NÉNESSE, UN LÉGIONNAIRE DANS L’INDOCHINE EN GUERRE
G&H: Qu’est-ce qui vous pousse à vous engager dans la Légion ?
Ernest Frouart : À la Libération, avec un copain d’école, on monte à Paris pour nous engager dans la marine. On est alors en pleine épuration. Comme j’ai appartenu à une organisation antinationale, les Jeunes du Maréchal, un mouvement de type scout qui travaillait avec la défense passive, je ne pouvais pas m’engager. On m’a donc renvoyé chez moi.
Vous ne renoncez pourtant pas à l’armée...
Non, je commence la préparation militaire obligatoire encadrée par des officiers et sous-officiers de réserve. Après trois mois d’entraînement, on passe des épreuves, à Amiens, à la caserne Friant. Les mieux classés choisissent l’arme dans laquelle ils veulent servir . C’est un très bon truc, et ça a été mon cas.
Vous pensiez déjà à la Légion ?
Étant gosse, j’étais abonné à Pierrot, un journal un peu catho et traditionaliste, et j’y ai vu un reportage sur la fête de Camerone (voir G&H no 53, p. 58) qui m’est resté dans la tête.
Comment se passe votre arrivée ?
Je pars seul pour Lille le 3 décembre 1946. Ensuite destination Vincennes puis Marseille : en 1946, ça prend deux jours. Le lendemain, c’est le passage au BSLE – bureau de sécurité militaire de la Légion étrangère – pour expliquer mes motivations. Au début ça ne colle pas avec l’adjudantchef ; au quatrième interrogatoire, j’en ai marre. Sur son bureau, je vois un rapport de gendarmerie, de l’école industrielle d’Amiens où j’ai fait un apprentissage, un extrait de casier judiciaire vierge… Je lui demande ce qu’il a contre moi. Il veut savoir ce que « j’ai vraiment foutu ». Pas mal de jeunes cherchent à échapper à la justice pour ce qu’ils ont fait sous l’Occupation, d’autres ont tripatouillé, trafiqué à la Libération. On s’explique, il me donne mes papiers : bon pour le service ! Je me donne la nationalité belge car normalement, il n’y a pas de Français dans la Légion. Je suis donc né le 24 septembre 1927 à Liège.
On raconte qu’à l’époque, on convoyait les candidats menottés au cas où ils changeraient d’avis...
Il faut se méfier des histoires sur la Légion, comme celle du mec qui s’engage pour des trucs de bonnes femmes. On dit aussi que des SS en ont profité pour se tailler. Je n’ai jamais connu un seul SS dans la Légion. Les Allemands subissent un entretien si serré que le gars est refoulé s’il a été SS ou même parachutiste. On dit aussi beaucoup de choses sur les légionnaires déserteurs ; mais les officiers partent du principe que s’il y a un déserteur c’est qu’il y a des négligences dans le travail des sous-officiers. On vit entre soi, le sergent ou le caporal doit être attentif aux hommes pour détecter le coup de bourdon, le gars qui dérape. C’est dans ces moments-là que la tentation de déserter arrive.
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