Merrois & compagnie
Par Martin Dulac
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Des études chez les Jésuites, une école de commerce, Martin Dulac est issu d’une famille qui a toujours su lui prodiguer toutes les attentions nécEssais et Nouvellesres. Sa carrière, il l’a vécue en tant que chef d’entreprise. Lecteur vorace, il se met à l’écriture afin de partager sa modeste expérience de la vie. "Merrois & compagnie" est son premier ouvrage publié.
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Aperçu du livre
Merrois & compagnie - Martin Dulac
Jacques
Vers l’année 1890, Catherine Larivière rencontra Bernard Merrois. Lorsqu’elle vit cet homme fort en gueule pour la première fois, elle fut immédiatement séduite. Il faut dire que c’était un personnage ce Bernard. Ils se fréquentèrent quelque temps et le mariage qui suivit, le 15 novembre 1894 fut simple et traditionnel. On n’était pas riche dans la famille et, comme on dit, les temps étaient durs.
Le ménage s’installa pourtant dans un petit appartement situé dans une ruelle du quartier des Minimes, à Toulouse. Catherine était « marchande des quatre saisons » ; elle partait tous les matins vendre ses légumes au marché avec sa petite charrette. Bernard, communiste convaincu, conjuguait des activités diverses de « journalier » avec une action syndicale engagée, mais peu lucrative. Il était né quelques années à peine avant la Commune et entonnait volontiers l’Internationale fraîchement composée en prison par un certain E. Pottier. Ceci étant, la marmite avait du mal à bouillir. Il passait trop de temps dans les cafés enfumés de la ville, participant à d’interminables réunions politiques, pour exercer un métier de façon suivie.
La vie était dure en milieu ouvrier en cette fin de XIXe siècle. Une vie ordinaire sans confort, où les rares loisirs étaient les parties de cartes au café, et les seuls « voyages », les balades le long de la Garonne. Bernard Merrois rêvait de la victoire de la classe ouvrière, et Catherine, sans doute, d’un monde meilleur, tout simplement. Les gens vivaient sans se douter le moins du monde de l’extraordinaire accélération de l’histoire qu’allait constituer le XXe siècle. À l’époque, vivre c’était subsister, du moins dans ce milieu.
Mais notre petit ménage suivait son chemin avec les difficultés quotidiennes que l’on imagine ce qui était le lot de bien des gens.
Le temps passait, et un jour du mois de septembre 1895, le 20 pour être précis, un garçon naquit de cette union.
Prénommé Guillaume, Jacques, il n’aimera jamais son premier prénom Guillaume et se fera appeler Jacques toute sa vie, imitant en cela un peu son père Bernard, qui s’appelait en fait Jean-Bernard, mais qui avait supprimé la première partie de son prénom !
La tour Eiffel avait six ans, mais les Toulousains n’avaient cure de ce monument orgueilleux et « parisien ». Ils étaient bien plus préoccupés par les crues de la Garonne ou les hivers cruels qui sévissaient à cette époque.
Jacques, donc, se révéla rapidement être un esprit vif et attentif. Il fréquenta l’école primaire avec délice et avec cette soif d’apprendre qui ne le quittera jamais. Il fut un élève studieux, avide de connaissances et ramenait à la maison de bonnes notes et des appréciations flatteuses.
À peu près à cette époque, la petite famille déménagea à Saint-Girons dans l’Ariège, pour quelques années, pour des raisons professionnelles. Là-bas elle s’agrandit d’un élément avec l’arrivée d’un second fils prénommé Jean-Marie que tout le monde appellera toujours Jean ! Décidément il y avait un souci dans cette famille avec les prénoms !
D’un caractère tout aussi vif que Jacques, Jean possédait un esprit plus vindicatif et plus espiègle.
Après cette parenthèse ariégeoise, Catherine, Bernard alias Jean Bernard, Jacques alias Guillaume et Jean alias Jean-Marie revinrent se fixer à Toulouse définitivement.
Les années passèrent et la famille vivait dans ce qu’il faut bien appeler la précarité. Sans faire de misérabilisme, comprenez bien qu’en ce temps-là il n’y avait ni sécurité sociale, ni allocations chômage, ni RMI, ni congés payés ni rien qui puisse aider une famille pauvre comme l’était la famille Merrois parmi tant d’autres. Tant et si bien qu’en 1908, à l’aube de ses 13 ans, comme il arrivait souvent à cette époque, le petit Jacques, dut quitter l’école pour aller travailler et ramener quelques subsides à la maison. Ceux qui l’ont connu plus tard de façon intime savent à quel point ce fut pour lui un déchirement que d’abandonner les études. Il en concevra toujours un regret, et même un complexe. Il deviendra un autodidacte acharné, car c’était quelqu’un de têtu, volontaire et courageux. Il était aussi intelligent, très humain, extrêmement humble et modeste ; en même temps qu’impulsif et parfois colérique. Il était comme ça, plein de qualités cachées derrière un masque de timidité.
Victoria
Le 22 janvier 1900 fut un jour de neige. Au fond de la vallée de la Courbière, dans ce hameau de l’Ariège accroché à la montagne appelée La Freyte, pas très loin de Tarascon sur Ariège, la route qui mène au pic des Trois Seigneurs était coupée par les congères. Le vent glacial balayait les ruelles en rugissant.
Les cheminées fumaient sur les toits et les habitants n’avaient pas quitté l’âtre. Dans l’une de ces maisons vivaient Jean et Marguerite Pujol. La neige en ce temps-là n’avait rien de ludique et la plupart des gens détestaient des jours comme celui-là. C’est pourtant ce jour-là que Marguerite Pujol accoucha d’une petite fille qu’elle prénomma Victoria.
Marguerite Pujol et son mari étaient des gens étonnants. Elle, institutrice, devait parcourir des kilomètres, seule, à pied dans la montagne pour aller prodiguer ses cours dans les écoles des villages alentour. Été comme hiver, elle sillonnait les chemins creux, partant au petit jour et rentrant la nuit tombée. Mais elle n’avait peur de rien, cette Ariégeoise. D’ailleurs lorsqu’elle était enfant, alors qu’elle rentrait chez elle à la nuit tombante, elle aperçut au milieu du chemin une forme grise et des yeux jaunes qui la fixaient : c’était un loup qui lui barrait la route ; à son approche l’animal retroussa ses babines et grogna sourdement. Un instant paniqué, Marguerite retrouva suffisamment ses esprits pour s’engouffrer prestement dans une chaumière proche, pendant que le loup, aussi surpris qu’elle, s’enfuyait dans la forêt en trottinant.
Le mari de Marguerite, Jean, surnommé Jeanjanet, partait avec son âne Baraquet, montait au pic des Trois Seigneurs pour ramasser des blocs de glace et allait les vendre à Tarascon distante de plus de dix kilomètres. Aujourd’hui avec nos réfrigérateurs, congélateurs et autres distributeurs de glaçons, cela peut paraître fou, mais pourtant à l’époque c’est ainsi que ça se passait. On a peine à croire ces histoires et pourtant elles sont authentiques. Les gens en ce temps-là n’avaient pas le choix, ils étaient des aventuriers par nécessité, des héros sans le savoir. La nécessité fait loi !
Victoria vint au monde donc, par un jour de neige, pour laquelle elle garda une aversion profonde toute sa vie. Lorsqu’elle mourut, 93 ans plus tard, on était au mois de mars…
Et il neigeait…
Elle connut la rude vie des montagnards qui lui forgea un caractère bien trempé et lui donna une énergie peu commune. Léa, sa sœur, arrivée quelques années plus tôt, connut la même vie, mais eut au contraire un caractère effacé et soumis.
La vie dans ces contrées retirées, s’articulait autour de l’agriculture, de la chasse, de la pêche. Les distractions, on s’en doute, étaient rares, et Victoria s’en accommodait tant bien que mal.
Elle participait à sa façon à la vie du village et allait à l’école où sa maman officiait, mais elle s’ennuyait. Plus le temps passait, plus elle songeait à quitter son village. Pourtant les années passèrent ainsi, et pour tromper l’ennui elle aimait accompagner son père à la chasse au lièvre ou au perdreau ou bien encore à la pêche à la truite dans les torrents qui jaillissaient de la montagne alentour.
C’était quelqu’un de décidé et elle partit d’abord à Foix poursuivre ses études, mais déjà elle voulait voir autre chose, d’autres horizons.
Pour cela il allait falloir attendre quelques années de plus, car les nuages s’étaient accumulés sur la France et sur l’Europe. Nous étions maintenant en 1914.
La Grande Guerre
1914-1918
Jacques Merrois, comme des milliers d’autres, se demandait ce qu’il faisait là, quelque part dans la Marne, au milieu de cette armée. La guerre avait éclaté, la Grande Guerre, celle des Poilus, la Der des Der, disait-on. Elle les avait cueillis au seuil de leurs 20 ans.
Le déluge de feu et de fer s’abattit sur l’est de la France disloquant les corps et les rêves de bonheur d’une jeunesse qui ne demandait rien. Folie des hommes encore, sans cesse renouvelée depuis la nuit des temps. Comment était-ce possible ? se disait Jacques. N’avons-nous donc rien appris de nos aïeux ? Quelle est cette force qui pousse les hommes à s’entretuer au nom de quelques chimères ? La soif du pouvoir ? La volonté de soumettre ? L’amour du sang ? Ou une froide logique économique ? Ou le génome de l’homo sapiens contenait-il le gène du meurtre, de la guerre et de la barbarie ?
Et cette peur terrible, qui le prenait lui et ses compagnons, cette angoisse sourde, permanente au creux du ventre. Il vécut ces instants où l’on se raccroche à tout, à rien, à la moindre bulle de vie, comme un poisson échoué sur le rivage. Ces instants où la vie paraît lointaine, où la mort est proche, compagne sournoise. Même la soupe, vague brouet incertain, lui paraîtra bonne, car c’était une bribe de vie tout de même, une minuscule étincelle de plaisir dans cet océan d’horreur. Il dira plus tard que jusqu’à ce moment-là de sa vie, c’est à la guerre qu’il avait le mieux mangé. Sa vie avant la guerre n’avait donc pas été facile, et pourtant comme il la regrettait, maintenant qu’il risquait de la perdre à tout moment.
L’instinct de vie existe et résiste même dans les pires circonstances, mais il faut une grande force de caractère pour garder sa dignité dans des moments pareils. Ma génération n’a pas connu la guerre, tant mieux pour nous et nous ne pouvons pas appréhender exactement la catastrophe que cela représente. Toute cette jeunesse jetée en pâture aux canons, tous ces morts, ces mutilés, nous ne devons jamais les oublier. Pourtant aujourd’hui nous considérons la paix comme acquise, comme allant de soi, tout comme la liberté d’ailleurs. Pauvres naïfs que nous sommes.
Jacques, comme beaucoup, était un pacifique, qui était là parce qu’on ne lui avait pas laissé le choix, bien sûr. Et il mesurait avec effroi la fragilité de l’homme dans de telles circonstances.
Pourtant, même au front, il resta lui-même humble et courageux.
Un jour un officier lui apprit qu’il allait monter en grade avec quelques-uns de ses compagnons. Jacques déclina la proposition et refusa sa promotion. Un autre le remplaça et les nouveaux promus furent réunis dans un baraquement pour être informés de leurs nouvelles fonctions. Au beau milieu de la réunion, un obus ennemi vint raser la baraque et tous ses occupants ! Jacques ce jour-là dut mesurer sa chance et le poids du destin.
Son humilité profonde l’avait-elle sauvé ? On ne peut survivre à un tel évènement sans en tirer des conclusions. « Rester soi-même, quelles que soient les circonstances, je crois que c’est une clef », pensa Jacques.
Pourtant tout a une fin, même la guerre, même l’horreur. Le 11 novembre 1918, l’armistice fut signé et le massacre cessa, laissant derrière lui près d’un million et demi de morts côté français, et presque autant côté allemand. Mais cette fois c’était sûr, il n’y aurait jamais plus de guerre ! Les hommes et les femmes de ce temps-là voulaient le croire et pensaient sincèrement que s’ouvrait à eux une époque nouvelle de prospérité, de liberté et de modernité : rien ne viendrait troubler désormais leur quiétude. Ils ignoraient que durant cette guerre de 14/18 le Mal avait semé une graine vénéneuse. Un simple soldat allemand parmi d’autres avait participé à cette boucherie, y avait été blessé, et avait accumulé une haine terrible contre l’humanité.
Le couple Alpha
Le jeune Jacques Merrois fut démobilisé, comme ses compagnons d’infortune.
Il éprouva alors le sentiment du condamné à mort qui vient d’être gracié. Le bonheur d’être en vie lui arrivait par bouffées et la sensation de liberté l’enivrait. Pour rentrer chez lui, à Toulouse, on lui proposa de prendre l’avion, mais il refusa, arguant du fait qu’ayant échappé à la mort durant la guerre, il ne voulait pas la tenter en se risquant à monter dans un de ces aéroplanes qui ne lui avaient jamais inspiré confiance. Ce peu de goût pour les avions restera ancré en lui toute sa vie. Peut-être se disait-il que dans la vie il vaut mieux faire ce que l’on sait faire, comme on le sent, sans tenter le diable.
Il rentra donc en train et sur le chemin du retour du front, encore ébranlé par ces longs mois de guerre, il laissait vagabonder son imagination. Il se demandait avec quelque angoisse ce que serait sa vie désormais. Il allait reprendre son quotidien là où il l’avait laissé, et rien ne lui permettait d’être vraiment optimiste pour l’avenir. Pourtant, se disait-il, il avait des armes : il était travailleur, courageux, et d’après ce que disaient les autres il était doté d’un solide bon sens.
Avec cela, se rassurait-il, il devait être possible de faire quelque chose de sa vie, même pour un fils d’ouvrier contraint de quitter l’école à 13 ans.
Au fur et à mesure que le train le rapprochait de Toulouse, il sentait se dissiper ses angoisses. Ses inquiétudes se diluaient en lui et se muaient en une solide détermination. Et puis après tout, la mort n’avait pas voulu de lui, la vie lui appartenait donc. S’il avait été vraiment croyant, il y aurait vu un signe du Ciel. Mais entre l’athéisme syndical de Bernard, son père, et la foi dévote de Catherine, sa mère, il s’était concocté une sorte de quant-à-soi, un genre d’espérance sceptique, peu mystique en tout cas, qui lui laissait penser qu’on a les signes qu’on mérite, et qu’ils ne viennent pas du Ciel, mais de soi-même.
Fort de ses nouvelles convictions, il arriva à Toulouse bien décidé à se forger une vie meilleure, à se sortir de la misère et à fonder un foyer qu’il protégerait des vicissitudes de la vie. Vaste projet que le sien, mais lorsqu’on vient d’échapper à l’une des plus grandes boucheries de l’histoire de l’humanité, on doit percevoir le quotidien d’un autre œil, et les problèmes ne doivent pas présenter le caractère insurmontable qu’on leur confère en temps normal.
Il retrouva ses parents et son frère avec le bonheur qu’on imagine, et se mit en quête d’un travail.
Le patron qui l’embaucha était un marchand de bois. Jacques serait son voyageur de commerce, comme on disait à l’époque, c’est-à-dire son commercial, comme on dit aujourd’hui.
Il s’agissait d’un travail intéressant, correctement rémunéré qui lui permettait de rencontrer beaucoup de gens. L’entreprise employait un personnel assez nombreux et son sens des affaires attira rapidement l’attention de son patron. Jacques de son côté ne tarda pas à remarquer une dynamique brunette qui travaillait comme secrétaire dans le même bureau…
Dès la fin de la guerre, Victoria ressortit de ses cartons un projet qu’elle nourrissait depuis plus de quatre ans. C’était décidé, elle irait vivre à Toulouse, car la vie monotone de l’Ariège ne pouvait satisfaire sa vitalité.
Elle avait une tante qui habitait Toulouse, elle irait loger chez elle et chercherait à se faire embaucher. Une telle démarche venant d’une jeune fille née dans un hameau de l’Ariège était peu commune à l’époque. Ce qui lui valut une réputation quelque peu sulfureuse, sans qu’on sache vraiment ce que les gens mettaient derrière ce qualificatif.
Réputation ou pas, les dés étaient jetés et le sillon tracé. Comme elle n’était pas du genre à se laisser fléchir dans ses décisions, elle n’écouta ni les craintes de sa famille ni les critiques de ses amies. Elle fit son baluchon et gagna la capitale régionale avec la fougue de ses dix-neuf ans. Elle logea comme prévu chez sa tante et après un apprentissage rapide du métier de secrétaire, elle se mit à chercher du travail. Après quelques atermoiements dus à son inexpérience des grandes villes, elle finit par se faire embaucher par un patron qui se dit que cette jeune ariégeoise fraîchement débarquée à Toulouse ne manquait ni de caractère ni de volonté. Il remarqua rapidement son application au travail. Elle, de son côté, ne tarda pas à remarquer ce jeune voyageur de commerce, à l’air sérieux et affable…
Improbable couple quelques mois auparavant, Jacques et Victoria furent bientôt réunis ; ils s’étaient trouvés sans se chercher, chacun suivant sa route. Jusqu’au jour où ces routes se croisèrent dans un bureau !
Chaque rencontre est une énigme, un hasard, diront certains. Voire… Il y a dans chaque rencontre un mystère qui fait que petit à petit, deux êtres se rapprochent, sans le savoir, comme s’ils étaient guidés par le fil d’Ariane. Les précipices qui les séparent au début semblent se combler et l’espace se coule et se réduit pour les jeter dans les bras l’un de l’autre. La rencontre tient à si peu de choses. Il aurait suffi que Victoria ne vienne pas à Toulouse, ou qu’elle trouve un emploi dans une autre entreprise, ou que Jacques s’installe ailleurs, pour que cette future famille n’existe jamais. Tout le monde en est là. Que maîtrisons-nous réellement de notre existence ? Bien peu de choses en vérité. La plupart des grands virages de notre vie, nous les prenons sans même nous en rendre compte et c’est