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Sur les berges du lac Brûlé, tome 3: L'héritage
Sur les berges du lac Brûlé, tome 3: L'héritage
Sur les berges du lac Brûlé, tome 3: L'héritage
Livre électronique425 pages6 heures

Sur les berges du lac Brûlé, tome 3: L'héritage

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À propos de ce livre électronique

Les descendants d’Ernest Potvin, le vieil ours, sont déterminés à trouver le bonheur malgré les soucis, les embûches et les drames. Heureusement, le lien qui les unit depuis le décès de leur mère est un baume pour leurs cœurs, malgré l’éloignement de certains. Le mariage de Pierre offrira l’occasion parfaite de réunir tout le clan, même si la présence de Myriam risque de causer quelques émois…
Le patriarche, dont la santé se fait vacillante, est contraint de planifier son héritage qui, comme le veut la tradition, reviendrait à Simon et ses éventuels enfants. Or, celui-ci ne semble pas pressé de fonder une famille; pire encore, ses fréquentations en font jaser plus d’un au village…
Fortement envieux du bonheur des autres et confronté à un isolement qui lui pèse, Ernest réalise que sa solitude est sans doute le résultat de tant d’intransigeance… Le vieil homme détestable réalisera-t-il trop tard ses nombreuses erreurs?
La conclusion inattendue et bouleversante d’une saga tout simplement incomparable!
Colette Major-McGraw est née à Sainte-Agathe-des-Monts et a travaillé pendant près de quinze ans à la Sûreté du Québec. Elle a ensuite exploité un commerce automobile avec son conjoint avant de se diriger vers la retraite. Trop tôt, semble-t-il, puisqu’elle s’est ensuite affairée à ouvrir « Le premier café Internet des Maritimes » en 1996. Ce roman est le troisième et dernier tome d’une trilogie inoubliable. Une auteure à suivre!
LangueFrançais
Date de sortie16 nov. 2016
ISBN9782897582395
Sur les berges du lac Brûlé, tome 3: L'héritage
Auteur

Colette Major-McGraw

Colette Major-McGraw est née à Sainte-Agathe-des-Monts et a travaillé pendant près de quinze ans à la Sûreté du Québec. Elle a ensuite exploité un commerce automobile avec son conjoint avant de se diriger vers la retraite. Trop tôt, semble-t-il, puisqu’elle s’est ensuite permis d’ouvrir «Le premier café Internet des Maritimes» en 1996. Sa trilogie historique Sur les berges du lac Brûlé a remporté un vif succès tant au Québec qu’en France. Une auteure à suivre !

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    Aperçu du livre

    Sur les berges du lac Brûlé, tome 3 - Colette Major-McGraw

    PROLOGUE

    Au cours des années, le malaise s’intensifia sur le chemin Ladouceur, au lac Brûlé. Le départ ou l’éloignement de plusieurs membres de la famille Potvin, de la maison familiale, en était assurément à l’origine.

    Les uns en ressentaient une peine profonde, d’autres étaient moins ébranlés, alors que certains continuaient d’accroître la distance pour se préserver d’être à nouveau blessés par Ernest Potvin. À travers le travail et la vie de tous les jours, ils pouvaient peut-être occulter de sombres souvenirs, mais il était utopique de penser qu’ils parviendraient à les effacer totalement de leur mémoire.

    C’est ainsi que, parfois, au cours d’une nuit d’insomnie, les réminiscences du passé refaisaient surface et venaient hanter une quiétude acquise avec beaucoup d’acharnement. Tels des gnomes, ces tristes pensées s’immisçaient finement pour soutirer la paix de l’esprit aux membres du clan Potvin.

    Il était également possible que ce soit en songe qu’ils soient troublés par ceux ou celles qu’ils avaient aimés ou détestés.

    La sérénité était le bien le plus précieux et le plus difficile à acquérir, mais encore plus à maintenir dans ce monde en perpétuelle agitation.

    CHAPITRE 1

    Une noce qui dérange

    (Printemps-été 1977)

    Dans les Laurentides, l’hiver rigoureux avait fait en sorte que les grands bouleaux avaient plié l’échine. Les cèdres étaient maintenant résolument dépeignés et même l’ancienne cabane à sucre avait «perdu la tête», la neige ayant écrasé sa toiture usée par le passage des ans.

    La terre d’Ernest Potvin avait pris un vrai coup de vieux. On sentait qu’elle avait été négligée depuis trop longtemps, soit depuis le décès de Pauline, sa première femme. À la suite de la mort tragique de celle-ci, la nature environnante s’était endeuillée, ne pouvant accepter de voir partir cette beauté qui venait régulièrement sillonner ses sentiers. Les fleurs sauvages, les arbres, les insectes et les oiseaux avaient été les témoins privilégiés de son seul et unique amour. Ils avaient tous délibérément tourné le dos, le jour de la rencontre fortuite entre Pauline et Georges. Ils s’efforçaient ainsi de préserver l’intimité du couple se retrouvant pour la toute dernière fois.

    Adéline, la deuxième épouse d’Ernest, était une femme pleine de gentillesse, mais elle ne possédait pas le charisme de celle dont elle avait dû chausser les grands souliers. Elle prenait bien soin de la maison, elle s’activait à la préparation des repas, mais, en aucun cas, elle ne pouvait demander ou proposer quelque chose. Un tout petit potager l’aurait comblée, mais elle ne l’avait évoqué qu’une seule fois pour se faire rabrouer sans pitié, comme si elle n’avait aucun droit de désirer quoi que ce fût dans cette vie. Elle était en quelque sorte muselée par cet être primitif qu’elle avait épousé.

    Par ailleurs, la nature étant ce qu’elle est, dès qu’on arrivait aux abords des terres de la famille Thompson, on avait la nette impression de pénétrer dans un monde habité par le bonheur. Les bourgeons semblaient impatients d’éclater, bien qu’il fût trop tôt encore dans la saison, tandis que les oiseaux chantaient des airs plus doux qu’ailleurs.

    Sur le même chemin, deux familles vivaient sur des terrains totalement disparates, à l’image des gens qui les occupaient.

    Et dire que Luc Potvin, le garçon du vieil ours, partageait maintenant la vie de la belle Catherine, la fille de monsieur Thompson! Ils formaient un joli petit couple qui, à l’aube des années 80, avait librement fait le choix de cohabiter sans pour autant être marié. Si cela s’avérait inconvenant pour certains et alimentait les commérages, d’autres les enviaient de leur audace et se réjouissaient de la beauté de la chose.

    * * *

    Comme tous les autres jours de la semaine, Ernest était assis sur sa vieille chaise rouge en similicuir, déchirée et réparée avec un long ruban adhésif gris, dans ce local qu’il appelait communément son office. Ce n’était en fait qu’une pièce vétuste établie dans un ancien garage, où s’amoncelaient des outils et des accessoires variés et défraîchis qu’il ramassait depuis des années en bordure des routes. Une odeur d’huile usée et de moisissures saisissait les narines dès qu’on pénétrait dans le bâtiment, mais le vieil homme ne s’en apercevait même plus, habitué à vivre dans cet environnement contaminé.

    Il était encore de mauvais poil en songeant à la visite qu’il avait faite au curé de la paroisse de Boisbriand¹ le mois dernier. Il se revoyait au moment où il avait pénétré dans le presbytère avec, à la main, le faire-part de mariage de Pierre qui avait été adressé à son fils Simon. Adéline lui avait remis l’enveloppe bien malgré elle, sachant pertinemment qu’il ne la donnerait jamais à Simon, mais qu’il l’utiliserait plutôt pour créer de la bisbille.

    — Je voudrais parler à monsieur le curé, avait-il dit à la dame qui s’occupait de la réception, avec son ton autoritaire.

    — Oui, monsieur, c’est à quel sujet?

    — Si je demande à voir le prêtre, c’est pas de vos affaires. Les histoires d’église, c’est supposé être confidentiel!

    — Très bien, avait calmement répondu la réceptionniste, habituée à ce que les gens n’acceptent pas de se dévoiler facilement. Fort heureusement, tout le monde n’était pas aussi bougon.

    Elle avait ajouté poliment:

    — Je vais m’informer si monsieur l’abbé peut vous recevoir.

    — Dites-y que j’suis parti de Sainte-Agathe exprès pour venir le voir. C’est très important!

    — Asseyez-vous, mon bon monsieur, l’avait-elle invité, en appuyant exagérément sur le qualificatif attribué simplement pour faire preuve de courtoisie.

    — J’espère que ça sera pas trop long! avait ajouté le vieil ours, habitué d’avoir le dernier mot.

    — Je vous reviens, avait déclaré la dame relativement âgée, qui ne semblait pas impressionnée par l’impertinence de son visiteur. Elle se disait que les chiens qui grognent ne mordent que rarement!

    Ernest s’était assis, bien malgré lui, sur l’une des chaises disposées à l’entrée. Il avait de plus en plus de difficulté à rester longtemps debout ces dernières années. Comparativement à d’autres hommes de son âge, il montrait un vieillissement prématuré.

    Plus les minutes passaient et plus il s’impatientait. Pourquoi le curé le faisait-il attendre ainsi? C’était sûrement cette pimbêche de réceptionniste qui laissait le temps s’écouler inutilement.

    Finalement, il vit apparaître la dame, suivie du prêtre, qu’il trouva anormalement jeune pour occuper un tel poste.

    — Bonjour, monsieur, qu’est-ce que je peux faire pour vous?

    — Ben, est-ce qu’il faut que je vous parle de ça ici, devant cette femme-là? avait demandé Ernest, d’un ton avoisinant l’arrogance.

    — Est-ce que vous souhaitez vous confesser ou bien il s’agit d’une affaire paroissiale? avait demandé l’homme d’Église, d’un air moqueur, sachant qu’Ernest avait précédemment rabroué son employée.

    — Non, c’est pas une confession, sinon je serais allé à l’église, avait répondu le vieil homme, frustré de se faire narguer de la sorte. C’est juste que nos histoires de famille, on veut pas que ça se sache dans toute la paroisse.

    Maintenant qu’il avait plus ou moins vengé la maladresse commise à l’endroit de sa préposée à l’accueil, le prêtre avait conduit Ernest à son bureau afin d’entendre sa requête.

    — Je suis l’abbé Girouard, en poste ici depuis plus d’un an. Je ne me souviens pas de vous avoir vu à l’église! Vous êtes monsieur…

    — Ernest Potvin du lac Brûlé à Sainte-Agathe.

    — Et qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui dans notre belle paroisse?

    Ernest s’était empressé de déposer le faire-part sur le bureau afin de justifier les propos qu’il allait tenir.

    — C’est ça, monsieur le curé. Il a pas le droit de se marier en utilisant un faux nom.

    L’homme avait pris quelques secondes pour consulter le document présenté, avant de répondre calmement:

    — Mais de qui parlez-vous? Pierre Potvin serait un autre individu?

    — Non, vous comprenez pas. C’est Georges Potvin qui est pas son père. C’est mon nom, Ernest Potvin, qui est inscrit sur son baptistaire!

    — Et qui est ce Georges Potvin?

    — C’est mon frère, un gars qui s’est expatrié pendant des années, pis qui est revenu juste pour faire du trouble dans la famille.

    — Alors si vous me permettez, je vais vérifier au dossier de publication des bans. Laissez-moi un instant.

    Le prêtre connaissait très bien le cas, puisqu’il avait lui-même donné les cours de préparation au mariage au jeune couple. Pierre avait été franc avec lui et lui avait raconté toute la vérité.

    — Monsieur Potvin, je ne vois aucune anomalie dans ce dossier. Il est bien indiqué dans nos registres que Pierre Potvin est votre garçon, comme stipulé sur le baptistaire soumis avec la demande des parties en cause.

    — Oui, mais sur le faire-part de mariage, c’est écrit fils de Georges!

    — Les invitations à un tel événement ne sont pas des documents légaux. L’important, pour l’Église, c’est le baptistaire qui a été remis avec la demande de sacrement. De plus, votre garçon est majeur et n’a pas besoin de votre signature pour se marier.

    — Comme ça, je peux rien faire!

    — Non, à moins que vous souhaitiez poursuivre Pierre Potvin pour diffamation. Vous pourriez alors apporter la preuve que vous êtes bien son père biologique, si c’est ce que vous voulez démontrer.

    Ernest n’avait pas attendu que le prêtre ait terminé sa phrase et il était sorti de la pièce en blasphémant. Il était tellement enragé qu’il prit la mauvaise direction dans le passage du presbytère et se retrouva devant quatre ou cinq portes closes, ne sachant laquelle utiliser pour sortir de là.

    — Est-ce que je peux vous aider? avait-il alors entendu.

    La réceptionniste se tenait tout juste derrière lui et elle

    lui offrait de le guider avec un grand sourire, en lui indiquant la porte qui pourrait le mener vers la sortie.

    Ernest avait quitté les lieux, en jurant qu’il aurait un jour sa revanche.

    — Pierre Potvin, tu perds rien pour attendre! Je te réserve un chien de ma chienne…

    * * *

    Lorsque Georges avait reçu son faire-part par courrier, il avait bien rigolé. À l’heure du souper, il avait déposé l’enveloppe sur la table à côté de son assiette afin de la décacheter en présence de son fils.

    — Pierre, t’étais pas obligé de m’envoyer une invitation par la poste. On reste encore ensemble jusqu’au mariage à ce que je sache!

    — Je voulais faire ça dans les règles, papa. Tu l’as même pas ouverte? T’es pas un homme curieux!

    — Non, je t’attendais. J’avais très bien reconnu l’enveloppe carrée, mais ce sont des émotions que je souhaitais partager avec toi.

    Et Georges avait utilisé son coupe-papier pour ouvrir la pochette. Il avait lentement sorti le faire-part, un carton blanc raffiné sur lequel était inscrit un court message avec des lettres stylisées:

    Marie-Josée Gosselin, fille de Rita et Noël Gosselin

    et

    Pierre Potvin, fils de feu Pauline Cloutier

    et de Georges Potvin

    ont la joie de vous annoncer leur mariage

    qui sera célébré le samedi 26 mars 1977

    à 4 h 30 de l’après-midi,

    à l’église Notre-Dame-de-Fatima, à Boisbriand.

    Une réception suivra, etc.

    Mais Georges avait déjà cessé de lire pour recommencer au début du texte, afin de s’assurer qu’il ne prenait pas ses rêves pour la réalité.

    — Pierre, avait-il dit, très ému, as-tu bien réfléchi avant de poser ce geste?

    — Oui, papa, et c’était le cadeau que je tenais à te faire. T’inquiète pas, j’ai pas posté toutes les invitations. J’attendais que tu aies reçu la tienne. J’ai tout de même besoin de ton accord avant de proclamer haut et fort que je suis ton fils.

    — J’ai aucun problème avec ça, mais tu crains pas d’avoir des complications avec Ernest?

    — J’ai eu rien que ça avec lui depuis que je suis né! Qu’est-ce qu’il pourrait me faire de plus? Malheureusement, je dois utiliser mon baptistaire pour l’église, mais je veux que tous ceux qui participeront au mariage sachent la vérité.

    — Je suis heureux de ton initiative et j’ai aucune honte à dire que je suis ton père. Tu es le fruit d’un grand amour, il faut que tu en sois conscient.

    Et les deux hommes s’étaient fait une accolade sincère. Ils étaient désormais déterminés à assumer les conséquences des gestes qu’ils allaient poser.

    — Je voudrais quand même être un petit oiseau pour voir la face du vieil ours quand il va ouvrir le courrier de Simon, dit Pierre avec un sourire en coin…

    * * *

    Toujours très prévenant, Pierre avait également consulté sa tante Fernande avant d’inviter sa cousine Myriam au mariage.

    — Vous savez, ma tante, que vous êtes pas obligée d’accepter, si vous êtes pas à l’aise avec ça.

    — Mon petit Pierre, après tout ce qu’on a vécu, toi et moi, je crois qu’on a plus de temps à perdre. J’ai le goût de profiter de chaque minute qu’il me reste à vivre avec ceux que j’aime.

    — Et vos enfants, pensez-vous qu’ils vont m’en vouloir?

    — S’ils sont pas contents de voir Myriam à mes côtés, ils vont devoir faire avec. Jamais j’abandonnerai ma fille maintenant que je l’ai retrouvée. Elle fait partie de la famille.

    — On est dans le même panier, ma tante. Mais vous savez qu’on va faire jaser le monde!

    — Qu’ils parlent tant qu’ils voudront… asteure, ça me passe vingt pieds par-dessus la tête.

    * * *

    Le matin du mariage, Pierre s’était réveillé très tôt. La veille, il avait eu peine à s’endormir en songeant que c’était la dernière nuit qu’il passait dans la même demeure que son père. Il avait apprécié chaque minute vécue en compagnie de cet homme qui avait résolument changé sa vie.

    — Tu te lèves de bonne heure, mon garçon. As-tu quelque chose de spécial à faire aujourd’hui?

    — Il me semble que oui, avait répondu le futur marié, en faisant semblant de se creuser les méninges. Je dois poser un geste assez important, avait-il ajouté avec plus de sérieux.

    — Est-ce que ça t’inquiète?

    — Pas vraiment, mais j’ai de la peine en pensant qu’on vivra plus ensemble. On était bien tous les deux!

    — T’as bien raison! Dis-toi cependant qu’ici, ce sera toujours ta maison. T’auras jamais besoin d’appeler et surtout, attends pas une invitation pour venir me voir.

    — Merci, papa, avait dit Pierre, le cœur rempli d’émotion. Ce sera pareil chez nous. J’espère que tu te sentiras assez bien pour nous visiter aussi souvent que le cœur t’en dira. J’en ai déjà parlé avec Marie-Josée et elle pense comme moi.

    — Tu as choisi une bonne fille et je sais que vous serez heureux.

    Pierre s’était rendu à l’église avec Georges, dans le véhicule de celui-ci. Ils avaient ensuite fièrement marché côte à côte dans l’allée centrale, sans égard aux commentaires qui pourraient être formulés à propos de leur lien familial.

    Pierre attendrait l’arrivée de sa dulcinée à l’avant de l’église, comme le voulait la coutume, et son père s’installerait dans le premier banc, aux côtés de Rose, qui n’avait pas non plus d’escorte. Georges avait gentiment proposé à sa nièce de lui servir de cavalier, le temps d’une soirée, ce qui l’avait réjouie.

    Les sœurs et frères du marié étaient tous présents, assis dans la partie droite de l’église, réservée à leur famille. Même le jeune Simon était là, ayant reçu un deuxième faire-part à son nom, au domicile de sa sœur Diane. Connaissant bien Ernest Potvin, Pierre avait prévu le coup. Simon n’avait cependant pas osé demander à son amie Maria de l’accompagner. Seule Diane était au courant qu’il fréquentait cette jeune fille et il préférait attendre une occasion plus intime pour la présenter aux siens.

    La tante Fernande et l’oncle Léon étaient arrivés les derniers, en compagnie de Myriam, ce qui avait fait tourner plusieurs têtes. Tout un chacun avait entendu parler des retrouvailles qui avaient eu lieu quelques années plus tôt, mais on n’avait pas encore rencontré la nouvelle venue lors d’une activité familiale. Myriam avait beaucoup réfléchi et elle avait consulté sa mère naturelle avant d’accepter l’invitation au mariage. Elle ne voulait en aucun cas nuire à l’harmonie d’une telle cérémonie.

    Louis, le fils de Fernande et Léon, jasait tout bas avec son cousin Luc quand ses parents étaient arrivés. Soudain, il avait remarqué que plusieurs personnes avaient tourné la tête et que des chuchotements s’étaient mis à envahir la quiétude de l’endroit. En constatant que c’était l’entrée de Myriam avec ses parents qui provoquait cette agitation, Louis s’était brusquement levé et il avait empoigné le bras de son épouse en lui disant:

    — On reste pas icitte une minute de plus! Emmène les enfants, parce qu’on retourne à la maison!

    Louis s’était ensuite dirigé vers la sortie d’un pas assuré, en sachant fort bien que sa femme ne demeurerait pas seule au mariage.

    — Qu’est-ce qui se passe? avait-elle demandé, en marchant rapidement derrière lui, avec, sur ses talons, les enfants, qui avaient peine à la suivre.

    — Elle a pas perdu de temps pour se coller le cul sur notre mère, avait marmonné le fils insulté, en se dirigeant vers le stationnement situé sur le côté de l’édifice.

    — Parle pas comme ça devant les petits! avait insisté sa femme, gênée de l’attitude de celui-ci. L’église est assez grande pour tout le monde. Pourquoi on retournerait pas s’asseoir en arrière? avait-elle ensuite suggéré calmement.

    — Je m’en vas chez nous. Le party est fini pour moi. La bâtarde de Myriam est venue faire le trouble dans la famille!

    — Faudrait peut-être que tu en reviennes! Ça fait quasiment quatre ans que Myriam est dans le décor, pis on l’a pas vue trop souvent. Elle reste à Ottawa et fait ses affaires sans déranger personne! Avant de juger les autres, faudrait peut-être que tu penses plus loin que le bout de ton nez. Oublie pas qu’on s’est marié assez vite, nous deux, pis que ma robe de noce était un modèle pas mal évasé!

    Le couple était maintenant rendu près de la voiture et Louis se faisait encore sermonner par son épouse, qui n’entendait pas manquer une si belle cérémonie, d’autant plus que les enfants semblaient fortement perturbés par l’attitude de leur père.

    — T’es pas un Demers d’après moi. T’es pas mal plus un vieil ours comme ton oncle Ernest. Si tu changes pas d’idée au plus vite, dis-toi bien que je vais te le faire payer cher. Je m’appelle pas Pauline, moi, pour me laisser manger la laine sur le dos!

    Louis avait dû baisser les bras, sachant fort bien qu’il vivrait l’enfer à la maison s’il maintenait sa décision. La petite famille était donc retournée dans l’église, mais elle s’était installée à bonne distance des autres membres du clan Demers.

    Pendant la cérémonie, Élise, l’épouse de Louis, avait pensé à ce qu’elle raconterait aux invités pour expliquer leur départ précipité de l’église et le fait qu’ils ne s’étaient pas assis avec la famille à leur retour. Elle dirait que l’un des enfants avait eu mal au cœur et qu’ils avaient cru devoir rentrer à la maison. Elle ajouterait candidement que son mari avait insisté pour qu’ils reviennent en prétextant que les réunions de famille étaient tellement rares qu’il fallait en profiter…

    * * *

    La cérémonie avait été simple, à l’image du jeune couple.

    Rose était très émue de voir son jeune frère s’engager ainsi dans la vie à deux et elle n’avait pu contenir ses larmes. Comme elle aurait souhaité vivre un pareil moment auprès d’un homme qui l’aurait aimée tout autant qu’elle avait chéri William Thompson! Mais elle se disait que jamais, plus jamais elle ne laisserait quelqu’un jouer avec ses sentiments. Elle avait eu trop mal.

    Georges percevait toute la fébrilité de sa nièce et il lui prit tout simplement la main pour la réconforter.

    Au moment où il s’était levé, ce matin-là, Georges avait pensé à sa chère Pauline et il lui avait demandé d’être présente dans son cœur pour assister au mariage de leur fils. Lorsque le jeune couple avait échangé ses vœux, Georges avait prononcé tout bas les mots: «Oui, je le veux», épousant symboliquement sa belle Pauline. Il était convaincu qu’ainsi, il n’aurait plus jamais de regrets.

    La réception avait eu lieu dans la salle des Chevaliers de Colomb située tout près de l’église. Pour l’occasion, la pièce avait été décorée avec des guirlandes de papier crépon de couleurs rose et blanche, et deux immenses cloches argentées étaient suspendues aux extrémités de la table d’honneur.

    Toute la famille d’Ernest était installée à la même table, avec les enfants de Fernande, et les Gosselin, la famille de la jeune mariée, étaient regroupés à une autre. Restaient les amis des époux et de leurs parents, qui se mêlaient pour profiter des festivités.

    — Louis, tu pourrais changer de face, lui avait intimé sa femme en constatant son humeur massacrante.

    — C’est pas moi qui se marie aujourd’hui, c’est Pierre. J’ai pas l’habitude de faire de la façon aux étrangers.

    — Je te dis qu’en vieillissant, t’as un vrai caractère de chien!

    Fernande avait été invitée à prendre place à la table d’honneur, mais elle avait préféré demeurer avec sa famille. C’est Rose qui avait eu l’occasion de s’asseoir aux côtés de son oncle Georges, qu’elle adorait.

    — C’est maman qui serait heureuse d’être ici, aujourd’hui, à vos côtés, lui avait-elle murmuré à l’oreille.

    — Je suis convaincu qu’elle est là avec nous! avait-il répondu, en levant les yeux au ciel.

    — Si c’est comme ça, elle doit être aux premières loges avec mémère. Tout le monde savait que Pierre, c’était son chouchou!

    Myriam était installée en face de sa mère naturelle, entre Julie et Denis, alors que Louis était allé prendre place, avec son cousin Yvon, à l’autre extrémité de la table. La jeune femme s’était bien rendu compte du malaise provoqué par sa présence et elle avait offert à Fernande de quitter la noce en douce.

    — Je pourrais très bien retourner chez moi, maintenant qu’on a passé un beau moment ensemble. Je pourrais dire que je dois rentrer tôt à Ottawa.

    — Y en est pas question! avait répliqué Fernande. Tu es mon enfant comme les trois autres et tu as ta place dans la famille. Je lui demande pas de t’embrasser les pieds, mais il pourrait à tout le moins agir comme un adulte.

    Fernande avait très bien remarqué l’attitude de son fils aîné depuis son arrivée à l’église, mais elle ne souhaitait pas se laisser perturber par de tels enfantillages. Le mois précédent, on avait célébré son soixante-cinquième anniversaire de naissance et, bien que Léon l’ait invitée, Myriam n’avait pas voulu assister au repas de fête. Elle avait prétexté une réunion, mais elle avait envoyé un beau bouquet de roses rouges avec une gentille pensée: «À vous, maman, qui êtes venue illuminer ma vie. Profitez de cette journée avec les vôtres! Je vous aime. Votre fille Myriam xxx»

    Elle souhaitait ainsi ne pas trop s’immiscer au sein de la famille de sa mère naturelle. Par la suite, Fernande lui avait téléphoné pour la remercier et elle avait insisté pour qu’elle soit présente aux noces de Pierre, ce que Myriam avait accepté. Elle ne pourrait pas toujours se dérober lorsque des occasions se présenteraient et elle avait réellement le goût d’assister au mariage de son cousin, avec qui elle avait de belles affinités.

    Le service du repas avait débuté par la table d’honneur et s’était déroulé assez rapidement, le groupe ne dépassant pas quatre-vingts invités. Albert s’était amusé à frapper sur sa coupe de vin pour que les mariés s’embrassent, pendant que Simon regardait régulièrement vers la porte d’entrée, craignant l’arrivée soudaine d’Ernest.

    Puis, la soirée avait commencé et les lumières s’étaient tamisées. Les couples avaient dansé jusqu’à tard dans la nuit. Les mariés étaient partis tôt, souhaitant pouvoir se rendre à Trois-Rivières pour leur nuit de noces. Somme toute, on avait eu droit à une magnifique réception et on parlerait longtemps de ce beau mariage.

    Georges était l’homme le plus heureux de la journée. Il avait retrouvé son fils et il avait eu l’occasion de vivre de merveilleux moments avec lui. Il savait que cela ne se terminerait pas là, le spectre d’Ernest Potvin s’estompant peu à peu…

    * * *

    Ce matin-là, Ernest s’était isolé dans son garage et il avait commencé à boire très tôt, souhaitant noyer la rage qui l’habitait.

    Il se rappelait le jour où Fernande était venue chercher Pierre pour l’installer comme pensionnaire à Montréal. Il avait été heureux de savoir que son frère paierait dorénavant pour élever cet enfant illégitime. Il ne réalisait pas alors qu’il venait de lui faire le plus beau des cadeaux et aujourd’hui, il était jaloux de leur bonheur.

    — Comment ça se fait que j’ai juste des problèmes pis de la marde autour de moi? J’suis pourtant pas un gars si méchant que ça… Y en a des pires! avait-il dit tout haut afin de se convaincre.

    Et Ernest avait bu toute la journée. À un moment donné, il avait bien pensé se rendre à la noce afin de semer la pagaille, mais il avait encore en mémoire le violent coup de poing que son fils Yvon lui avait asséné un certain jour de l’An. Il avait alors continué à boire en ruminant sa rage. Quand il était entré dans la maison pour le souper, il s’était assoupi dans son fauteuil et s’était endormi avant de manger. Il s’était réveillé le lendemain matin, dans son lit, tout habillé.

    Durant la soirée, Adéline s’était lassée de veiller auprès du vieil homme qui ronflait comme un loir et elle lui avait suggéré d’aller se coucher dans sa chambre. Il s’était levé et l’avait docilement suivie jusqu’à son lit, où il s’était affalé de tout son long.

    La pauvre femme avait trouvé la journée interminable, ayant un petit pincement au cœur de n’avoir pu assister au mariage de Pierre, qu’elle avait beaucoup aimé.

    — De toute façon, j’aurais rien eu à me mettre sur le dos pour aller aux noces, avait-elle dit tout haut pour se consoler. Quand je vas mourir, au lieu de m’acheter une robe, y va sûrement fermer le cercueil!

    1 Boisbriand: autrefois Sainte-Thérèse-Ouest. Changement de nom effectué en 1974.

    CHAPITRE 2

    Disparu

    (Été 1977)

    Depuis sa naissance, Rose avait l’impression d’avoir comme mission de s’occuper des autres. Elle n’était pourtant pas l’aînée de la famille, mais elle avait toujours été là où le besoin s’était fait sentir.

    En ce dimanche matin, elle pensait à sa vie avec beaucoup de sérénité. Elle vivait auprès de sa tante Fernande et de son oncle Léon depuis près de quatre ans et ils la traitaient comme une reine. Bien sûr, elle avait pris en charge toutes les tâches de la maison, mais chaque journée se déroulait dans l’harmonie, ce qui était pour elle une grande richesse.

    L’oncle Léon était un personnage très attachant et Rose l’appelait aimablement son petit escargot.

    — Mon oncle, vous êtes identique à cette bibitte inoffensive. Vous vous déplacez tout doucement et vous savez vous éclipser discrètement lorsque vous le jugez nécessaire.

    — Tu pourrais me donner tous les noms que ça me ferait pas un pli sur la différence²!

    — Moi, je dis pas que c’est un escargot, je dis plutôt qu’il est comme Dieu.

    — Pourquoi vous dites ça, ma tante? Je trouve que vous beurrez pas mal épais!

    — Non pas vraiment. Est-ce que tu te rappelles du Petit Catéchisme?

    — Oui, c’est certain. Mais quel est le rapport entre mon oncle Léon et la religion catholique?

    — Il y avait une question dans ce livre qui disait: «Où est Dieu?»

    — Je m’en souviens très bien. Et la réponse était: «Dieu est partout!»

    — Eh bien, j’ai réalisé que Léon est comme Dieu: il est partout et la majorité du temps, on le voit pas!

    Ce n’était là que la vérité. Léon était l’homme le plus attentionné de la terre, tout en étant très réservé.

    — Je pense qu’il est temps que je disparaisse avant que ça aille trop loin, avait ajouté Léon, qui était heureux de voir sa femme rigoler de la sorte.

    C’était l’ambiance qui régnait dans la maison de la rue Foucher. Depuis l’arrivée de Rose auprès de Léon et Fernande, la santé de cette dernière s’était grandement améliorée.

    Après avoir subi une mastectomie et des traitements de chimiothérapie, Fernande avait bien sûr vécu une période difficile, mais elle avait remonté la pente. Rose insistait pour que la convalescente fasse des siestes en avant-midi et en après-midi, et elle veillait à ce que les repas soient suffisamment variés pour que sa tante ait toujours bon appétit. Au-delà des petits soins, la bonne humeur avait fortement contribué à lui faire recouvrer la santé.

    Depuis quelque temps, Rose avait réinstauré la tradition du dîner en famille le dimanche midi, mais seulement les semaines où sa tante allait suffisamment bien. Aujourd’hui, c’était l’oncle Georges qui devait manger avec eux et possiblement Julie et son conjoint. Les garçons seraient absents, car la veille, ils avaient dit s’en aller assister au spectacle de Pink Floyd, le premier groupe musical à se produire au Stade olympique de Montréal.

    Fernande n’était pas dupe. Elle savait bien que Louis redoutait de rencontrer Myriam, car il avait toujours une bonne excuse à présenter pour ne pas la voir et il entraînait même son frère dans son obstination. Elle n’avait cependant pas dit son dernier mot. Tôt ou tard, son fils devrait s’expliquer, mais elle attendait la bonne occasion.

    Ding dong, dit l’oncle Georges en entrant, la porte d’entrée n’étant jamais verrouillée.

    — Entrez, entrez, répondit Fernande d’une voix joyeuse.

    — J’espère que vous avez faim, mon oncle, indiqua Rose, parce que j’ai préparé de la nourriture pour une armée et on a des soldats qui se sont décommandés à la dernière minute.

    — J’ai toujours beaucoup d’appétit quand je mange avec vous. Je dois vous avouer que j’étais plus tellement habitué à prendre mes repas tout seul. J’ai été gâté de vivre avec Pierre pendant tout ce temps-là!

    — Il faudrait peut-être que tu te trouves une gentille veuve pour te faire la cuisine?

    — Fernande, fais pas ta belette! D’habitude, c’est Rose qui joue ce rôle-là!

    Il y avait un peu plus de deux ans que son voisin, Omer Laframboise, était décédé, des suites d’une longue maladie. Depuis, par solidarité, Pierre et Georges avaient été très présents auprès de la gentille veuve. Ils lui rendaient de nombreux services pour l’entretien de sa résidence et, en retour, celle-ci les avait invités à plusieurs reprises à partager son repas. Depuis le mariage de Pierre, madame Laframboise n’avait pas invité Georges chez elle, mais elle lui avait préparé de petits plats.

    — C’est quand même une belle femme, madame Laframboise, ajouta Rose pour taquiner son oncle.

    — T’as bien raison! C’est une pretty woman, mais je vais fêter mes soixante-cinq ans cet automne et j’ai passé l’âge pour les amours, avait-il dit sur un ton nostalgique.

    — Je pense que vous êtes pas trop vieux, mon oncle, mais la vérité, c’est que vous êtes encore en amour avec votre belle Pauline.

    — T’es plus qu’une belette, ma belle Rose, t’es la plus belle sorcière que je connaisse! avait-il ajouté en lui pinçant les joues.

    — Je pense que lorsqu’on a beaucoup aimé quelqu’un, il est parfois impossible de faire une place dans notre cœur pour quelqu’un d’autre! avait exprimé Rose, qui était convaincue de ne plus jamais arriver à s’attacher à un autre homme que William Thompson.

    — Et si on s’assoyait à la table pour manger notre soupe? suggéra Fernande, qui ne voulait pas assombrir l’ambiance de ce repas avec des souvenirs tristes. Julie m’avait dit qu’elle arriverait peut-être en retard.

    — Est-ce que Pierre est venu vous voir cette semaine? demanda Georges avec un petit sourire en coin.

    — En effet, on a eu de la belle visite mercredi soir. Marie-Josée et Pierre sont venus faire un petit tour dans la soirée, répondit Fernande sans plus.

    — Comme ça, il vous a annoncé la nouvelle?

    — Quelle nouvelle, grand-papa Georges? avait ajouté Léon, heureux de pouvoir mettre son grain de sel dans la conversation.

    — Mardi soir, Pierre avait demandé à ce que j’aille souper chez eux et au moment du dessert, il m’a annoncé que sa femme était enceinte. Ils sont tellement contents!

    — Il semble que le bébé pourrait arriver en mars prochain, selon ce que le médecin de Marie-Josée lui a dit, avait ajouté Rose.

    — Après Pierre, c’est moi l’homme le plus heureux de la terre. C’est la preuve qu’on doit jamais abandonner!

    — J’ai hâte d’en parler avec ma sœur Diane. Pierre était supposé aller la voir en fin de semaine pour lui annoncer la bonne nouvelle. On dit pas des affaires de même

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