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Un jour ou l'autre
Un jour ou l'autre
Un jour ou l'autre
Livre électronique152 pages2 heures

Un jour ou l'autre

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À propos de ce livre électronique

D’un jour à l’autre, ils attendent tous que quelque chose leur arrive et ils vont vers le nord ou vers le sud à la recherche de leur place en Amérique.
Certains y sont nés, d’autres y sont emmenés, d’autres y vont de leur plein gré. Tous cherchent leur identité, tous trouveront l’aventure. Certains se rencontreront, d’autres se perdront et se retrouveront peut-être, un autre jour, ailleurs : au coin d’une rue de Buenos Aires, sur une route poussiéreuse du Costa-Rica, une plage battue des vents près de San Francisco ou le chemin glacé d’une île du Saint-Laurent. Dans un manoir de Bel Air, un objet change la vie de deux hommes ; dans une maison cossue à L.A., une soirée très sérieuse devient une comédie par les mots de ceux qui la racontent ; dans un hôtel à Belize, un drame trouve son épilogue tandis qu’un amour naît, et dans un palais hanté à Montevideo, les bons esprits veillent.
A travers sept histoires, souvent connectées par des personnages qui reviennent à différents moments de leur parcours initiatique, se dresse le portrait baroque d’un continent qui unit le Nord et le Sud.

LangueFrançais
Date de sortie15 févr. 2014
ISBN9781311847188
Un jour ou l'autre
Auteur

Katy O'Connor

Katy O’Connor est une Franco-Américaine qui vit en Californie du Sud. Ses études de lettres lui ont donné le goût de jouer avec les mots et les registres. Celui d’enseigner aussi. Ses voyages lui ont inspiré plusieurs romans et nouvelles car elle croit que la vérité de la fiction est plus subtile que celle du document.En 2009, elle publie un roman au Canada, Nature Morte, puis en 2011, elle publie « Crime au long cours » chez un éditeur français ; il s’ensuivra en 2012 une traduction en anglais, « Cruising with Death. »Ses romans parlent de la société moderne: sophistiquée, rapace, violente mais toujours en mal de beauté et d’amour. Pourtant, elle préfère les histoires qui se terminent sur une note d’espoir, avec une bonne dose d’humour.

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    Aperçu du livre

    Un jour ou l'autre - Katy O'Connor

    Vendredi

    A l’envers, à l’endroit

    I

    Amman, Jordanie

    Il était tard. Les portes de l’hôpital grincèrent quand le garde de nuit les referma derrière elle. Un petit Jordanien de plus. Un enfant de la terre que Dieu avait choisie pour envoyer à Moïse les Commandements, au Mont Nebo. ! Elle aussi, Oda, avait réussi à sauver un bébé, que ses parents d’ailleurs avaient appelé Moussa ! Alors elle marchait dans le coton et une buée d’eau de rose malgré l’obscurité et le trottoir défoncé. Le triomphe de la vie – surtout quand elle y participait de haute lutte – lui faisait cet effet. Pourtant… elle était devenue le docteur Oda Kabariti avec une autre idée : prendre soin des femmes dans l’espoir déclaré qu’elles ne soient plus enceintes année après année jusqu’à ce que leur corps rende son tablier. Le docteur en venait à haïr l’appareil reproductif féminin. Et masculin aussi.

    Oda traversa la chaussée, le regard droit. A sa gauche, la charrette d’un fripier la heurta, apposant une marque noire sur son pantalon blanc et son talon. Elle cria des reproches au propriétaire et lui montra sa chaussure de faux cuir assortie à son sac.

    - Et toi ? fit l’interpellé, l’œil mauvais, qu’est-ce que tu fais dans la rue à cette heure ?

    - J’aide les gens à vivre !

    - Ah, oui ?

    L’homme se rapprochait, l’haleine chaude, les doigts écartés. Un jeune militaire en faction devant un bâtiment public s’en mêla, deux pas en avant :

    - Qu’est-ce qui se passe ?

    Oda soupira. Les yeux à terre, elle répondit :

    - Je suis médecin. J’ai terminé mon service à l’hôpital. Je vais trouver un taxi.

    - Ta famille sait que tu es dehors à…

    Il jeta un coup d’œil à l’énorme montre GPS que son cousin lui avait rapportée de Dubaï.

    - … neuf heures, bientôt ?

    Oda releva la tête et brandit son portable.

    - Tu veux lui demander ?

    L’homme en armes la considéra un instant sans rien dire. Le fripier disparut au coin de la rue. Le soldat poussa un soupir sec et se détourna.

    Oda reprit son pas pressé, le téléphone encore en main, prêt à appeler du secours ou, au pire, à se projeter sur une mâchoire malveillante ou un œil lubrique parce qu’à la nuit tombée, en basse ville, c’était tout ce qu’il restait. Les étrangères avaient déserté les bijouteries, les poches de leur jean pleines de chaînes en or et une tête satisfaite sous leurs cheveux plats comme leurs fesses. Les Bédouines et les Palestiniennes étaient parties avant, à pied ou serrées à plusieurs dans des voitures qui touchaient le sol. Oda se mit à courir : un taxi, jailli d’une ruelle qu’on n’aurait pas imaginée assez large pour lui, ralentissait devant un entrepôt d’où filtrait une lumière glauque. Une famille en sortit qui prenait bruyamment congé de son hôte. Le taxi s’arrêta. Oda fit signe au chauffeur mais son rétroviseur s’enorgueillissait de tant de pompons qu’il ne saisit pas clairement l’image de la fille, derrière. Le vieil homme venu de la maison décatie, en tête de sa petite troupe, ouvrait déjà la portière côté passager. Pendant qu’il négociait le prix de la course, les trois femmes derrière lui regardaient Oda. La plus jeune tira sur les longues manches de sa galabiah, dissimulant les bracelets d’or dans lesquels étaient investies les économies de la famille. La plus âgée darda un œil réprobateur sur le pantalon d’Oda. Elles portaient toutes des robes traditionnelles en satin noir brodées de rouge qui sentaient le lait aigre et le café. Une odeur de mère sous les seins énormes et tombés. Comme à l’hôpital. Elles s’engouffrèrent à l’arrière du véhicule tandis que la doctoresse essoufflée demandait : « je peux monter ? » Depuis le siège avant, le chef de famille lui jeta un « plus de place » définitif. Le chauffeur ouvrit la bouche pour parler, se ravisa, tourna la tête et démarra comme s’il fuyait.

    Oda baissa les yeux, juste à temps pour ne pas marcher sur l’objet que le vent poussait à ses pieds sur le trottoir. Un châle noir. Vieux, déchiré en plusieurs endroits. Ses broderies rouges étaient si fines qu’on avait du mal à distinguer l’endroit de l’envers. Elles venaient sur des bandes de tissu probablement découpées dans d’autres vêtements usés. On les avait cousues entre elles selon un dessin bizarre, sans début ni fin, qu’on avait envie de suivre avec le doigt. L’une des femmes avait dû le laisser tomber en montant dans le taxi. Ou alors… le fripier, tout à l’heure, avait tourné dans cette rue. Le vêtement avait pu tomber de sa charrette. Oda se pencha pour le ramasser puis hésita. Elle revoyait le rictus de l’homme tandis qu’il s’éloignait en la laissant aux prises avec le soldat. C’était le même que celui d’un patient mort la veille. Un de ceux qui lui reprochaient de ne pas avoir été capable de le garder dans ce monde-là. Le visage satisfait du mépris et de la haine pour une jeune femme ignorante, impuissante et prétentieuse.

    Un coup de vent souleva le châle et l’envoya se plaquer contre le rideau métallique d’une boutique. Oda frissonna. Elle n’avait pas prévu d’être dehors si tard. Le froid de la nuit désertique l’envahissait. La poussière entra dans ses yeux comme une punition. Elle récupéra le châle et s’en couvrit la tête, le buste et la moitié du visage.

    Après le rond-point, la route s’élargissait. Les automobiles allaient vite, elles doublaient la jeune femme, pleins feux, en la frôlant. Oda sursauta. Une voiture la suivait en klaxonnant. Encore un agent de change au volant d’une Mercedes ! Quand un de ces énergumènes la repérait, il se collait à ses talons comme un vieux chewing gum qui n’accepte pas son statut de crachat ! Ceux-là n’étaient pas faciles à semer.

    Le Klaxon insistait, exigeant réponse immédiate.

    A quelques pas, le nouvel hôtel Omar Khayyâm dressait sa haute silhouette claire et moderne. Oda n’hésita pas. Elle s’engagea dans la vaste entrée comme si elle n’avait jamais eu l’intention d’aller ailleurs.

    La jeune femme inhala profondément. Elle ressentit une joie soudaine et toute nouvelle, comme si elle partait en voyage. Elle était parfaitement à l’aise dans ce décor, même pas impressionnée par l’énorme lustre en cristal qui, au-dessus d’elle, changeait de couleur toutes les deux secondes. Elle n’était venue qu’une fois ici, pour soigner une touriste américaine qui l’avait ensuite invitée à boire un verre en écoutant la musique de la boîte de nuit. Oda se rappelait où c’était. Ce soir, elle y retournait.

    L’hôtesse philippine, en longue robe rouge, regarda cette cliente solitaire d’un air absent et la mena avec confiance à la plus mauvaise table. Oda laissa glisser le châle sur ses bras et commanda un White Russian.

    L’orchestre polonais jouait un air de slow qui ne voulait pas finir ; la chanteuse consultait sa montre toutes les trente secondes. Seulement deux autres tables étaient occupées. A l’une, des hommes du Golfe ; minces et droits dans leur tunique blanche comme le jour, ils buvaient avec une moyenne de deux paroles entre chaque verre. Oda compta un total de dix mots en quinze minutes. Pourtant, c’était l’autre table qui l’intéressait. Elle n’était pas dans son champs de vision et la jeune femme devait la regarder à la dérobée, en tournant la tête vers l’entrée comme si elle cherchait quelqu’un qui ne venait pas. Deux hommes y conversaient en riant très souvent comme s’ils passaient là le meilleur moment de leur vie. La doctoresse aurait voulu être avec eux. Etre leur amie. L’un devait avoir son âge et portait un jean sombre et une chemise blanche. Ses yeux croisèrent les siens avant qu’elle ait le temps de les baisser.

    Oda reçut de plein fouet un déluge d’émotions qu’elle ne saisissait pas clairement. C’était la tendresse oubliée, celle qu’on donne aux petits enfants, et la douceur d’un petit-déjeuner, un jour de vacances. Oui, il y avait cela dans ces yeux, avec la profondeur du ciel en plus, et la solidité du rocher. L’homme ne lui souriait pas. Il se contentait de l’absorber. Oda sentait son être lui échapper comme si elle n’avait pas de réalité, comme si elle n’était qu’une lumière dans les yeux de quelqu’un d’autre. Elle serra le châle autour d’elle mais c’était comme si sa chair n’existait pas. Elle saisit son verre et tenta de boire quelques gorgées du liquide laiteux pendant que les musiciens rangeaient leurs instruments.

    - Tu n’aimes pas le White Russian. Je le finirai pour toi.

    Il était là, assis à sa table, comme si c’était parfaitement naturel. Son compagnon, l’homme plus âgé, avait disparu.

    - Je… je ne viens pas ici pour…

    - Je sais. Tu passes ta vie à l’hôpital. Aujourd’hui, c’était dur.

    Oda ne dit rien. Elle serra le châle un peu plus fort.

    - Pas de mystère, reprit l’inconnu. Je vais là-bas, quelquefois, et je te vois. J’aime comment tu parles aux enfants, et aux vieux… et aux autres. J’aime tes gestes. Leur énergie, leur précision, leur caresse. Et j’aime aussi tes yeux. Ils veulent manger le malheur pour en faire du fumier.

    Oda ne se souvenait pas d’avoir croisé ce visage dans les couloirs de l’hôpital. L’homme ne lui laissa pas le temps de répondre.

    - Ce soir, tu voulais voir ailleurs. Ta famille est en voyage ?

    - Mon père est au bord de la mer, à Aqaba, en lune de miel ; il vient de se remarier.

    L’inconnu sourit, prit le verre qu’Oda n’avait presque pas touché et dit :

    - Je bois à sa santé. Et à la nôtre.

    Les rideaux étaient ouverts. Le soleil inondait la pièce aux tons verts et crème. Le docteur Oda kabariti s’éveilla brusquement sans savoir où elle était. Dans un très grand lit, c’était sûr. Et seule. L’horloge de chevet indiquait onze heures du matin. On était vendredi, un jour chômé pour la plupart des gens mais elle, serait de garde à midi. Elle se rua dans la salle de bain. Maintenant, elle se rappelait. La soirée de la veille, l’inconnu, le don d’elle-même qu’elle lui avait fait ou plutôt l’amour qu’il lui avait donné. Oui, ça sonnait plus juste.

    En sortant de l’ascenseur, Oda baissa la tête comme une gamine prise en faute. Heureusement, un groupe de touristes arrivé de Petra bourdonnait comme une ruche pendant que le concierge s’activait à distribuer les chambres et que son collègue téléphonait. C’était celui qui l’avait conduite à la touriste malade, le mois précédent. La doctoresse passa devant lui d’un pas royal ; il lui sembla pourtant qu’il arborait un air goguenard et la suivait du regard pendant qu’il posait le combiné.

    Dans le taxi qui roulait vers l’hôpital, Oda se demanda si sa nuit avec l’inconnu n’était pas une illusion, si elle n’avait pas pris une chambre à l’hôtel parce qu’elle n’avait pas envie de rentrer chez elle, et si

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