour des gloutons cochons, l’organisation de la maison, et puis faire le taxi entre le patinage, le judo et la natation.

    Papilou lui rétorque qu’elle a une bonne à plein temps qui coûte les yeux de la tête, qu’elle ne gagne pas d’argent et dépense sans savoir lire un relevé de banque. Il lui rappelle l’inutilité de sa vie. Elle justifie ce statut de femme au foyer par une liste de devoirs et d’obligations. Moumine ne souhaite pas du tout rentrer dans la vie active. Sûrement par éducation, mais aussi par paresse. Elle estime que son époux amasse suffisamment d’argent pour être dispensée d’avoir une ambition professionnelle. Le statut social de femme de chef d’entreprise lui convient, et l’aisance compense son absence d’identité.

    Alors faut-il s’en plaindre ? Femme gâtée qui ne l’admet jamais, elle sait manier le verbe, le provoque et déclenche chez mon père un sentiment de culpabilité très inconfortable. Celui-ci se transforme systématiquement en exaspération, colère et réduction à l’état de puzzle de tout objet ayant un son strident quand il est projeté : vase, lampe, assiette, verre en cristal, cendrier, flacon de parfum, miroir, bouteille de vin, etc.

    Leur chambre, leur salle de bains et le bureau servent de ring de boxe. Moi, je suis devenue enquêtrice : la Fantômette qui raconte tout à ses copines éberluées le lendemain à l’école.

    — Original ton maquillage de clown bleu violet et noir, Moumine. C’est rigolo, mais t’as dessiné qu’un œil, c’est exprès ?

    La nuit du 16 avril, je me réveille et j’entends Moumine élever la voix au téléphone dans le bureau, juste en face de ma chambre.

    Vite, j’ouvre ma porte et j’écoute ce qu’elle dit. Enfin du chaud bouillant, du nouveau à raconter, du mystérieux à décrypter.

    — Dis-moi son nom, je veux savoir son nom, elle est ta maîtresse ?

    Pourquoi parle-t-elle de maîtresse, il n’est plus à l’école, Papilou… C’est bizarre cette histoire. Bon, il faut que je réunisse le haut conseil des frères et de ma sœur.

    Je

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