La Perle noire de Cancale: Une enquête de la capitaine Elma Béranger
Par Anne Chambrin
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À propos de ce livre électronique
Le 24 décembre, c'est la queue au petit marché d'huîtres du port de Cancale : tous les habitués viennent acheter leurs coquillages pour le réveillon de Noël.
Le lendemain, on retrouve une cliente morte. Peut-on parler de défaillance cardiaque, d'accident, d'intoxication ?
Le 1er janvier, c'est au tour d'un client Anglais d'un hôtel-restaurant du port de décéder après un réveillon gastronomique.
Le lieutenant de police Elma Béranger, est dépêchée sur les lieux.
L'autopsie révèle les traces d'un poison très toxique pour les mollusques. Tout est mis en œuvre pour ne pas ébruiter l'affaire.
Après l'empoisonnement d'une ostréicultrice du petit marché, cela ne fait plus de doute : quelqu'un injecte du poison dans des huîtres, et frappe de façon aléatoire.
Le coupable se trouve sans doute dans la liste des habitués.
D'anciennes querelles resurgissent, des affaires classées ou non élucidées reviennent en boomerang, des accidents mortels revoient le jour, dans le décor du port de Cancale en hiver.
Elma Béranger devra découvrir ce qui se cache sous la coquille des habitués du marché !
EXTRAIT
Involontairement, elle passe en revue sa famille qui va envahir les chambres de la vieille maison habilement rénovée. Tout d’abord, sa fille aînée, Clara, et son imbécile de mari, Christophe, qui verse dans la politique et se croit le phénix des réunions familiales. En plus, il est contre le mariage, cet arriviste ! Heureusement que les gosses sont des crèmes ! Ses fils, ensuite, Benoît et Malo, les jumeaux, et les femmes – incontournables, bien sûr, mais qui sont plutôt creuses du raisonnement. Là encore, les gamins sauvent la mise des parents, deux chacun, des amours ! En tout, Émilie compte treize personnes, comme d’habitude.
Puis, son vagabondage intérieur la ramène aux étals d’huîtres et au visage souriant de Jeanne Picot. [...]
Foutues huîtres ! Émilie n’y pensait plus et voilà qu’elles se rappellent à son bon souvenir !
Allons, pas de procrastination possible aujourd’hui, il faut s’y mettre.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Anne Chambrin a posé ses valises à Cancale il y a 35 ans, par passion pour le bord de mer et les falaises du littoral. En parallèle de son métier d'enseignante et d'animatrice, elle écrit depuis toujours. Particulièrement inspirée par l'atmosphère de la Côte d'Émeraude et par l'histoire de la région, elle s'est tournée vers le roman policier après avoir publié de nombreux romans de terroir.
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Aperçu du livre
La Perle noire de Cancale - Anne Chambrin
hasard.
24 décembre
– J’en voudrais quatre douzaines de nº 3, s’il vous plaît, madame Picot.
– Alors, madame Saimpierre, c’est réunion de famille pour le réveillon ?
– M’en parlez pas, quelle plaie ! Mais faut bien sacrifier à la tradition !
Les rires fusent dans les files d’attente. Les fêtes de fin d’année font toujours figure de corvées, avec leur kyrielle de haches de guerre enterrées hypocritement le temps d’une soirée ou de quelques jours. Mais la tradition, c’est incontournable. Et, du coup, les huîtres au réveillon aussi ! Pourrait-on imaginer seulement un repas de fête sans huîtres, à Cancale ? Là, il ne s’agit plus de tradition, mais de rite.
Une longue queue serpente donc devant le petit marché des ostréiculteurs, ces étals aux auvents rayés bleu et blanc, puis se scinde en trois, selon les habitudes des clients ou les atomes crochus, car le mollusque est exactement le même partout. Toutes les huîtres viennent des parcs s’étalant juste devant, dans la vase et plus au large. Quelques présentoirs restent vides aujourd’hui.
Certains, toujours les mêmes fidèles, se dirigent vers l’étal Picot, comme Émilie Saimpierre déjà présente qui se sert là depuis toujours, depuis le temps de la grand-mère Picot – une sacrée bonne femme celle-là, au caractère trempé ! Jean-Paul Cochin est toujours dans les premiers, avec une gueule de trois pieds de long, parce que sa femme l’envoie faire les courses et qu’il déteste ça. D’un autre côté, il peut faire son beau, avec sa barbe de trois jours entretenue exprès pour être à la mode ! Et, juste derrière, Ariane Lefort ne peut s’empêcher de le regarder, elle qui n’a pas eu d’homme depuis longtemps : c’est plutôt plaisant, troublant mais innocent.
D’autres se tournent vers le présentoir des Manahouar, aujourd’hui tenu par Jean, le patron, bien aimable parce qu’il rajoute systématiquement un citron gratuit dans le sac plastique bleu lourd des coquillages, dès deux douzaines achetées.
– Oh, Jean, mets-moi trois douzaines de nº 2, c’est pas tous les jours fête !
– Yoann Porcher ! Te voilà revenu, mon gars ! C’est pour de bon, cette fois ?
– Eh non, pas du tout, je viens juste pour Noël, pour voir ma mère.
– Ah ? Et comment c’est, à Brest ? T’as du boulot ?
– Un super job à Océanopolis ! Allez, mets aussi quelques plates, une douzaine de belons, ça fait longtemps…
Enfin, il reste l’étal des Lemaître où officie Benjamin, l’employé de service, devant lequel se presse un groupe grisâtre de froid.
– Quel froid de gueux, ce matin !
La vieille Ernestine Delard tape dans ses mains protégées de gants râpés. Sa voix hésitante chevrote encore plus que d’habitude et une buée épaisse accompagne chaque mot.
Devant elle, Thomas Rachy, toujours élégant dans son long manteau gris, renchérit.
– La neige guette, on dirait, n’est-ce pas ?
Un instant de flottement plombe l’atmosphère déjà morose. Celui-là, il a toujours des façons de s’exprimer qui surprennent et déroutent. Et c’est bien le seul de l’assistance à se détacher du groupe par sa haute stature et son allure particulièrement soignée. Le port d’un feutre assorti au manteau en rajoute encore à son élégance. On ne l’aime pas, par ici, mais on le connaît depuis qu’il est gamin, alors… Il se sert chez les Lemaître parce que là, il a droit à un sourire.
Dans la file des Picot, on chuchote, et dans celle des Manahouar, on susurre. Beaucoup se moquent de lui, de ses trop bonnes manières et de son vocabulaire souvent recherché.
Et puis, on passe à autre chose, au souper du réveillon, au chapon de Noël qui n’a pas l’air aussi fameux que celui de l’an dernier, – enfin, on verra bien ! –, aux enfants et aux petits-enfants.
Comme partout, on cause de tout et de rien.
Jeanne Picot, la cinquantaine alerte et le cheveu en bataille, s’occupe fort aimablement d’Émilie Saimpierre et lui fait la causette en même temps qu’elle la sert. Elles sont à peu près l’inverse l’une de l’autre : Jeanne est autant grande, brune et forte qu’Émilie est petite, blonde grisonnante et frêle ! Le contraste ne peut s’empêcher de faire sourire.
Après quelques instants de palabres, la cliente reçoit ses quatre douzaines réparties dans deux sachets verts et protégées par un peu de goémon. C’est diablement lourd ! Elle se maudit aussitôt d’être descendue à pied à la Houle – et cela pour marcher, parce que c’est bon pour ses jambes. Tant pis pour elle !
Elle se détache du petit groupe frileux et emprunte la rue des Parcs : c’est quand même plus rapide pour remonter, malgré la côte abrupte.
Le brouhaha des amateurs d’huîtres se dissout dans l’atmosphère livide, à mesure qu’elle s’en éloigne.
Elle s’arrête un moment pour embrasser de son œil presbyte les parcs à demi submergés par une houle grise et écumeuse, la masse bien dessinée du rocher de Cancale et celle de l’île des Rimains derrière, qui se liquéfie dans une brume légère. Impossible de distinguer le Mont-Saint-Michel ce matin, dissimulé au monde par un voile opaque !
Après un dernier regard au petit marché qui ne va pas désemplir de la journée et à la longue cale aux deux phares, elle se décide.
Pour rejoindre le bourg, il faut s’arc-bouter sur la pente raide. Des enfants à vélo y paradent en criant plus fort que les mouettes et les goélands, dévalant sans effort et remontant aussitôt. Ils slaloment et évitent de justesse Émilie Saimpierre qui les injurie entre ses dents et se pose sur le banc à mi-parcours, déjà flapie.
– Bande de petits crétins !
La nuée de gamins s’envole plus loin, vers les cales, prenant les vélos pour des vaisseaux spatiaux et eux-mêmes pour des héros de jeux vidéo.
Un silence à peine écorché par le clapotis s’installe. Émilie frissonne.
– Faut vraiment y aller, marmonne-t-elle d’une voix altérée par le froid saisissant et une certaine lassitude.
La partie jusqu’au monument aux morts est la plus raide, mais tant pis, elle accélère l’allure et se retrouve enfin en haut un peu plus réchauffée. Elle se permet une nouvelle pause et admire comme toujours la vue étendue et surplombante qui ravit le regard : vers la droite, tous les toits en ardoise des petites maisons forment un paysage de mosaïque mariant les différentes nuances de gris ; vers la gauche, c’est la mer, hypnotiseuse, qu’on fixerait des heures s’il ne faisait pas si froid.
Les gants d’Émilie Saimpierre ne protègent plus les articulations de ses doigts du poids des coquillages.
– Alors, madame Saimpierre, ça se présente bien ?
C’est la jeune Marie, l’employée des Picot, qui l’apostrophe bien aimablement. Elle descend au port de la Houle, sans doute pour donner la main à sa patronne : le 24 décembre, c’est toujours fastidieux de ravitailler les étals au fil de la journée, une des plus lucratives de l’année ! Marie présente un physique d’un genre particulier : chez elle, tout est rond, du visage aux mollets, criblé de taches de rousseur et de grains de beauté – jusqu’aux yeux verts en forme de grosses billes. Elle est dodue à souhait, appétissante et généreuse.
Elles sont seules, toutes deux souriantes, face à face, pâles et couperosées. Il faut être inconscient ou fou pour se trouver dehors, dans cet endroit venteux, par ce temps détestable.
– Bah oui, faut bien, tu sais bien comment est Clara, et puis ça fait longtemps que j’ai pas vu les petits ! Bon courage à toi, Marie !
La jolie fille se jette dans la descente avec la fougue de la jeunesse, après avoir salué de la main. Elle est couverte de plusieurs épaisseurs et d’une parka doublée, pour tenir sans geler. Sa silhouette en est triplée de volume, mais elle n’y prête pas attention une seconde, assurée d’être protégée des morsures du froid.
Émilie Saimpierre s’engage à grands pas assurés sur le boulevard Thiers sur lequel, un peu plus loin, sa douce et confortable demeure l’attend, impassible comme toutes les imposantes maisons de granit de la région, qui bravent les siècles.
À peine arrivée dans l’entrée, elle se déleste de son fardeau et se masse aussitôt les jointures des doigts, blanchies de l’effort fourni. Et, avant même d’ôter son manteau, elle se précipite dans la cuisine et met en marche la bouilloire : un thé au miel et au citron la remettra peut-être d’aplomb !
Parce que d’aplomb, il faut qu’elle soit : pas d’autre choix, d’ailleurs, ils arrivent tous dans la soirée et il ne reste que quelques heures pour mitonner les plats, faire cuire les araignées et ouvrir les huîtres, tartiner les canapés et ouvrir les bouteilles poussiéreuses : son gendre, cet abruti aux dents longues, ne supporte que le vin supérieur, alors qu’elle se contente facilement d’un petit muscadet bien frais…
Elle vérifie d’un coup d’œil expert qu’elle n’a rien oublié et se met aussitôt à l’ouvrage avec énergie, battant la moutarde avec le jaune d’œuf, le sel et le poivre, avant d’ajouter l’huile en filets pour émulsionner la mayonnaise. Elle enchaîne avec le chapon qu’elle graisse abondamment et qu’elle farcit avant de le rôtir au four.
Un fumet de sucs de viande commence à se répandre partout : c’est alléchant et écœurant à la fois. Mais c’est pire avec la cuisson des araignées, malgré l’aspiration de la hotte, car l’odeur en est fade et insidieuse.
Émilie déteste le moment où elle précipite les crabes aux pinces géantes dans l’eau bouillante du faitout. En général, elle se hâte tant que l’eau gicle et la brûle – c’est le cas cette fois encore. Les crustacés se débattent, leurs petits yeux fous roulent dans tous les sens, et ils cherchent à s’extirper de là en écartant les pinces le plus possible. Puis ils cèdent et finissent par couler en laissant des bulles qui crèvent à la surface. Ce n’est pas de la pitié que la cuisinière ressent, mais du dégoût.
Elle attend la fin de leur cuisson pour se poser un peu et avaler un morceau de fromage. Assise sur le tabouret haut du comptoir, elle rêvasse, le cerveau engourdi par la chaleur des radiateurs et celle des diverses cuissons, à tout et à rien.
Involontairement, elle passe en revue sa famille qui va envahir les chambres de la vieille maison habilement rénovée. Tout d’abord, sa fille aînée, Clara, et son imbécile de mari, Christophe, qui verse dans la politique et se croit le phénix des réunions familiales. En plus, il est contre le mariage, cet arriviste ! Heureusement que les gosses sont des crèmes ! Ses fils, ensuite, Benoît et Malo, les jumeaux, et les femmes – incontournables, bien sûr, mais qui sont plutôt creuses du raisonnement. Là encore, les gamins sauvent la mise des parents, deux chacun, des amours ! En tout, Émilie compte treize personnes, comme d’habitude.
Puis, son vagabondage intérieur la ramène aux étals d’huîtres et au visage souriant de Jeanne Picot. Aujourd’hui, sûr, pas de concurrence, les trois entreprises ostréicoles rempliront leur escarcelle et leurs propriétaires n’auront pas de raison de se tirer la gueule !
Foutues huîtres ! Émilie n’y pensait plus et voilà qu’elles se rappellent à son bon souvenir !
Allons, pas de procrastination possible aujourd’hui, il faut s’y mettre.
Elle déverse les quatre douzaines de coquillages sur le plan de travail où les araignées refroidissent avant d’être vidées, et soupire profondément. Elle sort les grands plats à fruits de mer et son couteau préféré à la courte lame pointue, puis s’enroule les mains dans des torchons : une blessure est si vite arrivée ! Elle a grande habitude et trouve le nerf à couper instantanément.
Les huîtres sont charnues et appétissantes. Une à une, rapidement, elles sont délicatement posées sur les plateaux, d’abord rétractées à la pointe du couteau et, ensuite, à nouveau épanouies dans leur berceau nacré.
On n’entend que le crépitement de la volaille qui rôtit et le léger choc des coquilles sur l’inox. Émilie se concentre sur son affaire pour ne pas laisser de débris dans la conque irisée. Ce n’est qu’une fois le travail achevé qu’elle regarde avec déception son plat : c’est évident, quatre douzaines, c’est insuffisant ! Comment a-t-elle donc calculé ?
Tant pis, Émilie pare au plus pressé. Pas question de redescendre, elle saute dans sa voiture et file au supermarché qui propose un bel étalage de fruits de mer et de coquillages. En un quart d’heure, le tour est joué, sans faire la queue !
Enfin satisfaite, la maîtresse de maison s’apprête à dresser la table. Elle a la tête dans le buffet du salon pour récupérer tout au fond la nappe blanche ajourée, quand retentit le premier coup de sonnette.
25 décembre
– Maman n’est pas levée ?
– Ben non, tu vois bien. Elle a dû abuser du champagne hier soir !
– Arrête Benoît, espèce d’idiot, tu dis toujours des conneries !
– Elle était super fatiguée, surtout. Elle ne veut jamais qu’on l’aide, eh ben, c’est pas malin.
– On la laisse dormir ?
– Ouais ! Et on va tout préparer pour le déjeuner. Elle n’aura rien à faire.
Plus tard, Clara, le portrait de sa mère avec vingt ans de moins, sort son portable de sa poche au signal d’un sms reçu, le lit, s’apprête à rempocher le téléphone – et stoppe net son geste.
– Mais… il est 11 h et demi ?
Les enfants, occupés à jouer dans le salon avec leur nouvelle console et leurs Legos, se contrefoutent du monde extérieur. Malo, un grand blond dégingandé, le nez plongé dans un magazine de surf, lève la tête et fixe sa sœur avec un regard incrédule. Le ton alarmé de la question ne lui a pas échappé.
– Merde, t’as raison, ça fait tard quand même !
D’un même bond, tous deux se précipitent vers l’escalier, tandis que les moitiés et les jeunes stagnent dans une indifférence à toute épreuve. Les pas résonnent, on peut suivre leur cheminement : les marches, le palier, le couloir et, au bout, la chambre dont Clara ouvre la porte à toute volée. Un cri étouffé, un instant de silence, et cet appel d’une voix altérée :
– Benoît !
En bas, le sang s’est retiré du visage de l’intéressé, l’exacte réplique de Malo, et les nerfs de toute sa personne. C’est en chiffe molle qu’il gravit pesamment, marche par marche et en s’agrippant à la rampe, la montée vers ce quelque chose qu’il redoute.
Les conjoints et les enfants ont cessé de jacasser et tendent l’oreille.
Benoît rejoint enfin son frère et sa sœur à l’entrée de la chambre d’Émilie. Et la voit.
C’est l’expression de son visage dont ils se souviendront toujours : les grands yeux étonnés, comme frappés de stupeur, fixent un point au plafond ; la bouche ouverte crie silencieusement un appel au secours raté ; les joues creusées, hâves, présentent de vilaines taches rosâtres.
Émilie est tombée du lit, a sans doute voulu s’en extirper ou s’y replonger. Elle s’est effondrée au pied, entraînant la couette douillette qui lui recouvre les jambes.
– Aaaaaaah !
C’est Maïwenn qui fait sursauter les trois