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Efrifain sinon rien
Efrifain sinon rien
Efrifain sinon rien
Livre électronique209 pages2 heures

Efrifain sinon rien

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À propos de ce livre électronique

Victor, écrivain en plein crise existentielle, décide de relever le défi lancé par une éditrice : vivre plus. Enfin, plus de choses. Bref, être moins insignifiant.

De mésaventure en déconvenue, il croisera la route d'une troublante sauteuse à l'élastique, d'une tribu de Mamciens, de cactus globulaires, d'un détective cynique, du chanoine Kir, d'un jeu du bush, d'un naturiste au grand coeur, d'une boîte à boîtes, d'un bagnard repenti...

Et bien d'autres, pour le meilleur comme pour le pire!
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2024
ISBN9782322494569
Efrifain sinon rien
Auteur

Vanessa Perron

A l'âge de 10 ans, après avoir écrit l'autobiographie d'un pin's, le premier chapitre d'un roman d'amour audacieux mettant en scène une jeune femme résidant en Amérique du Sud dans une maison au toit recouvert de tuiles bourguignonnes, ainsi qu'une poignée de poèmes aux conjugaisons hasardeuses, Vanessa Perron a enfermé ses oeuvres de jeunesse dans un tiroir dont elle a jeté la clé. Elle est revenue à l'écriture à l'âge adulte, même si certains la soupçonnent d'avoir conservé son âme d'enfant.

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    Aperçu du livre

    Efrifain sinon rien - Vanessa Perron

    DU MÊME AUTEUR

    TRILOGIE DANIEL ZÉPHYR

    1. Au secours, mon double est un molven #

    2. Le Pacte de Sève

    3. La Source perdue

    La réalité n’est rien d’autre qu’une fiction qui gueule plus

    fort que les autres.

    (Dans l’angle mort des vivants, une enquête de Léo

    Libiamo)

    Tout est de la faute de Nadège Galopine.

    Sans ses conseils fumeux, Victor ne se trouverait pas dans cette situation grotesque : dans une cellule sordide, en compagnie d’un assassin enthousiaste et d’un touriste aviné, accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Ou du moins, dont il n’a pas le souvenir.

    Il jure entre ses dents. Foutue Nadège Galopine.

    S’il était parfaitement honnête, il reconnaîtrait sa part de responsabilité dans ses mésaventures. Par exemple, Nadège Galopine n’a rien à voir avec sa récente nuit de perdition.

    Ce n’est pas elle non plus qui a joué sa femme à la roulette australienne.

    Et encore moins elle qui l’a perdue.

    Seule la mauvaise foi tenace de Victor l’incite à la blâmer pour toute chose. Il est tellement plus facile de s’en prendre aux autres.

    Comme d’autres naissent avec une cuillère en argent dans la bouche, Victor naquit avec un stylo dans la main. Personne n’avait rien décelé à l’échographie, dans la mesure où cette technique n’avait pas encore passé les portes de la maternité de Dijon au début des années soixante-dix.

    – Qu’est-ce que c’est que ce truc ? demanda la sagefemme interloquée.

    Le bébé possédait une touffe de cheveux plantés au milieu du crâne, de grands yeux bien ouverts et un petit air mutin de celui qui s’apprête à raconter une bonne blague. En outre, il serrait dans son minuscule poing rose et potelé un objet allongé et pointu.

    Sans creuser plus loin la question, la sage-femme confissqua le stylo. Trop dangereux pour servir de hochet.

    Elle ne le lui rendit jamais.

    Par la suite, le petit Victor développa un goût immodéré pour ces petits objets et entreprit de recouvrir toutes les feuilles de papier à sa disposition de boucles, ponts et gribouillages.

    Sa préférence allait surtout aux boucles. Inlassablement, il traçait des lignes et des lignes entières de bouclettes, de plus en plus régulières tandis que sa motricité fisne s’exerçait.

    Tout y passait. Les factures empilées dans le tiroir de la cuisine, les prospectus en papier glacé vantant les mérites de la lessive Bonux et même le bottein de la Côte d’Or, dans lequel on lui avait laissé honteusement peu de place pour s’exprimer.

    Et le journal ! Son odeur d’encre, son toucher rêche, sa texture pâteuse sous la dent… Tous les dimanches, son père achetait le Bien Public. Victor attendait impatiemment l’heure qui suivait le déjeuner. Pendant que le père sommeillait, la main pendant mollement de l’accoudoir du fauteuil, le fisls plongeait dans les pages « faits divers ». Les photos excitaient son imagination d’enfant, panneaux « stop » méchamment enfoncés, maisons en feu, mères éplorées… Et surtout, les meurtriers.

    Ah, les meurtriers. Trop rares à son goût. En frissonnant, Victor détaillait à la loupe leurs regards torves ou vides avant de les entourer de plusieurs rangées de bouclettes insistantes.

    Ensuite seulement il s’atteaquait aux pages « sport » et « politique », avant de passer aux petites annonces, si serrées les unes contre les autres, aux marges si étroites que c’en était un scandale.

    C’était au point que sa mère consulta le médecin de famille.

    – Il va s’user l’os scaphoïde, décréta celui-ci. Qu’il aille plutôt jouer dehors, sous la neige.

    La mère de Victor toutefois, qui ne pouvait rien refuser à son fisls unique, continua de l’alimenter en crayons et en cahiers qu’elle achetait à la papeterie par lots de quatre. Rapidement, faute de place, elle prit l’habitude de les jeter dans la cheminée au fur et à mesure. De toute façon, les séries de signes que Victor alignait sur les pages n’avaient aucun sens.

    Afisn d’éviter les histoires avec son mari, elle interdit formellement à Victor de gribouiller sur le Bien Public. Victor promit et les années passèrent sans encombre.

    Cependant, l’engouement de l’enfant pour les crayons ne faiblissait pas. À chaque visite chez un membre de la famille ou un ami de ses parents, il faisait une razzia, ce qui s’avérait relativement facile dans la mesure où les stylos font partie des objets que l’on perd avec le plus d’insouciance.

    Victor eut la chance de grandir à cette époque bénie où le stylo-bille supplanta le stylo-plume en moins de temps qu’il ne faut pour remplir un cahier de boucles régulières. Il cacha ses larcins sous son matelas jusqu’au jour où un grand ménage de printemps sonna sa perte.

    – Qu’est-ce qu’on va faire de toi, mon pauvret ? se lamenta sa mère.

    – Éfrifain, répondit sans se démonter le petit Victor qui venait juste de perdre sa première incisive. Moi fe feux éfrire des lifres.

    – Écrivain ? Tu ne veux pas plutôt fabriquer des remorques, comme papa ?

    – Non.

    Le petit Victor insista. Il serait écrivain, rien d’autre. Pas pompier, pas policier, pas même pilote de fusée ni président de la République.

    Sa mère soupira.

    Elle n’avait pas dormi depuis trois jours, accrochée jusqu’à l’aube à ce bouquin d’un jeune auteur inconnu qui lui flaanquait des cauchemars affreux.

    – Qu’il en soit ainsi, lâcha-t-elle, résignée. Après tout, tu seras peut-être le prochain Stéphane Kingue.

    Victor ne saurait jamais à quel point la fatigue joua un rôle dans la bénédiction accordée si facilement par sa mère.

    De joie, il entama un nouveau cahier à la couverture orange, assortie au papier peint de sa chambre.

    C’était décidé. Il serait écrivain.

    Qu’arante-deux années de boucles plus tard, Victor n’est pas écrivain.

    Ni même éfrifain.

    Au cours de la décennie précédente, il a étalé ses tripes dans quatre romans. Il les a envoyés, d’abord aux grandes maisons d’édition, puis aux moyennes, puis à toutes. Il a rédigé des mémos, des biographies, des résumés en quatrecent-quatre-vingt-dix-neuf caractères. Il a essuyé des refus polis, des refus neutres et des absences de réponse.

    Il s’est obstiné. A contacté des standards. Adressé des mails, des courriers. S’il avait pu, il aurait faxé, envoyé des pigeons apprivoisés ou des 3915 PARPITIÉ. Il a tout fait, sauf tatouer sa prose sur son dos pour que les plagistes puissent avoir accès à ses textes. L’idée était tentante, mais son dos trop petit.

    Bref, Victor a le désespoir chevillé au corps.

    Jusqu’au jour où un numéro le fait basculer sur un numéro, qui le fait basculer sur un numéro, et il tombe sur Nadège Galopine, éditrice.

    La bouche pleine de meringue, elle le prend au téléphone. Dès qu’elle comprend à qui elle a affaire, elle essaye de se débarrasser de lui. Mais Victor s’accroche. Enfisn, il tient l’occasion de comprendre, bon dieu, pourquoi ses romans ne retiennent pas l’attention qu’ils méritent. Alors il insiste, comme ce jour où il a tenu tête à sa mère dans la chambre aux murs oranges.

    Gênée, Nadège Galopine balbutie quelques banalités avant de l’expédier verbalement bien loin de sa boîte à best-sellers. Au fisn fond des terres australes, par exemple, quelque part où il pourra refroidir ses ardeurs litteéraires.

    C’est sans compter la détermination de Victor. À présent qu’il tient un nom, il prend le train et campe devant l’hôtel particulier des Éditions Confisns du Crime. Les Éditions 2C, en version courte, installées dans un petit immeuble cossu équipé de balcons en fer forgé d’où les employés peuvent regarder les auteurs avaler des Tranxen comme des bonbons.

    Même si cela risque de s’avérer douloureux, Victor est bien résolu à obtenir une réponse argumentée.

    Il est loin d’être naïf. Il sait que son insistance joue contre lui. Il le sait, mais ne peut pas s’en empêcher. C’est humain. Passer le doigt dans la flaamme du gaz, tout le monde l’a fait.

    Tiraillé par le doute, Victor se ravitaille aux Délices de Thééophile, la boulangerie du coin de la rue. Au troisième jour de siège, il entre au culot. Se présente à l’accueil, clame un rendez-vous avec Nadège Galopine et s’engouffre dans l’ascenseur sans laisser à la réceptionniste le temps de signaler l’intrus.

    L’air de celui qui sait où il va, il fonce dans les couloirs sans se retourner, sans saluer personne, sans même répondre au jeune homme roux qui l’interpelle timidement.

    Contre toute attente, ses efforts portent leurs fruits : il fisnit par dénicher Nadège Galopine dans le bureau 403, du glaçage collé au menton.

    Dès qu’il se présente, il reconnaît dans son regard la lueur de l’animal pris au piège. Comme elle regrette de lui avoir adressé la parole, à présent ! Tout ça pour un malentendu : il était tard, elle était fatiguée, elle a confondu Arthur F et Victor F, quelle idiote… À part le nom de famille, rien en commun. Une future star des librairies face à un anonyme sans talent, Léonardo di Caprio face à Léonard du Cap d’Agde.

    Comme il insiste, elle se résigne à arracher le pansement d’un coup sec. Elle gobe le reste de sa religieuse au café en une bouchée et sort du bureau pour ne pas rester seule avec l’auteur, on n’est jamais trop prudent avec ces gens-là.

    Pourquoi accepte-t-elle de le recevoir ? Plus tard, au fond de sa cellule, Victor en sera réduit aux suppositions. Par pitié, par inexpérience ? Par culpabilité ? Ou simplement, parce qu’elle n’ose pas refuser, à présent qu’il se tient là, les yeux de chien batteu, pas rasé depuis trois jours ?

    Les employés présents dans l’open space ne lèvent pas les yeux. Victor se demande lequel, parmi eux, a décidé que ses textes étaient bons pour la poubelle.

    – Bons pour la poubelle, je ne dirais pas cela… » Nadège Galopine l’a installé dans un coin de la pièce, en équilibre précaire sur un tabouret haut. Depuis le passage de l’ergonome, les accidents du travail ont doublé aux Éditions 2C. « Non, vos textes ont d’innombrables qualités, mais ne correspondent pas à notre ligne éditoriale. Ils manquent de… comment dire ? De…

    – Réalisme ? suggère Victor. Parce que je me suis beaucoup documenté sur…

    Elle le coupe aussitôt. Qu’elles plaies ces écrivains. Non seulement ils écrivent, mais en plus ils parlent. C’est agaçant. En plus, on la coupe au milieu de son goûter.

    – Plutôt de…

    – De style ?

    – Le style est correct.

    – D’originalité ?

    Elle penche la tête.

    – Ah, je n’arrive pas à mettere le doigt dessus…

    – D’action ? De suspense ? Dites-moi, je suis prêt à m’améliorer.

    – De vie ! Voilà. Ils manquent de vie.

    – De vie ?

    – De vécu, j’entends.

    Victor fronce les sourcils.

    – C’est-à-dire ?

    Agacée, Nadège Galopine essuie discrètement ses doigts sur le rebord de la table. Victor se force à détacher les yeux des traces sucrées et insiste auprès de l’éditrice.

    – Ils manquent de vécu, qu’est-ce que vous entendez par là exactement ?

    – Eh bien, vous voyez… Comment expliquer ? Vous faites la cuisine ?

    – Hum… Non, pas trop.

    Nadège Galopine pose la question pour la forme. Elle non plus ne cuisine pas. Elle préfère manger.

    Les pâtisseries et les romans constituent ses mets préférés. Poussée par une boulimie contre laquelle elle ne peut pas lutter, elle dévore les uns comme les autres à longueur de journée puis, arrivée au point de saturation où l’écœurement dépasse la gourmandise, elle les vomit, les uns comme les autres.

    – Je vois, dit-elle. C’est fâcheux. Vous savez, le lecteur a déjà tout goûté. Il mange chinois, il mange marocain, il mange mexicain. Il enchaîne les tartes, les ragoûts, les couscous. Le soir il dîne dans des étoilés. Le week-end, il retrouve les plats de son enfance chez mémé. Il est blasé. Il n’a plus faim.

    – Il n’a plus faim ?

    – Non, il n’a plus faim. Il est gavé. Alors pour ouvrir son appétit, il faut twister ses papilles, trouver l’ingrédient qui donnera du peps… Il faut du mordant, du piquant. Il faut du relief, Monsieur… ? F, oui, c’est ça, Monsieur F. Il faut casser les codes, bouger les lignes ! Le lecteur ne veut pas qu’on lui sature le palais avec une sauce trop sucrée. Il ne veut pas de soupe fadasse.

    Déstabilisé, Victor cherche dans la pièce le regard d’un autre être humain. Curieusement, cette tirade culinaire lui donne des envies de choucroute alsacienne. Trois jours qu’il avale des jambon-beurre.

    – Vous comparez mes textes à de la soupe fadasse ? hasarde-t-il.

    Un pincement douloureux lui transperce l’abdomen. L’alignement de bouclettes lui tient tant à cœur que le reproche le fait souffrir physiquement.

    Nadège Galopine hésite. C’est le moment d’asséner le coup de grâce.

    – Si c’est ce que vous pensez, c’est que vous n’avez rien compris. Vos textes sont très bien. Disons, intéressants. Un peu. Mais ils manquent de…

    – De vécu ?

    – Voilà !

    Elle sourit, soulagée d’avoir enfisn fait mouche.

    Elle se trompe. Devant l’air égaré de Victor, elle est obligée de développer.

    – Par exemple… Prenons votre vie personnelle. Vous êtes marié ?

    – Oui.

    – Et… ?

    – Et quoi ? » fait Victor en se demandant quel type de réponse elle peut bien attendre. « Oui, je suis marié. J’ai une femme et deux enfants. Comme tout le monde.

    – Je vois…

    Les épaules de l’éditrice s’affaissent. Elle montrerait une réaction plus joyeuse à l’annonce d’une maladie incurable. Un silence, puis, une lueur d’espoir dans le regard .

    – Vous ne seriez pas transgenre, par hasard ?

    – Pas que je sache.

    Décidément, cela s’annonce mal. L’aspirant auteur ne fait aucun effort.

    Il n’est jamais allé en prison. Il n’a jamais été otage d’une organisation terroriste, ni même du plus insignifisant saucissonnage de quartier. Il n’est parent d’aucune célébrité et n’a aucun abonné sur les réseaux sociaux, pour la bonne raison qu’il n’y possède pas de compte.

    Rien à en tirer.

    Elle cherche une autre approche.

    – Vous faites quoi, comme métier ?

    – Je travaille pour une société d’import-export. Je gère les stocks.

    – Les stocks ?

    – De boîtes.

    – De boîtes ?

    – Des emballages, si vous préférez. Des boîtes en carton, en plastique, en papier mâché…

    Nouvelle grimace.

    – Je vois.

    Elle voit surtout qu’il n’est ni de ceux qui se montrent, journaliste ou homme politique. Ni de ceux que l’on jette en pâture, policier ou prof. Ni même de ceux qui intriguent, prêtre ou gynécologue, par exemple.

    – Vous pourriez…

    L’adulte en lui laisse la place au petit garçon aux poings serrés, en salopette de velours bordeaux et coupe au bol.

    – Non, dit-il.

    Il veut simplement écrire ses romans et être publié, à l’ancienne. Ce n’est tout de même pas la mer à boire que de comprendre cela, bordel ! Ce n’est ni une question de notoriété ni d’argent. Lui, ce qu’il veut, c’est qu’on lui laisse une chance.

    Et oui, il est un employé de bureau honnête et hétérosexuel, dans la moyenne, sans aspérité, sans peps ni relief.

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