Traque au tueur à Dol: Une enquête de la capitaine Elma Béranger
Par Anne Chambrin
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À propos de ce livre électronique
Au cours d’une battue aux sangliers dans les environs de Dol, un chasseur est abattu d’une balle en pleine tête. Impossible de conclure à un accident de chasse !
L’enquête est à peine ouverte à la gendarmerie de Dol, sous le contrôle de la capitaine de police criminelle Elma Béranger, qu’un deuxième chasseur subit le même sort.
La peur s’empare de Dol.
Qui sera la prochaine victime ?
Quel est le lien entre ces hommes qui pourrait révéler le mobile de ces homicides prémédités ?
L’équipe d’enquête va découvrir de terribles secrets soigneusement dissimulés, jusqu’au surprenant dénouement final auquel personne ne s’attend.
Accompagnez Elma Béranger dans sa traque au chasseur de chasseurs !
EXTRAIT
Il ne faut pas plus de quelques minutes pour que Guillaume Mouchot apparaisse à son tour, au pas de course, suant et soufflant, encore sceptique. Ce n’est pas possible, non, pas Yves-Marie avec qui il chasse depuis des années, un compagnon de fêtes mémorables, un bon compère, presque un ami !
Il faut qu’il se rende à l’évidence, l’ancien est bien mort et de la plus vilaine façon pour un chasseur. Une balle en pleine tête…
Le gros homme prend la responsabilité de fermer les yeux du cadavre puis se relève, la lippe mauvaise. Son regard très foncé vire au noir et ses poings se serrent.
– Et les pompiers ? Vous les avez appelés ? Et la gendarmerie ?
– Pas encore, Guillaume, je t’ai appelé toi d’abord. Tu sais toujours quoi faire.
– Imbécile, il était peut-être encore en vie quand tu l’as trouvé, il aurait pu…
– Arrête tes conneries, enfin ! Tu l’as bien regardé ? Oh et puis ça suffit, je me tire de là. Je ne vais pas me laisser insulter par qui que ce soit et surtout pas par toi.
L’homme tourne les talons et quitte l’endroit la tête haute, fier et soulagé. Il regrette seulement que cet accident mortel gâche la battue dont il se faisait une joie. La journée vient à peine de commencer et, déjà, plusieurs bêtes ont été délogées et abattues comme il se doit. Il faudra recommencer dès que possible.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Anne Chambrin a posé ses valises à Cancale il y a 35 ans, par passion pour le bord de mer et les falaises du littoral. En parallèle de son métier d'enseignante et d'animatrice, elle écrit depuis toujours. Particulièrement inspirée par l'atmosphère de la Côte d'Émeraude et par l'histoire de la région, elle s'est tournée vers le roman policier après avoir publié de nombreux romans de terroir.
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Aperçu du livre
Traque au tueur à Dol - Anne Chambrin
hasard.
Mardi 9 février
8 h
La vieille voiture cabossée, d’une couleur indéfinissable entre le gris et le bleu sale, s’engage en cahotant sur le chemin d’accès à l’entrée de la forêt du Mesnil, non loin de l’allée couverte dite « la Roche-aux-Fées », sur la commune de Tressé. C’est un des parkings bien connus des chasseurs et des promeneurs, où ils savent pouvoir garer leur véhicule sans gêner, sur la petite esplanade envahie de ronces et d’arbustes malingres. Un peu plus loin, à une cinquantaine de mètres, une barrière en bois empêche d’aller plus loin.
Yves-Marie Chesnais freine brusquement et immobilise sa vieille compagne de virée au pied d’un chêne aux racines affleurant le sol spongieux, juste à côté d’une citadine noire couverte de poussière. Il n’est pas le premier sur les lieux, cette fois, et cela le contrarie. D’ordinaire, il met un point d’honneur à arriver avant les autres, pour humer les senteurs moisies et se projeter dans l’aventure dans un silence à peine entrecoupé par le cri aigu d’un épervier dérangé par la venue de l’homme. La forêt, c’est son domaine, il marche souvent des heures hors des sentiers tracés et des circuits de randonnée pédestre, glissant sur les amas de feuilles mortes, le visage fouetté par les basses branches, à l’affût d’une trace animale imprimée dans la terre toujours humide.
Il connaît par cœur la direction de la Fosse aux loups ou celle du carrefour du jardin d’Amour, mais préfère en général rejoindre Le Tronchet par les Landes diverses. La solitude lui plaît, il l’a apprivoisée depuis longtemps et ne l’oublie qu’à certaines occasions, le temps d’une battue par exemple, avec la récompense d’un repas plantureux à la clé.
Il claque la portière conducteur et va chercher sa carabine dans le coffre ainsi que sa besace élimée utilisée autrefois par son père les dimanches matins quand celui-ci s’évadait à la chasse. Il épaule son arme sur son paletot molletonné doublé de mouton, en méprisant le port pourtant obligatoire du gilet fluo, glisse la bretelle du sac en bandoulière, resserre sa ceinture et visse sa casquette informe sur son crâne déjà dégarni. Le rabat trop puissant du hayon provoque une envolée d’étourneaux qui pépiaient à proximité, dans un froissement d’ailes affolées.
Le temps est maussade, le petit jour à peine levé s’évertue en vain à chasser des nappes de brume blanchâtre qui persistent au-dessus du sol, la végétation autour se révèle par ses contours flous, incolores, en sommeil.
Des feux de croisement trouent la pénombre persistante et plusieurs véhicules s’engagent à leur tour sur le terre-plein pour se garer en épi près des premiers arrivés. Puis, c’est le bavardage légèrement surexcité des hommes en tenue réglementaire fluorescente dans toute cette grisaille, qui se regroupent pour une journée palpitante autour de Yves-Marie, le leader, l’ancien.
Ils vénèrent tous ce chasseur passionné qui possède des trophées innombrables dans toutes les pièces de sa maison, qui sait débusquer n’importe quel gibier grâce à un flair infaillible, à une expérience du terrain due à des années de pratique.
– Alors, Yves-Marie, prêt ? On parie sur combien de têtes aujourd’hui ?
– Le double d’hier, j’en suis sûr !
La voix rocailleuse trahit le fumeur de longue date, mais elle est étouffée par la végétation opaque de la forêt. Les arbres au feuillage caduc élèvent leurs branches tourmentées et enchevêtrées vers le ciel triste, les feuilles persistantes font barrage au son humain qui ne pénètre pas dans le cénacle.
Pourtant, les sangliers sont traqués, aujourd’hui comme hier, en une battue impitoyable, par décision de la sous-préfecture de Saint-Malo. En effet, depuis des semaines, des jardins sont saccagés, des parcelles agricoles entières sont retournées par les hardes en quête de nourriture.
– On va les tirer comme des lapins, ça ne va pas être bien compliqué de les chasser de leurs bauges et de leurs fourrés. L’équipe de Guillaume va les prendre à revers, par Mireloup.
Une meute de chiens de chasse s’agite dans le coffre arrière d’une estafette et les aboiements menaçants renforcent les dires de l’homme. Quand les bêtes seront lâchées, il n’y aura plus qu’à les suivre, ce sera un jeu d’enfant !
– Tu devrais mettre ton gilet fluo, Yves-Marie, je pourrais te confondre avec un sanglier !
L’intéressé hausse les épaules tandis que tous s’esclaffent bruyamment.
D’autres voitures rejoignent le parking sommaire et des portières claquent sourdement. Ils sont tous là, à présent, tous ceux du groupe du doyen, avec ou sans chiens. Ils sont prêts à en découdre, à nettoyer le coin de ces parasites qui dévastent tout de leur boutoir, en véritables bandes organisées.
Les dernières consignes sont lancées, les meutes canines délivrées tenues par de longues laisses et le groupe s’ébranle pour se positionner aussitôt, chacun à une distance raisonnable de son voisin. Ils pénètrent lentement dans la forêt, sans se presser, sûrs d’eux. La lumière est chiche et jaunâtre, le sol perméable retient les empreintes des bottes avec des chuintements mouillés, les branches basses tentent d’empêcher leur progression mais en vain. Ils sont déterminés, sérieux, professionnels.
Les quelques pépiements se sont tus, il ne reste guère que les grondements des chiens et les craquements des feuilles mortes qui animent le bois.
Les hommes se déploient, s’éloignent davantage les uns des autres, et Yves-Marie se retrouve seul dans la clairière de la « Roche-aux-Fées » où se situe l’allée couverte. Il laisse les autres prendre de l’avance vers la droite car il a repéré la veille des poils collés sur des troncs, à hauteur d’épaule de sanglier, non loin de là. C’est le signe d’un passage, d’une piste à suivre. Il s’engage donc de ce côté, concentré, les yeux fureteurs et l’ouïe affûtée.
Au loin, vers l’étang de Mireloup, le son d’un cor résonne, attestant que l’équipe de Guillaume ouvre la battue. Des coups de feu suivent et des aboiements déchaînés déchirent la quiétude du lieu.
Le groupe éparpillé du vétéran laisse derrière lui son leader et se dirige dans la direction du Tronchet à travers une nature plutôt hostile, butant sur des racines, écartant de grands gestes les ramures vidées de sève. Les filets de brume brouillent la visibilité à plusieurs mètres, mais pas suffisamment pour que les chasseurs ratent la tentative de fuite d’un solitaire ou d’une compagnie.
Des tirs nourris prouvent que l’autre équipe a commencé le travail, bientôt ce sera sûrement leur tour. Un vacarme assourdissant et décalé s’abat sur la tranquillité de la forêt, des explosions de cartouches se multiplient, des chiens hurlent à s’étrangler, le cor sonne à crever les tympans.
Voilà qu’un groupe de quatre individus se précipite presque sous leurs canons déjà pointés, affolés par cette apocalypse qui leur tombe dessus : un incendie n’aurait pas fait davantage d’effet. Les bêtes courent au hasard, sans même prendre le temps de suivre leur instinct olfactif qui pourrait les sauver. Elles sont abattues facilement, de balles tirées en même temps par une dizaine de carabines.
Les cadavres sont laissés sur place, ils seront ramassés plus tard.
– Attendez, crie l’un d’eux, il faut qu’Yves-Marie voie ça ! Où est-il passé, cet idiot ?
– Continuez, répond un autre, je vais le chercher, il a dû bifurquer vers Rouenel.
– Vas-y, nous on avance, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin ! Rejoignez-nous vite !
L’homme au gilet fluo et à la casquette à carreaux acquiesce, épaule la sangle de son arme presque à regret et s’empresse de revenir en arrière pour s’acquitter de sa tâche et rejoindre ses compagnons au plus vite. Yves-Marie est impossible, à toujours vouloir faire cavalier seul ! Il n’y a guère qu’aux festins clôturant ces bonnes journées de chasse qu’il accepte de bon gré de côtoyer les autres, pour se remplir la panse et arroser copieusement le repas. Mais, quand même, on ne peut pas continuer sans lui, alors que la première salve tirée a été un franc succès…
Il se fraie un passage à travers les branchages griffus, dérape sur le terrain boueux et se rattrape de justesse à des fougères bienvenues, en souhaitant qu’une laie ne déboule pas hure baissée vers lui. Tout seul, il ne pourra rien faire.
Arrivé à la clairière de la « Roche-aux-Fées », il évite de trop regarder l’allée couverte qui l’inquiète et trouve le passage qu’Yves-Marie a emprunté en cassant des branches mortes et en élaguant les arbustes, une sente bien visible marquée par les semelles striées de ses grosses bottes.
« Ben merde alors ! »
Il a crié sans le vouloir, en apercevant le corps de son compagnon de chasse effondré sur un talus, sur le dos, les bras en croix et son arme projetée à quelques mètres. Un malaise, peut-être ?
Il ose à peine s’approcher, à contrecœur, tout frémissant, bouleversé en repérant une tache rouge entre les deux yeux écarquillés dont l’expression incrédule est saisissante. Ce n’est pas possible, et pourtant si ! Le vétéran, le leader de leur groupe de chasseurs chevronnés, semble avoir été abattu d’une balle en pleine tête, une seule balle à la trajectoire très précise qui ne peut provenir que d’une arme maniée par un excellent tireur.
Un court instant, un silence absolu suspend le temps qui passe, comme par respect, avant que le déchaînement des tirs, les hurlements des chiens et les sons perçants des cors ne reprennent de plus belle. L’homme recule de trois pas, le regard encore rivé sur le visage du mort comme s’il ne pouvait pas s’en détacher, comme s’il était hypnotisé. Est-ce bien Yves-Marie, ce grand costaud qui semblait imbattable ? Est-ce bien lui qui gît sur ce talus, des giclées de boue sur les joues et les vêtements, dans cette posture dégingandée ? Que s’est-il donc passé ici ?
Le témoin fouille fébrilement sa poche intérieure de veste à la recherche de son téléphone portable, le trouve et le lâche aussitôt dans la boue, ne contrôlant plus ses gestes. Il se baisse en maugréant et tente de retrouver le contact de l’autre référent des groupes de la battue, Guillaume Mouchot, après avoir essuyé l’écran d’une main tremblante. Il n’a même pas le réflexe d’appeler les secours, les pompiers ou les gendarmes, seul l’évocation du gros homme toujours efficace lui traverse l’esprit.
Ce n’est qu’après une dizaine de sonneries que l’autre répond, lorsque le vacarme est suspendu quelques secondes et qu’il peut entendre l’appel.
– Guillaume, rapplique vite ! Il y a eu un… accident derrière la clairière de la « Roche-aux-Fées », c’est Yves-Marie, oui. Et préviens les autres en passant, il faut tout arrêter !
L’homme raccroche puis se détourne avec une vague nausée, hésitant entre rester sur place par respect pour qu’aucun animal ne s’approche du mort et retourner sur ses pas pour attendre les renforts devant l’allée couverte. Les coups de feu cessent, d’abord au loin, puis de plus en plus près, et d’autres bruits les remplacent, rythmés par les jappements toujours furieux des chiens en chasse : des courses à travers les futaies, des pas lourds pressés sous lesquels gicle la boue, des cris d’appel alarmés. Il ne va pas demeurer seul bien longtemps encore, les autres approchent à grande vitesse.
Un chasseur, puis deux, puis dix envahissent la zone où le vétéran regarde inlassablement le ciel dissimulé par les plus hautes branches, de ses yeux vitreux. Ils n’osent pas lui fermer les paupières et se tiennent à bonne distance, immobiles, tenant leur casquette à la main par correction.
Il ne faut pas plus de quelques minutes pour que Guillaume Mouchot apparaisse à son tour, au pas de course, suant et soufflant, encore sceptique. Ce n’est pas possible, non, pas Yves-Marie avec qui il chasse depuis des années, un compagnon de fêtes mémorables, un bon compère, presque un ami !
Il faut qu’il se rende à l’évidence, l’ancien est bien mort et de la plus vilaine façon pour un chasseur. Une balle en pleine tête…
Le gros homme prend la responsabilité de fermer les yeux du cadavre puis se relève, la lippe mauvaise. Son regard très foncé vire au noir et ses poings se serrent.
– Et les pompiers ? Vous les avez appelés ? Et la gendarmerie ?
– Pas encore, Guillaume, je t’ai appelé toi d’abord. Tu sais toujours quoi faire.
– Imbécile, il était peut-être encore en vie quand tu l’as trouvé, il aurait pu…
– Arrête tes conneries, enfin ! Tu l’as bien regardé ? Oh et puis ça suffit, je me tire de là. Je ne vais pas me laisser insulter par qui que ce soit et surtout pas par toi.
L’homme tourne les talons et quitte l’endroit la tête haute, fier et soulagé. Il regrette seulement que cet accident mortel gâche la battue dont il se faisait une joie. La journée vient à peine de commencer et, déjà, plusieurs bêtes ont été délogées et abattues comme il se doit. Il faudra recommencer dès que possible.
*
9 h 30
Les deux gendarmes Franck Meurice et Marjo Vidal sont les premiers à arriver sur les lieux où les chasseurs chuchotent à bonne distance du corps, alors que Guillaume Mouchot semble veiller son acolyte jalousement, assis près de lui sur le talus froid et humide.
Les hommes ne sont pas particulièrement ce qu’on appellerait des mauviettes, mais l’apparition de Franck Meurice les impressionne fortement, avec son physique incroyable de géant musculeux. Dès qu’il se montre quelque part, les espaces paraissent rétrécir de même que les autres êtres humains. L’adjudant fait mine de ne s’apercevoir de rien, comme à son habitude, mais il souffre à chaque fois des regards sidérés qu’il suscite et aimerait plus que tout être d’une constitution moins remarquable. De plus, son visage carré, ses iris bleus et ses lèvres épaisses marquent les esprits. On ne peut l’oublier quand on a croisé son chemin une seule fois !
– Reculez, reculez tous ! Vous polluez la scène de crime !
Les chasseurs obtempèrent sans broncher, secoués par cette expression terrible : « la scène de crime ». Même Guillaume Mouchot se lève et s’éloigne de quelques pas, respectant la consigne, observant sans le voir vraiment le gendarme qui entoure le périmètre où gît le pauvre Yves-Marie d’un ruban de sécurité jaune vif.
L’adjudante Marjo Vidal se penche sur le corps après avoir enfilé ses gants en latex mais ne perd pas son temps à l’étudier de plus près, car la cause du décès est absolument évidente. Elle se redresse et son regard fureteur glisse le long du corps, détaille mentalement sa tenue quasiment militaire et note l’absence de gilet fluo. Autour de lui, l’herbe est écrasée par les semelles de bottes dont les dessins se sont incrustés dans la boue, des branchages sont brisés, des racines moussues et noueuses torturent la terre. Peut-être dénichera-t-elle un indice quelconque dans ce coin de forêt, quand les pompiers auront emmené le cadavre ?
La femme scrute les visages des chasseurs de ses yeux verts aux longs cils, en un examen rapide mais efficace. Tous ces témoins à interroger, ils vont y passer un bon bout de temps ! Les traits sont figés, les