Au cœur des émotions

Chapitre 1 – Vers la lucidité

L’esprit humain est doté de la capacité de réfléchir sur qui nous sommes et sur le sens de la vie. Nous pouvons comprendre la nature de la vie que le bouddhisme décrit comme « samsara ». Les enseignements bouddhiques expliquent en détail les conditions de ce samsara : la souffrance, l’impermanence et la loi des causes et des effets appelée karma. Chacun, individuellement, doit évaluer la pertinence et la validité de l’enseignement bouddhique dans sa propre vie, ce n’est qu’ainsi qu’il prendra tout son sens. Comprendre le bouddhisme signifie comprendre la situation fondamentale de l’être humain. Au fur et à mesure que nous progresserons vers une plus grande clarté, certaines significations deviendront plus évidentes. Par exemple, nous nous rendrons compte que chacun vit sa vie en suivant inconsciemment les règles de la société et ses penchants personnels. Noyés dans notre environnement, nous ne sommes pas conscients de ce qui se passe en nous. En étant plus attentifs à ce fonctionnement intérieur, nous commencerons à découvrir le vrai sens de la vie.

Au début, par simple manque d’habitude, il nous est difficile de réfléchir à nos fonctionnements intérieurs ou d’en être conscients. Nous sommes alertés et cherchons une porte de sortie seulement quand nous sommes acculés dans une impasse; malheureusement, une fois le problème résolu, les vieilles habitudes reprennent le dessus et nous n’avons pas changé. Les enseignements conseillent d’aller plus loin lorsque nous sommes aux prises avec des difficultés : profitons de ces expériences pour mieux comprendre comment nous fonctionnons; utilisons nos conditions de vie et nos expériences comme des opportunités de découvrir notre fonctionnement. Si nous y parvenons, nous commencerons très naturellement à intégrer qui nous sommes. De plus, il est fort possible que nous découvrions une manière d’être différente.

Éviter le piège des méthodes temporaires

Nos problèmes paraissent sans fin. Dès qu’un problème est résolu, un autre frappe à son tour à la porte ! Individuellement, nous utilisons diverses méthodes pour faire face à toutes ces situations et ces mesures remédient quelque peu à nos dilemmes immédiats en nous apportant un soulagement temporaire. Cependant, ces solutions de fortune ne sont pas assez efficaces pour éliminer les difficultés.

Afin de parer aux problèmes rencontrés, certaines personnes tentent de les supprimer ou de les ignorer; cependant, ils refont surface encore et encore. Certes, les solutions provisoires s’avèrent nécessaires, elles nous aident à gérer les vicissitudes auxquelles nous sommes confrontés. Néanmoins, nous ne devrions pas nous appuyer uniquement sur ces remèdes, sinon nous gaspillons notre temps. Il est préférable de s’attaquer à la racine du problème pour l’éradiquer une fois pour toutes. Une douleur qui meurtrit le dos constitue le symptôme d’un problème dorsal, prendre un analgésique soulagera le malade, mais quelques heures ou quelques jours plus tard, la douleur reviendra. Les médicaments nécessaires doivent être pris jusqu’à ce que l’organe fonctionne à nouveau. La même chose s’applique à la douleur mentale. Supposons que nous nous querellions avec un ami; nous sommes alors perturbés et ennuyés. Mécontents, nous allons écouter des enseignements, parler avec un lama⁴ ou consulter un thérapeute. Une fois que nous nous sentons mieux, nous pensons que tout va bien et nous laissons les choses en l’état. Quelques jours plus tard, nous nous retrouvons de nouveau impliqués dans une autre querelle. En effet, nous sentir mieux ne signifie pas oublier; l’enseignement du Bouddha est un remède très efficace, mais il faut continuer à le prendre et, un jour, nos problèmes seront vraiment résolus.

Les grands lamas ont tous affronté des difficultés lorsqu’ils ont commencé à progresser sur le chemin bouddhique. Ils ont persisté dans leur pratique et appliqué systématiquement les moyens proposés par le bouddhisme, toujours lucides quant à la difficulté de la situation samsarique. Très lentement, ils ont alors atteint le point où ils ont été capables de résoudre leurs problèmes relatifs. Ils ont cependant poursuivi leur progression dans la pratique et, un jour, sont parvenus à actualiser certains degrés de sagesse. Alors, sans obstacle, ils ont continué jusqu’à atteindre le but ultime. Ceci montre comment ils ont trouvé le protocole de traitement pour leur affection et ils ont continué de prendre ce remède jusqu’à leur complète guérison.

Sans l’ombre d’un doute, le processus requiert du temps. Gampopa⁵ et d’autres grands enseignants l’ont tous confirmé. Nous pouvons donc nous détendre ! Nul besoin de nous précipiter ou de nous inquiéter. Il s’agit d’appliquer les enseignements en prenant le temps d’avancer pas à pas sur le chemin bouddhique et de continuer à le faire jour après jour, de manière détendue.

L’ignorance enfante l’illusion

Une vérité fondamentale étaie tous les enseignements bouddhiques : chaque être sensible est riche d’un potentiel de base appelé nature de bouddha. Nous pouvons considérer nos habitudes et nos capacités comme un potentiel, mais la nature de bouddha représente bien davantage. Elle peut être appréhendée comme un potentiel de base dont nous ne sommes pas conscients du fait d’un obscurcissement fondamental de l’esprit : l’ignorance.

Ignorance ne signifie pas stupidité. Ce terme fait référence à une incapacité à voir et à comprendre clairement. Nous sommes inhabiles à actualiser notre nature première. Nous sommes incapables de voir correctement, comme si notre champ de vision était réduit, nous suivons donc nos propres idées et nos sentiments du moment; par conséquent, nous ne savons pas ce qui est vraiment important. En fait, en courant derrière nos pulsions, nous aggravons encore notre cécité, nous étendons notre ignorance, nous privant toujours davantage de voir clairement. Inconsciemment, nous créons de plus en plus de négativités⁶, de nuisances, qui conduiront vers encore plus de souffrance.

Le Bouddha a découvert que tout n’est qu’illusion. Notre perception elle-même s’illusionne. Nous pensons en savoir beaucoup sur différents sujets – les choses du quotidien – mais notre connaissance reste confuse et fragmentaire. Pourtant, nous éprouvons nos idées et nos pensées comme des vérités. En fait, nous sommes, pour l’instant, mal équipés pour appréhender la pleine étendue de la réalité; nous n’avons d’autre choix que de vivre nos perceptions ou illusions biaisées, pris au piège d’une kyrielle d’émotions et des souffrances qui leur sont associées. Même écouter et réfléchir à un niveau plus profond ou comprendre le sens précis de l’enseignement du Bouddha se révèle être un défi. En effet, si notre perception était parfaite clarté, la simple lecture d’un livre consacré au chemin bouddhique nous permettrait, sur le champ, d’être éveillés. À présent, nous pensons comprendre de quoi il s’agit, alors que le sens exact nous échappe.

Prendre du recul, écouter et réfléchir

Cette méthode semble très facile; certes, elle est facile à entendre, mais pas si simple à mettre en oeuvre : il s’agit de la pratique de la lucidité. Essayons de prendre du recul sur nous-mêmes et de regarder nos pensées et nos actes. Essayons d’écouter et d’être conscients de nos sentiments, réactions et idées dans nos rencontres quotidiennes. Partageons avec nos amis les divers états ou difficultés que nous observons en nous-mêmes. Écoutons-nous les uns les autres avec plus d’attention lorsque nous racontons nos expériences. Posons des questions et écoutons vraiment les réponses. Il s’agit d’intégrer le sens au lieu d’emmagasiner simplement des mots. Utilisons l’enseignement du Bouddha comme référence, et adonnons-nous à la réflexion intérieure et à l’introspection. Cela prendra du temps et ne portera pas ses fruits immédiatement. Néanmoins, il est vraiment bénéfique de s’accorder le temps de la réflexion, dès que possible, et de le faire chaque jour.

Les enseignements bouddhiques foisonnent d’une myriade de chants et de poèmes magnifiques. Nous rencontrerons de nombreux termes et concepts philosophiques qui semblent tous très profonds. N’oublions pas qu’ils véhiculent une signification importante, il s’agit de ne pas nous faire piéger par le langage et les images poétiques. Questionnons-nous plutôt sur le sens qu’ils véhiculent. Que disent les mots à propos des causes des actes que nous accomplissons en tant qu’êtres humains ? Que révèlent-ils de leurs inéluctables résultats ?

Nous n’avons pas l’habitude de regarder de cette façon, mais essayons tout de même de comprendre plus précisément, c’est le point crucial d’où apparaîtront de bons résultats. Appréhender les différentes circonstances que nous rencontrons – ainsi que celles rencontrées par les autres – en termes de causes et d’effets permettra de comprendre l’ensemble des conditions du samsara. Nous serons à même de voir très clairement et comprendrons comment gérer les distractions et vicissitudes de la vie.

Au début, par manque de familiarité avec le processus, écouter et réfléchir à ce que signifient les états intérieurs et les conditions extérieures s’avère compliqué. Nous avons tendance à suivre chaque jour nos sentiers battus, sans jamais nous arrêter pour essayer de réfléchir. Nous n’avons jamais vraiment considéré ce que l’enseignement du Bouddha préconise dans les situations ordinaires de la vie quotidienne, mais nous pensons