Les émotions perturbatrices: Leur cause et les conditions de leur résolution
Par Alain Duhayon
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Aperçu du livre
Les émotions perturbatrices - Alain Duhayon
Prologue
Comme nous l’avions annoncé dans un précédent ouvrage¹, les différents sujets abordés nécessitaient un approfondissement.
En effet, il y était d’abord suggéré la nécessité d’établir un sens qui englobe chaque instant d’une journée comme d’une vie et permet une juste implication dans chaque activité au cours de ces différents moments.
Comment pourrait-on répondre de façon juste dans un temps donné et dans l’activité que nous y menons si, par ailleurs, les autres moments étaient vécus dans une implication excessive?
Par implication excessive, nous entendons ici tout ce qui découle d’un conditionnement, d’émotions perturbatrices, de saisie, d’identification, d’absence à soi et au monde et d’intérêts totalement égocentriques.
Il suffit d’un peu d’observation pour voir que lorsque nous menons notre activité professionnelle, notre esprit est encombré des problèmes affectifs et familiaux. De même, lorsque nous sommes en famille, les soucis liés aux activités professionnelles viennent polluer ces moments.
Tous les moments et toutes les activités sont vécus avec le poids du stress, des émotions, des empreintes qui ne concernent aucunement notre présent et ce que nous sommes censés y faire.
Que ce soit une tâche professionnelle, l’instant de notre endormissement, notre sommeil, nos rêves, manger, respirer, écouter une personne, communiquer, toutes les activités et tous les moments sont recouverts, pollués et engendrent un sentiment d’inaccompli, d’insatisfaction.
Ceci est sans compter les erreurs, les oublis, la partialité et les nombreuses conséquences de pertes d’efficacité et les souffrances que cela entraîne.
Il est donc essentiel de comprendre les mécanismes qui conditionnent les émotions perturbatrices. Voir ce qui permet leur inscription et leurs rémanences dans les moments et activités où elles perturbent notre sentiment d’être. Voir aussi quelle réponse juste nous pouvons apporter à ce qui est présent, cela est indispensable et sage. Cela dépend du fait que la conscience présente ne soit pas recouverte et conditionnée négativement par des conflits passés.
Si nous comprenons comment s’inscrivent en l’esprit les empreintes négatives, il nous devient possible de rassembler volontairement et consciemment les conditions qui vont permettre d’ensemencer cet esprit de façon positive.
1Être, en chaque instant de notre vie,Alain Duhayon, Rabsel Editions, 2019
Introduction
Vivre, c’est comme être parent pour la première fois. C’est apprendre à faire des choses qu’on ne sait pas, dont on n’a jamais fait l’expérience. Il va nous falloir faire avec ce qui arrive et ce qui « nous » arrive, quand bien même cela ne nous conviendrait pas.
Bien sûr, dans le meilleur des cas, nous pouvons être nés de parents aimants qui essaient de nous dire ce qui est bien pour notre vie en ce monde. Même dans ce cas-là, il est possible que ce qu’ils nous apprennent soit bon pour eux, mais il nous faudra voir si cela est bon pour nous. Toute l’aide qu’ils nous apportent peut nous sembler subjective, même si elle est juste, mais elle peut être injuste aussi.
Il nous est peut-être arrivé qu’un père ou une mère nous offre, comme cadeau, une belle paire de chaussures qui leur va « comme un gant ». C’est parce qu’ils y tiennent, parce qu’elle est belle pour eux et peut-être qu’elle leur a coûté cher. C’est parce qu’elle a de la valeur pour eux qu’ils pensent qu’elle doit avoir de la valeur pour nous. Ils nous l’offrent pour « notre bien ».
Mais ces chaussures ne nous vont pas, nous font mal aux pieds. Nous voilà un peu coincés! Entre mettre ces chaussures qui nous blessent pour leur faire plaisir ou les refuser, en les fâchant, puisqu’ils nous les offrent pour « notre bien », tel est le dilemme.
Que ce soit pour des chaussures ou autre chose et particulièrement pour des conseils, le problème est identique. Quoiqu’ils nous offrent, si cela ne nous convient pas, nous pourrons le reprocher à nos parents. Ce sera alors la preuve que décidément, ils ne reconnaissent pas nos vrais besoins, pas plus que ce que nous aimons, ce que nous sommes, et nous leur en voudrons.
S’ils ne nous donnent rien, nous laissant libres de nos choix, alors nous les pensons absents, peu aimants, et nous construirons notre solitude à partir de notre propre ressassement.
Respecter ses parents, parce qu’ils le sont et que nous leur devons la vie, n’est pas nécessairement être d’accord avec ce qu’ils font ou ce qu’ils croient. Il sera nécessaire de faire notre expérience. C’est toujours dans notre présent qu’une expérience se fait et qu’il est possible de vérifier le bien-fondé de l’idée qui a présidé à sa mise en œuvre.
Cette caractéristique est manifeste dans la vie du Bouddha. Ses parents lui offrent une existence protégée, loin des souffrances des êtres: la vieillesse, la maladie, la mort. Ils lui cachent aussi la possibilité de chercher à réaliser un état libre des souffrances des êtres. C’est par attachement qu’ils se conduisent ainsi. Au fond, tous les parents qui veulent le bonheur de leurs enfants se comportent de même façon.
C’est pourquoi le Bouddha s’échappe de l’enceinte royale. C’est grâce à cela qu’il découvre les fameuses « quatre idées ». Il rencontre en effet la souffrance des êtres, la maladie, la vieillesse, la mort et aussi la précieuse existence qui est celle d’un chercheur de vérité. Les quatre idées finiront par le conduire aux quatre nobles vérités: celle de la souffrance, de son origine, du bonheur et du chemin qui y conduit. Une idée, même juste, érigée par attachement en règle dépourvue de fondement², finira par devenir arbitraire et entraînera la souffrance.
Le Bouddha l’indique dans le Sutra du cœur où il énonce, de façon détaillée, la vacuité de tous les phénomènes, mais aussi des concepts que nous entretenons à leur propos. Il nous indique le chemin de la connaissance, de la réalisation et les limites du savoir.
Beaucoup de personnes s’arrêtent à l’idée d’une chose à accomplir. S’arrêtant à l’idée, elles ne passent que rarement à l’action, mais s’en sentent capables. Selon la formule « Je pense, donc je suis », nous nous identifions et nous nous réduisons aux phénomènes mentaux, sans en être vraiment conscients. De ce fait, nous ne passons jamais à l’expérience de constater, lorsqu’un phénomène mental s’élève, que nous pouvons en être conscient et ne pas nous y réduire; et réaliser ce qui a des caractéristiques et qui change sans cesse, le mental et ce qui est sans changement: la conscience. Puisqu’elle perçoit et produit les phénomènes, elle les précède et est, de ce fait, leur base d’apparition.
En être conscient, c’est non seulement être conscient du phénomène, mais aussi réaliser, dans l’instant où il s’élève, la conscience qu’on en a. Alors il y a non-dualité entre le phénomène produit et la conscience qui le produit: ces deux aspects de la conscience, le phénomène mental étant le produit de la conscience nouménale, sont reconnus. Ils ne sont ni semblables, ni différents. Cela, bien sûr, est à réaliser pour les phénomènes denses ou grossiers, mais aussi pour les phénomènes subtils.
Si ceci n’est pas réalisé, toutes nos idées, celles de nos parents, de nos éducateurs, seront toujours conditionnées. Comme elles feront partie du territoire de l’ego, elles génèreront inévitablement des conflits.
Cela constitue ce que l’on appelle le continuum de l’activité mentale qui couvre une durée saisie comme réelle, en complète contradiction avec la réalité³.
En effet, le passé n’existant plus, le futur n’étant pas encore, il n’y a de temps que le temps présent⁴ immédiat. De plus, s’il n’y a pas d’autre temps que le temps présent immédiat, c’est que les phénomènes n’ont pas d’autre existence que celle de leur apparence immédiate. De ce fait, il n’y a qu’un esprit libéré de saisie existentielle qui peut inclure relatif et absolu, phénomène et noumène⁵, apparence et vacuité. Cet esprit non duel ne peut être réduit à une apparence, à un temps ou à un lieu.
Ce continuum conditionné et conditionnant s’appliquant à un temps nouveau⁶, à des circonstances nouvelles est ce qui fige les phénomènes, les comportements, les jugements. Ainsi, nous infligeons aux autres et à nous-mêmes des jugements et comportements définitifs, tout ce qui fait nos regrets et souffrances, mais aussi l’impossibilité d’agir en pleine capacité. Notre potentiel de progression et d’une réponse immédiate à la situation présente se trouve ainsi annulé.
Cela est déjà très dommageable quand les conseils de ceux qui nous veulent du bien sont positifs, mais cela s’aggrave s’ils sont négatifs.
Par exemple, si un enfant subit un choc émotionnel lié au comportement d’un parent, il va voir rémaner l’empreinte pendant des années et nourrir son ressentiment. Pour lui, la blessure va demeurer toujours présente et va induire, par exemple, un comportement qui va s’appliquer dans le présent. Il va éprouver de l’injustice vis-à-vis de ce passé, mais en la projetant sur son présent. S’il ne s’est pas senti protégé dans cette circonstance passée, il va peutêtre surprotéger son propre enfant quarante ans plus tard. Qui va alors protéger ses propres enfants de ses projections? Pourra-t-il permettre à son parent de progresser, ne progressant pas lui-même? Ne sera-til pas conduit à une rigidification comportementale?
C’est ce qui peut entraîner le silence vis-à-vis d’un comportement négatif d’un enfant, sans se rendre compte qu’on l’a induit soi-même. On peut, par exemple, ne pas supporter les pleurs d’un enfant parce qu’on projette sur lui nos propres souffrances. Si nous n’avons pas pu les exprimer, nous l’empêchons d’exprimer les siennes qui n’ont peut-être pas du tout les mêmes causes que les nôtres.
Dire la vérité peut, pour un adulte, signifier faire ressurgir un lourd passé et pour longtemps. Se taire, justifier son silence, sous toutes sortes de prétextes, est une façon de repousser l’intégration de l’histoire personnelle passée.
Nous devrions comprendre les conditionnements de nos parents et ceux de tous les êtres et par conséquent, les nôtres. Que nous les considérions comme bons ou comme mauvais, serions-nous donc les seuls à ne pas être conditionnés? Et pour continuer de croire que nous ne le sommes pas, tout au long de notre vie, nous passons beaucoup de temps à essayer de trouver des personnes d’accord avec notre vision des choses, pour conforter nos conceptions.
Nous cherchons très souvent à nous rassurer ainsi et à recouvrir nos doutes en cherchant l’approbation sur nos idées, nos comportements. Cela peut nous conduire à des impasses. Juger des situations où autrui nous sert peut-être à justifier nos vues et nos qualités, pour autant cela ne nous rend pas heureux et libres. Cette manière d’emprisonner le monde et les autres est en fait une des formes de la colère assez destructrice, nous séparant plus ou moins de la réalité sociale et, entraînant des conséquences extrêmement durables pour nous et pour autrui.
Cela ne veut pas dire que nous devons faire fi du passé, mais il s’agit de le mettre à sa place par rapport à l’instant présent, le seul où réside le vivant. C’est en le présent seul que nous pouvons agir et que nous sommes: c’est là que nous devons être d’instant en instant car si nous n’habitons pas cet instant, ce sont les empreintes conditionnées de notre passé qui vont en quelque sorte nous habiter et nous faire agir.
Dès lors, nous devons impérativement faire cesser cette habitude d’être obnubilés, identifiés, hypnotisés par les phénomènes perçus.
Qu’ils soient extérieurs, matériels ou que ce soient les circonstances dont nous sommes témoins, il s’agit de demeurer conscient de soi⁷ dans le présent et de les laisser se dérouler sans s’y réduire. Cela concerne aussi les phénomènes intérieurs grossiers ou subtils: les sensations, les émotions et l’activité mentale grossière ou subtile.
Quels que soient ces phénomènes, nous pouvons en être conscients lorsqu’ils s’élèvent. Si nous pouvons en être conscients, c’est qu’il y a une conscience qui s’exerce dans le même temps que ces phénomènes s’élèvent, dans une instantanéité qui doit être reconnue. Si nous sommes aspirés par ces phénomènes sans reconnaître que la conscience les perçoit déjà, nous laissons dominer le phénomène sur la conscience qui le produit et le perçoit. C’est donc lui donner tout pouvoir, un pouvoir absolu, despotique et destructeur, puisqu’il place l’individualité en dépendance.
Ce qui nous a touchés, perturbés dans le passé, dans la mesure où cela s’est réellement déroulé, est donc un fait. Il ne s’agit pas de le nier. Mais il s’agit de réaliser que ce qui nous a meurtris dans le passé n’est plus. Nous ne pouvons projeter sur les circonstances présentes, les faits