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Une Affaire Corse
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Livre électronique324 pages4 heures

Une Affaire Corse

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À propos de ce livre électronique

Un meurtre commis à Corte, une ancienne petite-amie suspectée et voilà les vacances de l’inspecteur Mattei compromises. Au fil de ses recherches, en marge de l’enquête officielle, qui le mènent sur la piste des dérives mafieuses de la Corse, Dumè Mattei replonge dans les souvenirs de son enfance à Pianellu et de son adolescence passée à l’internat du lycée Paoli de Corte. Cette quête di tempi fà teinte le propos d’une tendre nostalgie. Le récit mêle si étroitement la fiction de l’intrigue policière à la réalité des événements qui ont ensanglanté la Corse dans des luttes fratricides au sein du mouvement nationaliste et des règlements de comptes parmi les truands, que le lecteur a parfois du mal à faire la part des choses. La réalité présente et passée de la Corse constitue la trame d’un polar bien dans son temps qui combine « enquête à l’ancienne » et technologies informatiques avancées. Ce roman nous dit tout l’amour de l’auteur pour son pays natal, mais c’est un amour lucide. Ce qu’il nous donne à découvrir de la Corse actuelle dans sa criminalité, dans son ostracisme et dans les relations familiales est sans complaisance. Il enleva la chaîne de sécurité et posa la main sur la poignée. Il était à cent lieues d’imaginer qu’il avait rendez-vous avec la mort et qu’il ne lui resterait plus que quelques instants à vivre dès lors que sa porte serait ouverte. Il l’ouvrit et fit bon accueil à son bourreau. On découvrit son corps sans vie en fin de journée.
LangueFrançais
Date de sortie15 avr. 2013
ISBN9782312009704
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    Une Affaire Corse - Petru Pianellu

    cover.jpg

    Une affaire corse

    Petru Pianellu

    Une affaire corse

    L’inspecteur Mattei enquête

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Edouard Nieuport 92150 Suresnes

    A te o Mà

    Ritornu (Antoine CIOSI)

    Infine grazia a Diu riveghu u campanile

    Ch’un ghjornu aghju lasciatu una mane d’aprile

    Zitellu so pertutu ritornu capu biancu

    Venghu a circa riposu perché oghje so stancu.

    Enfin, Dieu merci, je revois le campanile

    Qu’un jour j’ai dû quitter, par un matin d’avril.

    Enfant, j’suis parti, je reviens les cheveux blancs,

    J’viens m’reposer un peu, c’était si fatigant.

    À mon ami Claude

    Cette version est une réédition de la première édition,

    revue et corrigée.

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-00970-4

    Prologue

    Antoine Baretti avait tout lieu de se réjouir en ce vendredi 13 octobre.

    Longtemps, il avait partagé avec nombre d’autres, la superstition phobique des dangers qui s’attachaient à ce jour de malchance.

    Héritage religieux des malheurs du Christ qui fut trahi par le treizième apôtre et crucifié un vendredi 13 ou survivance de croyances païennes vikings qui voyaient en Loki, leur treizième dieu, le dieu de la guerre, un esprit malfaisant, il ne s’était jamais trop posé la question de l’origine des craintes que lui inspirait cette date de malheurs jusqu’à ce vendredi 13 du mois de juillet de l’année dernière.

    Ce jour-là fut un jour béni des dieux. Antoine Baretti avait vu, contre toute attente, son sort s’améliorer aussi fortement que brusquement.

    Ce fut une journée à marquer d’une pierre blanche qui avait bouleversé son quotidien et qui avait dégagé l’horizon de son avenir.

    Il était devenu du jour au lendemain, et par un heureux coup du sort, immensément riche. Il avait trouvé dans cette nouvelle fortune matière à conjurer ses vieilles peurs et à satisfaire ses envies les plus exubérantes.

    Pendant quelques jours d’hébétement, il essaya en vain d’imaginer ce que représentait la dizaine de millions d’euros qui était devenue l’unité dans laquelle s’évaluait désormais sa nouvelle fortune. Il avait beau la convertir en nombre de voitures qu’il pourrait s’acheter ou en nombre d’appartements comme celui dont il avait hérité de ses parents, il n’arrivait toujours pas à évaluer sa richesse. Après avoir calculé qu’il aurait dû travailler pendant près de mille ans pour gagner la même somme, il comprit qu’il n’avait plus à se priver de quoi que ce soit et il donna libre cours à son goût pour les choses luxueuses et raffinées.

    Il avait décidé de vivre en nabab.

    Il en avait les moyens et se vautra sans états d’âme dans l’opulence.

    Son vieux Lada 4X4 rouge – enfin qui avait été rouge – qui l’avait emmené si souvent sur les sentiers du Cortenais, et pour lequel il avait un profond attachement, lui avait paru subitement bien poussif et incapable d’affronter les chemins les plus pentus ainsi que les dévers un peu trop accentués.

    Il pouvait en changer. Il en changea.

    Il aurait pu s’offrir un Hummer, ce qui constituait le top de la frime en matière de tous-terrains, mais il n’osa pas aller jusque là. Ça faisait ostensiblement trop nouveau riche. Il était de fort mauvais goût – cela pouvait même devenir carrément dangereux –, surtout en Corse, de s’afficher au volant d’un tel monstre dans les rues de sa ville. Il valait mieux ne pas inspirer trop de convoitise si on ne pouvait faire état de protections plus ou moins occultes.

    Il avait opté pour le 4x4 de chez BMW qui était nettement moins ostentatoire et surtout qui alliait les qualités d’une grande routière au confort indéniable à celles d’un avaleur de pistes particulièrement efficace qui se riait des obstacles dans les chemins de traverse.

    Ses goûts de nouveau riche s’étaient en revanche portés sans restriction aucune sur des vêtements que ne lui avait pas permis de s’offrir son traitement d’employé territorial au musée de la Corse à Corte et dont il avait toujours raffolé.

    Il avait un faible pour le chatoiement de la soie et plus particulièrement pour ses vêtements intimes. Aujourd’hui, il portait une robe de chambre en soie marron-glacé assortie à un pyjama, en soie naturelle également, de couleur crème.

    Il aimait tant le froufroutement du tissu qui coulait à chaque mouvement, telle une caresse, le long de ses membres !

    En cette fin de matinée, il aurait dû s’habiller plus décemment pour recevoir, car il attendait une visite, mais il se sentait si bien et se trouvait tellement à son avantage dans cette tenue particulièrement seyante qu’il décida de ne pas quitter ses vêtements de nuit. Et puis, en tout état de cause, il se savait suffisamment familier avec son hôte pour que celui-ci ne s’offusquât pas de sa tenue vestimentaire. Cette tenue d’intérieur pouvait n’être vue, après tout, que comme la marque d’une certaine intimité.

    Depuis la fin de l’été, les choses avaient sensiblement changé pour lui : des nuages lourdement chargés de menaces s’étaient accumulés dans le ciel, jusque là serein, de sa nouvelle vie.

    Le conte de fées qu’il vivait depuis plus d’un an virait au cauchemar, et dans ses nuits, souvent sans sommeil, il méditait la morale de la fable de La Fontaine qui s’attachait au sort d’un savetier et d’un financier. Ce n’est pas qu’il eut regretté le temps où il partageait l’insouciance du savetier, mais trop souvent il attendait avec impatience les premières lueurs de l’aube qui allaient le délivrer de ses angoisses nocturnes et mettre fin à une nuit blanche.

    Pourtant, la nuit dont il émergeait avait été calme et il ne désespérait pas de voir sa situation s’arranger en ce vendredi 13.

    Il avait espoir qu’il en fut ainsi.

    Il attendait quelqu’un qui saurait lui apporter du réconfort. Il allait pouvoir s’ouvrir des angoisses qui le minaient, et les personnes dignes de partager un tel secret et de bon conseil n’étaient pas légion à Corte. Certes, il ne manquait pas de copains de bistrot mais là il s’agissait d’une toute autre histoire : il avait besoin qu’on l’aide à trouver une solution aux problèmes qui le hantaient tout au long de ses jours et plus encore de ses nuits. Il espérait beaucoup de cette matinée.

    C’est la mine épanouie et l’esprit tranquille qu’il se dirigea vers la porte d’entrée lorsque la sonnette annonça la visite tant souhaitée.

    Il enleva la chaîne de sécurité et posa la main sur la poignée. Il était à cent lieues d’imaginer qu’il avait rendez-vous avec la mort et qu’il ne lui resterait plus que quelques instants à vivre dès lors que sa porte serait ouverte.

    Il l’ouvrit et fit bon accueil à son bourreau.

    On découvrit son corps sans vie en fin de journée.

    La tête, fracassée d’un coup de chenet, reposait sur la table de sa salle à manger, dressée pour le repas. Ses somptueux habits étaient maculés du sang séché qui s’était écoulé du nez, des oreilles et du cuir chevelu profondément entaillé.

    Nul doute que, s’il était resté fidèle aux peurs ancestrales que lui inspirait jadis le vendredi 13, il n’aurait rien entrepris d’important ce jour-là ; il aurait ainsi échappé à son funeste destin.

    Il aurait été bien inspiré de rester dans le clan des triskaïdékaphobes{1}.

    Chapitre 1

    LES VACANCES CORSES

    DE L’INSPECTEUR MATTEI…

    – Quatre-vingts pique.

    – Passe.

    – Dis-moi, on annonce toujours quatre-vingts, deux as ?

    C’était l’inspecteur de police Mattei qui posait la question à son partenaire. Il n’eut pas le temps de répondre que déjà leurs adversaires s’étaient récriés en chœur :

    – Les conventions des annonces, on les fait avant de commencer la partie. La belote contrée c’est pas la parlante.

    Dominique Mattei qui avait provoqué le courroux des deux joueurs prit un air contrit pour laisser tomber :

    – Désolé ! Je joue aux cartes une fois par an et je me souviens plus, d’une année sur l’autre, de ces fichues conventions des annonces.

    Il venait d’arriver la veille, en vacances, dans son village natal, ce qui lui valut l’indulgence de la tablée. François, son partenaire, s’autorisa à répondre à la question qui avait mis Joseph et Jules dans tous leurs états avant qu’ils aient esquissé la moindre réaction :

    – Oui, si j’annonce quatre-vingts, c’est que j’ai deux as.

    – Alors, Capot à cœur, lança Dominique.

    Il avait dans son jeu six cœurs maîtres en atout et deux fausses cartes.

    Son partenaire, qui avait la main, joua successivement les deux as annoncés. Sur ces cartes maîtresses Dominique se défaussa du huit de pique et du valet de trèfle et abattit ses atouts maîtres en déclamant d’un air triomphant :

    – Belote, rebelote et dix de der.

    Jules grommela :

    – Y a pas de dernière sur un capot et jeta, de dépit, les cartes sur le tapis.

    Joseph réclama l’annulation de la manche :

    – C’est de la triche, s’indigna-t-il.

    Mais rien n’y fit.

    – Ça fait cinq cents points bien mérités ! s’exclama Dominique.

    – Et vingt de belote, surenchérit François.

    Allez Joseph ! Arrête de tirer la tronche et aboule cinq-cent-vingt{2}.

    Ce dernier, qui tenait la marque, s’exécuta de fort mauvaise grâce et la partie reprit.

    Dominique, qui n’était pourtant pas un passionné des jeux de cartes, aimait bien se retrouver à Pianellu, à taper le carton dans le petit café de son village natal. En fait de café, c’était une unique pièce en rez-de-chaussée d’une habitation séparée de la route par une terrasse dallée de pierres. Rien ne le distinguait d’une banale entrée de maison.

    Chez Jean-François, c’était le seul endroit où l’on se retrouvait à l’heure du pastis ou pour faire une belote en fin de journée ou encore le dimanche matin.

    On n’était même pas sûr que le propriétaire de cette pièce aménagée en café ait possédé une licence lui permettant de vendre de l’alcool.

    Le défenseur de la légalité qu’il était en temps normal s’effaçait devant l’enfant du pays et, manifestement, l’inspecteur de police Mattei n’avait aucune envie de savoir si le patron du bar avait une licence IV autorisant la vente d’alcools, ou même s’il avait la moindre licence d’exploitation d’un débit de boissons.

    La belote, bien engagée pour lui, se poursuivit sur les mêmes bases et Dominique savourait par avance le pastis qui allait venir et qui était l’enjeu de cette partie de cartes.

    Jules et Joseph, pourtant de fins joueurs, étaient de bien piètres perdants. Chaque manche perdue était saluée par des remarques qui auraient pu faire douter Dominique de la fidélité de sa compagne, s’il en avait eu une.

    – Ils ont le cul bordé de nouilles ! se lamentait Jules.

    – C’est plus un cul ! C’est la Porte d’Aix ! en rajoutait Joseph.

    Pendant que la partie s’égrenait, ponctuée par les sempiternelles récriminations des perdants, la porte s’ouvrit pour laisser le passage à un homme d’une quarantaine d’années, légèrement ventripotent et à la calvitie bien avancée. Derrière lui, se faufilait une jeune fille, à peine la vingtaine.

    Il se tourna vers elle, lui tint la porte et s’effaça du mieux que son embonpoint le permettait pour lui laisser le passage. Elle le remercia de sa courtoisie puis alla s’asseoir à une table dans le coin le plus reculé de la pièce. À peine assise, elle sortit un journal de son sac et se plongea dans la lecture de Corse-Matin.

    L’homme qui l’avait précédée se dirigea vers la table des joueurs et, voyant Dominique, s’exclama Miii ! Mi ! Mi !{3}

    Ce « Regardez-moi qui est là ! » décliné dans une lente mélopée trahissait une affectueuse surprise.

    Au son de cette voix qui lui était familière, Dominique se leva de table et alla à la rencontre de l’arrivant, le visage illuminé d’un franc sourire. Les bras ouverts, ils se donnèrent l’accolade.

    – Monsieur le Maire va bien ?

    – Bien. Merci. Et toi Dumè, t’es venu respirer un peu l’air du pays ? Ta mère me l’avait dit que tu allais arriver un de ces jours. Elle t’attendait avec impatience, tu sais. T’es arrivé depuis longtemps ?

    – Depuis hier matin.

    – Et t’y es jusqu’à quand ?

    À chaque retour au village, c’est le même rituel observé : on s’enquiert de votre santé et de votre date d’arrivée, puis on vous pose immanquablement la même question : « Ci si sina a quandu ? » comme si on voulait vous faire sentir que vous n’étiez que de passage au village alors que d’autres y vivaient à demeure. Peut-être y avait-il aussi de la compassion envers le triste sort de celui qui doit penser, dès le début de son séjour, que les meilleures choses ont une fin. Sans trop réfléchir au sens à donner à la question du Maire, Dominique répondit :

         – J’y suis pour un mois.

    Il prit aussitôt conscience que le compte à rebours avait déjà commencé : sa deuxième journée de congé était en train de s’achever. La nostalgie le gagna un instant pendant qu’il reprenait le cours de la partie, mais le spectacle donné par ses adversaires malheureux dissipa rapidement la tristesse qui l’avait envahi quelques secondes auparavant et il recommença à les charrier de plus belle.

    Pendant ce temps, la jeune fille fit un geste en direction du patron qui s’approcha de sa table et lui demanda si elle désirait boire quelque chose.

    – Un coca-light, s’il vous plaît.

    – Désolé. Nous n’avons pas de light.

    Elle commanda donc un coca normal puis se replongea dans la lecture de son journal en attendant d’être servie.

    Tout en déposant la boisson devant sa cliente, Jean-François, étonné par la présence d’une étrangère dans son café, surtout en ce mois d’octobre, lui demanda si elle était descendue aux gîtes ruraux.

    – Non. Je suis de passage.

    Que pouvait-on faire de passage à Pianellu, un village à l’écart de quelques kilomètres de la départementale qui monte à Corte et qui n’a été désenclavé que depuis quelques décennies par l’aménagement en route carrossable du chemin muletier qui menait à Moïta ?

    Oui, comment pouvait-on venir à Pianellu sans une bonne raison ?

    Le patron ne releva pas l’incongruité de la réponse et se retira, la laissant à sa lecture.

    Tout naturellement, Dominique et François atteignirent les deux mille cinq cents points qui marquaient la fin de la partie. Leur jubilation était à la mesure des mines contrites de leurs adversaires.

    C’est l’œil pétillant de malice qu’ils sirotèrent le pastis remporté de haute lutte.

    – Je trouve que le pastis gagné à la belote a meilleur goût que celui qu’on boit au comptoir. T’es pas de mon avis Joseph ?

    Joseph, mortifié, ne répondit pas. D’ailleurs, que répondre puisqu’il n’était pas loin de partager l’avis de son adversaire ? Ne trouvait-il pas son pastis plus amer qu’à l’accoutumée ?

    – Jean-François, remets-nous ça que je paye un verre à ces apprentis joueurs. J’ai l’impression que cette année, si je leur offre pas des verres à l’amiable, j’aurai pas souvent l’occasion de payer des tournées.

    Joseph et Jules ne s’offusquèrent point de la vantardise de Dominique, elle faisait partie des rites de la belote, et ils trinquèrent dans la joie à son séjour au village.

    Quelques tournées plus tard, personne ne voulant être en reste, la discussion glissa vers la jeune fille qui avait bu en silence dans son coin, qui avait consciencieusement plié son journal au moment où se terminait la partie et qui s’était éclipsée avec un timide « Au revoir, Messieurs.»

    Elle les avait intrigués par sa présence et fascinés par la clarté de son regard doré ainsi que par la douce candeur qui émanait de ses traits fins. Elle paraissait lasse et triste. Elle avait l’attitude discrète des gens qui semblent toujours gênés d’être là où ils pensent ne pas avoir leur place et, lorsqu’elle quitta le bar, elle donna l’impression de s’excuser d’avoir perturbé leur belote.

    Son départ ne fut pas suivi des traditionnelles remarques machistes qui sont l’apanage des groupes composés exclusivement d’hommes, surtout quand ils ont un peu bu.

    Les cartes et les jetons rangés, les joueurs prirent le temps d’échanger quelques nouvelles du village. Très vite la discussion s’anima sur le terrain de la politique. Il est vrai que chaque plus petit village de Corse était plongé dans la fièvre des élections municipales à venir et que le sort de la mairie était d’une toute autre importance que les effets de la crise économique qui ravageait le monde. Le maire, qui s’était attablé avec les joueurs et qui était assuré de sa réélection, offrit une dernière tournée et trinqua à leur salute.

    Ils se quittèrent passablement éméchés ; surtout Dominique qui avait perdu l’habitude de ces guet-apens d’où l’on ne se levait de table qu’après avoir honoré plusieurs tournées de pastis. Ils se séparèrent en se souhaitant una bonasera et en se donnant rendez-vous au lendemain soir pour la revanche.

    À l’heure où Dominique quittait le bar, le crépuscule avait déjà envahi le village adossé aux montagnes derrière lesquelles le soleil s’était couché, allumant le feu dans un ciel tourmenté.

    La vallée de la Bravone était plongée dans un noir profond, mais plus loin, vers la mer, la plaine orientale était encore éclairée par les derniers rayons d’un soleil rasant.

    Dominique s’arrêta un instant sur la place de l’église, prit le temps de contempler le paysage qui se déroulait à ses pieds dans une succession de collines au faîte encore ensoleillé et de sombres vallées, puis se dirigea vers le chemin qui menait à Pianelluciu{4}. C’est dans ce hameau situé en contre-bas du village que se trouvait la maison familiale. Sa mère devait l’attendre au coin du feu, la table déjà dressée et la soupe mijotant à petit feu.

    Comme il allait s’engager dans le sentier, il vit une jeune femme descendre d’un véhicule et venir à sa rencontre. Il n’eut aucune difficulté à reconnaître la cliente de Chez Jean-François. Il fit quelques pas dans sa direction puis, les yeux rétrécis dans un effort de concentration, il détailla les traits de celle qui s’avançait vers lui. Où avait-il déjà vu ce visage qui ne lui était pas totalement étranger ?

    Comme elle le saluait d’un chaleureux « Bonsoir », il lui rendit son salut en lui demandant :

    – On se connaît ?

    – Non, mais je sais qui vous êtes, Commandant. Corse-Matin vous a consacré un article à l’occasion de votre retour au pays.

    – Entre nous, je préfère le bon vieux titre d’inspecteur, déclara-t-il dans un haussement d’épaules.

    C’était un vrai marronnier. Tous les ans, à pareille époque, parmi les articles consacrés au marché des chrysanthèmes ou à l’évocation des souvenirs de la Grande Guerre, il avait droit aux colonnes de la presse locale lorsqu’il venait à Pianellu pour ses congés annuels. Il prenait toujours une grande partie de ses vacances à cheval entre octobre et novembre. Il aimait particulièrement son village en cette saison.

    Avec le raccourcissement et le rafraîchissement des journées, il retrouvait les joies des flambées et des lectures au coin du feu. Il adorait les longues promenades parmi les bruyères toujours en fleur et les arbousiers aux camaïeux d’ocre et de pourpre ou encore dans les sous-bois de la châtaigneraie tapissés de feuilles dorées ; les bogues entrouvertes libéraient des châtaignes lustrées sous les pas du promeneur.

    Les odeurs du maquis, très fortes sous le soleil de l’été qui brûlait lentisques et immortelles, étaient, en cette saison automnale, noyées sous les effluves de l’humus et l’odeur des champignons. C’était le temps des girolles qui abondaient dans la terre légère, sous la voûte des hautes bruyères.

    – La photo est plutôt flatteuse, le taquina-t-elle.

    – Bah ! Ils ont encore ressorti le même cliché. Il doit bien dater de ma sortie de l’école de police. Ça fait… il fit mine de réfléchir… ça fait quelques temps.

    Mais ne me dites pas que vous êtes venue jusqu’à Pianellu pour commenter un article que j’ai pas encore lu ou pour entendre le récit des exploits d’un policier parisien. Vous dites qu’on se connaît pas. Alors que me vaut l’honneur de cette rencontre ?

    Et d’abord, Mademoiselle, vous êtes qui ?

    – Mon nom vous dira rien. Je m’appelle Annie Durand.

    Dominique fit un effort de mémoire qui demeura vain.

    – Effectivement, convint-il. J’ai pas le plaisir de vous connaître. Et vous me voulez quoi ? Pourquoi vous être donné la peine de venir me voir dans ce village du bout du monde ?

    – Nous avons une connaissance commune, murmura-t-elle.

    – C’est pas particulièrement original en Corse où tout le monde se connaît plus ou moins.

    – C’est ma mère. Vous l’avez très bien connue. Elle s’appelle Claire.

    À l’annonce de ce prénom, les yeux dorés d’Annie, l’ovale parfait de son visage, ses pommettes hautes et légèrement proéminentes quittèrent le visage de la jeune fille et s’imprimèrent dans la mémoire de l’inspecteur sur les traits d’une adolescente. Son amour de jeunesse.

    – Fiorucci Claire…

    – Présente.

    – Léandri Joseph-Pascal…

    – Présent.

    – Mattei Dominique…

    – …

    – Mattei Dominique ! reprit d’une voix plus forte le professeur principal qui faisait l’appel en cette journée de rentrée scolaire au lycée Pascal Paoli de Corte.

    – Présent, répondit-il dans un sursaut.

    – Dis-moi, Dominique, c’est bien fini les grandes vacances ! Il est temps que tu reviennes parmi tes camarades de 1ère S.

    Non, ce n’était pas la nostalgie des vacances d’été ni le souvenir des parties de pêche dans les eaux vives de la Bravone qui avaient capté la concentration de Dominique : c’était le visage d’une nouvelle élève qui s’était tourné avec grâce vers le professeur à l’appel de son nom. Il l’avait entr’aperçu légèrement de trois-quarts et il était totalement subjugué : des yeux clairs étirés, des pommettes hautes finement dessinées, un joli petit nez légèrement retroussé et des cheveux mi-longs retenus par un chouchou fluo qui ne cachaient rien ni de la grâce de son cou ni de la ciselure de son oreille.

    Il était sous le charme de Claire.

    Très vite Dominique sut que Claire Fiorucci était la fille de Marie-France Baldini : une nouvelle professeur au lycée de Corte qui avait repris son nom de jeune fille suite à son divorce d’avec Jérôme Fiorucci.

    Le père de Claire était resté à Paris, sa mère avait demandé et obtenu sa mutation pour Corte d’où elle était originaire.

    Il ne fallût pas longtemps aux deux jeunes gens pour ressentir une affection réciproque et pour partager en amoureux les moments de liberté accordés à Dominique par le régime de l’internat.

    Ils avaient même envisagé de faire leur Terminale S à Bastia et de prendre un studio ensemble, mais Claire était petite-fille de médecin et de pharmacien ; la famille Baldini comptait parmi les notables cortenais. Elle avait d’autres ambitions pour l’avenir de leur unique héritière que de la savoir en ménage à dix-sept ans avec un petit-fils de berger sans avenir.

    – Vous êtes la fille de Claire. Soit. Mais que me vaut ce regain d’intérêt après tant d’années de silence ? D’ailleurs comment avez-vous eu connaissance de mon existence ?

    – J’ai assez vite su que ma mère vous connaissait. Un jour que la presse s’était faite l’écho de vos exploits dans les banlieues puis à la P.J. de Paris, elle a commencé à me parler de vous. Son ancien camarade de classe…

    – Ah bon ! Un camarade de classe ! lâcha-t-il sur un ton amer.

    – Oui, c’est ce qu’elle m’a dit. Au début du moins. Puis elle a commencé à se souvenir, avec attendrissement, de son amour de jeunesse.

    Annie avait encore à l’esprit l’émoi de rosière qui empourprait les joues de sa mère à l’évocation de cette année passée au lycée Pascal Paoli.

    – Qui l’eut

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