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La voix endormie
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Livre électronique360 pages5 heures

La voix endormie

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À propos de ce livre électronique

ON NE PEUT GARDER AUCUN SECRET POUR TOUJOURS.

Le quotidien de Leandro Maccione, propriétaire d’une boutique d’antiquités en plein cœur de Livourne, consiste à essayer de faire face à la crise économique qui frappe l’Italie, pour sauver son commerce de la faillite. Pour cela, il compte sur l’aide désintéressée d’Erika, une jeune femme d’esprit vif et aimant l’aventure, qui travaille bénévolement dans son établissement.

Mais tout cela va changer lors d’un après-midi où il va recevoir une énigmatique donation anonyme : une élégante maison de poupées du début du XXe siècle, dont la présence va chambouler sa vie et qui va devenir son obsession lorsque, à partir de ce jour-là, il commence à être victime de visions terrifiantes dans lesquelles il est témoin d’un brutal assassinat.

Sa volonté de vérifier l’origine de son tourment l’amènera jusqu’en Lombardie, sur les rives du lac Garda, pour rouvrir le cas d’une disparition survenue soixante ans plus tôt. Ses recherches déboucheront sur un dénouement inattendu qui révélera un secret enfoui pendant des décennies, dans l’ombre de la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

LangueFrançais
Date de sortie30 mai 2024
ISBN9781667474960
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    Aperçu du livre

    La voix endormie - Miranda Kellaway

    1

    ––––––––

    Il y a des jours où vous savez que vous ne devriez pas sortir du lit. Des jours qui frappent à votre porte, menaçants, en montrant les dents, prêts à détruire votre vie et vos projets dès que vous poserez un pied par terre pour affronter une nouvelle journée.

    Ces jours-là, on les sent de loin, comme les orages. L’air devient humide, le vent redouble de violence, et le ciel s’habille en deuil. Il y a des signes, des signes partout. Et si vous choisissez de les ignorer... Vous vous ramassez la claque que vous saviez d’avance que vous alliez vous prendre en pleine figure, bien que vous ignoriez de quel côté elle viendrait.

    Le matin où j’ai reçu cette caisse mystérieuse, c’était la plus sale journée depuis le début de la semaine. Tout a commencé avec un réveil en panne, une brûlure sur le pouce pour avoir manipulé la cafetière électrique de manière irresponsable et la perte d’un jeu de clefs de mon local. Après avoir bu une gorgée de mon latte macchiato, je m’étais enfermé dans mon bureau pour m’occuper des dettes du mois et tenter de sauver le peu qui me restait du petit commerce que j’avais hérité de mon père, une boutique d’antiquités pittoresque en plein cœur de Livourne, dont les bénéfices se faisaient de plus en plus rares. La crise économique internationale avait frappé l’Italie et beaucoup d’entrepreneurs autonomes comme nous traversaient un véritable calvaire pour arriver à survivre, en pensant que, lorsque la vague dévastatrice serait passée, la mer retrouverait de nouveau son calme.

    Nous étions naïfs. Après avoir constaté que l’on a résisté à la tempête, il faut toujours réparer les dommages qu’elle a laissés derrière elle. Et parfois, le malheur d’être resté en vie pour contempler comment votre existence s’effondre, est encore pire que les minutes angoissantes de combat dans un océan déchaîné et violent, qui essaie de vous entraîner dans ses profondeurs obscures.

    On frappa à la porte avant que je ne m’assoie pour examiner les quatre factures qui étaient arrivées par courrier la veille. J’avais dit à Erika — ma seule assistante et bénévole dans la boutique — que je ne voulais pas être dérangé, à moins que ce ne fût pour quelque chose d’important. Je n’ai donc même pas protesté lorsque je l’ai laissé entrer et que je l’ai vue pénétrer dans mon bureau sur la pointe des pieds, en montrant sa chevelure teinte en bleu, telle une enfant espiègle qui attend une réprimande de son progéniteur.

    — Monsieur Maccione.

    J’ai souri. Elle tremblait comme un petit oiseau trempé par la pluie par un jour de vent.

    — Ça fait combien de temps que tu travailles pour moi, Erika ? — Demandai-je.

    — Un an et quatre mois, monsieur.

    — Et combien de fois t’ai-je dit qu’à présent toutes ces formalités ne sont plus nécessaires ? Pourquoi ne m’appelles-tu pas Leandro ? Après tout, tu es dans ton droit, puisque depuis deux mois, je n’ai pas pu réunir assez d’argent pour te payer un salaire.

    Cette fois-ci, ce fut elle qui sourit.

    — Vous savez bien que j’adore venir ici vous aider. J’aime les vieux objets, et il faut donner un coup de main à son prochain, pas vrai ?

    J’acquiesçai, reconnaissant. J’avais connu Erika quatre mois après l’arrivée de la crise en Italie. Son père avait perdu son emploi et leur situation était désastreuse. Ils survivaient à peine avec le peu que gagnait sa mère comme femme de ménage chez plusieurs particuliers, dont le salaire couvrait à peine le loyer et l’achat de denrées alimentaires pour la nourrir, elle, ainsi que son mari et ses quatre filles et la pauvre grand-mère, atteinte d’un début de démence sénile.

    À cette époque-là, je vivais déjà avec Caterina dans l’appartement d’en face. Nous projetions de nous marier et je croyais que c’était la femme de ma vie. Nous avions tracé ensemble un futur pour nous deux et la famille que nous voulions former, et c’était précisément elle qui m’avait présenté Erika et qui m’avait demandé de lui donner un poste dans ma boutique, en me racontant devant un café fumant dans notre minuscule cuisine, que sa famille était sur le point d’être expulsée de son logement à cause des retards continus dans le paiement du loyer.

    J’ai accepté, enchanté. La jeune fille était une adolescente vive d’esprit, ponctuelle et responsable et je me suis rapidement pris d’une profonde affection pour elle. Et en plus du modeste salaire que je lui donnais en espèces chaque mois, elle emmenait habituellement chez elle des sacs de provisions et des vieux livres, au moins deux fois par semaine.

    Mon père avait été un fervent croyant de la loi universelle de semer pour récolter, une espèce de version occidentale du karma des hindous. Tôt ou tard, nous mangerions ce que nous avions planté, et les services altruistes que nous avions rendus nous seraient retournés avec des intérêts. Et moi, un certain temps après notre accord, j’ai commencé à subir des pertes constantes dans mon commerce, et j’ai constaté par moi-même qu’il avait totalement raison.

    Caterina a fait ses valises en prétextant des désaccords irréconciliables lors de l’une de nos fréquentes disputes. J’aurais dû alors me rendre compte que quelque chose n’allait pas, parce que lorsque la paix fuit votre nid et est remplacée par des réponses cinglantes, des regards sournois et des reproches sans fin, cela a cessé d’être un foyer pour devenir un champ de bataille féroce et sanglant. 

    Cependant... Erika est restée. Et elle a même été mon épaule pour pleurer, lorsque, pratiquement saoul, une nuit, j’ai fondu en larmes sur son épaule en apprenant que Caty fréquentait l’un de mes amis d’enfance avant même de rompre avec moi, et à présent, ils affichaient leur amour avec une totale impunité dans les rues de Livourne. Je me suis converti en un triste cliché ambulant, noyant mes peines dans des bouteilles de vin que je vidais avec une rapidité vertigineuse. Erika m’a entendu blasphémer, sangloter comme un enfant, et jurer de nouveau. Elle m’a tendu un mouchoir et m’a écouté sans émettre aucun son. Ensuite, elle m’a serré dans ses bras et elle a affirmé : Je suis sûre qu’il y aura quelqu’un de beaucoup mieux très bientôt. Cette personne-là n’arrivait toujours pas, mais au lieu de ça, j’avais une petite jeune fille de dix-sept ans comme meilleure amie.

    J’ai entendu les clochettes de la porte — dis-je en m’asseyant. — Un client est venu ?

    — Eh bien... plus ou moins — répondit-elle, en baissant la voix.

    J’ai levé un sourcil. Quand elle voulait faire son intéressante, Erika parlait toujours à voix basse.

    — D’accord — déclarai-je, en croisant les bras. — Mademoiselle la mystérieuse, dites-moi ce que voulait cet individu, homme ou femme.

    — Il ne venait rien acheter. Il nous a laissé ça — informa-t-elle, en ouvrant en grand la porte du bureau et en me montrant une caisse à ses pieds.

    J’ai regardé le paquet avec scepticisme et curiosité en même temps. La dernière chose dont on avait besoin, c’était d’âmes désespérées qui cherchaient à vendre leurs gadgets à prix d’or. Nous étions au bord de la banqueroute, et si l’objet n’était pas au minimum un trésor historique duquel on pourrait tirer un bon magot, nous ne pourrions pas nous le permettre.

    — L’objectif de Pandora Vintage est censé être gagner de l’argent, et non de le gaspiller — objectai-je. — Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? 

    —Regardez-le vous-même, pardon... toi-même.

    Je me suis levé doucement et j’ai contourné ma table de travail. Je me suis arrêté à mi-chemin, avec une sensation presque mystique qu’il s’agissait de quelque chose d’important. Quelque chose d’imposant et de majestueux, comme une découverte lors d’une excavation archéologique.

    Des intuitions comme celle-là, j’en avais eu en très peu d’occasions.

    — Le propriétaire, attend-il toujours dehors ?

    — Non. Il me l’a donné et il est parti — répondit Erika, à ma surprise. — Il dit qu’il ne veut rien en échange. Il est en train de se débarrasser de quelques objets et il a pensé que la maison pourrait nous intéresser ici.

    — Une maison ? — Demandai-je, en me penchant sur l’ouverture de la caisse.

    Eh bien oui, c’était une maison. Une maison en miniature, et elle semblait être en bois.

    — Aide-moi à la sortir de là.

    Entre nous deux, nous avons libéré la relique de sa prison en carton et nous l’avons posée avec soin sur la table pour l’analyser plus en détails. Il s’agissait d’une maison de poupées ancienne, mais très réaliste. Elle ressemblait plutôt à la maquette d’une villa italienne, faite avec du bois foncé. Nous nous sommes regardés, fascinés. Erika avait les yeux qui brillaient.

    — Elle est belle — observa-t-elle.

    J’acquiesçai.

    — Oui. Si c’était un jouet, il a dû coûter une fortune à son acheteur —observai-je.

    — On peut regarder à l’intérieur ?

    — Je suppose que oui.

    J’ai tripoté la façade en essayant de trouver une ouverture, un bouton, un verrou, ou une quelconque fente qui permettrait d’examiner l’intérieur de la maison. J’ai tardé quelques minutes à trouver, mais j’ai finalement réussi à l’ouvrir.

    — Comme elle est belle ! — S’exclama Erika lorsqu’elle vit le hall d’entrée principal, tapissé. — Et regardez ces escaliers ! On dirait l’intérieur du Titanic !

    Elle avait neuf chambres à coucher, en plus des autres pièces. Certaines étaient meublées, d’autres en cours de décoration, comme si ses locataires venaient d’y emménager. 

    Ou peut-être étaient-ils en train de ramasser leurs affaires pour s’en aller ailleurs. J’ai souri à cette dernière pensée.

    — Vous vous imaginez vivre dans une propriété comme celle-là ? Ça doit être top !

    J’ai regardé Erika. Elle m’avait ôté les mots de la bouche. Littéralement.

    — Et son propriétaire n’a demandé aucun montant. Il ne l’a pas non plus laissée là pour qu’on essaye de la vendre et pour réclamer ensuite sa part.

    — Non. Il a dit que c’était une donation. Par son apparence... il semblait aisé. De ces types friqués qui dépensent un SMIC dans une paire de chaussures.

    Je suis resté intrigué par cette dernière information. Tout au long des années, nous avions reçu des donations, mais presque tout notre stock avait été acquis dans des petites enchères, des marchés itinérants ou acheté directement des mains de leurs propriétaires.

    — Vous pensez qu’elle date de quelle époque, Leandro ?

    J’ai hoché négativement de la tête tandis que j’ai répondu :

    — Aucune idée. On dirait une grande bâtisse du début du vingtième siècle. Ça me rappelle les grandes maisons sur les rives du lac Maggiore qui plaisaient tant aux aristocrates raffinés pendant la Belle Époque, avant que la Première Guerre Mondiale ne mette fin à tous ces lieux de loisirs et à leurs fêtes ostentatoires. Je ne m’y connais pas en architecture, alors ne tiens pas trop compte de ce que je te dis.

    — On va la garder ?

    J’ai ri devant son enthousiasme d’enfant. En vérité, j’étais impressionné par l’acte de générosité de celui qui nous avait offert un tel joyau.

    — Oui, nous allons la garder — confirmai-je, devant son évidente réjouissance. — Je l’examinerai mieux plus tard. L’homme mystérieux t’a-t-il laissé ses coordonnées ? Au moins un nom ?

    — Un prénom et un nom de famille. Et un numéro de téléphone. Je l’ai noté sur le bloc-notes des nouveaux articles. Avant de partir, je lui ai offert un chocolat du petit panier pour les clients de marque.

    J’ai de nouveau ri. L’idée du petit panier était d’Erika, et moi je lui avais donné mon feu vert pour faire ce qu’elle considérait opportun. Quiconque aurait vu la passion avec laquelle elle faisait son travail chez Pandora Vintage aurait juré que c’était elle la gérante du magasin et non moi.

    — C’est bien, ma fille — répétai-je avec satisfaction. — Et maintenant, nous allons remettre la Villa Maccione dans sa caisse, car j’ai pas mal de coups de fil à passer aujourd’hui.

    Erika se dirigea vers la sortie, et avant de la perdre de vue, j’ai demandé, en montrant sa chevelure d’un ton indigo :

    — De quelle couleur sera ta crinière psychédélique la semaine prochaine ?

    La jeune fille me sourit et répondit :

    — J’hésitais entre le grenat et le vert. Je crois que ce sera moitié-moitié.

    J’ai émis un éclat de rire si fort qu’il a résonné dans tout l’établissement. Elle m’a fait un clin d’œil et s’en est allée en dansant une valse.

    Bénie soit l’heure où j’ai laissé entrer cette petite souris excentrique dans ma vie.

    —oOo—

    La pluie frappait les vitres de la fenêtre de mon salon avec furie tandis que, blotti dans la seule couverture que Caterina m’avait laissée comme souvenir de notre relation, je relisais quelques annotations de mon père dans le livre de comptabilité de Pandora Vintage. Le vieux avait refusé catégoriquement d’automatiser son travail et de créer des bases de données dans des dossiers virtuels quand je lui avais proposé, faisant allusion à son mépris pour les ordinateurs et la tendance de ces machines du diable à tomber en panne sans prévenir et à faire perdre aux gens des informations précieuses. 

    "C’est pour ça que les USB et les disques externes existent, babbo", lui avais-je dit en une occasion. Sa réponse catégorique fit voler en éclats mes arguments :  Et pourquoi je voudrais une base de données virtuelle, si ensuite, je vais devoir la recopier dans huit cents endroits différents au cas où elle disparaîtrait ? Tu parles d’une bêtise ! En annotant mes écritures comptables dans un seul livre, je gagne en temps et en santé. En plus, en le rangeant en lieu sûr, on ne peut pas me voler ces informations, comme c’est arrivé à Francesco, le fleuriste du vieux quartier.

    Comme il me manquait ! Depuis que sa compagne de vie était partie lorsque j’avais trois ans, mon père m’avait élevé comme il avait pu, en m’inculquant la passion pour les choses archaïques et tout ce qui rappelait le passé historique de notre civilisation. Jamais il ne se montra faible devant moi, bien que j’aie toujours su combien l’abandon de ma mère l’avait fait souffrir, surtout lorsque, étant enfant, je le harcelais avec des questions embarrassantes sur leur relation et la nuit fatidique où, pendant que je dormais, étranger à la tempête qui faisait rage sous mon propre toit, elle lui avait annoncé qu’elle souhaitait récupérer les ailes que leur mariage avait arrachées à son âme. Il est vrai qu’aussi bien Antonio Maccione que son rejeton n’étaient pas nés sous une bonne étoile, manquant de chance aussi bien au jeu qu’en amour, et ce, malgré tous nos efforts pour rendre heureuses et bien nous accorder avec celles que nous considérions les piliers de nos vies, il semblait que notre courage et notre ténacité n’étaient jamais suffisants pour les retenir.

    J’ai appuyé ma tête sur le dossier du fauteuil et j’ai soupiré. J’ai regardé du coin de l’œil en direction de la table basse en face du divan et j’ai remarqué l’exquise décoration extérieure de l’extravagante maison de poupées qui était posée dessus, et qui, la veille, avait fait acte de présence dans ma boutique des mains d’un altruiste fortuné. Suivant une impulsion inexplicable, je l’avais ramenée dans mon appartement pour l’examiner dans la commodité de mon logis, et j’avais même osé m’imaginer propriétaire d’un tel bien pour le remplir de la famille que je n’aurais jamais: une compagne à choyer, plusieurs gamins à gâter, et même quelques animaux de compagnie. Peut-être un golden retriever et un chat à poils longs. Et aussi un hamster, bien sûr. Les enfants adorent les hamsters.

    J’ai refermé le livre comptable, j’ai écarté la couverture, je me suis levé du fauteuil et je me suis accroupi face au jouet raffiné. J’ai ouvert la maison et j’ai observé chaque pièce avec attention. La chambre principale avait un lit à baldaquin en miniature, avec des rideaux d’un rose pâle élégamment placés de chaque côté du meuble et attachés par deux fins cordons aux colonnes en fer, en plus d’un coffre rectangulaire d’une couleur et d’une matière identique aux pieds du lit majestueux. Je suis resté bouche bée devant la distinction et la propreté de cette décoration. Un mobilier digne d’une reine.

    Même si les ampoules ne fonctionnaient pas, j’ai vu qu’il y avait toute une installation électrique pour illuminer la villa, et j’ai souri en constatant combien la cuisine était bien pourvue d’aliments. Des baguettes de pain, des morceaux de viande, des pots de riz... Tous étaient en porcelaine et en pâte polymère. Il y avait également des poêles, des carafes, des plats en terre cuite, des assiettes dans les buffets et des couverts grands comme la moitié d’un cure-dents. Et dans une petite pièce proche du garde-manger, reposait un fer à repasser comme ceux que l’on utilisait dans les premières décennies du vingtième siècle.

    Incapable de résister à la tentation, je me disposais à ouvrir les tiroirs des armoires, des coiffeuses et des coffres. J’ai vu des habits de poupée suspendus sur des cintres super mignons, et aussi quelques coussins sur lesquels était brodée la lettre R. J’ai continué à fouiller entre les affaires des habitants inanimés du lieu, attiré par la perfection et le réalisme de cette demeure. Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’était à trouver, pendant mes investigations, un papier soigneusement plié plusieurs fois et attaché avec un vieux cordon effiloché. Il se trouvait dans le coffre de la chambre principale, et cela semblait être une... lettre écrite à la main avec une calligraphie très élaborée.

    J’ai décollé la note succincte avec soin pour ne pas la déchirer. Effectivement, il s’agissait d’une courte missive adressée à une certaine Rebecca. L’initiale des coussins, pensai-je à ce moment-là. Le message était le suivant :

    Vérone, le 7 avril 1924

    Ma très chère Rebecca,

    Surprise !

    Je sais que tu as toujours aimé Villa Dahlia. En fait, je dois t’avouer que c’est aussi une de mes créations favorites. J’espère qu’elle te plaira et que tu en profiteras. J’ai construit cette réplique spécialement pour toi. Cette année, je ne pourrai pas assister à ta fête à cause de mes ennuyeuses obligations professionnelles, mais je te promets de ne pas manquer la prochaine. Joyeux anniversaire, ma petite fille !

    Avec amour,

    Babbo Marcello

    Je l’ai repliée avec soin et je l’ai rangée dans sa cachette, en cogitant sur les mots du billet et en me demandant qui seraient ledit Marcello et la gamine qui, selon ce que laissaient supposer ses mots, était sa fille et la personne pour laquelle il avait construit cette grande maison.

    La lettre datait de 1924, et elle avait été écrite depuis Vérone, dans le nord du pays. Peut-être l’homme était-il un artisan ou le propriétaire d’une boutique de jouets, par exemple. C’était dommage qu’il n’ait pas donné plus d’indications, comme un nom de famille ou une adresse postale. Cela aurait été très utile pour trouver des informations sur lui sur internet, au cas où celle-ci existerait. 

    Par contre, ce que je savais, et grâce à Marcello, c’était que la maison avait été fabriquée manuellement et qu’elle datait du début des années vingt. Cela lui attribuait une valeur très élevée et la convertissait en une pièce digne de la vitrine de n’importe quel collectionneur de ce genre de reliques. Si au moins je pouvais connaître son histoire... Si elle avait une quelconque valeur historique, nous pourrions très bien la positionner sur le marché, ou la vendre aux enchères. 

    J’ai décidé de la refermer et de me préparer pour aller dormir. Le lendemain, je devais me rendre à la banque pour la révision d’un prêt sur lequel j’avais un peu de retard dans le paiement des mensualités, et je devais avoir l’esprit le plus clair possible pour faire face au géant financier. J’ai éteint les lumières, et dans le couloir en direction de ma chambre à coucher, je me suis retourné pour regarder pour la dernière fois, la petite maison de poupées dans la pénombre. 

    Une sensation d’inquiétude m’envahit en apercevant sa silhouette dans l’obscurité. Comme si un secret macabre l’étreignait et tentait de s’imprégner dans chaque angle, chaque repli, chaque recoin. Un frisson me parcourut le dos, me faisant ressentir une frayeur étrange, irrationnelle. Confus, je me suis dépêché d’aller au lit.

    —oOo—

    La hache ensanglantée traversa son crâne en à peine quelques secondes, en y faisant une entaille profonde et en provoquant que le corps inerte de la victime tombât sur le carrelage avec des dessins géométriques. Caché entre les plis des rideaux en velours grenat, j’observais la scène, abasourdi, privé de la capacité de parler ou de communiquer avec quelqu’un pour demander de l’aide. 

    Lorsque l’homicide qui portait l’arme s’est retiré, j’ai couru, épouvanté, dans le couloir enveloppé d’ombres. Des murs intérieurs revêtus d’un papier fleuri et défraîchi, surgirent de mauvaises herbes avec des tiges pourries et difformes, qui s’étendirent vers moi comme les tentacules d’un octopode assassin, et lorsque l’une des ramifications a attrapé mon poignet, j’ai hurlé comme le martyre d'un sacrifice païen, en tombant à genoux et en implorant clémence.

    Je me suis réveillé de mon cauchemar, baigné de mes propres pleurs, cramponné aux draps remplis de sueur du lit double que j’avais partagé avec Caterina. Il faisait encore nuit, alors j’ai allumé la lampe de ma table de chevet et j’ai regardé l’heure sur mon petit réveil.

    Il était trois heures cinq du matin. C’était le quatrième jour consécutif que ce mauvais rêve envahissait mes nuits de sommeil, jusqu’ici paisibles, et que je me réveillais exactement à la même heure. Comme les autres fois, j’ai essayé de me rendormir, mais sans succès, alors je me suis levé et je me suis dirigé vers la cuisine pour me préparer un café et pour tuer le temps jusqu’à ce que je doive aller ouvrir la boutique.

    Plus tard, et avec trop de grammes de caféine dans les veines, j’ai retrouvé Erika dans les escaliers de l’immeuble pour aller ensemble jusqu’au travail, comme nous le faisions chaque jour. Cette dernière me regarda avec l’air d’avoir vu un mort.

    — Qu’est-ce qui vous est arrivé, patron ? — Me lança-t-elle dès qu’elle me vit.

    — Bonjour à toi aussi — répliquai-je, de mauvaise humeur.

    La pauvre rougit jusqu’à la racine des cheveux.

    — Pardon. Bonjour, vous allez-bien ?

    — Pourquoi tu le demandes ?

    Elle pointa mon visage de son index. Je me suis aperçu qu’elle avait verni ses ongles en blanc avec des points noirs, comme le pelage des dalmatiens.

    — Vos cernes. Ou plutôt, les deux tranches de betterave qui sont collées sous vos yeux.

    — Ah ! — J’ai fait un geste de la main, comme pour ôter de l’importance à l’affaire. — Je suis stressé depuis quelques jours avec cette histoire de prêt bancaire. J’ai discuté avec eux et bon, ils ne me donnent pas beaucoup d’espoir. Il se peut que je doive vendre Pandora Vintage.

    — Oh ! La situation est si mauvaise ?

    — Autant que tu puisses l’imaginer et même pire — commentai-je. — On a besoin d’un miracle, Erika. Un miracle qui nous tombe directement du ciel, ou on ne s’en sortira pas.

    Nous sommes sortis de l’entrée de l’immeuble et nous nous sommes mis à marcher sur le trottoir. J’avais décidé d’omettre l’histoire du rêve récurrent, mais soudain, je me suis vu en train de lui raconter, comme si ma langue avait décidé d’ignorer les ordres de ma matière grise. 

    — Attendez — dit Erika, en s’arrêtant brusquement de marcher, ce qui m’obligea à ralentir ma démarche fatiguée. — Vous dîtes que vous avez fait le premier rêve la nuit que vous avez ramené la maison de poupées chez vous, n’est-ce-pas ?

    — Oui. Mais je ne comprends pas ce que ça a à voir avec ce que je suis en train de te raconter...

    — Vous aviez fait ces cauchemars auparavant ?

    — Non.

    La jeune fille fronça les sourcils, pensive. Elle continua à marcher, mais cette fois-ci plus rapidement, en faisant de vraies enjambées sur le macadam. Je la suivis comme un petit chien, perplexe et désorienté.

    — Eh ! T’es pressée ?

    Nous sommes arrivés à la boutique, nous avons ouvert le rideau de fer et nous sommes entrés dans l’établissement. Erika ne retourna pas l’écriteau fermé de la porte, elle ferma à clef le verrou, me prit par la main et m’entraîna jusqu’à mon bureau, où nous avions rangé la villa en jouet, jusqu’à ce que je décide quel prix lui mettre avant d’annoncer sa vente.

    — Écoutez, Monsieur Maccione...

    — Leandro.

    — D’accord, Leandro. Vous m’avez raconté que dans votre rêve, vous voyez comment on tue quelqu’un avec une hache, c’est bien ça ?

    — C’est exact.

    — Et que vous vous trouviez dans une espèce de... chambre obscure.

    — Effectivement — déclarai-je.

    — Pouvez-vous me la décrire ? La couleur des murs, du sol, des rideaux...

    — Pourquoi tu veux connaître ces détails? — Demandai-je, déconcerté.

    — Eh bien, je me rappelle qu’il y avait du carrelage. Avec des dessins

    géométriques. Sur les murs, il y avait... des fleurs peintes. Les rideaux étaient de la couleur des pétales de ces fleurs.

    Erika se précipita sur la petite maison et l’ouvrit, en scrutant chacun de ses recoins.

    — Qu’est-ce que tu fais ? Un moment — protestai-je, incrédule. — Tu ne vas pas croire que tu vas trouver une décoration identique quelque part là-dedans. C’est une maison de poupées, Erika !

    Tout comme je l’avais pronostiqué, aucune des pièces n’avait une décoration semblable, même de loin, avec celle de mon rêve. La gamine, la mine abattue, abandonna ses recherches et s’assit sur un coin de mon bureau.

    — Et moi qui avais l’espoir d’avoir trouvé une maison hantée.

    J’ai poussé un éclat de rire hystérique, étonné du son de mon propre rire. Pendant une minute qui me parut éternelle, j’ai eu peur que cette fichue gamine écervelée, n’ait raison.

    J’ai mis mes deux mains dans les poches de mon jean et j’ai marmonné :

    — Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? On arrête de jouer les détectives et on se met au boulot? Au fait, j’ai quelque chose pour toi.

    J’ai sorti de l’intérieur d’une chemise une enveloppe fermée et je lui ai tendue. Erika refusa de l’accepter.

    — Vraiment, ce n’est pas nécessaire.

    — Mais tu ne sais même pas ce que c’est, ma grande. Allez, prends-la. Je ne vais pas mourir de faim pour te donner ce que tu mérites.

    Je vis qu’elle était émue en ouvrant l’enveloppe et en constatant qu’il y avait de l’argent à l’intérieur. Cela n’arrivait pas au salaire d’un mois, mais peu à peu, je liquiderais la dette que j’avais envers elle.

    — Merci — murmura-t-elle d’une voix tremblante.

    — Merci, non. C’est moi qui te suis reconnaissant d’avoir tant de patience.

    Elle s’approcha de moi et me serra dans ses bras. Je lui rendis le geste affectueux en embrassant sa chevelure bicolore.

    — Je dois vous avouer quelque chose — dit-elle, en s’éloignant de moi. — Mon père... l’autre jour m’a demandé... eh bien... il croit... que vous et moi...

    — Que toi et moi, quoi ?

    Erika se tut, honteuse, et j’ouvris les yeux en grand.

    — Allons, donc, tu veux rire ! Mais si j’ai quinze ans de plus que toi ! En plus t’es mineure. Comment a-t-il pu penser une chose pareille ? Avec la quantité de jeunes hommes qu’il y a dehors, et il s’inquiète d’un vieux crouton comme moi !

    Elle se détendit de voir que j’avais pris à la plaisanterie

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