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Et la pluie sans cesse: Thriller
Et la pluie sans cesse: Thriller
Et la pluie sans cesse: Thriller
Livre électronique248 pages3 heures

Et la pluie sans cesse: Thriller

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À propos de ce livre électronique

Philip Cortez a décroché. Planqué au fond de sa tanière, il n’attend plus rien ni personne et l’hiver pourrait ainsi s’installer durablement si son ami Samuel n’était pas venu frapper à sa fenêtre. Il est hagard, incohérent, bouleversé par l’accident de sa fille. Mais, lorsque Philip s’immisce dans l’enquête, voilà que les regards se détournent et que très vite les menaces se précisent.
Que se passe-t-il donc à Luxembourg ? Que trafiquent ces ingénieurs et ces traders à l’ombre des grandes tours ? Et puis qui est vraiment Samuel Jacowski ? De Montréal à Saint-Pétersbourg, des rives de la Moselle jusqu’aux déserts d’Arabie, les destinées se frôlent, les solitudes s’évitent, et puis voilà qu’au confluant de toutes les bourrasques, elles viennent à se percuter, comme les particules libres d’un même corps malade. C’est que depuis trop longtemps l’industrie de la finance fait tourner le monde à l’envers. Traqué par cette folle mécanique et par un passé qu’il sait en embuscade, Philip Cortez tente de redessiner un décor fantasque dans lequel tout pourrait être à nouveau possible, mais au dehors déjà ferraillent une étrange rumeur, et la pluie sans cesse.

À PROPOS DE L'AUTEUR

« Moi, au départ, j’aurais plutôt voulu être maître-nageur. On me l’a déconseillé vu que dans la piscine, je suis comme un pavé. La pluie, la mer, les gens, tout me bouleverse et me rentre dedans. Je suis tous les personnages et tous les décors qui me traversent, toujours plongé dans des histoires tellement invraisemblables qu’elles finissent forcément un jour par arriver. »
LangueFrançais
Date de sortie15 sept. 2021
ISBN9782889492848
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    Aperçu du livre

    Et la pluie sans cesse - Philippe Dewailly

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    Philippe Dewailly

    Et la pluie

    sans cesse

    Au Soleil

    et à la Lune

    qui se reconnaîtront

    « Grâce à Internet vous pouvez connaitre le temps qu’il fait

    sans même avoir à tourner la tête vers la fenêtre »

    Didier Hallepee

    Une sale histoire

    C’est étrange comme les histoires commencent souvent là où on ne les attend pas. Moi, je n’attendais plus rien, je m’étais mis à l’abri, j’avais décroché, et ça m’allait bien de vivre comme ça, en déshérence et un peu loin de tout. Planqué dans une longère isolée au bout d’un chemin en lisière des forêts de Fontainebleau, je passais l’essentiel de mes journées à bricoler dans la remise ou à guetter par la fenêtre les caprices du ciel et puis la tournée de la camionnette jaune du postier. S’il m’arrivait encore de sortir la voiture, c’était pour m’approvisionner au village, ou pour rouler droit devant, sans destination et sans plus même faire le plein. Loin des contraintes et des turbulences, je m’étais résolu à laisser ainsi filer le cours du temps pour enfin me caler sur le seul rythme des saisons, pour en apprivoiser doucement les nuances et les fines plissures, et m’y glisser comme sous des draps, tranquille, peinard, et sans plus d’appréhension.

    J’avais négocié la maisonnée et son terrain deux ans plus tôt auprès d’un agent immobilier à la fois bègue et bavard. Si le professionnel m’avait paru douteux, l’endroit m’avait immédiatement plu et compte tenu de son état et de son isolement, j’étais parvenu à conclure l’affaire à bon prix. J’avais fait vérifier la charpente, installer une cuisine et une salle de bains et aménager les combles, mais il m’était vite apparu que la bâtisse prenait l’humidité. J’avais bien tenté les premiers temps de calfeutrer, de colmater, je cherchais les fuites, les fissures, les gouttières et les tuiles déplacées, et puis j’ai compris que cette demeure était là avant moi et que je ne parviendrai pas à la domestiquer. Ce n’était pas une défaite, pas même une retraite stratégique, plutôt une sorte de compromis enfin apaisé entre mes humeurs brouillonnes et l’ordre naturel des choses. Il avait fallu que je m’accommode des courants d’air, des craquements et des mystères qui m’entouraient, et à compter de ce jour-là, je me suis senti mieux, un peu mieux, presque chez moi. J’avais atteint sans doute cette forme dégénérée de la sagesse qui fait renoncer à toute recherche d’explications, à toute quête de béatitude ou d’absolution, et qui permet d’accepter enfin le quotidien pour ce qu’il est, une succession d’instants plus ou moins praticables, plus ou moins confortables et, somme toute, extraordinairement ordinaires. Les vieux radiateurs en fonte n’en pouvaient plus, la tuyauterie couinait, toussait, râlait, je m’étais mis à faire de même, mais la fraîcheur des lieux m’obligeait finalement à m’activer pour vérifier l’étanchéité des chambranles et des portes, entretenir le feu et veiller au fonctionnement toujours incertain de la chaudière. Aux premiers frissons de l’automne, le froid piquait les reins et la chaleur des flammes dans la cheminée caressait la paume de mes mains, j’avais alors l’impression de sentir un peu mon corps, en latence, en sommeil, mais vivant encore.

    J’avais pour seuls voisins un couple de retraités retranchés derrière une palissade en amont du chemin, qui surveillait mes allées et venues d’un œil inquiet et puis, un peu plus loin, en contrebas de la départementale, Rémi, un homme des bois sans dents et sans âge.

    « Rémi Le Coubanec ! » avait-il articulé fièrement sans lâcher sa cigarette au coin des lèvres.

    Engoncé dans une veste trop large, le regard doux et les mains toutes craquelées, il était venu me proposer ses services. Il faisait tout Rémi, le rempaillage, la soudure, et le débroussaillage aussi. Il ne voulait pas d’ennuis, il voulait pas déranger, il habitait un peu plus loin, là-bas, au milieu de la forêt, dans une caravane calée sur des parpaings tout au fond d’un sentier. Rémi semblait posé là, comme un jaune d’œuf dans sa coquille, entre les fougères et les chênes, et se satisfaire du statu quo qu’il était parvenu à négocier avec la maréchaussée. Voilà, Rémi et moi, on était voisins, et même si cela ne nous servait à rien, ça m’avait plu qu’il soit venu me saluer.

    J’occupais les quatre pièces du rez-de-chaussée et une chambre à l’étage, avec des livres, de vieux meubles, des piles de cartons, et la senteur âcre des bois alentour. C’est là que ma dernière compagne m’avait laissé, et là où j’avais moi-même laissé mes dernières illusions sur la vie de couple. Les seules à avoir tenté encore l’aventure en lisière de ces terres reculées et jusqu’entre mes draps étaient reparties au petit matin, consternées, dépitées, troublées, parfois émues, elles me laissaient à chaque fois plus fatigué et vide encore. Je ne les retenais pas, je ne retenais plus rien, ni les mots, ni les silences, je les laissais se défiler, s’interroger, et je ne rappelais pas. Je n’avais depuis longtemps plus rien à dire, plus rien à promettre ni à négocier, j’étais d’une compagnie pitoyable et rien n’était plus envisageable. J’entretenais des liens distants avec ma famille et avec mon activité professionnelle, j’avais peu d’amis, des besoins limités et suffisamment d’économies pour ne pas trouver nécessaire de m’agiter. À cinquante-six ans, j’avais l’avenir à mes trousses, et le passé droit devant moi, en embuscade. Les semaines et puis les mois filaient. Je ne faisais rien. Plus rien de vraisemblable.

    C’est un 2 janvier précisément que les événements ont pourtant commencé à prendre une étrange inclinaison. Il pleuvait depuis des semaines déjà. C’était épuisant et même inquiétant ces averses qui noyaient sans discontinuer les champs, submergeaient régulièrement les routes et les trottoirs, inondaient les caves et emportaient parfois les ponts. La pluie partout gorgeait les sols et les âmes. Avec l’arrivée de l’hiver, les terres s’étaient mises à geler, puis à craquer, et à la première douceur, c’était une mélasse insupportable qui collait aux chaussures et aux roues des voitures, qui salissait tout jusque dans le centre des villes. Le pays entier était sous la pluie. Les paysans râlaient en scrutant le ciel, les commerçants râlaient en regardant leurs chiffres, les experts rivalisaient en conjectures savantes, les ménagères pestaient en rinçant la boue, tandis que les enfants et les vieillards restaient calfeutrés derrière les fenêtres à guetter désespérément le sec et la lumière.

    J’avais passé cet après-midi-là à l’abri, à classer des albums de peinture tandis que l’obscurité glissait à l’ombre des bois. J’étais en train d’activer les braises au fond de la cheminée, lorsque j’ai entendu frapper contre le volet. J’ai sursauté. Le volet a grincé et derrière le vitrage embué, j’ai reconnu alors le visage hagard et trempé de Samuel.

    Il est resté un moment devant le seuil, interloqué, à l’arrêt, les bras ballants, dégoulinant et muet.

    – Qu’est-ce qui se passe ?… Ça va Sam ?

    Il s’est retourné, il a regardé tout autour, comme pour chercher l’endroit où il allait pouvoir se poser. J’ai vu qu’il avait laissé sa voiture un peu plus haut sur le chemin. Je l’ai invité à entrer. Je lui ai proposé de retirer son blouson, j’ai allumé les chevets et baissé la musique. Il s’est avancé et puis s’est effondré au fond du fauteuil. Cela faisait des mois que nous ne nous étions ni vus, ni parlés, et il débarquait sans prévenir, sans téléphoner. Non que cela me dérangeât, il était évidemment le bienvenu, mais cela lui ressemblait si peu. Il sembla hésiter, me fixa enfin, les yeux brillants et rougis par la fatigue.

    – Je te dérange, je suis désolé… Tout ça n’est pas normal, lâcha-t-il enfin.

    Il s’est frotté longuement la tête entre les deux mains, et puis il n’a rien dit, rien de plus. Nous sommes restés alors un moment tous les deux, silencieux, à écouter le bois craquer dans la cheminée. Samuel était un ami, je le connaissais bien, je ne l’avais jamais vu dans un tel état.

    – Tu veux un café, quelque chose de chaud ?

    Je me suis absenté dans la cuisine pour réchauffer de l’eau en l’observant à l’autre bout du salon, de dos, le corps cassé devant la cheminée. Je lui connaissais une adresse du côté de Créteil. Que s’était-il donc passé ? Que faisait-il par ici ? Pourquoi n’avait-il pas appelé ? Il se réchauffait doucement, il a semblé se détendre un peu. La voix grave et cassée, il s’est alors mis à parler et à raconter sans plus s’arrêter. Je l’écoutais, j’essayais de comprendre, de retrouver une ligne cohérente dans ce récit effarant et embrouillé. Il se reprenait, il cherchait mon regard. Il retrouvait peu à peu son souffle. Il serra des deux mains sa tasse de café, comme un calice, comme s’il voulait que ses paroles soient une prière.

    – Je voudrais me tromper, revenir en arrière, me souvenir du moment où tout a commencé à basculer, ajouta-t-il enfin comme pour se justifier.

    Dehors, la pluie s’était remise à ferrailler contre les volets.

    – Il y a des jours où je me dis que c’est moi qui délire… Tu comprends ? C’est tellement énorme. Mais tu me connais Philip, je suis quelqu’un de raisonnable, je ne suis pas fou.

    J’observais Samuel. Il avait le regard perdu dans les flammes de la cheminée… Je me suis levé.

    – Que dit le médecin ?

    Il se retourna vers moi et me fixa comme s’il voulait se souvenir de ce qu’il faisait là, le cheveu encore mouillé, mal rasé, le regard embrumé, il n’avait pas même entendu ma question.

    – Si je n’avais pas reçu ces menaces, tu comprends ? Si je n’avais pas reçu ces menaces, répéta-t-il en écho, je pourrais encore penser qu’il s’agit d’un accident, que je me suis trompé. Si tu savais comme j’aimerais m’être trompé.

    Et puis il a planté son regard dans le sol, bien profond, une main cramponnée au coude du fauteuil, le dos courbé, les épaules affaissées. J’entendais tout son corps craquer. Je me suis rapproché, j’ai posé une main sur son épaule.

    – Elle va s’en sortir…, j’ai murmuré.

    Je n’en savais rien. Je ne comprenais absolument rien à son histoire, et je m’en suis voulu de n’avoir que cette réponse retenue du bout des lèvres. J’en voulais à ces années de solitude qui étouffaient ma voix et paralysaient mes gestes. J’aurais voulu le rassurer, le réconforter, trouver les mots. J’ai serré son épaule. J’ai senti alors tout son corps trembler, et le sol aussi, et puis son souffle coupé et une larme brulante rouler sur ma main.

    Perdu au milieu de l’hiver, Samuel n’était plus que l’ombre de celui que j’avais connu et qui était devenu au fil des années, un ami. Ce soir-là, Samuel Jacowski revenait de trois jours de veille à l’hôpital de Chartres où Marie, sa fille ainée, restait plongée dans un coma profond. Ce soir-là, il n’était plus qu’une vieille branche de bois sec prête à céder. Ce soir-là, la maisonnée entière n’était plus qu’un navire en chavire ballotté par les courants et la bourrasque de l’hiver. Ce soir-là, Samuel était au tapis, totalement sonné. Il avait pris mille ans dans la tronche.

    Il n’était de toute évidence pas en état de reprendre la route. Il me répondit du bout des yeux, absent déjà. J’ai garé sa voiture le long de la remise et préparé un lit dans le bureau qui jouxtait le salon. J’ai placé une buche dans la cheminée tandis que Samuel s’était remis à parler, sans plus s’arrêter, la voix fatiguée, éraillée, il recoupait les détails, les noms, les coïncidences, les interrogations, il cherchait son agenda tout au fond de sa veste fripée, misérable, encore trempée, il avait pris des notes et rassemblé des documents, des numéros, il tournait fébrilement les pages de son petit carnet tout écorné, il avait croisé les données et réuni des preuves. Il ne terminait plus ses phrases, mélangeait les dates et les lieux, il se reprenait, se répétait, se calmait doucement, il s’épuisait. Et puis nous nous sommes couchés, il était très tard.

    Cette nuit-là, je ne suis pas parvenu à trouver le sommeil. J’essayais de comprendre, de remettre un peu d’ordre dans le cours de cette soirée et dans ce récit effrayant et disloqué. L’accident de Marie sur la départementale 277.

    Il était près de trois heures quand je suis redescendu au salon. Les braises dans la cheminée brulaient encore à petit feu, j’entendais Samuel respirer profondément dans la pièce à côté. Il semblait s’être finalement écroulé de sommeil. Ce qu’il venait de me raconter était invraisemblable. J’ai rangé sans bruit la vaisselle et rincé au goulot un fond de bouteille dans la cuisine. La lune était pleine, partiellement voilée derrière des branches sans feuilles et d’épais nuages sombres. Dehors, une neige affolée s’était mise à danser à gros flocons dans la lumière orangée des fenêtres.

    Le verdict

    La propriété de Jean-Christophe Daillencourt se dressait au milieu d’un hectare de pins et d’oliviers soigneusement taillés en surplomb de la baie de Monaco. Sur le côté gauche de la grille d’entrée, en contrebas d’une allée bordée de lauriers et d’une haute clôture surmontée de caméras, il y avait une plaque en cuivre doré, sans nom.

    Jean-Christophe Daillencourt possédait aussi un appartement dans un hôtel particulier près des Invalides, et une résidence sur l’eau avec un hors-bord à Miami. Jean-Christophe Daillencourt était un homme nanti qui évoluait avec succès dans les affaires. Il avait débuté comme courtier dans une banque anglaise, et dirigeait maintenant plusieurs officines spécialisées dans le montage de produits financiers. Au fil des années, il s’était constitué un impressionnant portefeuille d’actifs et de relations qui l’amenait à côtoyer des fortunes plus florissantes encore que la sienne.

    Depuis un an, peut-être plus, la femme de Jean-Christophe le trompait. Il ne lui en voulait pas. Il ne lui en avait pas même parlé. Il avait provoqué et certainement mille fois mérité cette trahison. Ils se croisaient encore le soir dans la chambre et le plus souvent elle dormait déjà, ou faisait semblant. Parfois, elle l’appelait pourtant encore sur son portable pour s’informer de ses déplacements, pour lui demander s’il avait pu s’entretenir avec le jardinier, s’il avait pu parler à Hugo, l’ainé, lui expliquer qu’elle aurait un peu de retard alors même qu’il ne l’attendait pas… Il se surprenait à admirer son audace et sa désinvolture, à lui reconnaitre même du talent dans l’organisation de sa forfaiture et à se demander si elle ne le devinait pas implicitement complice de cette trahison.

    La bâtisse était imposante. Quatre cents mètres carrés de verre et de béton profilé entièrement climatisés et sécurisés, de toutes parts cernés par les pins, les caméras et les cyprès. Il y résidait peu, accaparé qu’il était par ses affaires, et cela faisait bien un an, deux peut-être, que les ainés avaient quitté le toit familial pour poursuivre leurs études à Londres. La petite dernière devait encore trainer quelque part à l’étage, mais la plupart des pièces s’étaient vidées de leurs occupants et elles étaient devenues inutiles. Jean-Christophe s’était résolu à accepter que cela n’ait en définitive que peu d’importance, sa vie privée avait inexorablement glissé sur une triste pente et cette demeure n’était plus rien qu’un sinistre mausolée, un caveau garnit de marbre et capitonné d’étoffes rares.

    C’est elle qui avait sélectionné avec un soin méticuleux chaque miroir, chaque bibelot. Ça sentait le bois rare pillé sous les tropiques, l’exotisme ethnique et chaleureux, les tableaux étaient signés et la patine des meubles répertoriée dans les meilleurs catalogues. Elle avait récemment entrepris de donner à certaines pièces un style plus contemporain, et le commissaire-priseur, décorateur à ses heures, qui fréquentait assidument la demeure depuis un an pour assister son épouse dans ce chantier permanent, était un vieux beau teigneux à la mèche argentée et au chic sportif qui fleurait fort le bois de santal. Jean-Christophe le soupçonnait de se faire sucer par sa femme en échange de ses expertises avisées. En somme, songeait-il, ils l’avaient décorée, à deux. De cette complicité et de cette désinvolture, il ne trouvait en définitive rien à redire, la marqueterie était d’époque et les tableaux sérieusement référencés. Il n’y relevait aucune faute de goût. Tout ici était payé, rangé, classé, les enfants eux-mêmes avaient fini par ressembler au décor dans lequel ils avaient grandi : prévisibles, lisses et surfaits, insupportables de conformisme et de suffisance. S’il arrivait qu’il les croise au détour d’un couloir, surpris de les voir encore trainer entre ces murs, surpris plus encore par leur impudente indifférence, il avait fini par s’en accommoder, et il arriva même qu’il confonde les deux ainés, tant il s’en foutait. Les congélateurs des entresols étaient pleins, et les trois voitures alignées un étage plus bas offraient tous les plaisirs d’une conduite sportive. Les amis étaient devenus rares, ils l’ennuyaient tout autant que sa femme et sa progéniture, et plus personne ne semblait même s’émouvoir du vide vertigineux qui s’était peu à peu installé entre ces murs.

    Il était une heure du matin ce 4 janvier. Jean-Christophe Daillencourt avait cinquante-trois ans, et il se tenait nu dans l’espace immense de la baie vitrée qui surplombait la piscine à débordements et, au loin sur la ligne d’horizon, les lumières de la principauté de Monaco. Jean-Christophe perdait un à un ses cheveux et sentait son corps peser lourdement sur ses jambes. Il aurait tant aimé avoir l’énergie encore de culbuter une fille facile dans le fond d’un parking, retrouver le désir de contempler la couleur de la mer le soir lorsque la lumière hésite encore à tremper les pieds dans la nuit. Il aurait voulu tout dire enfin, tout lâcher, tout cracher, courir loin et hurler fort.

    Jean-Christophe avait passé une partie de la journée au téléphone avec le bureau à Luxembourg. Il retrouvait dans les désordres de l’actualité matière à aiguiser son instinct carnassier, cette faculté qu’il avait à décrypter les moindres mouvements, le moindre bruissement, à saisir l’odeur d’une proie et l’inclinaison d’un marché. Il voyait juste, toujours, il savait anticiper et plus que jamais ces derniers mois, il avait su prendre les bonnes positions, devancer les tendances, il était même parvenu à retourner les situations

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