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Tétraplégique à 50 ans: Itinéraire d'une vie mouvementée
Tétraplégique à 50 ans: Itinéraire d'une vie mouvementée
Tétraplégique à 50 ans: Itinéraire d'une vie mouvementée
Livre électronique320 pages4 heures

Tétraplégique à 50 ans: Itinéraire d'une vie mouvementée

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À propos de ce livre électronique

Itinéraire d’une vie mouvementée, l’auteur trouve sa renaissance à la suite d’un accident de plongeon qui le rend tétraplégique incomplet. Une vie de voyages et de relations amoureuses, un handicap qui, loin de l’abattre, lui donne une volonté de se battre et de revivre à 50 ans. Récit d’un parcours au gré de l’actualité et des contraintes médicales. Des exemples précis de vie professionnelle comme DRH, de soins et d’aides dont peut bénéficier un handicapé.
LangueFrançais
Date de sortie27 avr. 2017
ISBN9782312051666
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    Aperçu du livre

    Tétraplégique à 50 ans - Bernard Premoli

    aime.

    I

    Mon grand-père paternel Giuseppe Premoli, est né le 2 août 1877 à Senna Lodigiana, province de Lodi, en Lombardie, à environ 50 kms au sud-ouest de Milan. Il est naturalisé français par décret du 31 janvier 1910, sous le numéro 10.353.07, loi du 10 août 1927. Merci la République, Giuseppe devient Joseph. Au moment de sa naturalisation Joseph était occupé comme terrassier sur les chantiers de construction de la ligne de tramway de Gray à Jussey de juillet 1901 à mai 1903, en Haute-Saône.

    Son père, Pietro, est lui aussi né à Senna Lodigiana, le 9 août 1839, fermier et fils de fermier. L’aventure au cœur, il rejoint à 18 ans le corps des volontaires italiens de Giuseppe Garibaldi qui apporta son aide à la France en guerre contre l’Allemagne. Les volontaires montèrent jusqu’en Franche Comté. Garibaldi à la tête de dix mille tirailleurs de l’armée des Vosges remporta une victoire à Dijon, les 25 et 26 novembre 1870. Pietro décède à l’hôpital de Lodi le 25 mars 1882.

    Au retour de ce court épisode militaire, l’arrière grand-père Pietro a dû parler en famille des attraits de la Haute-Saône. Son fils, Joseph, s’installe en effet près d’Autet, à Quitteur, en 1897, pour trouver un boulot comme ouvrier agricole dans une ferme produisant de la pomme de terre. De cette époque la Haute-Saône a peut-être mérité son appellation de « haute patate » ! Antoine Parmentier (1737-1813), pharmacien militaire, agronome, nutritionniste, au cours de la guerre de Sept Ans, alors prisonnier en Allemagne, avait reconnu les avantages alimentaires de la pomme de terre, tubercule importé du Pérou. Mais Parmentier n’a rien à voir avec la Haute-Saône, même si nous lui devons le développement de la pomme de terre sur tout le territoire.

    Actuellement en 2016 le maire de Senna Lodigiana est Francesco Antonio Premoli. Nous avons peut-être une parenté.

    Joseph, alors aubergiste, trouve l’âme sœur, en la personne de Marie Hacquart, née le 29 septembre 1873. Ils se marient.

    Joseph et Marie prennent le temps de concevoir deux enfants, Pierre, mon père, et Marcelle, qui épousa Henri Seurret. Pour nous ils seront Tonton Henri et Tata Marcelle !

    Marie Hacquart, avant son mariage, avait été mariée à un certain Champion. Leur fille Marie épouse un Martin, une fille Jacqueline et un fils Jacques naîtront de cette union. Jacques marié à Germaine, dite Titou seront très proches de notre famille. Jacques sera le parrain de Jean-Pierre, mon frère.

    Marie Acquard et son mari Champion eurent deux autres enfants, Jean et Gaston. Qui allait devenir mon parrain, mais je ne l’ai rencontré que rarement, la dernière fois quand Marcelle et son mari Henri Seurret habitaient à Butry, près d’Auvers-sur-Oise. Une baraque de vacances en préfabriqué, coincée entre la route, une voie ferrée et un cours d’eau, en crue à chaque forte pluie, un vrai trou à rats ! Ils étaient également propriétaires d’une maison sur 1500 m2 de terrain à Saint-Laurent-du-Var, en bordure immédiate de la mer.

    Pierre naît à Autet le 5 mai 1913, réalise un court et turbulent passage à l’école laïque et obligatoire, travaille surtout aux champs, et à 18 ans « monte » à Paris. Il trouve un job de livreur chez Félix Potin. Plutôt beau gosse sur son triporteur, il livre les clients et fait rêver les jeunes femmes.

    L’une d’elles, magnifique poupée brune de 160 cm est au service de comptabilité, réservée et sérieuse, et devient le sujet de tous les rêves de notre Pierrot. Hélène, Yvonne, Léontine, ma maman chérie est née le 8 février 1910 à Mazières-en-Gâtine dans les Deux-Sèvres. Ses parents et grands-parents sont de la région, autant dire purs Poitou-Charentes, Niort est proche, de même le marais poitevin, future Venise verte à touristes quand les congés payés seront pratiqués.

    Maman aurait pu naître à Paris si le sénateur Gondrand n’avait pas dû fuir la capitale avec toute sa suite, du fait des terribles inondations de cet été 1910. Seules des barques circulaient dans certains quartiers, même devant la gare Saint-Lazare ! Tout l’équipage s’installe au château du Petit Chêne à Mazières. En ses murs ou dans les champs, un rapprochement très intime entre un majordome Firmin Métayer et une cuisinière Léontine Trouvé, allait donner le jour à la belle Hélène, Yvonne, Léontine, qui le jour même quittait le château pour rejoindre la maison familiale dans un lieu-dit Le Beugnon, tout au plus dix familles de paysans.

    Son père, Firmin, mon grand-père maternel, doit aller sur le front pour « servir » la France en 1914 : Le 9 mai 1915, il sort des tranchées pour aller chercher de l’eau, un obus tombe, il meurt. Ma mère est adoptée comme pupille de la nation par jugement du Tribunal de Niort en date du 31 octobre 1918. Merci la République.

    Pierrot de toutes façons ne pouvait vivre sa passion naissante avec la belle Hélène, qui s’était mariée à Vibraye dans la Sarthe le 6 février 1934 avec Louis Peineau.

    Ma mère et Louis Peineau partage leur temps entre le 37, rue de Nantes, à Paris XIXe et Vibraye. À Vibraye, c’est une maison sur rue avec une épicerie et derrière, un grand jardin, des prés assez vastes et une grange. Ils achètent le tout en octobre 1938.

    J’ai le souvenir que maman m’ait dit, qu’en 40, elle était allée seule en vélo de Paris à Vibraye. Quelle détermination ! J’imagine qu’à 30 ans sa beauté de jeune femme se jouait des contrôles des allemands !

    Dans le métro, dans les rues, maman ne croisait jamais le regard des allemands, pourtant elle se sentait regardée, mais son aversion pour l’occupant l’incitait à jouer une ferme indifférence.

    Malheureusement Louis se devait lui aussi de servir la France. Il meurt sur le front le 9 juin 1940 : un obus éclate, lui arrache le bras, les services chirurgicaux sont saturés. Sales guerres innommables.

    Ma pauvre Hélène déjà pupille de la nation, devient veuve de guerre. La République reconnaissante.

    Alors, Pierre est militaire à partir du 17 octobre 1932. Il en prend pour cinq ans. Et terminera sa carrière militaire comme adjudant en octobre 1947.

    À 19 ans il s’engage comme volontaire dans la Compagnie Saharienne Méhariste de Tindouf, après remise de son grade de brigadier comme l’exigeait la règle.

    Sous protectorat français, il participe aux campagnes de pacification du Moyen Atlas avec le Groupe Mobile du Général Giraud, pour la réunification du Royaume du Maroc. Une de ses premières missions était de surveiller la frontière espagnole du Rio de Oro, assister et protéger des nomades R’guibat et des mauritaniens, contrôler des points d’eau situés en zone française et revendiqués par Franco. En 1934, il participe à la pacification de l’Anti Atlas avec le Groupe Mobile du Général Catroux.

    Comme chef de patrouille d’une soixantaine de méharistes, il effectue des missions de renseignements avec infiltration à plus de 60 kms à l’intérieur du Rio de Oro. Trois d’entre eux devaient s’informer auprès des militaires R’guibat de la MIA espagnole, sur la présence de nazis et d’armes. Pierre avec ses hommes avaient évité la capture, malgré leur connaissance du terrain, dans la guelta du Zemmour et dans la région de Smara.

    Les méharistes parcourent désert et montagnes à dos de dromadaires. Celui de mon père était un magnifique dromadaire, grand et robe blanche.

    Pierre revient du Maroc et se rend chez Félix Potin. Il aprend que sa petite Hélène est veuve. Il se rend chez elle, rue de Nantes, et lui dit : « Je t’aime, si tu veux de moi, je veux t’épouser ! ». Le mariage a lieu le 23.07.42 dans le XIXe.

    Lorsque Pierre eu l’occasion de s’installer avec elle, il avait une photo de Pétain dans ses bagages. La réaction de maman a été rapide et sans discussion : « Pas de ça ici ! ». Papa n’était pas pétainiste, mais comme beaucoup de français du Maroc, il était sous influence ou propagande de Vichy, et militaire. Il m’a dit qu’à cette époque il avait manqué un rendez-vous avec une responsable de la résistance du sud de la France, probablement pour aller à Londres.

    De 1942 à 1947, à sa demande, Pierre est muté à la Méhalla Chérifienne d’Agadir (commandement des goums marocains du sud). Il n’accompagne pas les goumiers pour la libération de la Corse début octobre 1943, mais, affecté au 1er groupe de Tabors marocains il participe à la campagne d’Italie d’avril à fin juillet 44 avec le Corps Expéditionnaire Français (carnet de campagne en annexe).

    Maman est au Maroc de 42 à 47, notamment employée comptable à l’Hôtel Mahraba et aux services municipaux d’Agadir. Le 24 avril 1942 maman accouche d’une petite fille morte-née à la naissance. Peu après elle fait une fièvre typhoïde, trois semaines de douleurs.

    C’est sous la mitraille de la guerre d’Italie que Pierre apprend la naissance de Jean-Pierre le 13 mai 1944, à Meknès. Le 13 mai a également marqué l’Histoire, en 58 à Alger et en 68 à Paris !

    Fin 44, il est affecté aux 44e puis 48e Goums Marocains de l’Anti Atlas et chef de poste des affaires indigènes d’Anja, poste situé près de la frontière du territoire espagnol d’Ifni.

    Maman est toujours au Maroc, et je nais le 30 novembre 1945, dans la clinique d’Agadir. Accouchement sans douleurs autres que normales. Ma mère me dira souvent cette anecdote de la sage-femme appelant le médecin « Docteur venez voir ce magnifique bébé ! » Bon poids, bon œil, je tète jusqu’à un âge avancé. Étonnante coïncidence, Roger Glover est né le 30.11.45 à 12 heures, à Brecon, Pays de Galles, il sera bassiste de rock, groupe Deep Purple. Je n’ai trouvé que cela pour donner du relief à ma naissance, car en vérité ma venue sur terre n’avait aucun rapport avec la fin de la 2e guerre mondiale !

    En 1946 et 1947, nous sommes dans le sud marocain à Aït Abdallah. Aucun souvenir, si ce n’est que Jean-Pierre avait un compagnon, un ânon onagre ! Mais les souvenirs se forment à partir de photos et de récits de famille, et parfois nous les gardons comme réellement vécus.

    II

    Fin 1947, retour en France, rue de Nantes, Paris XIXe.

    De 1947 à 1952, ayant quitté l’armée, Papa se retrouvait dans la vie civile, sans doute un peu perdu, après avoir quitté la France depuis quinze ans…

    Je pense que c’est la première fois que Jean-Pierre et moi allions prendre pied sur le territoire national, notre terre, mère Patrie.

    De ce court séjour rue de Nantes, souvenirs vécus ou photographies, Jean-Pierre joue avec moi dans une petite cour d’immeuble, revêtue de tomettes préfabriquées. Jean-Pierre est sur un tricycle, et moi assis à l’arrière dans une sorte de petite benne à sable. Nous avons de petits regards tristes.

    Papa est magasinier chez Piver, entre autres jobs, manoeuvre spécialisé chez les Vernis Duroux, à Aubervilliers.

    Début 1948 nous nous installons à Vibraye, dans la Sarthe, jusqu’en septembre 1949.

    Vibraye, c’est l’épicerie tenue par maman, un paradis pour les petits ! Je volais maladroitement des bonbons dans les rayons, et me remplissais les poches de morceaux de sucre dans la cuisine !

    Jean-Pierre me sauve probablement la vie en courant vers la maison prévenir les parents : Nous avions l’habitude de jouer dans la grange, et un jour je décidais d’escalader la paroi de planches et d’arriver aux poutres du toît. Mais suspendu à 7 mètres du sol ou plus, panique, pleurs, je ne savais plus comment descendre, à moins d’effectuer une chute fatale. Jean-Pierre, à peine 5 ans, avait saisi le danger. Mon père, accouru sur place, hurle de me laisser tomber dans ses bras.

    Environ deux ans plus tôt, pour être un instant tranquille, ma mère me place dans mon parc, j’avais à peine 2 ans, c’est naturel. Et je trouve à portée de mains un verre, que bien sûr je casse, et joue avec les morceaux, en suce pour apprécier le goût ! Là encore Jean-Pierre, devant ma figure en sang avertit ma mère !

    Autres souvenirs, notre chatte R’kia et la jument du père Journée notre voisin, c’était en été 1949. Ma curiosité, dans ce cas malsaine et sadique, m’avait poussé à lâcher la pauvre minette dans le bassin de réserve d’eau du jardin, tout cela pour découvrir son aptitude à la nage ! Encore un degré de plus dans le mal, je plaçais la chatte sur la fonte brûlante de la cuisinière ! Là je me fais griffer et R’kia, du prénom de notre nounou marocaine au Maroc, fait un saut impressionnant pour se dégager.

    Ce que j’appréciais avec le père Journée et sa jument, qu’il rentrait toujours à l’écurie vers 18 heures, c’étaient les jurons qu’il proférait et que je m’efforçais de retenir. À défaut d’aller à l’école, il fallait bien que j’assure une part de mon éducation ! Florilège : « Salope, tu vas avancer ! », « Bon Dieu de merde ! », « Putain de femelle ! ». Ainsi germent en moi quelques associations sur la religion et les femmes, certes de façon très confuse ! De Dieu ou de la femme, qui mérite le respect ou l’opprobe ?

    J’ai également le souvenir des courses de charrettes à bras dans les rues de Vibraye, spectacle bruyant sur les pavés en raison du cerclage métallique des roues, dérapages et retournements garantis, les hommes les plus costauds étaient toujours premiers.

    La propriété de Vibraye avait été achetée par maman en octobre 1938 avec son premier mari Louis Peineau, et vendue en décembre 1951.

    Avant de quitter Vibraye, mes parents louent un petit trois pièces au 13 avenue de Saint-Germain à Maisons-Laffitte, au 3e étage d’un immeuble assez vétuste. À cette époque je crois que papa était gardien de nuit, puis chef d’équipe aux usines Simca-Ford à Poissy.

    Nous nous y installons en septembre 1949.

    Jean-Pierre et moi commençons notre scolarité en septembre 1952 à l’école Saint-Nicolas, Jean-Pierre et moi en CP ou même CE1. Je n’ai pas un grand souvenir de ces premières années d’école élémentaire sur les bancs, si ce n’est que nous étions un peu en retard et quelque peu dissipés. Je m’étais fait attrapper à faire circuler dans la classe un dessin avec pour légende « Les gros nichons de la maîtresse », c’était pourtant bien la réalité ! Point positif : mes très bons résultats en lecture et écriture… et dessin ! J’aimais lire et dessiner, même peindre maladoitement.

    Maman surtout nous faisait travailler nos devoirs et exercices.

    L’appartement n’a pas de salle de bain ou de douche : maman nous lave dans l’évier de la cuisine. Les lessives se font au milieu de la cuisine dans une grande lessiveuse, sur un trépied alimenté au gaz. La salle de séjour donne sur la rue, et de la fenêtre, Jean-Pierre et moi découvrons une partie de la vie urbaine. Perchoir également pour lancer boulettes de papier, quignons de pain et verres d’eau sur les passants ! Côté cour un spectacle fascinait mon attention : sur la droite de la fenêtre, au 4e de l’immeuble presque mitoyen, séchaient le linge de la mère Poulain. Et quand celle-ci étendait une culotte, cela prenait toute la largeur de la fenêtre, tant était énorme cette femme ! Malheureusement une sarbacane de ma fabrication ne permettait pas d’atteindre cette cible avec des boulettes de papier mâché enduites d’encre rouge ! Cette mère Poulain me rappelait la croupe de la jument du père Journée.

    À 200 mètres de chez nous, il y avait la gare et le pont de chemin de fer, et le grand jeu était de se faire prendre dans la vapeur des locomotives au passage des trains. Toute la journée sur ce pont, un homme un peu dingo notait sur un carnet les heures de passage de tous les trains de voyageurs et de marchandises ! Plutôt sympathique, mais il ne fallait pas trop le distraire de son travail ! Né au Maroc, pris dans la vapeur de ces trains, j’avais confusément conscience que ma vie serait faite de voyages, de départs et de ruptures.

    En octobre 1952, par arrêté ministériel, mon père est nommé Consul de France à Sebha, en Lybie, en plein centre du Fezzan, province qui avait obtenu son indépendance en 1950. Il intègre ainsi les Affaires Étrangères, probablement en raison de sa très bonne connaissance du terrain et des langues arabes parlées, et de ses relations avec des militaires de haut rang lors de son expérience marocaine. Sa mission : le Chiffre, les fonds spéciaux, le renseignement, le recensement de tous les ressortissants à l’époque considérés comme français (maghrébins, nigériens) qui devaient être immatriculés au consulat. Il dépendait du Ministre Jacques Dumarçay, ambassadeur de France à Tripoli. Maman est la secrétaire du Consulat.

    Quand nous rejoignons Papa en septembre 53 à Sebha, j’allais à l’école préparatoire, Jean-Pierre en CM ou 6ème.

    École communale où Mouammar Khadafi était inscrit. Né en juin 1942 ou 1940 à Sirte d’une famille de bédouins, il forma très tôt un groupe d’amis qui allait renverser en 1969 le roi Idriss Ier par un coup d’état non-violent. Je l’ai fréquenté lors des cours communs de français, il y était élève de 56 à 61, il avait 12 ans (ou 14) et moi 9 ans à la rentrée scolaire de 55. Exclu de l’école, il poursuit sa scolarité à Misrata, puis à l’Académie Militaire. Le bédouin deviendra le « Guide » d’un pays organisé en tribus, évitera en 42 ans de dictature de très nombreux coups d’état, mais le dernier de février 2011 lui sera fatal, le tyran priapique aura une fin méritée. Ma maîtresse était une magnifique kabyle blonde aux yeux bleus, c’est du moins le souvenir que j’en ai gardé. Une marque qui a probablement alimenté mes rêves ! J’avais aussi un enseignant français.

    Nous jouions souvent dans le hangar des transports transahariens TAT, où se trouvait attaché un jeune berger allemand, très joueur, mais un après-midi il me sautait au visage et me fendait la lèvre supérieure. Très vite une jeep me conduit à l’infirmerie des légionnaires, cantonnés au Fort Leclerc (ex-fort Elena construit par les Italiens pendant la guerre), maintenu aux quatre membres, anesthésie artisanale, et bel exercice de couture !

    Braves légionnaires : Les peines infligées aux indisciplinés allaient de la promenade du légionnaire pieds et poings liés, tiré au sol derrière une jeep sur plusieurs centaines de mètres, à l’exposition en plein soleil durant 2 ou 3 jours, avec face à lui une cruche d’eau fraîche abritée sous une petite toile. Autre exercice : La chasse au troupeau de gazelles, mitraillées à partir d’un command-car, quelques-unes ramassées pour la nourriture, beaucoup étaient blessées et tentaient de s’enfuir. Je trouvais cela barbare.

    Nous avions plusieurs camarades français et lybiens. Maman avaient hébergés deux petites gazelles qui gambadaient à vive allure autour de la maison. Après que l’une se soit échappée, restait Bamby, qui devait mourir empoisonnée par l’acide contenue dans des piles électriques. Bamby mangeait un peu de tout, et quand nous avions des invités le jeu consistait à lui offrir une cigarette blonde américaine, sans filtre !

    Jean-Pierre était avec moi la première année scolaire. Ensuite mes parents décidaient de l’inscrire en 6e au Collège des Pères Blancs Maurice Cailloux de La Marsa, proche de Tunis, pour les années scolaires 54/55 et 55/56.

    Avant la classe, je retrouvais mes camarades. À l’abri d’un mur ces jeux étaient parfois des attouchements, recherchés par les enfants libyens de mon âge, ils me caressaient, me faisaient les toucher. J’étais fortement troublé, j’avais conscience que ce n’était pas tout-à-fait bien. Heureusement je jouais surtout avec des enfants européens dont les parents occupaient des postes militaires ou autres. Nous étions souvent dans un dépôt de matériel de l’armée datant de la guerre de Libye en 1943. Un fatras de carcasses de Junkers, de camions, de jeeps, de tanks, de mitrailleuses, détruits, à demi ensablé dans lequel nous jouions aux soldats. Le seul risque étaient les scorpions dérangés par nos explorations !

    Nos parents recevaient et étaient souvent reçus dans la petite colonie européenne, militaires en partie, et les personnalités de passage.

    Avec papa et sa Land Rover de fonction, nous faisions de grandes virées vers Ghat ou Mourzouk, découverte de ces paysages somptueux, de ces déserts de dunes aux lignes et courbes parfaites. Formées et déplacées par les vents, les dunes offrent des galbes, des courbures, des ondulations et des formes qui font penser aux lignes des femmes nues qui parfois traversent mon esprit. Dans un parfait silence et même en l’absence de vent, il est possible d’entendre un léger grondement continu, que provoquent les déplacements de grains de sable à la crête des dunes, ce bruit sourd que les bédouins écoutent comme le chant des esprits. Pendant ces longues virées, mon père, à la rencontre des caravanes, des campements de nomades, avec les chefs de village, traitait des renseignements sur les trafics d’armes et d’argent qui pouvaient alimenter les premiers groupes formant le futur FLN algérien, aux limites de la frontière.

    Je rejoignais Jean-Pierre l’année scolaire 56/57 en 6e au Collège El Menzah à Tunis, chez les Pères Blancs. Grands dortoir de 40 ou 50 lits, avec au centre un espace réservé au père, fermé sur les quatre côtés par de grands draps blancs. Avec la lampe éclairée, ses mouvements étaient projetés en ombres chinoises sur les tentures. Superbe spectacle, surtout lorsque le père « invitait » un élève pour une séance d’attouchements oecuméniques ! J’avais de la peine pour le jeune élève, le plus souvent marocain, et je préférais mes exercices solitaires.

    Un après-midi nous fuguons à Tunis, avec deux copains et allons au cinéma voir un film « genre le chef arabe et ses courtisanes » ! Retour de nuit où un comité d’accueil nous attendait, en fait les principaux curés, allumant d’un coup les lumières du hall !

    Années agitées où Bourguiba signe le 20 mars 56 le protocole consacrant l’indépendance de la Tunisie, et devient président de l’assemblée constituante élue le 8 avril. Le 14 avril il est chargé de former le premier gouvernement qui consacre l’indépendance de la Tunisie. Scènes de liesse populaire où nous montions sur le toit des tramways TGM en criant « Aidja Bourguiba ! » avec les tunisiens. Le 25 juillet 57 il évince le souverain Lamine Bey et proclame le régime républicain. Bourguiba est élu Président le 8 novembre 59.

    Nous avions un correspondant de vacances, la famille Brawanski, au sud de Tunis, Fochville Ben Arous. Cette famille s’est très bien occupé de notre éducation, du suivi de nos études, surtout de Jean-Pierre, pendant trois années scolaires.

    Je pensais que Jean-Pierre avait mal vécu ses deux années d’éloignement en Tunisie, alors que je restais à Sebha auprès des parents.

    Pour les grandes vacances nous faisions l’aller/retour Tunis/Sebha via Tripoli dans des Junkers de feu l’armée allemande, mono ou bi-moteurs, carlingue façon tôle ondulée des fourgons Citroën, intérieur militaire, avec un bruit assourdissant qui obligeait à hurler pour communiquer. Parfois les vols entre Sebha et Tunis étaient assurés par les fameux Dakota Douglas DC-3. C’était mieux. Mais rien à voir avec le confort et le luxe du Super Constellation qui assurait les liaisons Tunis-Paris, aéroport du Bourget.

    En 1956 survint l’affaire de la bande d’Aouzou. Suite aux renseignements fournis par ses agents lybiens, le poste de Bardaï au Tibesti fut réoccupé par les forces françaises et la jeune armée lybienne, appuyée par des éléments britanniques. Cette occupation fut refoulée.

    Le 30 août 1956, le gouvernement lybien du premier ministre Mustapha Ben Halim, prononçait l’expulsion de mon père pour activité d’espionnage. Un de ses agents, arrêté, torturé, avouait qu’il recevait souvent des sommes d’argent du Consul. En fait cette expulsion couvrait de graves incidents survenus entre fezzanais et tripolitains avec vols d’armes à la police. Mon père allait être arrêté. Grâce à deux fonctionnaires algériens de la mission française, Iles Kemal et Oukid Arezki, aidé également par un fezzanais de l’Intérieur, Hadj Hamouda, mon père pouvait de nuit quitter le Fezzan à bord d’un avion de Tunis Air, commandé par les Affaires Étrangères. Sans eux mon père aurait été arrêté, le patron de la police fezzanaise Soueni avait prévu son arrestation et son internement à Mourzouk.

    Maman, protégée par son immunité diplomatique, Jean-Pierre et moi, nous ne quitterons la Lybie qu’un an plus tard, en juin 1957.

    Le plus cocasse est que le Bey de la province, qui nous recevait souvent, voulait m’offrir 20 petites gazelles en cadeau !

    Notre départ est marqué par le vol d’une très importante somme d’argent dans notre villa, une bonne part de toutes les économies de mes parents pendant cinq années, grâce à la complicité de notre gardien avec la police locale. En raison d’une situation localement très instable, tout dépôt de plainte était inutile.

    III

    Retour en France à Maisons-Laffitte en juin 1957.

    D’août 56 à janvier 57, papa est en attente d’affectation, il est question de Karthoum en République du Soudan.

    Pendant les vacances d’été 58, nous descendons tous les quatre vers Le Beugnon, dans les Deux-Sèvres, puis vers Saint-Jean-de-Monts, Saint-Jean-de-Luz, le Pays Basque et la province basque espagnole. Périple effectué dans une somptueuse berline, une 4CV Renault !

    Feria à Pamplune, fête de le San Firmin, en pleine liesse populaire, où des jeunes déguisés de masques effrayants poursuivaient les enfants en les frappant avec des ballons de baudruche. Mort de peur, mes parents me retrouve caché sous un comptoir de boucher !

    Je découvre la beauté sang et or de la corrida, son rythme,

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