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Laisse le soleil réchauffer ton âme: Fortuna Beach T2
Laisse le soleil réchauffer ton âme: Fortuna Beach T2
Laisse le soleil réchauffer ton âme: Fortuna Beach T2
Livre électronique272 pages3 heures

Laisse le soleil réchauffer ton âme: Fortuna Beach T2

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À propos de ce livre électronique

À Fortuna Beach, Californie du nord, Aliocha, sorti des rues de Los Angeles, travaille dans une boulangerie française.
Sur les hauteurs de Fortuna Beach, vit North Rosefield, à l’écart de tout, isolé dans un manoir victorien. Les deux aînés succèderont à leur illustre père, tandis que North, le benjamin atteint de paraparésie, subit une existence solitaire imposée par sa famille.
A priori, Aliocha et North ne devaient pas se rencontrer. Une plage discrète puis des pâtisseries font le reste, invitant Aliocha et le soleil dans le manoir et dans le cœur de North.
Non sans problèmes face au pouvoir des Rosefield. Le père de North n’hésite pas à cracher au visage de son fils le passé sordide d’Aliocha.
Pourtant, cet acte est loin d’être le plus grand danger planant sur Aliocha et North.


63647 mots 380182 caractères

© chris verhoest


LangueFrançais
ÉditeurXinXii
Date de sortie29 avr. 2023
ISBN9783989110717
Laisse le soleil réchauffer ton âme: Fortuna Beach T2

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    Aperçu du livre

    Laisse le soleil réchauffer ton âme - Chris Verhoest

    CHAPITRE 1

    Le garçon sur la plage

    Fortuna Beach, Californie du Nord.

    Fortuna Beach, la ville où j’avais trouvé de quoi débuter une nouvelle vie. Après être né à New York d’une mère russe en proie à la peur en permanence, après avoir vécu avec difficulté à Los Angeles, où elle m’avait expédié, j’étais arrivé là. 

    Fortuna, en latin, définit une condition favorable ou le contraire, la malchance. Fortuna, c’est le sort que le Destin, d’où qu’il vienne, nous réserve. Pile ou face. La vie, la maladie, la mort. La pauvreté, la richesse ou le juste milieu, réussir ou échouer.

    Pour l’instant, le sort était favorable pour mon meilleur ami et pour moi. Les années de galère me semblaient loin, quelque part dans une brume presque irréelle. Comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre. Comme si c’était arrivé cinquante ans plus tôt, alors que j’aurais seulement vingt ans en août. 

    Je garai ma Toyota blanche. Je venais sur cette plage découverte par hasard quand j’éprouvais le besoin de faire le point. Sur ce que j’avais. Sur ce qu’il me fallait. Sur ce que je devais faire pour améliorer telle ou telle situation.

    J’ignorais le nom de ce spot et c’était parfait ainsi. Je n’avais vu aucun panneau, et je ne le cherchais pas. Mon mystérieux refuge n’en devenait que plus efficace, afin que je trie tout ce qu’il y avait dans ma tête, dans cet endroit dont je n’avais parlé à personne, même pas à mon meilleur ami, Haiden.

    Le brouillard, puis le ciel nuageux mais lumineux de ce début juillet avait laissé la place, en ce dimanche après-midi, au soleil, uniquement entouré de bleu à l’infini.

    Je m’extirpai de ma voiture, et je sortis de ma sacoche ma paire de lunettes rétro. Comme la quasi-totalité de mes vêtements et de mes accessoires, elle provenait d’un magasin dédié à la seconde main. Il n’y avait guère que les sous-vêtements que j’achetais neufs. Cette habitude ne venait pas de mon passé. Ou, pour être plus précis, elle n’était pas liée au manque d’argent de ma vie d’avant. Du plus loin que je me souvienne, j’avais toujours aimé les choses anciennes, les objets et les habits avec une histoire.

    Ce jour-là, je portais un bermuda noir à plis, ainsi qu’une chemisette crème avec un large col rond mis en valeur par un ruban noir en mousseline noué négligemment. Ce genre d’accessoire coûtait peu cher et pouvait devenir le petit plus qui modifiait l’allure générale. J’avais aux pieds des tennis en toile blanche, qui contrastaient avec mes chaussettes noires basses.

    Je fermai la portière à clé, et je suivis le chemin plat puis légèrement descendant, entre les herbes sèches et sauvages, qui menait au sable blond. Arrivé sur la plage, je commençai à me perdre dans la contemplation du Pacifique, et dans l’écoute hypnotisante de ses vagues.

    Je m’apprêtai à m’asseoir sur un rocher bas et lisse, mon rocher habituel, quand je réalisai avec horreur que je n’étais pas seul. Il y avait deux hommes à ma gauche et à quelques mètres de moi. Je me redressai aussitôt.

    Le premier homme, le plus âgé, devait avoir dans la trentaine. Ses traits étaient réguliers et ses cheveux bruns, soigneusement coiffés en arrière. Il portait un costume bleu foncé et une chemise blanche, mais pas de cravate. Il me paraissait prêter une attention accrue au deuxième homme, blond et plus jeune, à qui je donnai à peu près le même âge que moi.

    Il avait des yeux clairs comme les eaux transparentes des lagons ou des lacs de montagne, un visage aux traits fins et aristocratiques sous les mèches épaisses et claires. Son visage aurait pu facilement devenir hautain, tant il portait ses origines aisées comme on porte un manteau quand on a froid. Il était bronzé, sûrement parce qu’il pouvait profiter de sa piscine luxueuse. J’étais bien plus pâle que lui en comparaison. Son polo bleu pastel arborait une marque discrète. Il était difficile de juger de l’élégance de son pantalon fluide car ses jambes se trouvaient serrées dans des attelles des chevilles jusqu’aux cuisses, ce qui plissait le vêtement. Il s’appuyait sur des béquilles en essayant de se tenir droit. Je réalisai alors qu’il avait un autre problème que des fractures.

    L’autre homme semblait veiller à ce qu’il ne tombe pas, tandis que le parfum de l’aisance financière tournoyait autour d’eux. Le garçon avait un soignant juste pour lui, ça me paraissait évident. Mais…

    Il avait envahi ce que je considérais, de façon injuste et primitive, comme mon territoire. Au vu de sa difficulté à se mouvoir et à garder son équilibre, sans doute venait-il chercher la même solitude que moi, loin des regards appuyés qu’il pouvait recevoir. Mais il m’emmerdait. Il allait m’empêcher de penser, méditer ou me laisser aller à cette nostalgie qui fait du bien. Celle qui rappelle ce qui n’est plus, mais qui a été agréable. Comme les bons souvenirs avec mon meilleur ami Haiden, dans cette vie et dans la précédente, à Los Angeles. Ceux avec toutes les personnes que j’appréciais à Fortuna Beach.

    Parfois, je songeais à ma défunte mère. Sa beauté, ses mots. Je ne pouvais pas me souvenir d’elle devant ce jeune homme. Cet intrus. Ses orthèses ne m’attendrissaient pas. Mon ex petit ami Haiden, devenu mon meilleur et plus cher ami, avait été amputé de la jambe droite sous le genou, à l’âge de treize ans, lors d’un accident de voiture. Et Haiden n’était pas un mec qui acceptait la pitié ou se prenait en pitié, même si sa prothèse pouvait le mettre mal à l’aise dans certaines circonstances, qu’il tentait toujours de dépasser. Il avait un caractère fort, il ne se laissait pas faire, et je ne m’étais jamais comporté avec mille précautions uniquement parce qu’il avait une jambe artificielle.

    — Hé ! hélai-je le jeune homme, en guise de protestation.

    — Je vous demande pardon ? me demanda-t-il, en tournant son visage vers moi.

    Cette beauté. Cette voix. Sa voix. Il y eut cette voix. Un murmure, un bruissement, un écho, qui faisait sens avec son physique, et la façon dont je le ressentais. Mon cœur se soumettait à un mélange de douleur et d’excitation euphorique.

    — Est-ce qu’il y a un problème, Monsieur ? s’informa le trentenaire qui accompagnait le jeune, sur un ton poli.

    Je me trouvai déstabilisé, car renvoyé vers la logique et la réalité, qui m’empêchaient de m’en prendre à ce garçon, juste parce qu’il se trouvait malencontreusement sur cette plage d’ordinaire déserte.

    — Je suis désolé, soupirai-je. D’habitude, il n’y a personne lorsque je viens, et j’ai estimé que ce confort coulait de source et m’appartenait.

    — C’est compréhensible, dit l’homme en costume. North vient ici pour les mêmes raisons.

    — Je suppose que nous aurions pu continuer de profiter de cette plage sans jamais nous rencontrer, ajouta le nommé North. Ou bien tomber sur l’une de ces fameuses probabilités et nous croiser, comme aujourd’hui.

    Oh, cette voix. Elle avait disséminé dans l’atmosphère iodée jusqu’à la plus petite particule de ma colère. Il s’exprimait bien, comme j’aimais à le faire. Il me semblait cependant que son aristocratique figure était un peu gênée.

    — Permettez-moi de vous dire que j’apprécie votre tenue, ajouta-t-il, la voix rauque, presque brisée.

    Son beau visage était écarlate. Ses bras frémissaient et ses doigts serraient trop fort les béquilles. L’autre homme lui mit la main sur l’épaule et les membres raides du garçon s’assouplirent.

    — Je vous remercie, North, répondis-je avec douceur, afin de le débarrasser de cette gêne qu’il éprouvait. Je suis Aliocha.

    — C’est joli, dit-il.

    Ses yeux s’illuminèrent mais son sourire, qui aurait été magnifique sur ses jolies lèvres à la courbure parfaite, resta timide. Je me vis alors dans son regard. Mince, comme lui, sensiblement de la même taille, avec mes cheveux châtain disciplinés, mes (trop grands) yeux bleu gris dans mon visage fin, ainsi que mon expression assurée.

    J’aurais pu appartenir à son monde. Mais l’existence que j’avais menée m’avait démontré le contraire durant trop d’années.

    Son prénom lui allait bien. Il était un territoire magnifique et froid, avec ses yeux et ses cheveux clairs, et qui avait besoin de la chaleur des autres et du soleil, non pas sur sa peau bronzée, mais pour s’animer davantage.

    — Pardonnez-moi mon insistance, reprit North, mais vous vous habillez ainsi tous les jours ? Pour vos études ?

    — Mon travail, rectifiai-je. Mes tenues sont d’autant plus appréciées que je travaille dans une boulangerie française. Cependant, mes goûts datent de bien avant.

    Il m’écoutait comme si je prononçais des choses extraordinaires. Peut-être était-il trop habitué à discuter uniquement de ses soucis physiques avec les inconnus, souvent curieux. Il pencha un peu trop vers moi, et l’homme en costume posa ses mains sur ses épaules pour l’aider à rétablir son équilibre. North me jeta un bref regard, rougit, tandis que l’autre demeurait imperturbable, concentré sur le bien-être de son protégé.

    — Je suis désolé, murmura North, la voix toujours élégante mais parasitée par un petit rire nerveux.

    — Mais de quoi ? l’interrogeai-je, de façon purement rhétorique.

    Je balayai son malaise d’un revers de main.

    — Je suis Atkins, l’aide-soignant de North, dit le trentenaire, alors que je croisais son regard. Christopher Atkins.

    J’inclinai légèrement la tête pour répondre à son salut. J’aurais souhaité discuter avec North. De tout et de rien, pour commencer. Mais la présence de Atkins me bloquait.

    — Je vais vous laisser profiter, déclarai-je.

    Le sourire de North se fana mais il n’objecta rien. Lorsque je réalisai que je ne le reverrais peut-être jamais, je sentis une lame, presque aussi fine qu’une aiguille, me traverser le cœur. Je fis lestement volte-face. En arrivant à ma voiture, j’en repérai une autre qui m’intrigua. Une voiture de luxe noire, haute et sûrement bien plus confortable que ma vieille Toyota. Le véhicule de North, assurément. J’en fis le tour, et je vis le pictogramme dédié au handicap sur la plaque d’immatriculation.

    *

    Le lendemain matin, lundi, je me réveillai mélancolique. Pour la première fois depuis mon emménagement dans ce joli appartement, obtenu grâce au soutien de l’oncle de mon meilleur ami Haiden, j’ouvris les épais rideaux sur un paysage qui ne me dit pas combien j’avais de la chance. D’habitude, mon esprit s’envolait au-dessus des toits blancs et bas, au-dessus du Pacifique. Mais pas ce jour-là.

    Ce qui m’étreignait ressemblait à ce que j’avais éprouvé en retrouvant Haiden éperdument amoureux de Jude. Notre temps ensemble était révolu. L’amour avait laissé sa place à une amitié unique et profonde.

    Je traversai mon appartement et ses tons bleu, gris et blanc. Je pris mon petit déjeuner, ma douche, et effectuai le trajet jusqu’à mon lieu de travail. D’ordinaire, je savourais ma routine. Mon mental ne s’était pas arrangé depuis mon réveil.

    Je passai devant la devanture rose bonbon et bleu layette, improbable et irrésistible, du Chat qui pâtisse (NDA: En français, les américains adorent les boutiques et les restaurants avec des noms français).  Les gens de cette ville côtière avaient un truc avec les chats, ou le hasard avait voulu que je tombe sur des passionnés de ce petit félin. L’oncle de Haiden, qui m’avait hébergé à mon arrivée, possédait Little Gus et Big Gus, deux chats calicots dont mon meilleur ami s’était entiché. Et peut-être que moi aussi, un peu. Et voilà que je travaillais dans la boutique d’un chat pâtissier. La boulangerie avait été montée par un couple d’origine française, Benoît et Béatrice Charpentier. Mes patrons.

    Je me garai sur le parking réservé au personnel et marchai jusqu’à la porte de service, que je tirai. Je déposai ma sacoche avec mon portable, mes écouteurs et mes papiers dans mon casier, où je pris mon tablier rose et bleu orné d’une silhouette noire de chat. Je le nouai autour de ma taille. Ma chemise et mon nœud lavande négligemment noué étaient bien mis en évidence. En valeur.

    J’aperçus Manon, la nièce de Benoît et Béatrice, qui revenait des WC. Nous ne prenions qu’à dix heures, tandis que Benoît et sa femme s’affairaient en cuisine depuis des heures, même s’ils n’avaient pas de pain à faire cuire. La préparation des gâteaux était aussi longue et très minutieuse. Tous deux diplômés en pâtisserie, ils s’étaient rencontrés lors d’une foire, en France, où ils avaient tous les deux gagné un prix, d’après ce que Bea m’avait raconté. Leurs deux enfants, deux garçons, travaillaient respectivement dans l’immobilier et dans le tourisme. Seule leur nièce avait suivi la voie de la pâtisserie.

    Souvent seule pour servir derrière le comptoir et en salle, car la boulangerie faisait aussi salon de thé, Manon avait eu besoin de renforts au moment où j’avais proposé ma candidature. J’avais de l’expérience, pour avoir travaillé dans une autre boulangerie à la française, située à Los Angeles.

    Les deux autres employés étaient nos livreurs travaillant en alternance, Matt et Jasper.

    — Salut ! s’écria Manon en claquant la porte de son casier, après y avoir pris son tablier. Oh, j’adore ta cravate, Aliocha. Ce bleu est chouette.

    — Merci. C’est bleu lavande, expliquai-je, en soulevant le nœud de mousseline.

    Elle me sourit, adorable avec ses tresses blondes. Si j’avais aimé les femmes, j'aurais pu essayer de lui plaire, parce qu’elle était aussi mignonne que sympathique.

    Nous nous acheminâmes vers le comptoir où Bea nous accueillit avec sa bonne humeur contagieuse. Blonde et souriante, elle savait transformer un client occasionnel en habitué. Elle retenait tous les noms.

    Il n’y avait que deux dames assises dans la salle rose et bleu, et une accalmie au comptoir depuis cinq minutes, quand la clochette tinta. Je reconnus immédiatement l’homme qui entrait. Christopher Atkins, l’aide-soignant de North. Il se dirigea vers moi d’un pas décidé, tandis que Manon apportait leur thé rêve de Paris aux deux femmes.

    — Je vous retrouve enfin, Monsieur…

    — Egorov. Aliocha Egorov. Je vous avais dit que je travaillais dans une boulangerie française, ajoutai-je, secrètement réjoui.

    — En effet. M. North souhaiterait que vous lui livriez vous-même des pâtisseries au manoir Rosefield, m’annonça-t-il, tout en parcourant des yeux les différents présentoirs derrière la vitre.

    — Moi-même ? Malheureusement, ça ne fonctionne pas comme ça, répondis-je, tandis que Bea revenait des cuisines, avec une nouvelle fournée de tartelettes aux framboises.

    — Vous n’avez pas de service de livraison, depuis la pandémie ? poursuivit-il.

    — Si, bien sûr, mais il s’applique aux commandes reçues par téléphone, et vous êtes devant moi. De plus, je ne suis pas coursier.

    — Je vous transmets les souhaits de mon employeur afin que nous trouvions de quoi les satisfaire, répondit-il, imperturbable.

    Comme un majordome anglais. La faille de San Andreas aurait pu s’ouvrir à l’instant même qu’il n’aurait pas cillé.

    — Vous êtes anglais ? l’interrogeai-je subitement.

    — Pourquoi voulez-vous le savoir ? demanda-t-il, décontenancé durant une demi-seconde.

    — À cause de votre flegme.

    — Je vois, dit-il avec un petit sourire. Je suis de Boston, Monsieur.

    — Dommage, soupirai-je.

    — Et qu’allons-nous faire pour mon employeur ? reprit-il. Il souhaiterait être livré par vous tous les deux jours, pour des pâtisseries qu’il choisira via le site. Ma présence ici aujourd’hui est exceptionnelle. Le pourboire sera très intéressant. D’autant plus si vous prenez le temps de discuter un peu avec North, Aliocha.

    — Sur mon temps de travail ?

    — Cela fera partie du travail, plutôt, et de la rétribution, par conséquent, précisa Atkins.

    — Eh bien… fis-je, en me tournant vers Bea.

    — Accepte, me dit Bea avec gentillesse. Le client est roi, et peu importe la façon dont il veut ses pâtisseries, nous nous efforçons de le satisfaire. S’il les veut avec de la compagnie, nous l’accordons, conclut-elle avec un sourire.

    — Merci, madame, dit Atkins.

    — Que souhaite donc Monsieur North Rosefield, et devrai-je livrer dès aujourd’hui ? m’enquis-je avec amabilité.

    — Pas de livraison aujourd’hui, puisque je suis ici pour vous transmettre les désirs de North, dit Atkins en souriant. J’emporterai les gâteaux. Ces deux macarons à la violette, cet Opéra, ce fraisier, et ce morceau de tarte tatin, s'il vous plaît, énuméra-t-il.

    J’imaginais mal le jeune homme mince de la plage avaler tout ça, même en deux jours. J’aurais pu poser mille questions mais la politesse me retint. Je me contentai de saisir chaque pâtisserie avec une pince, avant de les déposer dans une boîte en carton rose et bleue. Je la lui remis au-dessus du comptoir.

    Atkins paya et me donna un pourboire très généreux.

    — Pour avoir accepté, souligna-t-il avec un sourire, avant de nous saluer, Bea et moi, et de faire demi-tour.

    — Non seulement tu seras bien payé, mais tu feras une bonne action, me dit Bea avec un sourire entendu, une fois Atkins parti.

    — Pourquoi ?

    — Je connais Atkins, et je connais celui pour qui il travaille, comme tout le monde à Fortuna Beach, expliqua-t-elle. North Rosefield est un jeune homme souvent seul.

    — Je l’ai rencontré hier sur une plage isolée, révélai-je. Atkins l’acccompagnait.

    — Ah, voilà qui explique tout. North a dû t’apprécier, déclara Bea, réjouie.

    — Sûrement parce que je n’ai fait aucun cas de son handicap. J’y suis habitué, avec Haiden. Mais est-ce qu’il va manger tous ces gâteaux ?

    — Je suppose qu’il va partager avec ses employés, dit Bea. Il les aime beaucoup, sans doute parce qu’ils s’occupent bien de lui, à ce qu’on dit, et qu’ils sont donc un peu plus que du personnel.

    — Pourtant, il se sent seul, fis-je remarquer.

    — Ils ne sont pas comme des amis de son âge, souligna Bea.

    — C’est vrai.

    L’idée de revoir North, de lui parler, d’avoir cette seconde chance, fit s’évanouir ma mélancolie pour installer dans mes pensées un soleil aussi radieux que celui qui régnait au dehors.

    CHAPITRE 2

    Le manoir Rosefield

    J’avais l’impression d’avoir été acheté pour ma compagnie. Cependant, c’était loin d’être déplaisant, bien au contraire. Je préférais être acheté pour ma compagnie que pour autre chose, comme autrefois. De mon plein gré dans les deux cas, mais North donnait une autre dimension à notre contrat. Une dimension infiniment agréable et totalement différente.

    Rosefield était le nom de famille de North mais aussi celui du manoir, comme indiqué au-dessus du portail ouvragé, qui s’ouvrit automatiquement. Il était pourvu d’une caméra.

    L’ardoise, le blanc et le gris bleu dominaient la façade et les toitures, typiquement victoriennes. Cette architecture, qui avait émergé durant le très long règne de la reine Victoria au Royaume-Uni (NDA : de 1837 à 1901), avait atteint les USA à la même époque et avec le même enthousiasme romantique.

    Comme une pièce montée aux multiples détails, le manoir était aussi beau que difficile à décrire. J’en avais vu de semblables à Los Angeles, plus colorés pour correspondre à la ville, mais aussi à San Francisco, les fameuses old painted ladies. Plus rarement dans des petites villes côtières, et encore moins aussi grands et isolés au cœur d’un grand domaine, comme jadis au Royaume-Uni.

    Certains éléments du manoir saillaient par rapport à d’autres. Ceux qui étaient mis en avant possédaient des colonnes sculptées autour des grandes fenêtres. À l’arrière, il y avait une tourelle avec sa toiture indépendante et devant, des corniches et des pièces de bois richement travaillées, au-dessus des nombreuses fenêtres et de la porte d’entrée. Même les pignons étaient ornés d’ouvrages fins et délicats. J’aurais pu passer des heures à observer tous les détails de ce sublime manoir asymétrique. En très bon état, la toiture et les peintures avaient dû être refaites plusieurs fois et sans doute que l’intérieur avait lui

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