Saint-Malo le bassin du crime: Une enquête de la capitaine Elma Béranger
Par Anne Chambrin
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À propos de ce livre électronique
Quelques jours avant le départ de la Route du Rhum, le corps d'un jeune homme est découvert noyé entre deux géants des mers dans le bassin Vauban à Saint-Malo. Il s'agit d'un stagiaire en électronique travaillant sur l'unique trimaran mouillé dans le port de la Houle, à Cancale.
Comment a-t-il pu se retrouver si loin, alors que l'équipe technique du bateau atteste de sa présence à bord toute la soirée précédente ?
Accident ? Règlement de comptes ? Qui ment, qui est sincère ? Le père, l'amie, les collègues, le skipper ? La capitaine Elma Béranger et la
police malouine vont s'associer aux gendarmes cancalais pour résoudre cette enquête rebondissante menée parmi la foule des passionnés
et des curieux qui envahissent toute la région.
Une nouvelle enquête complexe s'annonce pour la capitaine Elma béranger !
EXTRAIT
– Et vous voulez signaler la disparition de qui ?
– D’Alexis. Mon fils. Il n’est pas rentré de la nuit. Il ne me laisse jamais sans nouvelles et son portable ne répond pas, je ne comprends pas.
– Quel âge a-t-il ? soupire Galichon en posant un formulaire sur le comptoir et en commençant à cocher quelques cases.
– 19 ans. Il est en stage pour une semaine sur le bateau de la course, celui qui mouille à la Houle, pour voir les équipements électroniques et tout ça. Il veut être ingénieur.
La voix de l’homme se module d’une touche de fierté, malgré le désarroi évident qui l’altère.
Le gendarme reste un instant le stylo en l’air, le visage fermé, se demandant comment il va s’y prendre pour faire comprendre à ce père que son gamin est probablement dans un recoin de Saint-Malo, cuvant comme de nombreux autres les abus d’alcool et de stupéfiants de la nuit. 19 ans… En stage sur un coursier des mers… Entouré de toutes les tentations du monde, d’une foule en liesse, de personnes sans scrupules qui vendent du rêve… Mais que croit-il donc, Jules Bardel ? Que son fils de 19 ans n’est pas fait comme les autres, peut-être ? Une nuit dehors et c’est le signalement de disparition ! Il ne doit pas rigoler tous les jours, le jeune…
À PROPOS DE L'AUTEURE
Anne Chambrin a posé ses valises à Cancale il y a 35 ans, par passion pour le bord de mer et les falaises du littoral. En parallèle de son métier d'enseignante et d'animatrice, elle écrit depuis toujours. Particulièrement inspirée par l'atmosphère de la Côte d'Émeraude et par l'histoire de la région, elle s'est tournée vers le roman policier après avoir publié de nombreux romans de terroir.
En savoir plus sur Anne Chambrin
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Avis sur Saint-Malo le bassin du crime
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Aperçu du livre
Saint-Malo le bassin du crime - Anne Chambrin
hasard.
Mercredi 25 octobre
Cancale, 7 h 45
Quand Julien Galichon claque la porte de sa maison du fond de l’impasse, il est happé par un tourbillon glacial et maugrée, mécontent de constater que l’automne s’est rudement installé depuis quelque temps. Même si le jour est à peine levé, il distingue nettement la campagne derrière lui, toute recouverte d’un voile de cristaux blancs, et hésite un instant à cause des plaques de verglas.
La rue de la Vieille Rivière n’est pas très passante, surtout à cette heure matinale, et le risque de glissade n’est pas négligeable.
Mais en bon motard irréductible, il sort sa moto de l’appentis qui lui sert d’abri, le garage étant totalement transformé en laboratoire scientifique. Bien chaudement emmitouflé dans son épais blouson, ses gants en cuir doublés et son écharpe en pure laine, il enfile son casque d’un geste assuré et vérifie de son regard bleu très pâle la fermeture des fenêtres de la maison avant de baisser la visière d’un coup sec.
Il démarre puis lance son deux-roues sur le sentier empierré rejoignant la rue à cinquante mètres, tourne à gauche vers le bourg de Cancale après avoir jeté un œil nostalgique vers l’autre côté, celui qui mène à la route des plages par Port-Mer. Il adore cette promenade et fréquente aussi bien le chemin des douaniers pour courir, que le bitume pour rouler le long des falaises, au-dessus des plages de sable fin. La gendarmerie doit être ouverte dans un quart d’heure, ce n’est pas le moment de muser, ni de traîner le nez au vent.
Il ne croise personne jusqu’au quartier de Saint-Jouan, puis c’est le ballet quotidien des voitures des lève-tôt, ceux qui vont travailler à Saint-Malo, Dinard et même à Rennes. On remarque qu’il y a plus de monde que d’habitude, mais c’est évidemment logique à cause de la Route du Rhum qui se prépare. Dans une dizaine de jours, des bateaux de course minutieusement équipés prendront leur envol au large de la Pointe du Grouin, manœuvrés par un marin solitaire, comme de grands cormorans bravant le souffle furieux du vent.
Julien soupire sous son casque, les yeux encore pleins de sommeil, et évoque avec émotion la belle soirée d’hier qui s’est poursuivie fort tard dans la nuit. Avec un groupe d’amis, il est allé s’extasier devant la majesté des trimarans déjà présents dans le bassin Vauban à Saint-Malo, avant de jouer des coudes pour se faire une place dans un des bars de la place Chateaubriand. Tous les voiliers n’étaient pas encore arrivés mais une foule dense se massait déjà sur les quais.
Les jours à venir vont être tendus au niveau de la sécurité et de la surveillance.
Arrivé devant la gendarmerie, Julien Galichon freine en dérapant légèrement et s’étonne de repérer la silhouette d’un homme attendant devant la grille en tapant des pieds pour se réchauffer. A priori, la personne semble patienter depuis un long moment, attendant l’ouverture.
– Vous n’ouvrez pas tôt, bougonne-t-il alors que Galichon s’approche d’une démarche nonchalante, on a le temps de mourir cent fois !
– Pour les urgences, c’est le 18 ou le 15, rétorque le gendarme. Ici, on ouvre à 8 heures et c’est comme ça. Vous désirez porter plainte ? Ou témoigner d’un vol ?
– Je viens signaler une disparition.
L’homme pénètre dans le hall d’accueil de la gendarmerie et accepte d’un signe de tête que le motard passe dans la petite pièce du fond pour se changer et endosser son uniforme. Pendant ce temps, il regarde sans les voir les photos de personnes disparues qui n’ont jamais été retrouvées tapissant l’un des murs. Il passe nerveusement ses deux mains calleuses sur ses joues envahies d’une barbe naissante qu’il n’a pas rasée et fait craquer les jointures de ses doigts. Puis, il frissonne en réalisant que la température du local est particulièrement basse, les radiateurs sans doute éteints pendant la nuit pour des raisons d’économie.
– Vous êtes monsieur ?
– Bardel. Jules Bardel.
– Et vous voulez signaler la disparition de qui ?
– D’Alexis. Mon fils. Il n’est pas rentré de la nuit. Il ne me laisse jamais sans nouvelles et son portable ne répond pas, je ne comprends pas.
– Quel âge a-t-il ? soupire Galichon en posant un formulaire sur le comptoir et en commençant à cocher quelques cases.
– 19 ans. Il est en stage pour une semaine sur le bateau de la course, celui qui mouille à la Houle, pour voir les équipements électroniques et tout ça. Il veut être ingénieur.
La voix de l’homme se module d’une touche de fierté, malgré le désarroi évident qui l’altère.
Le gendarme reste un instant le stylo en l’air, le visage fermé, se demandant comment il va s’y prendre pour faire comprendre à ce père que son gamin est probablement dans un recoin de Saint-Malo, cuvant comme de nombreux autres les abus d’alcool et de stupéfiants de la nuit. 19 ans… En stage sur un coursier des mers… Entouré de toutes les tentations du monde, d’une foule en liesse, de personnes sans scrupules qui vendent du rêve… Mais que croit-il donc, Jules Bardel ? Que son fils de 19 ans n’est pas fait comme les autres, peut-être ? Une nuit dehors et c’est le signalement de disparition ! Il ne doit pas rigoler tous les jours, le jeune…
La grille grince affreusement et l’adjudant-chef Brossard pénètre dans le hall en saluant poliment les deux hommes, accroche sa lourde veste d’hiver au portemanteau et passe de l’autre côté de la vitre : il fait froid dans chaque pièce, il faut décidément s’obstiner à pousser les radiateurs, si seulement ils daignent se résoudre à fonctionner correctement. Ces objets-là sont les ennemis personnels de Brossard qui ne parvient jamais à les régler à la bonne température. Il ne s’occupe pas pour l’instant de la conversation qui se déroule dans le hall, Galichon ayant carte blanche pour enregistrer les plaintes de routine.
– Je vous laisse remplir la fiche de signalement, nous verrons tout ça en détail ensuite. Vous avez une photo ?
L’homme tire une photo d’identité de son portefeuille et la dépose sur le comptoir, laissant le gendarme l’observer pendant qu’il remplit le formulaire.
Le jeune homme sur le cliché regarde Galichon dans les yeux, d’un regard direct franc et vert clair. Il semble serein et sérieux, les cheveux bouclés adoucissant des traits un peu marqués pour son âge. Des sourcils en accent circonflexe lui donnent un air étonné, voire ahuri, comme s’il était tout surpris d’être là, devant cette machine Photomaton. Inoffensif avec un brin de naïveté, c’est ce qui vient aussitôt à l’esprit devant ce visage poupin.
– Vous l’avez vu quand, la dernière fois ?
– Hier matin, avant qu’il parte travailler. On a même eu le temps de prendre le petit déjeuner ensemble et de discuter un peu.
– Il vous a semblé comme d’habitude ?
– Absolument. Enthousiaste et contrôlé à la fois, souriant et agréable. D’humeur égale.
– Vous vivez seul avec lui ?
– Non, je vis seul tout court. Alexis est entré dans une école d’ingénieur à Rennes. C’est son premier stage, l’observation du matériel électronique d’un bateau de course : la Route du Rhum tombait bien, il a été accepté tout de suite. Il dort chez moi pour des raisons pratiques évidentes, mais il vit dans un studio d’étudiant proche de son école. Et quand il est chez moi, il me tient toujours au courant de ses horaires, par respect. Je ne comprends pas, je ne comprends pas.
Galichon hoche la tête et adresse un signe discret à l’adjudant-chef pour lui demander de le rejoindre, pressentant tout à coup que cette disparition est peut-être plus inquiétante qu’il le pensait au début de l’entretien. Celui-ci s’exécute de mauvaise grâce, néanmoins solidaire avec son agent devant la situation.
– Vous habitez rue de la Vieille Rivière ? demande Galichon, en relisant les informations consignées sur la fiche.
– On le voit bien, pas loin de chez vous, en effet, précise Brossard en levant les yeux au ciel, agacé par ce genre de détails sans importance.
– Oui, Alexis, oui bien sûr, s’exalte tout à coup le gendarme. Je vois très bien. Il est souvent chez Roxane, la jeune coiffeuse qui loue la toute petite maison de mon impasse.
– Ah ? Vous êtes le motard ? Excusez-moi, je ne savais pas que vous étiez…
– Gendarme ? Quelle importance ? Ce n’est pas marqué sur mon casque, il me semble. Alexis n’était pas chez Roxane hier soir ? Vous êtes sûr ?
– Oui, affirme Jules Bardel. Je suis certain que mon fils n’était pas chez elle, mais sur le voilier « Mosaïques », celui qui mouille à la Houle, le trimaran qui va faire la Route du Rhum. Il devait vérifier le bon fonctionnement des ordinateurs de bord avec les ingénieurs. Je vous rappelle que le départ est dans 10 jours seulement !
– Voilier « Mosaïques » ? Skipper ?
L’adjudant-chef s’impatiente. Soit le jeune homme a réellement disparu et ils perdent un temps précieux, soit celui-ci a rejoint les groupes de jeunes papillonnant autour des géants des mers dans un état second, d’euphorie et de mélancolie à la fois. Que de rêves ces grandes courses suscitent-elles dans les esprits aventureux qui n’ont pas les moyens d’y participer !
– Skipper Paul Piloni, répond Bardel en réprimant une sorte de sanglot qui fausse sa voix. Sponsor « Mosaïques », une association soutenue par le ministère de la Culture, je crois. Je n’en sais pas plus.
– Quel genre de relations Alexis entretient-il avec Roxane ?
Julien Galichon se souvient maintenant clairement d’avoir vu l’étudiant rendre de fréquentes visites à la jolie fille occupant la maison de poupée non loin de la sienne. Jamais il ne s’est posé la moindre question, n’ayant aucun penchant pour les ragots, les curiosités de voisinage, le style de vie des autres. Tout le quartier a dû pourtant extrapoler sur cette relation amicale !
– Mais… ils sont amis, rien de plus ! s’exclame Bardel. La petite Roxane était dans sa classe les quatre années de collège, ils sont restés liés, c’est tout… et puis, habitant à deux pas l’un de l’autre… Écoutez, est-ce si important ? Alexis a disparu, voilà, et je veux le revoir vivant – ce n’est quand même pas très difficile à comprendre, et il me semble que c’est votre travail !
– Votre fils n’était sûrement pas seul sur le bateau hier soir, n’est-ce pas ? Connaissez-vous les noms de son maître de stage et des autres ingénieurs ? Et pourquoi ce trimaran ne se trouve-t-il pas à Saint-Malo, dans le bassin Vauban ?
– Parce que Paul Piloni est cancalais d’adoption. C’est une façon pour lui de mettre sa ville à l’honneur, en face de Saint-Malo qui s’approprie tout le prestige ! Le départ de la Route du Rhum est donné au large de la Pointe du Grouin, à Cancale. Et vous savez bien que les médias n’y font même pas allusion…
– Oui, bien sûr, soupire Galichon qui se fout complètement des querelles de clocher. Et l’équipe de maintenance, alors ?
– Il y a un couple d’ingénieurs en électronique, Laurence et Louis-Marie Gabarre, des gens qui habitent Saint-Méloir, je crois. Et aussi Gaël Salines, un Cancalais, un homme toutes mains pour les finitions. Ils ont encore beaucoup de travail, d’après Alexis.
La grille extérieure grince affreusement et Brossard rougit imperceptiblement, tellement préoccupé par les problèmes de radiateurs dès le matin qu’il en a oublié de refermer la grille à clé derrière lui en arrivant. Des pas lourds et volontaires martèlent la cour, puis la porte d’entrée s’ouvre sur un sosie d’acteur américain en uniforme qui sourit largement en découvrant une dentition parfaite d’une blancheur étincelante. Avec ses yeux bleus enfoncés dans les orbites, ses sourcils fournis, son nez fort et sa bouche aimable aux lèvres pulpeuses et vulgaires, ses épaules de catcheur et ses paluches de boxeur, l’adjudant Franck Meurice ne passe pas inaperçu !
Il se présente d’une voix tonitruante tout à fait adaptée au personnage.
– Adjudant Franck Meurice, gendarmerie mobile, remplaçant de Pierre Robin.
Quelque peu décontenancé, Brossard abandonne temporairement l’affaire Bardel pour accueillir son collègue au physique de lutteur de foire et lui faire visiter les locaux qui semblent rétrécir devant sa corpulence. Pierre Robin est en stage de perfectionnement informatique, ce qui n’arrange pas spécialement l’adjudant-chef en cette période critique où les amoureux de la voile et les touristes avides de sensations fortes par procuration se bousculent sur la côte pendant deux semaines.
Il a bien fallu demander un remplaçant, Galichon et lui-même ne suffisant pas à la tâche…
Au comptoir de l’accueil, Julien tente de faire abstraction de la grosse voix du nouveau qui enchaîne les questions, pour se concentrer sur le père Bardel. Il note sur des post-its les noms des membres de l’équipe technique et vérifie que la fiche de signalement de disparition est correctement remplie pour ne pas avoir à y revenir. Puis, il se veut rassurant, devant le regard inquiet de son interlocuteur.
– Monsieur Bardel, nous allons faire notre possible. Nous allons commencer par essayer d’établir les dernières interventions d’Alexis sur le voilier « Mosaïques » et visiter le bateau de fond en comble. Nous relèverons peut-être quelque chose. Puis, nous interrogerons ses collègues, pour en savoir plus. Votre fils a-t-il un signe distinctif, une montre, un bijou, un tatouage ?
– Une salamandre tatouée dans le bas du dos.
Julien joue la transparence, sans toutefois préciser qu’ils vont également enquêter auprès du voisinage pour recueillir des informations sur la relation père-fils, auprès de la banque pour vérifier les comptes, auprès de l’opérateur téléphonique d’Alexis pour relever ses derniers appels, auprès de Roxane et, s’il le faut, auprès de son université.
– Nous vous préviendrons dès que nous en saurons davantage.
– Et si je venais avec vous ? Je pourrais me rendre utile. Je suis en… arrêt maladie, je n’ai pas grand-chose à faire.
– Oui, affirme Julien d’un ton n’admettant pas de réplique. Oui, vous pouvez vous rendre utile en rentrant chez vous. C’est à nous de prendre les choses en main, faites-nous confiance !
Saint-Malo, 9 h
C’est la folie au pied des remparts, devant le bassin Vauban où se pavanent les géants des mers. Les équipes de radio et de télévision se marchent dessus pour obtenir l’interview la plus longue, la plus détaillée, la plus pertinente, des stars de la voile, ces skippers dont tout le monde connaît le nom et qui participent à toutes les régates en solitaire. La foule compacte se presse, avide de les entrevoir, prête à patienter des heures sur les quais en admirant les bijoux de technologie amarrés dans le bassin.
Sur les remparts, c’est pareil : il faut forcer le passage pour réussir à entrevoir ce qui se passe en contrebas, mais la vue vaut largement l’écrasement des orteils. On prend de la hauteur, de la distance, et ainsi le regard embrasse le magnifique spectacle de toutes ces coques colorées.
Des chapiteaux blancs du « village » s’élève de la musique, s’échappent des annonces au haut-parleur, fuitent des informations vraies ou fausses qui provoquent des mouvements de masse. C’est une liesse particulière où se mêlent aussi bien des plaisanciers que des néophytes curieux en quête de sensations fortes par procuration.
Dès le matin, c’est la cohue.
– Regardez, il y a quelqu’un là, on dirait…
Un spectateur alerte ceux qui