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Les claires de Monportail: Meutres chez les ostréiculteurs
Les claires de Monportail: Meutres chez les ostréiculteurs
Les claires de Monportail: Meutres chez les ostréiculteurs
Livre électronique328 pages4 heures

Les claires de Monportail: Meutres chez les ostréiculteurs

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À propos de ce livre électronique

La capitaine de police Delphine Thibaudeau enquête sur trois faits en apparence peu liés, qui la mèneront du milieu des ostréiculteurs au quartier de la Bastille...

Dans les claires d’affinage des huîtres, à Port-des-Barques, en temps ordinaire, les ostréiculteurs ne manquent pas de travail. Alors quand au mois de décembre, à l’approche des fêtes, période pendant laquelle l’expédition des coquillages vers les grands marchés ne souffre aucun retard, on découvre, un matin à l’embauche, le corps sans vie d’une ouvrière dans une cabane de Monportail, puis une camionnette renversée, non loin de là, dans un fossé de marais de Saint-Froult, et enfin un vagabond postré au pied de la Croix Hosannière de Moëze, l’angoisse est à son comble.

Jean-Michel Thirieau nous signe un polar passionnant du début à la fin, au moyen d'une intrigue captivante, de descriptions fines et imagées et de personnages attachants.

EXTRAIT

Delphine pénètre dans la maisonnette. C’est tellement petit que l’embrasure de la porte suffit pour y voir assez clair à l’intérieur. Ça vaut mieux car il n’y a pas d’électricité. Rustique, la maisonnette ! C’est le moins qu’on puisse dire. Une grande caisse retournée fait office de table et une souche en partie bouffée par les termites sert de tabouret. Le lit, dans un recoin, est en meilleur état. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’ensemble est spartiate mais, en attendant, c’est propre. Un vélo dont les garde-boue sont rouillés mais qui semble en état est appuyé contre un mur. Rien d’autre, sauf un peu de bois dans l’appentis et des cendres dans un poêle dont le tuyau d’évacuation des fumées se perd dans le conduit d’une cheminée dont l’humidité dévore le linteau de pierre. Rien, ni dans ni sous le lit sur lequel se trouve étendu un gros duvet de montagne. Rien non plus sous la souche. Heureusement qu’à côté de la caisse-table une valise, qui ne demande qu’à être auscultée, est posée sur deux briques, probablement pour éviter la fraîcheur du sol en terre battue

A PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Michel Thirieau est né à Paris.
Marin, il fut instructeur dans la marine vietnamienne. Ses romans permettent, au fil du récit, de voir évoluer des personnages dans leur milieu et entraînent le lecteur à la recherche d’une vérité fluctuante par des chemins parsemés de nombreuses descriptions géographiquement ou historiquement véridiques.
LangueFrançais
Date de sortie2 janv. 2020
ISBN9791035307325
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    Les claires de Monportail - Jean-Michel Thirieau

    LesclairesdeMontportail.jpg

    Les claires de Monportail

    Collection dirigée par Thierry Lucas

    Jean-Michel Thirieau

    Les claires de Monportail

    La Geste

    Ce roman est une fiction.

    Les personnages existants qui apparaissent dans le récit ont donné leur accord. Les autres sont imaginaires et toute ressemblance avec des personnes existant actuellement serait purement fortuite.

    « Il y a des hommes à qui la vie a été

    jetée au cou comme une chaîne. »

    Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe

    L’astérisque placé derrière un mot renvoie à un glossaire situé en fin de roman.

    Chapitre 1

    lundi 3 décembre après-midi

    Dans trois semaines, c’est Noël. Malgré de louables et persévérants efforts, le capitaine de police Delphine Thibaudeau n’est plus capable de maintenir son attention sur le travail inhumain de paperasserie dont elle a hérité, à son corps défendant, et auquel elle s’applique malgré tout consciencieusement depuis le début de la matinée. Les statistiques. L’horreur absolue, totale, tout le monde le sait. La corvée suprême. Comment a-t-elle pu se laisser piéger aussi naïvement sur ce coup-là !

    Détachée à Rochefort par le Service des Enquêtes Territoriales, le SET, elle s’était figurée rayonner constamment à travers le Poitou-Charentes et même au-delà. En fait, le pays rochefortais est d’un calme inimaginable pour une Parisienne. Jusqu’aux automobilistes, qui s’arrêtent aux passages réservés aux piétons pour les laisser passer. À Paris, ils ont intérêt à dégager, vite fait ! En plus de deux ans de présence, elle n’a vraiment eu à traiter que deux dossiers sérieux. Et encore, pour parvenir à des résultats incertains ou frustrants qui l’ont laissée sur sa faim.

    Plus le temps passe, plus son esprit décroche. Elle en est parvenue au stade où ça lui devient impossible de se concentrer. Même la pause de midi au restaurant n’a pas pu interrompre l’abattement dans lequel la plonge ce pensum. Malgré Gilles Le Louarn – le grand lieutenant qui joue en seconde ligne à Rochefort – avec son rugby (!) qui trouve toujours quelque chose à raconter sur le sujet. Heureusement, bonne nouvelle, il paraît qu’il y a une trêve dans les compétitions en fin d’année. Mieux, elle aurait même commencé, le week-end dernier, plus tôt que d’habitude, à cause des terrains détrempés qui deviennent des pataugeoires véritablement impraticables, des marécages, et elle devrait se poursuivre, autre excellente nouvelle, jusqu’à la mi-janvier. À La Rochelle, paraît-il, ils pratiquent même leur sport sur un terrain qui s’appelle « la grenouillère ». Tout un programme ! D’après Gilles, que se vautrer dans un bourbier comme un porc sauvage ne dérangerait pas, à l’entendre, ce sont les municipalités qui interdisent la poursuite du championnat eu égard au prix de réfection des pelouses. Il n’y a tout de même rien de surprenant à cet empêchement de démolir des aires de jeu chèrement payées par le contribuable !

    Et alors ça, pour pleuvoir, il pleut. Avec une remarquable opiniâtreté. Depuis huit jours, ça n’arrête pas. Des cordes. Un véritable temps de goret. Un déluge digne de la famille Noé avec son arche et sa ménagerie ! Et les plantes, qu’est-ce qu’il en a fait, Noé, pendant tous ces mois de balade en mer ? Elle revenait d’où, sa colombe, avec son rameau d’olivier tout juste émergé et certainement défeuillé après avoir trempé autant de mois sous la flotte ? Le corbeau, lui, il n’avait rien trouvé. Logique. Ou alors il n’avait pas envie de se salir le bec dans la gadoue. C’est à un dauphin qu’il aurait fallu demander d’aller, le premier, jeter un coup d’œil sur les forêts sous-marines !

    Depuis un moment, Delphine observe d’un regard absent les dégoulinades des gouttes de pluie sur les carreaux de la fenêtre. Il y en a qui filent d’une traite jusqu’en bas, bousculant tout ce qui se trouve sur leur passage ; les pressées. Ça urge. Dégage. Elles doivent avoir des œillères : pas de temps à perdre. D’autres se cavalent bêtement après, en zigzag, et se croquent férocement sans état d’âme. À y mieux regarder, seules quelques-unes laissent une trace derrière elles, une sorte de sillage luisant comme font les limaces, les autres pas. Pourquoi ? Allez savoir ! Il y a aussi les hésitantes, celles qui s’arrêtent pile alors qu’on aurait pu croire qu’elles savaient ce qu’elles faisaient. Paumées. Elles ne savent plus où aller. Ces indécises, à moitié débiles, ne soupçonnent pas le sort qui les attend. Elles vont se faire bouffer. Ce qu’il y a de marrant, c’est qu’à chaque fois qu’une assaillante en cannibalise une autre – Gilles dirait « se morfale » – juste après, elle pique un petit sprint. C’est sûrement une manifestation d’allégresse, due très probablement à la satisfaction qui fait suite au succès de l’impitoyable agression qu’elle a perpétrée de sang froid. Le petit coup d’adrénaline. Le cocorico macho destiné à avertir les autres gouttes : vous avez vu ? Après, elle ralentit pour réfléchir à ce qu’elle va bien pouvoir faire ensuite. Et si on s’envisageait un autre petit casse-croûte ? Il y a déjà une victime qui a été sournoisement repérée par une grosse goutte teigneuse qui fait semblant de ne pas savoir ce qu’elle fait mais qui commence à se glisser en douce, perfidement, par petits crochets discrets, vers sa future victime, mine de rien.

    Dehors, il n’y a pas un chat sur les trottoirs de la rue Jean-Jaurès. Normal. Ils ne sont pas masos, les chats ! En train de roupiller peinards sur une tablette de radiateur, les chats. On ne voit que les décorations de Noël, suspendues en travers de la rue par la municipalité, qui gigotent sous les gifles que le vent leur balance pour vérifier la qualité du travail des employés municipaux.

    Bon, je vais aller prendre un café avec les lieutenants pour me remettre les idées en place, décide-t-elle. Aussitôt dit, aussitôt fait et elle ouvre la porte de son bureau.

    – Ah ! Delphine, vous tombez bien, je viens justement de recevoir un coup de fil du procureur. Il m’a signalé que les gendarmes avaient une cliente pour vous. Alors, si vous n’avez rien de plus pressé…

    Ça ne changera jamais, constate la jeune femme. Il suffit qu’on sorte du bureau, à n’importe quel moment de la journée, histoire de souffler une minute quand on commence à sérieusement patiner sur un boulot totalement soporifique, juste pour se changer les idées, ou pour n’importe quelle autre raison d’ailleurs, qu’à peine a-t-on mis le nez dehors, on tombe sur qui ? Je vous le demande ? Monsieur le commissaire Scrolain en personne, évidemment. Pas possible, il doit avoir planqué une caméra de surveillance quelque part !

    – Je faisais de la paperasse, patron, rien d’urgent. Mais si vous voulez, je peux y aller tout de suite.

    Pour le commissaire Scrolain qui commence à bien la connaître et à qui on ne la fait pas aussi facilement, si son jeune capitaine de police au caractère souvent moins conciliant se montre aussi complaisante, aussi serviable, limite bonne pâte, c’est qu’elle ne cherche qu’un bon prétexte pour se défiler et aller prendre l’air ailleurs. Qu’il lui en fasse miroiter un et elle saute dessus à pieds joints en espérant repasser la patate chaude qu’elle doit avoir dans les mains à un copain. Scrolain réfléchit un peu à ce qu’elle pouvait être en train de faire. Ça doit être particulièrement rasoir pour qu’elle se précipite sur sa proposition avec autant d’empressement malgré le redoutable temps de chien qui sévit à l’extérieur. Oui, oui, ça y est, ça lui revient.

    – C’est vrai, je crois que vous étiez en train de contrôler le récapitulatif annuel des interventions de nos patrouilles les jours de marché pour les stats ?

    – Exactement, patron.

    – Et vous en avez encore pour longtemps ?

    – Ben…

    – Vous aurez fini avant la débauche ?

    – J’espère !

    – Vu l’heure, ajoute-t-il en jetant un coup d’œil sur sa montre, finissez-en d’abord avec votre vérification. De toute façon, il faut le faire. C’est à la brigade de Saint-Agnant que ça se passe. Vous n’aurez qu’à vous y rendre directement de chez vous demain matin. Vous demanderez l’adjudant Vallien que vous avez déjà eu l’occasion de rencontrer. C’est lui qui vous expliquera ce qu’il en est.

    Pour le rouler, celui-là, songe Delphine qui avait vaguement – très vaguement, parce qu’avec Scrolain, mieux vaut ne pas se faire trop d’illusions – caressé l’espoir ténu de se défiler de sa corvée !

    – Il s’agit de quoi ?

    – Le procureur ne s’est pas étendu. Lui-même n’a pas encore tous les éléments en main. Il attend avant de prendre la décision, qui me semble tout à fait probable, compte tenu de ce qu’il m’a dit, d’instruire. C’est le tout début de l’affaire. D’après ce que j’ai compris, ce serait une mort suspecte à Port-des-Barques, dans une cabane des claires* de Monportail.

    – Et qu’est-ce que nous avons à voir là-dedans, il y a les gendarmes là-bas. C’est leur secteur, non ?

    Elle ne changera pas, se dit Scrolain. Elle ne demande qu’à dégager pour aller voir si ce ne serait pas mieux ailleurs et elle trouve moyen de rouspéter quand même, si elle suppose qu’on lui repasse un boulot de seconde main.

    – Laissez-moi finir. Le décès serait celui d’une ouvrière, une certaine Agnieszka quelque chose. Elle est employée en dépannage saisonnier parce qu’en décembre, à trois semaines de Noël, ça va être le coup de feu dans le secteur de l’ostréiculture. D’après les renseignements fournis par l’employeur, c’est une Polonaise.

    – Vous dites « c’est le coup de feu » parce qu’elle a été tuée par balle ?

    – Ne faites pas d’humour mal placé, Delphine. Est-ce que je sais comment elle est morte, moi, cette fille !

    – Attendez patron, qu’elle soit polonaise, je veux bien. Mais en quoi son décès a-t-il à voir avec cet aspect du problème ? Je rêve !

    – Le procureur nous désigne, point final. Vous mettrez cela au net, poursuit le commissaire, en prenant l’air accablé de celui qui en a suffisamment entendu et ne veut pas s’arrêter aux considérations secondaires avancées par Delphine. Ne vous laissez pas embarquer sans me le dire dans une instruction qui ne nous concernerait pas vraiment. En attendant, il faut que vous y mettiez votre nez. Je ne me fais pas plus d’illusions que vous. À cette époque de l’année, si on tient compte des jours de récupération, de la grippe, des notes de service et de Dieu sait quoi encore, les gendarmes sont complètement débordés par la surveillance des parcs alors, quand ils ont découvert que la fille n’était pas de chez nous, ils ont immédiatement sauté sur l’occasion, avec un sourire intéressé qui leur allait d’une oreille à l’autre. Leur raisonnement est élémentaire mais sans faille. Ils ont subodoré que « pas français » ça allait forcément sortir du département et que la SET du commissariat de Rochefort était toute désignée pour s’en occuper. Et, en deux coups de cuiller à pot, ils nous refilent le bébé par le biais du procureur. Ça vous va comme cela ?

    Bon. Là, il ne faudrait peut-être pas pousser le bouchon plus loin, estime Delphine qui n’insiste pas en constatant que son patron n’a pas l’air d’apprécier ses observations, sauf qu’elle voudrait bien savoir, si c’est possible, avec qui elle va travailler sur ce coup.

    – Qui s’occupe du dossier pour le moment ?

    – C’est un substitut, un jeune qui vient d’être nommé, qui va procéder aux premières

    constatations. C’est la première fois qu’il instruit mais il est sous la coupe du vice-procureur qui le cornaque. Vous devriez pouvoir boucler ce dossier sans trop de problème. Je compte sur vous. Demain matin, gendarmerie de Saint-Agnant.

    Chapitre 2

    mardi 4 décembre matin

    Le lendemain matin, lorsque Delphine Thibaudeau arrive à Saint-Agnant, un jeune homme bien mis, costume-cravate, pas mal de sa personne, note-t-elle d’un œil observateur, se trouve déjà installé dans le bureau de l’adjudant Vallien.

    Les deux hommes se lèvent poliment quand elle entre dans la pièce.

    – Je crois que vous ne vous connaissez pas encore, capitaine, alors je fais les présentations. Monsieur le substitut Denière, qui est chargé de monter le dossier, le capitaine Thibaudeau, SET au commissariat de Rochefort. Asseyez-vous, je vous en prie, ajoute l’adjudant en montrant de la main à Delphine la chaise qui avait été disposée à son intention devant le bureau.

    – Bonjour capitaine, dit le jeune substitut accompagnant d’un large sourire la main qu’il tend, je suis heureux de faire votre connaissance. J’ai rencontré le juge Rameix hier. Il m’a demandé de vous dire de ne surtout pas hésiter à vous manifester si vous rencontriez le moindre problème.

    Delphine, qui avait conservé l’adjudant dans son champ de vision pendant la déclaration du substitut, remarque que les aimables paroles qui viennent de lui être adressées par un jeune qui débute dans sa profession et tient à se concilier ceux qu’il va devoir fréquenter ont trouvé une oreille attentive. Tant mieux, ce n’est pas un mal de faire savoir qu’on est pas trop mal en cour, même si – ne pas se faire d’illusions – il y a parfois loin des paroles à la réalité. En attendant, d’avoir évoqué Rameix, cela signifie sans doute que ce dernier a déjà l’œil sur l’affaire et que ce sera lui qui, probablement, héritera du dossier si le procureur décide d’ouvrir une information et de diligenter un juge d’instruction, ce qui semble bien parti pour être le cas, l’a prédit Scrolain.

    – Voici le premier dossier, glisse l’adjudant Vallien en remettant à chacun de ses visiteurs une chemise d’une minceur affligeante.

    – Le premier dossier, s’étonne Delphine surprise par la présentation de l’affaire ?

    – Vous allez comprendre, capitaine. Tout est allé très vite. Monsieur le substitut n’est au courant de l’ensemble de l’affaire que depuis hier, et encore, en fin d’après-midi seulement. Vous ne pouviez pas être prévenue plus tôt. Je vous assure qu’il n’était pas possible de faire plus vite. Commençons par le commencement, si vous le voulez bien. Je vous brosse le tableau. Nous avons été prévenus hier matin, lundi 3 décembre, à 7 h 05, à l’embauche d’ouvrières qui venaient d’arriver à leur travail dans une cabane de Monportail…

    – S’il vous plaît, adjudant, intervient le jeune substitut qui sait qu’il arrive encore parfois, malgré l’inspection du travail, que certains employeurs fassent travailler leurs ouvriers dans des conditions rudimentaires, pouvez-vous me préciser ce que vous entendez par « cabane de Monportail » ?

    L’adjudant qui a parfaitement compris le message, en observant la tête du jeune substitut, explique.

    – Les cabanes, c’est ainsi que l’on appelle les ateliers dans lesquels les ostréiculteurs travaillent les coquillages avec leurs équipes de femmes. Dans le temps, c’étaient de vraies cabanes, en planches mal équarries et plus ou moins disjointes dans lesquelles, croyez-moi, il n’y avait pas besoin d’installer la VMC. Maintenant, rassurez-vous monsieur le substitut, avec la réglementation européenne – hauteur de plafond, type de peinture, qualité du matériau des bourriches, et j’en passe – elles sont en dur et il y a des serrures sur des portes en fer qui ferment à clef. En gros, les hommes partent pour les concessions* à marée descendante dans leur chaland* métallique chargé de matériel et rentrent après le changement de marée quand les parcs* commencent à être envahis par l’eau qui monte. Ils déchargent leur attirail et les poches* qu’ils ont rapportées des concessions. Ils mettent les huîtres dans des casiers qu’ils déposent dans leur cabane afin de les trier avant de les mettre dans les claires pour qu’elles s’affinent. Dans la foulée, ils en profitent pendant qu’ils sont équipés, si on est un vendredi, pour retirer des dégorgeoirs* les coquillages destinés à l’expédition sur les marchés du samedi. Un coup de laveur et ils vont les déposer dans la cabane où les femmes les mettent dans les paniers.

    Delphine n’a pas tout compris mais, pas d’affolement, ça va forcément venir.

    – Et Monportail, insiste le substitut qui a engrangé « cabane » et veut connaître la suite ?

    L’adjudant se lève et se dirige vers une cloison du bureau. Il montre l’endroit sur une carte IGN au 1/25 000 punaisée sur un panneau de contreplaqué fixé au mur. La carte est tout en longueur, de haut en bas. Sur la partie gauche, le domaine maritime en bleu plus ou moins prononcé suivant la profondeur des fonds, et sur les trois quarts de la partie droite, la terre, en blanc avec de grandes parties hachurées de bleu ; le marais.

    – En haut, vous avez Châtelaillon, en bas, c’est Marennes, montre l’adjudant. Monportail est un lieu-dit qui se situe en partie sur la commune de Port-des-Barques et en partie sur celle de Saint-Froult. Le long de la côte, vous avez, en venant du sud, d’abord la côte de Monportail puis l’écluse de Monportail et enfin les claires. Sur 1,3 kilomètre, comme vous pouvez le voir, se trouvent près d’une cinquantaine de claires de vingt-cinq ares chacune, alignées, et vingt-deux cabanes. Il y a une vingtaine de concessions en tout. À cette période de l’année, Noël dans trois semaines, je vous prie de croire que ça se prépare à brasser des tonnes de coquillages dans le secteur.

    – J’ai noté que vous avez parlé de chaland, demande le substitut en relisant sur son carnet ce qu’il y a inscrit quelques instants plus tôt ?

    – Les chalands sont des embarcations métalliques à fond plat, équipées de moteurs hors-bord. C’est le matériel utilisé par les ostréiculteurs pour se rendre sur leurs parcs. Ils ont remplacé les anciennes lasses en bois qui tiraient un ponton, ce qui était d’une utilisation bien plus malaisée. On dit chaland à Port-des-Barques mais si vous allez sur l’île d’Oléron, ce sont des plates.

    – Je vous remercie, veuillez poursuivre.

    L’adjudant se rassoit et reprend son exposé.

    – Donc les ouvrières arrivent sur leur lieu de travail, avec la patronne, Angèle Delfrault, qui a les clefs. Elle est en gaec* avec son frère. Le gaec Lagrenée-Delfrault. Aujourd’hui, il ne fait pas beau, mais hier, souvenez-vous, c’était pire. Une grande partie de la journée, des bourrasques de pluie glacée qui n’incitaient personne à traîner dehors. À la surprise de madame Delfrault, non seulement la porte n’est pas fermée à clef quand elle arrive, mais elle n’est même pas fermée du tout. C’est une porte à glissière et il reste un espace ouvert qui permet le passage d’une personne. Sur le coup, comme elle nous a déclaré – c’est dans le rapport – elle avait pensé que le dernier sorti, le matin…

    – Mais on était le matin, l’interrompt Delphine qui note minutieusement la chronologie des faits exposés par l’adjudant. Vous venez de nous déclarer que madame Delfrault était arrivée à 7 heures.

    – C’est parce que les hommes étaient déjà partis pour les concessions. Ils fonctionnent avec la marée. À 7 heures ils étaient au travail sur les parcs. Lundi matin, la marée était basse à… L’adjudant cherche le détail précis dans ses papiers. À 8 h 46.

    – Alors l’un d’eux est peut-être dans le coup. De toute façon, ils ont dû s’apercevoir que la porte était partiellement ouverte, s’en inquiéter et découvrir le corps avant les ouvrières ?

    – Laissez-moi exposer le dossier, capitaine. Vous aurez les réponses aux questions que vous vous posez. Une partie d’entre elles, du moins. Mais je vais répondre tout de suite à la possibilité que ce soit l’un d’eux. C’est ce que nous avons établi en premier hier, vous vous en doutez. Les procès-verbaux sont dans le dossier que je vous ai remis. Leur alibi, c’est qu’ils dormaient tous chez eux, parce qu’ils allaient devoir se lever vers 5 heures du matin pour se rendre sur les parcs.

    Le capitaine se tait mais a bien l’intention de redoubler d’attention.

    – Non, poursuit le gendarme, ils n’ont pas vu le corps. D’abord, parce que c’était une nuit d’encre et que l’intérieur de la cabane était noir, il n’était pas possible de remarquer que la porte était mal fermée. Ensuite, ils ne sont pas allés dans la cabane parce qu’ils n’avaient rien à y faire. Le chaland était attelé au tracteur depuis la veille, ils sont partis sans traîner. J’ajoute qu’il faudrait qu’ils soient tous de mèche, ce qui semble difficile à admettre, même si cela reste une éventualité. Vous savez, ils se lèvent au dernier moment quand il s’agit de partir avant l’aube, dans le froid, sous la pluie, le vent… Or, comme vous le comprendrez tout à l’heure, le drame s’est passé au milieu de la nuit. Je peux même vous dire que quand madame Delfrault a appris l’heure approximative du décès, elle n’a pas été longue à réagir parce que, du coup, elle a pensé que l’affaire de la porte pas fermée, ça datait de la veille au soir…

    – La veille, un dimanche, ne peut s’empêcher de l’interrompre Delphine ?

    – Exactement. Quand il y a un coup de bourre, il n’y a pas plus de samedis que de dimanches. Madame Delfrault m’a dit qu’il y avait un enlèvement important programmé pour le lundi dans la matinée et ils étaient passés la veille en fin d’après-midi pour rentrer la marchandise. Rappelez-vous qu’ensuite, comme ils devaient se lever le matin de bonne heure, leur nuit serait courte. C’est pourquoi elle a émis l’hypothèse que le dernier à quitter les lieux, la veille au soir, était parti en vitesse, sans demander son reste, et sans se donner la peine d’aller vérifier si la porte avait été correctement refermée. C’est une porte qu’il faut pousser un bon coup car elle est un peu dure. Sinon elle ne s’enclenche pas convenablement. La clef permet de la verrouiller sur trois points. Un peu de graisse dans les roulements, à l’occasion, ça ne lui ferait pas de mal. Surtout que l’air marin, ça n’arrange rien. Bref, madame Delfrault a déclaré qu’on allait l’entendre parce que, une telle couillonnade – ce sont ses propres termes – à cette époque et au prix de la marchandise qui avait été rentrée dans la soirée pour le travail du lendemain matin, fallait être chéti*.

    – Pourquoi, il y a des vols, intervient le substitut Denière qui glisse discrètement sur le patois de l’adjudant, soupçonnant le terme d’être plutôt vert ?

    – Hélas oui, monsieur le substitut. Vous n’imaginez pas le pillage auquel se livrent un certain nombre de malfaisants. Entre ostréiculteurs, il n’y a pas beaucoup de chapardage. Il y en a bien un peu, de temps en temps, mais ils se connaissent et veillent au grain. En revanche, dans le circuit des vendeurs de coquillages, parmi ceux qui fournissent certains restaurants des grandes villes, c’est différent. Il y en a qui se livrent au détournement à grande échelle. Ça devient du pillage, pour revente au noir. Vous n’imaginez pas la vigilance que nous devons exercer ! On considère que le prélèvement illicite est de l’ordre de quinze tonnes par saison sur les 10 000 hectares de parcs et de claires de la zone ostréicole Marennes-Oléron.

    – C’est énorme !

    – Colossal. Et quand je dis « prélèvement illicite », c’est un terme administratif. En fait, il s’agit d’un vol crapuleux archiprémédité effectué par de la racaille sans foi ni loi. Mais il y a plus vicieux. On a vu soixante-dix tonnes d’huîtres arriver d’Irlande pour faire un petit stage rapide dans les parcs afin de changer de nationalité avant de passer en claires et d’être estampillées « Marennes-Oléron » bon teint. D’ailleurs, ça a donné lieu à un procès à Rochefort et ça engendre des bagarres et des jalousies chez les éleveurs qui hurlent à la concurrence déloyale. Depuis, la gendarmerie a procédé à un recensement photographique des parcs, par hélicoptère, à marée basse d’équinoxe, pour étudier des mesures de prévention. Mais il y a plus facile comme larcins. Les cambriolages de cageots préparés dans les cabanes. Ce sont les plus lucratifs pour les pillards, si j’ose dire. Il n’y a plus qu’à se servir ! La colère de madame Delfrault se comprend. Pour certains ostréiculteurs, la saison des fêtes représente près de 80 % de leur chiffre d’affaires annuel.

    – Et ils ne peuvent pas mieux se protéger ?

    – Vous savez, monsieur le substitut, ils font tout ce qu’ils peuvent seulement les ostréiculteurs n’ont pas que cela à faire et ce sont des proies relativement faciles, spécialement pour les bandes organisées qui sévissent. Leur matériel professionnel est difficile à dissimuler et les claires sont ouvertes à tous les vents. De plus, leurs heures de travail sont connues puisqu’ils dépendent de la marée, surtout à cette époque de l’année pendant laquelle ils se préparent à réaliser l’essentiel de leurs ventes, et que leurs horaires de travail sont réglés comme

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