Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La Quête: L'Odyssée d'André Poutré
La Quête: L'Odyssée d'André Poutré
La Quête: L'Odyssée d'André Poutré
Livre électronique313 pages6 heures

La Quête: L'Odyssée d'André Poutré

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Une grande majorité de Québécois de souche française descend soit d'un soldat issu du régiment de Carignan-Salières ou d'une fille du Roy. Mais qui étaient ces braves hommes et femmes qui ont sciemment quitté leurs terres natales pour s'exiler en Nouvelle-France et pourquoi l'ont-ils fait ?

Suivez le périple d'André Poutré, dit Lavigne, apprenti cordonnier natif d'un petit village sis au nord-est de la France qui soudainement, entend l'appel du roi Louis XIV qui sollicite des volontaires pour venir protéger les habitants de la Nouvelle-France des attaques sournoises des Agniers. Revivez sa traversée périlleuse de l'océan, les durs labeurs de la construction du fort Richelieu et des combats en territoire ennemi. Assistez à la rencontre et au mariage avec Jeanne Burel, fille du Roy et le début de sa vie de couple dans la seigneurie de Saurel. Retrouvez cet homme humble et meurtri qui nous raconte ses joies et ses peines, les aléas et les bouleversements de son quotidien en cette terre sauvage. Pourra-t-il survivre au climat ardu de cette Nouvelle-France ou laissera-t-il tout tomber pour retourner en France ?

LangueFrançais
Date de sortie30 août 2021
ISBN9780228859369
La Quête: L'Odyssée d'André Poutré
Auteur

Paul Lavigne

Originaire de Chibougamau, Paul Lavigne réside depuis plusieurs années à Saint-Lazare, à l'ouest de Montréal. Jeune retraité et passionné de l'histoire du Québec, l'auteur est membre actif de plusieurs sociétés historiques et généalogiques. La Quête – l'Odyssée d'André Poutré, premier tome d'une saga historique, est son premier roman.

Auteurs associés

Lié à La Quête

Livres électroniques liés

Fiction historique pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur La Quête

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La Quête - Paul Lavigne

    La Quête

    L’Odyssée d’André Poutré

    Paul Lavigne

    La Quête - L’Odyssée d’André Poutré

    Copyright © 2021 par Paul Lavigne

    Page couverture: Toile peinte par Alain Bernard - Alainbernard.ca

    Photo de l’auteur: Josée-Ann Moisan

    Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur. Toute reproduction ou exploitation d’un extrait du fichier électronique de ce livre autre qu’un téléchargement légal constitue une infraction au droit d’auteur et est passible de poursuites légales ou civiles pouvant entraîner des pénalités ou le paiement de dommages et intérêts.

    Tellwell Talent

    www.tellwell.ca

    ISBN

    978-0-2288-5935-2 (Paperback)

    978-0-2288-5936-9 (eBook)

    Table des matières

    Préface

    1L’éveil

    2L’annonce

    3Le départ

    4La route

    5Les amitiés se tissent

    6Le grand départ

    7La familiarisation

    8La tempête

    9La maladie

    10Marie et Jasmin

    11Le fort Richelieu

    12Défendre la rivière

    13Préparatifs de guerre

    14La guerre — première bataille

    15Une virée à Ville-Marie

    16L’accident

    17Une longue convalescence

    18Ma terre

    19L’arrivée des Filles du Roi

    20Le contrat de mariage

    21Jeanne Burel

    22Un cadeau inattendu

    23Marie-Anne

    24Antoine et Madeleine

    25Un été occupé

    26La confirmation

    27Le dégel

    28La rougeole

    29Le mariage de Marie-Anne

    30Un départ pénible

    31Réunion de famille

    32Jean-André et Jacques

    33Futur meunier

    34Longue causette avec Jacques

    35Jeanne et André

    Bibliographie

    Remerciements

    Préface

    Comme tout bon roman historique, ce livre est basé sur des personnages qui ont existé et les dates et la description des événements sont réelles. Je me suis permis quelques libertés littéraires pour combler les vides, absents des ouvrages d’histoire, mais je vous assure que la très grande majorité des faits marquants ou particuliers documentés dans ce bouquin se sont bel et bien déroulés tels que décrits.

    Le nom de famille Poutré, de l’ancêtre original, a été grossièrement déformé au cours des années et les inscriptions dans les registres religieux font mention de Poutré, Poutre, Poudre, Poudret et Poudrette. Cependant, le surnom Lavigne demeure présent et inchangé depuis plus de trois cent cinquante ans et c’est seulement à partir de la ٧e génération qu’il est retenu dans les dossiers officiels.

    Ce premier tome, qui débute en France, est écrit à la première personne du singulier, comme si mon ancêtre André Poutré dit Lavigne, nous racontait son histoire et son parcours comme il l’a vécu. Il va de soi qu’afin de faciliter la compréhension des textes, j’ai opté pour l’utilisation du langage d’aujourd’hui au lieu du français de l’époque.

    Bonne lecture !

    Nos ancêtres sont nos enfants, par un trou dans le mur nous les regardons jouer dans leur chambre, et ils ne peuvent pas nous voir.

    ─ Amin Maloof

    Être homme, c’est précisément être responsable. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde.

    ─ Antoine de Saint-Exupéry

    1

    L’éveil

    28 décembre 1664

    En ouvrant les yeux, j’ai immédiatement ressenti que quelque chose était différent. Que cette journée, qui s’annonçait comme n’importe quel jour de repos, ne serait finalement pas comme les autres ! Qui aurait dit qu’en ce 28 décembre 1664, ma vie prendrait un tournant si inusité et si inattendu, qu’elle ne serait plus jamais la même ?

    Ayant pu faire la grasse matinée, après une longue semaine de travail comme apprenti cordonnier sous l’égide de mon père, j’avais hâte de profiter de ma journée pour refaire le plein d’énergie et de rencontrer mes amis à la taverne du village.

    Bien que le métier de bottier soit noble et me permette de gagner ma vie, je n’y trouve aucune ferveur, aucune émotion. Mon papa, maître cordonnier tout comme son père, souhaiterait de tout cœur me voir poursuivre la tradition familiale. Mais sans vouloir le blesser, je suis constamment à la recherche de quelque chose d’autre. Je suis pris dans un purgatoire proverbial en attente de trouver mieux. Bref, je suis en quête de ma passion. Une passion qui, pour la première fois de mon existence, fera battre mon cœur un tantinet plus vite et me donnera une raison de me lever le matin.

    Depuis l’âge de quinze ans, je bosse également tous les étés et les automnes dans les vignobles de monsieur Créchin, situés à quelque trente minutes de mon village natal de Saint-Géry, niché dans la belle région des Valenciennes, au nord-est de la France. Dès la fin du printemps, et ce jusqu’aux vendanges en septembre, il y a toujours du boulot dans les champs pour me tenir occupé.

    Depuis le temps que je travaille dans les vignes, je dois avouer que je m’y connais plutôt bien dans le domaine. Pierre Créchin est le vigneron et mon patron. Il a un fils de dix-huit ans, plutôt fainéant et ne démontrant aucun intérêt pour le métier, et deux jolies filles, quelques années plus jeunes, qui aident autant qu’elles le peuvent. Il ne cache pas qu’il aimerait bien que je prenne la relève de l’entreprise familiale d’ici quelques années.

    Je n’ai jamais osé le dire à monsieur Créchin, mais je suis incapable de concevoir travailler pendant de longues saisons dans les champs. Être vigneron, c’est être à la merci de Dame Nature sans savoir, d’une année à l’autre, si la récolte sera bonne. C’est aussi s’inquiéter des maladies de vignes et des employés qui se traînent les pieds à longueur de journée. Je suis très reconnaissant du salaire qu’on me verse, mais l’incertitude entourant le métier ne m’attire guère.

    Comme tous les dimanches, j’ai rendez-vous en fin d’après-midi à la Taverne Groussard du village pour prendre quelques bières avec des amis et débattre de qui est la plus belle entre Marie-Ange Dumoulin et Catherine Valois. Quand la bière coule à flots, la discussion s’anime toujours sans toutefois obtenir un consensus clair.

    ̶ Bon après-midi les amis ! je leur dis en prenant place à la grande table du fond qui nous est toujours réservée.

    ̶ Ah bon, le voilà finalement ! réplique Antoine Baillou, un proche ami et cousin éloigné, en me voyant.

    ̶ J’ai dû faire quelques courses pour ma mère avant de venir. Gustave ! je crie à l’aubergiste essuyant des verres derrière le comptoir, une bonne bière bien froide s’il te plaît !

    ̶ Comme tu tardais à arriver, nous on a pris de l’avance, dit mon ami Daniel en pointant des verres de bière vides traînant sur la table. Daniel Deroy a mon âge et c’est le voisin à gauche de notre ferme. Nous avons grandi ensemble et avons fait de nombreux bons et quelques mauvais coups au cours de notre enfance. Il y a environ deux ans, il a dû quitter la maison familiale pour dépanner sa grand-mère maternelle à la suite du décès de son grand-père. Récemment de retour chez ses parents avec sa grand-maman, il est toujours heureux de retrouver ses anciens compagnons.

    ̶ Je ne doutais aucunement que vous auriez commencé sans moi ! Comment va ton père ?

    ̶ Pas trop fort, répond-il navré. Depuis sa maladie l’automne dernier, il passe ses journées dans la galerie à se bercer sur sa chaise, sans dire un mot. Bien que mes deux frères m’aident un peu, j’ai dû mettre les bouchées doubles pour prendre la relève des travaux dans la ferme et dans les champs. Je suis crevé !

    ̶ As-tu songé à engager quelqu’un pour te donner un coup de main ? je lui demande.

    ̶ Ce n’est pas possible, malheureusement. La récolte n’a pas été très bonne cet automne et j’ai eu moins de veaux que prévu. C’est à peine si on va avoir assez d’argent pour aller jusqu’à l’été prochain.

    ̶ Ça veut dire que tu ne t’enrôleras pas dans l’armée du Roi alors ? lui demande Philippe. Philippe Latour est le plus sage et le plus tranquille du groupe. Dernier enfant d’une famille de neuf, son père est magistrat dans le village voisin. Il a suivi les traces de son paternel et travaille avec lui tout en effectuant diverses corvées de support. Relativement petit et chétif, il n’est pas doué pour une quelconque tâche physique, mais il est vif d’esprit et peut résoudre n’importe quelle devinette en un tournemain.

    ̶ Non, ma famille ne peut pas se passer de moi, répond Daniel désolé.

    ̶ C’est quoi cette histoire d’armée du Roi ? je demande.

    ̶ Le recruteur est dans le coin là-bas, réplique Philippe en pointant une table près de la porte. J’ai entendu dire que Louis XIV veut mobiliser une armée de plus de mille hommes vaillants pour aller combattre les indigènes en Nouvelle-France et protéger les habitants.

    ̶ Et il recrute des soldats ici à Saint-Géry ? je m’informe, piqué par la curiosité.

    Je me tourne vers l’endroit qu’il a pointé du doigt pour découvrir un monsieur aux cheveux grisonnants, vêtu élégamment, discutant avec quatre hommes qui l’écoutent attentivement.

    ̶ Le recruteur est ici depuis hier et j’ai entendu entre les branches que les soldats enrôlés seront formés au cours de l’hiver et devraient en principe décoller au printemps vers la Nouvelle-France. Les engagés devront y demeurer pendant au moins dix-huit mois et seront grassement payés, semble-t-il.

    ̶ Après leur engagement comme soldat, ceux qui voudront rester dans le nouveau pays se verront offrir une terre, des deniers et de la nourriture pour survivre pendant un an, renchérit Antoine.

    ̶ Mais personne n’a d’expérience comme soldat, je réplique. Personne n’a vu la guerre depuis plus de vingt ans. Pourquoi solliciter des gens ici ?

    ̶ Ils ne recherchent pas des soldats d’expérience, mais plutôt de jeunes hommes, forts et ambitieux qui n’ont pas froid aux yeux, répond Antoine. Il paraît que les hivers en Nouvelle-France ne sont pas du tout comme ceux ici. Un temps glacial et de la neige haute comme ça, dit-il en se levant et mettant sa main au-dessus de sa tête. Non merci, ce n’est pas pour moi.

    ̶ Tu exagères, Antoine. Ça ne peut pas être si pire que ça, je lui réponds. Nous avons de la neige également à Saint-Géry, mais jamais si haut que ça.

    C’est à ce moment que le recruteur moustachu s’approche de notre table.

    ̶ Bonne journée messieurs ! Y aurait-il de braves jeunes hommes à cette table, prêts à s’engager pour le Roi de France ?

    ̶ Non merci mon cher monsieur, rétorque Antoine du tac au tac. Aucun d’entre nous n’est soldat. De plus, nous ne désirons aucunement passer nos hivers sous huit pieds de neige, ajoute-t-il en riant.

    ̶ En effet, rajoute Daniel en ricanant. Passer trois mois sur un bateau à vomir mes tripes et me ramasser à l’autre bout du monde à combattre des indigènes, ce n’est pas ce qu’on appelle un rêve.

    ̶ Mais vous rendriez service au Roi, répond le recruteur, et encore plus important, vous seriez généreusement payés pour votre dévouement. Mon nom est Pierre de Saurel, capitaine du régiment Carignan-Salières. Je suis à la recherche de cinquante jeunes et braves garçons pour compléter ma compagnie. Des hommes fiers qui souhaitent défendre la patrie en Nouvelle-France et qui sait, peut-être vous y trouveriez goût et voudriez y demeurer pour bâtir un pays.

    ̶ Que nous demandez-vous en retour ? je questionne.

    ̶ Un engagement d’un an et demi, me répond-il. Nous partons pour Marsal dans trois jours pour rejoindre les autres compagnies. Par la suite, nous nous dirigerons vers La Rochelle où nous espérons arriver à la fin du mois de mars. Nous sommes responsables du gîte et des repas en route et une fois sur la côte, nous nous assurerons de votre formation comme soldat. Vous serez rémunérés dès le moment où nous mettons les pieds à La Rochelle et tout au long de votre engagement.

    ̶ Et par la suite ?

    ̶ Par la suite ? La traversée de l’océan va se faire à la fin du printemps et nous anticipons qu’elle durera environ quatre-vingt-dix jours. Une fois en Nouvelle-France, nous irons combattre les indigènes qui attaquent sournoisement les habitants et sécuriser notre nouvelle patrie. Au terme de votre engagement, vous aurez le choix de revenir en France, gracieuseté du Roi ou si vous préférez, vous demeurerez là-bas pour bâtir le pays.

    ̶ Non merci, ce n’est pas pour moi, répond Daniel.

    ̶ Moi non plus, répliquent ensemble Antoine et Philippe.

    Mes amis réalisent que je n’ai pas répondu et se tournent tous vers moi, attendant impatiemment que je décline l’offre.

    ̶ André ? Tu n’y penses pas sérieusement ? questionne Antoine.

    Le capitaine Saurel, me voyant hésiter avant de répondre, renchérit immédiatement :

    ̶ Quel âge avez-vous jeune homme ?

    ̶ Vingt-cinq ans, monsieur, je lui réponds.

    ̶ L’âge parfait pour être soldat. À vingt-cinq ans, un homme est à l’apogée de la force physique et de l’endurance, et possède la maturité pour bien évaluer une situation et prendre les bonnes décisions. Vous feriez un excellent combattant, me dit-il en me toisant. Je vois dans votre regard que le défi vous attire, n’est-ce pas ?

    Je ne réponds pas immédiatement. Dès le début de la proposition du recruteur, j’ai essayé de m’imaginer, moi, comme soldat du Roi. Bien que je n’aime pas les conditions hivernales plus qu’il ne le faut, je suis certain qu’on exagère l’état des hivers en Nouvelle-France — impossible d’avoir tant de neige que ça, je me dis. Las du travail de cordonnier et de mes étés dans les vignobles, je ne me vois guère faire l’un ou l’autre de ces métiers pour le restant de ma vie. Alors qu’est-ce que l’avenir me réserve ici ?

    Qu’est-ce qui me retient à Saint-Géry ? N’ayant aucune attache émotive ou amoureuse ces temps-ci et bien que j’adore mes parents, mes deux frères et ma jeune sœur, je ressens le besoin de quitter le nid familial pour me retrouver. Pour découvrir ma passion.

    Je me suis alors souvenu du sentiment qui m’avait envahi ce matin à mon réveil et j’ai su, sur le champ, que je venais de trouver mon destin.

    2

    L’annonce

    28 décembre 1664

    Sur le chemin du retour de la taverne, je ruminais dans ma tête comment j’allais annoncer à ma famille ma décision de les quitter pour devenir soldat du Roi en Nouvelle-France.

    Ça ne fait pas de sens ! je me suis dit. Est-ce que je vais tout abandonner pour foncer vers l’inconnu ? Suis-je si malheureux pour vouloir tout laisser tomber ? Après avoir cogité sur le sujet pendant quelques minutes, j’en suis venu à la conclusion que ce n’est pas l’absence de bonheur qui me pousse à filer, mais plutôt le désir d’expérimenter autre chose. La chance de saisir une rare opportunité. Oui, j’avoue que traverser l’océan en bateau, ainsi qu’affronter les tempêtes et les pirates m’effraie grandement. Certes, la notion de partir à la guerre contre un peuple qui m’est totalement inconnu me terrifie. Sans contredit, l’idée de m’installer dans un pays lointain où rien n’est familier et où je ne connais personne me terrasse au plus haut point. Mais malgré toutes ces peurs, ces craintes, ces inquiétudes et ces appréhensions, la chance que j’ai de me bâtir une nouvelle vie m’attire encore plus.

    Plus je m’approche de la maison, plus que je suis certain d’avoir fait le bon choix, même si cette décision fera de la peine à mes proches, à ma famille, à Charles, mon petit frère de douze ans qui me suit comme une queue de veau dans mes travaux de cordonnier. À Jocelyne, ma sœur de quinze ans, qui malgré son jeune âge, démontre de forts traits de caractère. Elle est graciée d’une beauté incroyable et les soupirants cognent déjà à sa porte pour avoir la chance de la côtoyer. Et que dire de mon frère David ? Trois ans plus jeune que moi, mais qui me ressemble tellement. Il a hérité de notre père, le même caractère calme et posé, mais adore faire la fête quand c’est le moment. C’est avec un pincement au cœur que je réalise que David aurait probablement aimé avoir l’occasion de se refaire une nouvelle vie ailleurs. Il sera sans doute le plus déçu de ma décision. Est-ce trop égoïste de ma part que de vouloir fuir et lui laisser la tâche ingrate de prendre la relève et soutenir la famille ?

    Comment réagiront mes parents ? Mon père Pierre, maintenant âgé de cinquante-deux ans, a fait de son mieux pour nous offrir un chez-nous accueillant et chaleureux. Loin de vivre dans le luxe, ce n’est pas évident de subsister comme cordonnier, sans cesse à la recherche de travail, recroquevillé jour après jour au-dessus d’un établi pour fabriquer une paire de bottillons ou d’escarpins. Combien de fois ai-je vu mon père bosser tard dans la nuit à la lueur de la chandelle pour finir un travail urgent ?

    Et que dire de ma mère ? Ma chère Philipotte, ardente travailleuse qui s’occupe de la maison, des enfants et de la terre pendant que mon père confectionne. Si c’était possible, je suis persuadé qu’elle aurait sauté sur le premier bateau vers la Nouvelle-France pour s’y établir. Pas par manque de bonheur, mais simplement car l’occasion est trop belle pour ne pas en profiter. C’est elle qui m’a légué ce désir d’aventure et cette soif de relever des défis. Mon papa, lui, est tout à l’opposé, recherchant la quiétude de la routine et redoutant le changement comme un chat craint l’eau. Bien que difficile à accepter, ma mère va comprendre ma décision et m’envier en quelque sorte. En ce qui a trait à mon père, je ne suis pas sûr qu’il saura me pardonner.

    D’un côté, j’essaie de me convaincre en me disant que si l’aventure ne me plaît pas, si ce nouveau pays n’est pas comme je l’imagine, je serai de retour dans dix-huit mois, vingt-quatre tout au plus et je reprendrai mes activités avec quelques sous de plus en poche. C’est ce que je vais leur annoncer.

    Mais dans mon for intérieur, je sais que ce n’est qu’un mensonge déguisé afin d’amenuiser le mal que j’ai peur de leur faire. Je sais déjà que je quitte Saint-Géry, ma famille, monsieur Créchin et mes amis, pour ne pas y revenir. Revenir serait un revers cuisant, un échec monumental, une cicatrice à mon âme me confirmant que je n’ai pas su relever le défi, le pari de me créer une autre vie dans un nouveau pays.

    Je grimpe les marches qui mènent à la cuisine et j’entends les voix familières de ma famille attablée pour le souper.

    ̶ Bon te voilà toi ! dit ma mère en me voyant. Fais ça vite, on vient de se mettre à table. Elle me jette un coup d’œil et d’un ton dubitatif me demande si ça va.

    ̶ Oui, je lui réponds, prenant ma place habituelle à la droite de mon père.

    ̶ As-tu vu Antoine aujourd’hui ? me demande ma sœur Jocelyne.

    Jocelyne a longtemps eu un petit penchant pour Antoine. Elle me pose souvent des questions au sujet de ses allées et venues, ses préférences et ses projets. Quand il passe par la maison, elle s’organise toujours pour venir le saluer. Secrètement, je suis certain qu’elle souhaite qu’il la courtise, mais Antoine ne semble pas la considérer de cette façon. Il la voit plutôt comme la sœur de son meilleur ami.

    ̶ Oui, Antoine était avec moi à la Taverne.

    ̶ A-t-il l’intention de passer à la maison bientôt ?

    ̶ Non, il est très occupé ces temps-ci et n’a pas parlé de venir ici.

    ̶ Ah, bon, répond-elle quelque peu déçue. Tu pourrais l’inviter pour la fin de semaine prochaine ?

    ̶ Si je le revois d’ici là, je lui en parlerai.

    Après que chacun s’est servi à manger, je prends mon courage à deux mains et je me lance.

    ̶ Il y avait un représentant du Roi à la Taverne cet après-midi. Notre souverain a décidé de monter une armée de plus de mille hommes pour contrer les invasions et les attaques des indigènes en Nouvelle-France. Ils recherchent de jeunes garçons forts et vaillants qui veulent bien s’engager pour une durée de dix-huit mois en échange d’un très généreux salaire. Ils s’occupent de tout : de la formation, du voyage vers la Nouvelle-France, du logement là-bas et du retour en France si désiré.

    ̶ Que veulent-ils dire par un retour si désiré ? demande ma mère.

    ̶ Ça veut dire que si le soldat, après son terme de dix-huit mois, désire revenir en France, le voyage de retour est compris. Par contre, s’il opte pour demeurer en Nouvelle-France, le Roi lui offrira une terre à défricher, des animaux ou des denrées pour au moins une année et une coquette somme en argent sonnant, je lui réponds.

    ̶ Où est la Nouvelle-France et qu’est-ce qu’un indigène ? demande mon jeune frère Charles.

    ̶ C’est un endroit très loin d’ici que la France a décidé de peupler pour des raisons que je ne comprendrai jamais, répond mon père. Un coin où les hivers sont tellement froids et où il y a tellement de neige que les gens en meurent. Les indigènes sont les gens qui demeuraient là-bas avant que la France ne choisisse de s’y installer.

    ̶ Pourquoi les indigènes ne meurent-ils pas de froid eux ? questionne ma sœur.

    ̶ Parce qu’ils se sont habitués au froid et à la neige, réplique mon père.

    ̶ Pourquoi le Roi veut-il envoyer des soldats là-bas alors ? demande Charles.

    ̶ Pour défendre nos cousins et cousines français qui ont été assez braves pour s’installer là-bas, je lui réponds. C’est tout un honneur de devenir soldat pour le Roi de France.

    ̶ Est-ce qu’un de tes amis songe à s’enrôler ? s’informe ma mère.

    ̶ Non. Mais moi j’y pense sérieusement.

    Du coin de l’œil, j’aperçois mon père qui cesse de manger et je sens ses yeux qui me brûlent le corps tellement son regard est puissant. Mes frères et sœurs ressentent aussi le changement dans l’air, comme si un nuage géant venait de se percher au-dessus de notre table de cuisine. Le silence qui règne dans la pièce est angoissant.

    ̶ André, tu n’es pas sérieux ? demande ma mère.

    ̶ En toute honnêteté, je réponds avec sincérité, je n’ai jamais pensé faire autre chose que ce que je fais actuellement. Je n’ai jamais projeté de quitter Saint-Géry ou même quitter cette maison. Dans ma tête, depuis que je suis jeune garçon, mon parcours de vie avait déjà été tracé et je n’avais qu’à suivre la route balisée. Mais quand ce capitaine de Saurel nous a interpellés aujourd’hui, j’ai ressenti quelque chose au fond de moi, une forme de sentiment du devoir… un appel bizarre qui, pour une raison que je ne peux pas expliquer, me pousse dans cette direction. J’ai l’impression que c’est mon destin… je ne peux pas le décrire autrement.

    ̶ Tu quitterais ta famille ? demande mon père. Après tout le temps, tous les efforts que j’ai investis à te montrer mon métier, à te préparer pour prendre la relève, tu lâcherais tout pour aller mourir à la guerre dans un pays étrange, pour des gens que tu ne connais pas ?

    ̶ J’apprécie beaucoup tout ce que vous avez fait, papa. Mais je ne sais pas si je désire être cordonnier toute ma vie. Sans le demander, sans même l’espérer, j’ai devant moi une chance de laisser ma marque, de faire une différence. Je me dois au moins d’essayer. Si ce n’est pas pour moi, je saurai alors que ma place est à Saint-Géry et j’accepterai volontiers ce destin. Mais je me dois d’aller voir. Pour la relève, Charles et David seront toujours ici pour t’aider.

    ̶ Tu n’as pas peur de mourir ? me demande Jocelyne.

    ̶ Pour te dire la vérité, je n’y ai pas pensé, mais ce n’est pas ça qui va m’arrêter. J’ai vingt-cinq ans et il est temps que je fasse quelque chose de ma vie. Certes, l’idée de traverser l’océan en bateau m’effraie…

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1