Le trou des parpaillots: Nouvelles
Par Michel Pontoire
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À propos de ce livre électronique
Dans les années 1950, on ne se déplace guère qu’à vélo. On ne va donc guère plus loin que chez les voisins. Cette vie en vase clos favorise l’éclosion puis la fermentation de mythes confus. Dans les celliers de ce village du Saumurois où « le p’tit vin pour la soif » est gouleyant, on suppose, on suppute, on soupçonne jusqu’à ce qu’émergent des certitudes qui, ensuite, vibrionnent les cervelles. Les aphorismes édictés par la sagesse populaire constituent les seuls théorèmes de vie de cette microsociété. Ils policent (à la serpe…) des tempéraments déjà façonnés par l’âpreté des sols. Métayers et modestes propriétaires côtoient le cantonnier, le curé, le garde-champêtre, le tueur de cochons, le châtelain…
Chaque nouvelle de ce recueil a été arrachée à leur auteur revenu dans son village natal pour la sépulture d’un proche. Chaque nom gravé sur une stèle du petit cimetière lui a jeté à la face une poignée de vibrants souvenirs. Plus question pour lui de céder à la naturelle inclinaison de laisser le temps accabler le passé de ses irrespectueux coups de gomme.
A travers ce recueil de nouvelles, plongez dans les années 1950 et découvrez une poignée de vibrants souvenirs !
EXTRAIT
« D’où vous vient cette constante volonté de remplacer tout ce que Dame Nature vous propose par les fruits de vos divagations ? N’avons-nous pas toujours résolu les problèmes de traction de vos charges ? Pour faire plus, il suffit d’augmenter notre nombre. Pour aller plus vite, il suffit d’accroître le nombre des relais. Croyez-vous que tout ce que vous élucubrez peut se substituer sans dommage à ce qui est beau, sain et gratuit ? À force d’agrandir les champs pour laisser passer vos monstres indélicats, notre damier de parcelles colorées va se muer en un vaste espace uniforme et monotone dans lequel la petite caille ne trouvera plus le couvert. Adieu canepetière ! Adieu râle des genêts ! Bientôt, on ne saura même plus que vous avez existé ! Quand vos polluants engins auront achevé de nous remplacer, sans respect ni reconnaissance, c’est vous qu’ils remplaceront. On n’entendra plus chanter les joyeuses troupes de vendangeurs remplacés par de vrombissantes machines. On n’entendra plus les sifflements des faux produits par les alignées de faucheurs. La batteuse entrera au musée. Ceux qui l’animaient s’entasseront dans les villes où ils s’abêtiront. Vous aurez réussi à éteindre la vie de vos campagnes. C’est à mourir de hennir. »
A PROPOS DE L'AUTEUR
Michel Pontoire est né, à la fin de la seconde guerre mondiale, au cœur d’une campagne saumuroise qu’il affectionne. Il a assuré, successivement, les fonctions de professeur de collège, instituteur, conseiller pédagogique puis directeur d’école – en France mais aussi au Mali, en Grèce, en Tunisie et en Allemagne. Il est l’auteur d’une application informatique de pilotage de classe (SPI-4). La retraite venue, il est devenu pêcheur à la ligne, cyclotouriste, canoéiste au long cours sur la Loire, lecteur impénitent, helléniste invétéré … et auteur de nouvelles.
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Aperçu du livre
Le trou des parpaillots - Michel Pontoire
Table des matières
Résumé
Préface
Titine et Bello
Le grand Walter
Le trou des Parpaillots
Vétérinaire et guérisseur
La prophétie de l’Ascension
Le Minitrac
Sur le chemin de l’école…
Le garde champêtre et le curé
Au coin…
Trois-francs-six-sous
Bichot et le sainton
Pompon
Une vie ?
Raymond
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Résumé
Dans les années 1950, on ne se déplace guère qu’à vélo. On ne va donc guère plus loin que chez les voisins. Cette vie en vase clos favorise l’éclosion puis la fermentation de mythes confus. Dans les celliers de ce village du Saumurois où « le p’tit vin pour la soif » est gouleyant, on suppose, on suppute, on soupçonne jusqu’à ce qu’émergent des certitudes qui, ensuite, vibrionnent les cervelles.
Les aphorismes édictés par la sagesse populaire constituent les seuls théorèmes de vie de cette microsociété. Ils policent (à la serpe…) des tempéraments déjà façonnés par l’âpreté des sols. Métayers et modestes propriétaires côtoient le cantonnier, le curé, le garde-champêtre, le tueur de cochons, le châtelain…
Chaque nouvelle de ce recueil a été arrachée à leur auteur revenu dans son village natal pour la sépulture d’un proche. Chaque nom gravé sur une stèle du petit cimetière lui a jeté à la face une poignée de vibrants souvenirs. Plus question pour lui de céder à la naturelle inclinaison de laisser le temps accabler le passé de ses irrespectueux coups de gomme.
Michel Pontoire est né, à la fin de la seconde guerre mondiale, au cœur d’une campagne saumuroise qu’il affectionne. Il a assuré, successivement, les fonctions de professeur de collège, instituteur, conseiller pédagogique puis directeur d’école – en France mais aussi au Mali, en Grèce, en Tunisie et en Allemagne. Il est l’auteur d’une application informatique de pilotage de classe (SPI-4),
La retraite venue, il est devenu pêcheur à la ligne, cyclotouriste, canoéiste au long cours sur la Loire, lecteur impénitent, helléniste invétéré… et auteur de nouvelles.
Michel Pontoire
Le trou des Parpaillots
Nouvelles
ISBN : 978-2-37873-055-0
Collection Blanche : 2416-4259
Dépôt légal : avril 2018
© couverture Ex Aequo
© 2018 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.
Éditions Ex Aequo
6 rue des Sybilles
88370 Plombières les bains
www.editions-exaequo
Petit village au bord des bois,
Petit village au bord des plaines,
Parmi les pommiers, non loin des grands chênes,
Lorsque j’aperçois
Le coq et la croix
De ton clocher d’ardoises grises,
De ton clocher fin,
À travers ormes et sapins,
D’étranges musiques me grisent ;
Je vois des yeux dans le soir étoilé :
Là je suis né…
Philéas Lebesgue (1869 – 1958)
Préface
Ce recueil de nouvelles, au-delà d’une succession de récits d’après-guerre situés dans la France profonde du Saumurois, est une douce pelote de mots qui nous relie à notre enfance. L’écriture ciselée, riche et imagée, nous remémore ce qu’était la campagne lorsqu’elle imposait aux hommes sa suprématie nourricière ; époque chaleureuse du saint équilibre entre les êtres, la flore et la faune, tourbillon de coutumes et de croyances qui engloutissait sans heurts la peur et la foi, la médisance et la solidarité, la jalousie et la reconnaissance.
La lecture devient ici un merveilleux voyage, tout près de nous, à vol de souvenirs, à travers les plaisirs simples d’une enfance authentique.
Tous les personnages nous rappellent un aïeul, un héros, un imbécile, un pauvre bougre, une maîtresse femme, un païen, une bigote… La France profonde s’étale entre les lignes, belle, salie, noble, ingrate et nous réveille d’une torpeur moderne aux saveurs incertaines. Et cela nous rassure…
Jean-François Rottier
Titine et Bello
S’appelait-elle Ernestine, Justine ou Augustine ? Peu importe. Tous ceux qui la connurent l’appelaient Titine. Née en 1909, elle avait été déplacée de famille d’accueil en famille d’accueil, presque toutes intéressées par la petite allocation de pupille de l’Etat qu’elle amenait avec elle. Elle n’avait joui que de sentiments humains très atténués qui l’avaient parfaitement conditionnée à admettre et accepter son statut d’être insignifiant. Elle avait grandi en dehors de toute considération. Elle restait blottie dans une médiocrité à laquelle elle s’était habituée sans pouvoir, ni savoir, ni vouloir s’y opposer. Elle s’effaçait devant le chien de la maison à qui elle concédait une raison d’exister supérieure à la sienne. Sa scolarité avait nécessairement été chaotique puisqu’il y avait toujours eu quelque bonne raison pour qu’elle ne pût s’absenter de la ferme où elle était hébergée. Et puis, instruire une « presque rien » dont le destin était de devenir « pas grand-chose » constituait, dans l’esprit de ses tuteurs successifs, une perte de temps, tant pour les enseignés que pour les enseignants. La bande à Jules Ferry avait été peu inspirée d’instaurer des lois inadaptées au monde rural. Titine ignorait tout de ses parents. Elle n’avait jamais éprouvé le besoin d’en savoir davantage.
À treize ans, elle avait été placée chez Julie Rebillard, vieille demoiselle du hameau de Fosse. Celle-ci était lavandière. (Dans le Saumurois, on a toujours préféré dire laveuse). Les sages responsables de l’Assistance publique s’étaient félicités de faire jouir Titine d’une formation originale dispensant la chétive jeune fille des pénibles travaux agricoles généralement dévolus à ses semblables. Laver du linge, qui n’était pas devenu sale par hasard, ne lui fit pas connaître l’extase escomptée. Elle apprit à décrasser, lessiver, frotter (sans abîmer !), rincer… Quelques maisons exigeaient qu’on économisât le bois. Il fallait alors renoncer à faire bouillir le linge. Pour nettoyer à froid, il fallait doubler la quantité de cristaux de soude. Ce produit, qui avait définitivement supplanté la cendre de bois, était suffisamment corrosif pour que les mains subissent d’incessantes irritations. Les taches les plus rebelles ne se rendaient qu’au prix de saignements des jointures des doigts. Au milieu de l’après-midi, la grande bassine en zinc, chargée sur la brouette, débordait de tout ce qu’il fallait aller rincer au lavoir municipal alimenté par la source de « la Gravelle ». Ainsi alourdie, la brouette, tantôt poussée, tantôt poursuivie par la frêle gamine, progressait par embardées. Les draps en lin étaient déployés à la surface de l’eau. Gonflés par le vent, peut-être rêvaient-ils, un temps, d’être des voiles de bateau ? Leur fantasme s’effondrait bien vite sous les coups de battoirs redoublés des deux laveuses agenouillées dans leurs boîtes à laver. De retour chez les employeurs du jour, Titine étendait le linge sur les fils de fer tendus de chaque côté de l’allée du jardin. Pendant ce temps, Dame Rebillard allait percevoir sa solde du jour. La blanchisseuse avait fait un calcul simple, mais avantageux. Grâce à sa jeune employée, elle doublait presque sa capacité de travail, multipliant ainsi par deux ses revenus. Elle se fendait, parfois, d’une piécette pour préserver l’ardeur à la tâche de cette pupille de l’État d’autant plus aisément « corvéable à merci » qu’elle ne manifestait jamais la moindre réprobation. Depuis qu’elle était née, elle s’était conformée à ce qu’on attendait d’elle en ignorant les « pourquoi ? »
À seize ans encore, Titine ne semblait pas avoir osé grandir. Elle était restée petite et maigrelette. Toujours légèrement penchée vers l’avant, les épaules basses, prête à empoigner les mancherons de la brouette pour la pousser vers l’avant. Sa poitrine restait confinée sous de pauvres vêtements qu’elle avait soin de protéger par un ample sarrau de grosse toile bleue. Les deux charbons de ses yeux trop petits hésitaient à se nicher au fond d’orbites profondes. Des taches de rousseur constellaient son visage blême. Seul son nez, légèrement retroussé, apportait un peu de fantaisie au milieu d’un visage ingrat. Pour afficher l’indispensable sérieux que son emploi requerrait, sa patronne lui avait appris à enrouler ses cheveux en un chignon de la génération précédente. Il aurait été indécent qu’une apprentie laveuse arborât la tignasse d’un des modèles de la première page du « Petit écho de la mode » que le facteur apportait chaque semaine chez la Marie Poleau.
Titine traversa son adolescence comme une figurante dans un film. Elle se tenait à distance de la jeunesse de la commune qui aimait se regrouper pour passer du temps — les garçons à faire les paons et les filles à jouer les midinettes énamourées. Elle n’était pas de leur monde. Elle n’avait pas grandi avec eux. Elle avait moins qu’eux usé les bancs de l’école. Elle ne se sentait attirée ni par leurs criailleries ni leurs minauderies, dont le bien-fondé lui échappait. À leur égard, elle éprouvait un mélange d’indifférence et d’humilité. Les jeunes lui rendaient bien son indifférence, mais ils la teintaient du mépris qu’il leur semblait naturel d’avoir pour une personne de caste inférieure.
À la fin du mois de février 1926, un soir, Dame Rebillard tomba malade. Était-elle restée trop longtemps exposée aux courants d’air du lavoir ? Avait-elle contracté un vilain microbe ? « Demain, tu iras seule faire la laverie chez les Grolleau. Il faudra que tu partes plus tôt. » Titine s’était épuisée à la tâche, mais s’en était acquittée. Elle était rentrée à la nuit tombée. Elle appréhendait les reproches que son retard n’allait pas manquer de provoquer. Fait étrange : la lampe Pigeon n’était point allumée. Dame Rebillard était morte.
Avait-elle des héritiers ? Personne n’en connaissait. Nul ne revendiqua la bicoque ni les quelques sous cachés dans la potine (jarre) de la cave. Les hommes de loi n’éprouvèrent aucune appétence pour régler une succession à l’attrait financier inexistant. L’afflux des pupilles de la Nation dû à la Grande Guerre n’était pas encore totalement jugulé et les autorités de l’Assistance avaient bien autre chose à faire qu’à se soucier d’une banale pupille de l’État dont personne ne parlait. Elles restèrent muettes. Titine ne douta jamais du droit qu’elle avait d’occuper la petite maison puisque c’était celle de la laveuse qu’elle allait remplacer.
Détachée de la tutelle administrative et affranchie de la férule de son employeuse, Titine dut faire face à son indépendance — sans enthousiasme. Jusqu’à maintenant, elle n’avait rien eu à ordonnancer. Elle continua à honorer les engagements pris par sa tutrice. Elle n’insista pas pour les proroger. Par compassion pour une jeune fille aussi malingre, bien des paysans renoncèrent à la maintenir seule dans une tâche aussi pénible. En quelques mois, elle perdit, à sa grande satisfaction, la moitié des pratiques de Dame Rebillard. Elle appréciait le temps ainsi conquis sur un épuisant labeur. Elle le mettait à profit pour cultiver le petit jardin attenant à la maison. Elle était très attentive aux conseils du gros Naudin, son tout proche voisin qui lui disait quoi et quand semer. Seuls les pingres et les mauvais payeurs abusèrent de sa naïveté et la persuadèrent de rester à leur service. Titine n’avait pas été formée à la discussion. Elle voulait bien. L’idée de refuser ou simplement d’amender une situation ne lui traversa jamais l’esprit qu’elle n’avait peut-être pas.
Tant qu’elle avait vécu sous la coupe de Dame Rebillard, aucun garçon ne s’était intéressé à elle. Aucun n’aurait osé affronter la revêche mégère pour approcher la petite. Maintenant que sa protectrice s’en était allée, elle se trouvait exposée à l’appétit des mâles. Compte tenu du peu d’attirance que son physique disgracieux suscitait, leur intérêt pour elle n’était que superficiel, passager et, surtout, inspiré par la certitude de n’avoir jamais à endosser la moindre responsabilité quoi qu’il arrivât. Des jeunes, inhibés en présence de filles plus délurées qu’eux, venaient vivre, auprès de cette ingénue, une première expérience discrète, bienveillante et non compromettante. Plus âgés, ils venaient chercher, auprès d’elle un occasionnel complément à leur vie amoureuse. Sa candeur naturelle faisait d’elle une proie facile à abuser. Par chance, sûrement, elle n’eut jamais à assumer les fâcheuses conséquences de ses visiteurs inconséquents.
Elle avait tant de fois entendu Dame Rebillard jeter l’opprobre sur les amants plus entreprenants que prudents qu’elle savait bien qu’il y avait faute. Elle savait bien qu’il fallait s’en confesser auprès du curé pour gagner le droit de communier aux fêtes carillonnées. Dans le secret du confessionnal, elle s’ouvrait des fautes commises… sur elle, à « son corps mal défendu ». À quel prix obtenait-elle l’indispensable absolution ? Assurément, sa pénitence dépassait le cadre des trois « Pater » et trois « Ave » habituels puisqu’à plusieurs reprises, des commères bien informées la virent, à l’issue d’une messe basse, suivre le prêtre jusque dans la petite salle attenante à la sacristie. La porte étant verrouillée, nul ne put jamais savoir quelle sanction lui était infligée pour obtenir la rémission des péchés… des autres.
La trentaine lui vint en même temps que la guerre. Titine lavait encore chez quelques clients qui trouvaient que les autres laveuses prenaient trop cher. Le raclement de ses sabots sur le chemin empierré était devenu un élément familier du paysage sonore. On la reconnaissait à la symphonie toute particulière qu’elle interprétait avec ses semelles de bois : rythme syncopé au service d’une mélodie grinçante et répétitive. Au son, on pouvait suivre son cheminement à travers la campagne. Le ralentissement progressif du tempo correspondait à la montée de la côte du château et le glissando qui s’ensuivait à la descente. Elle râpait le bois de ses chaussures jusqu’à la chair de ses talons. Il était alors temps d’acheter une nouvelle paire à Monsieur Elie, le vendeur d’articles de mode qui passait une fois par mois avec sa carriole attelée à un cheval aveugle donc docile.
Comme on la savait disponible et d’un naturel serviable, elle fut de plus en plus sollicitée pour répondre aux défaillances passagères des maîtresses de maison accidentées ou sur le point d’accoucher. Tous les maris de la commune, aux abois dès que leur épouse devait lâcher le gouvernail de la ferme, accouraient pour lui demander de venir « tenir la maison », le temps de l’indisposition de leur dame. Tous ces fiers-à-bras désorientés perdaient alors la superbe avec laquelle ils avaient jusque-là dédaigné celle qui se précipitait à leur service. Piteusement, ils adoptaient des attitudes de soumis face à la petite bonne femme qui surgissait pour s’occuper des enfants, prendre place devant les fourneaux, préparer les serviettes et les cuvettes d’eau chaude que le médecin exigerait dès son arrivée.
L’électricité arriva dans le village, juste après la guerre. Elle souscrivit à l’offre de pose d’un compteur. Un électricien vint lui « mettre la lumière » dans les deux pièces de la maison. Si la vie des Français fut bouleversée par cette introduction, celle de Titine le fut bien plus encore. Un soir, subitement, l’ampoule s’éteignit. Celle de la chambre ne s’allumait plus non plus. Elle s’était enhardie à aller demander à Belloni s’il savait réparer la lumière. Il ne savait pas… mais il savait encore moins laisser qui que ce fût dans l’embarras. Il était venu avec sa lampe-tempête, le seul éclairage dont il disposait dans sa cahute. Il réalisa que le fusible du compteur était fondu. « C’est le plomb qui a sauté ! »
Belloni était arrivé au cours de la période d’immédiate après-guerre marquée par l’arrivée de nouvelles têtes dans la région. Entre deux âges, il était passé entre les deux guerres : trop jeune pour participer à la première et trop âgé pour être incorporé au moment de la seconde. La consonance de son nom laisse à penser qu’il était d’origine italienne. Ses ascendants devaient faire partie de ces émigrés venus en masse au début du siècle pour occuper des emplois de saisonniers dans les fermes. D’un naturel réservé, il devenait secret et même impénétrable aussitôt que le thème de la résistance à l’occupant allemand était abordé. On sentait confusément qu’il fuyait la discussion dès l’émergence du sujet. Pourtant, un soir, à la Société, le cabernet ayant produit son effet, il ne put se contenir en entendant les assertions d’un jeune fanfaron. Il explosa :
« Tais-toi, Garmont ! Tu mens ! Tu n’étais pas dans le maquis de Saint Hilaire !
Arrête de dire que c’est ta grenade qui a fait sauter le camion avec tous les soldats allemands. C’est faux ! Les Boches s’étaient déployés dans les sous-bois bien avant que n’explosât leur véhicule. Ils progressaient vers le sommet. Presque tous les maquisards s’étaient repliés vers le bois des Brûlis. Il n’en restait que deux, tout en haut, postés près de la croix en fer, avec un Chauchat. Un Chauchat, c’est cette saloperie de fusil mitrailleur qui servait déjà pendant la guerre de 14. Si tu tires en rafales, il s’enraye au bout de cinquante cartouches. Au bout de cent, il chauffe tellement qu’il faut pisser dessus pour le refroidir. Et puis, il fallait faire drôlement attention pour remplir les chargeurs et encore plus pour les engager dans la culasse. Le mieux, c’était de l’utiliser en semi-automatique. C’est ce que les deux gars ont fait. Chaque buisson qui bougeait recevait une giclée de trois à cinq cartouches. Pas plus ! Il fallait économiser. Le servant, celui qui change les chargeurs, était plus exposé que le tireur allongé puisque son rôle l’oblige à se redresser souvent. Le pauvre gus (il s’appelait justement Auguste) a pris une rafale de mitraillette en pleine tête. Alors, le tireur, seul, foutu pour foutu, s’est appliqué à venger son copain. Le Chauchat a aboyé comme jamais, vomissant ses cartouches au sud, au nord, partout… Et des Teutons, il