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Les guerres vertes: Roman
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Les guerres vertes: Roman
Livre électronique370 pages6 heures

Les guerres vertes: Roman

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À propos de ce livre électronique

Allawn réussira-t-il à trouver une solution à l'effondrement? La survie de la planète est en jeu !

Ça y est ! La planète habitable qui sauvera l’humanité de la catastrophe climatique a enfin été trouvée. Parce qu’il est propriétaire de l’une des dernières réserves d’or noir au monde, Allawn est invité à rejoindre les héros d’un faramineux programme de sauvetage. Seulement, plusieurs questions restent en suspens. Comment partager équitablement cette terre promise ? Comment s’adapter aux nouvelles conditions de
vie ? A-t-on le droit de quitter la Terre sans réparer nos dégâts ? Ces interrogations érigent d’énormes murailles entre les héros. Et leur projet, qui était né dans les roses, finit dans le sang. Cependant, des idées ingénieuses, dignes des plus grandes forces de la nature, jaillissent de toute part pour apporter des solutions.

Allawn décide dans un immense égrégore de changer sa destinée, en unissant son destin à celui de la Terre, lorsqu’il voit tout s’effondrer. Il rédige ce récit palpitant pour conter aux générations futures la beauté de la planète qui a vu naitre leurs ancêtres, et l’ampleur des guerres vertes qui ont été menées pour la sauver.

Un thriller écologique absorbant et perspicace, qui pose des questions essentielles.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Fredy Intelligent est un chercheur en énergétique et environnement, qui est par ailleurs fasciné par l’engouement paradoxal que suscitent les projets de conquête spatiale sur la société contemporaine. Il vit entre la Suisse et le Cameroun, et travaille principalement sur des projets de recherche collaboratifs Nord-Sud pour un développement durable.
LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie21 sept. 2021
ISBN9791023620207
Les guerres vertes: Roman

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    Aperçu du livre

    Les guerres vertes - Fredy Intelligent

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    Fredy Intelligent

    Les guerres vertes

    1.

    L’Enveloppe Verte

    Que feriez-vous si le monde tel que nous le connaissons touchait à sa fin ? Seriez-vous prêts à muter ? Serait-il juste de quitter la Terre sans réparer les torts que nous lui avons faits ? Comment partager de façon équitable cette nouvelle terre promise, où coulent des denrées plus douces que le miel et plus nourrissantes que le lait ? Voilà plusieurs mois que je vivais avec ces questions irritantes en tête.

    Le monde n’était plus et ne serait plus jamais le même. Notre civilisation était progressivement érodée par la mer, les oiseaux avaient cessé de chanter dans les airs, l’Arbre cosmique avait été déraciné de la terre, et l’éclipse du Soleil allait arriver comme mars en carême. À cette époque-là, il était difficile de donner au Soleil la place royale qui lui revenait. On le voyait se lever, briller et se coucher tous les jours, comme une étoile quelconque. Mais ce n’est que lorsqu’il était totalement éclipsé que sa royauté nous était entièrement révélée. C’est à ce moment-là qu’on pouvait contempler la splendeur et l’immensité de sa crinière. Tout autour du sombre disque lunaire, on voyait apparaitre une couronne resplendissante dans laquelle s’entremêlaient des lignes d’énergie cosmique. La première fois que j’ai aperçu une éclipse solaire, il était prédit qu’elle devait être la dernière et, en même temps, celle qui annonçait notre fin.

    Je pense que plusieurs personnes s’efforceront toujours d’oublier ou d’effacer cette horrible page de l’histoire. Mais on le sait bien : le vent de la vie ne souffle pas uniquement sur des eaux tranquilles. Il se heurte à des forêts, à des montagnes et à des reliefs invraisemblables. Une histoire rose serait très plaisante à parcourir, mais restera toujours perçue comme teintée de mensonges par les diverses personnes qui la liront. Lorsque les nombreux points d’ombre qui ont réellement existé sont ajoutés à cette histoire rose, on la voit rougeoyer progressivement pour aboutir, finalement, à un semblant de rouge sang. C’est derrière ces histoires tachetées de sang que se trouve très souvent la vérité qui nous permet réellement de comprendre d’où l’on vient et d’apporter des réponses aux nombreuses questions qui nous hantent quotidiennement.

    Dans ma version de l’histoire, je ne m’attendais pas à ce que les changements soient si brusques. Devant l’urgence de l’effondrement, nous sommes toujours confrontés à des choix personnels qui, d’une façon ou d’une autre, nous conduisent à trois types de décision. La première consiste à profiter des derniers instants qui nous restent en faisant semblant de ne rien voir. La deuxième consiste à se préparer à la transition en se soumettant à de rudes changements et de difficiles adaptations dans notre vie. Et la troisième, qui semblait être la plus insensée, mais qui a pu conquérir plusieurs esprits, est de précipiter nous-mêmes l’effondrement pour limiter l’agonie. Moi, j’avais fait mon choix après un appel de Greene, et ce choix m’avait conduit vers une aventure qui m’a permis, pour une fois, de briller du plus profond de mon être. En quelques mois seulement, j’ai vécu une vie plus riche et plus intense que tout le reste des vingt et une premières années de mon existence.

    Tout avait commencé un jour comme les autres, à la station-service de mon quartier. Elle appartenait à une multinationale pétrolière dans laquelle ma famille était l’un des principaux actionnaires. C’était l’une des dernières stations qui étaient encore en service dans la ville, après une série de fermetures en chaine dues à la crise énergétique. J’y avais garé ma voiture pour la ravitailler et je venais à peine de saisir le pistolet d’essence. C’est alors que j’ai entendu cette voix à la fois chevrotante et tremblante qui disait : « J’aime bien votre voiture ». J’ai tourné la tête vers la provenance de la voix. Et j’ai aperçu cet homme pour la première fois. Il est sorti de l’ombre, s’approchant à petits pas. Par instinct, mon subconscient a envoyé un message spontané à mes lèvres qui se sont comprimées directement pour lancer : « Monsieur, ne vous approchez pas de ma voiture ! ». Mais les ondes lumineuses que réfléchissait son visage et qui parvenaient à mes yeux en m’éblouissant ont bloqué mon message dès le « Monsieur ». J’avais devant moi un visage affaibli, avec une barbe de plusieurs années, pour ne pas dire plusieurs décennies, et de longs cheveux blancs. Il portait des lunettes avec une monture de bois d’ébène, qui alternait entre les couleurs marron et noir. Dans ses cheveux, au-dessus de son oreille, se trouvait une plume d’oiseau. Je pense que cet oiseau était soit un aigle soit un faucon. Au cou, il avait un collier sur lequel s’entremêlaient coquillages, coraux et perles. Ces dernières me rappelaient l’ultime collection de perles que mon grand-père avait

    pêchées au fond de la mer. Je me suis vite ressaisi et j’ai pu lui répondre avec courtoisie en disant tout juste :

    – Merci.

    – Elle doit couter cher cette voiture, a-t-il rétorqué.

    – Je ne sais pas !

    – Arrivez-vous toujours à trouver de l’essence pour un bolide pareil en ce moment de pénurie ?

    Cette question m’embêtait. Les citoyens de la ville ne le savaient pas, mais cette station-service avait été transformée en station privée. Seuls mes proches et moi pouvions nous y ravitailler depuis quelques années. Du coup, je ne savais pas quoi lui répondre et j’étais très gêné. Il continuait à s’approcher lentement en parlant, et je me suis écrié :

    – Écoutez monsieur, restez à distance sinon j’appelle la sécurité.

    En effet, en assurant la sécurité de la station, le service de surveillance assurait indirectement ma sécurité personnelle, ainsi que celle de mes proches.

    – Désolé monsieur, a-t-il dit, je ne veux pas de problème, je veux juste vous donner un cadeau.

    – Je n’ai pas besoin de votre cadeau, merci quand même.

    – Monsieur, je vous en prie, prenez-le. C’est juste un cadeau, je ne vous demanderai pas d’argent.

    C’est à ce moment qu’il a sorti une enveloppe verte de sa poche et me l’a tendue. Ses mains toutes sales et abimées ne m’encourageaient pas beaucoup à prendre quoi que ce soit qui venait de lui. Après un moment d’hésitation, j’ai pris l’enveloppe. Je ne sais pas ce qui m’a piqué à ce moment précis pour que je la prenne. Était-ce pour me débarrasser de lui ? Était-ce par pitié ? Était-ce par respect ? Était-ce dû à ma compassion devant ce regard profond et innocent de mon prochain qui m’offrait juste un cadeau sans rien me demander en retour ? Les véritables raisons pouvaient être multiples, mais le fait est que j’ai pris l’enveloppe et l’ai posée dans la voiture.

    Tout d’un coup, le responsable du service de surveillance s’est approché en courant et lui a dit :

    – Je t’ai dit que je ne voulais plus te voir ici. Éloigne-toi !

    C’est ainsi que cet homme mystérieux s’est éloigné à petits pas, et j’ai vu sa silhouette disparaitre dans l’ombre, exactement de la même façon qu’elle était apparue. Ensuite, le gardien s’est adressé à moi :

    – Monsieur, vous allez bien ?

    – Oui, ça va, merci. Ne vous inquiétez pas.

    Voilà que ma voiture venait d’être remplie, tout comme l’étaient mon compte bancaire après cette semaine éreintante et mon estomac après ce magnifique diner avec des collaborateurs. Je devais filer à la maison pour prendre une bonne douche, enfiler un joli costume, mettre une Rolex au poignet, et aller à une soirée avec des amis. Les quatre roues étaient sur le chemin de l’amusoire, et quoi de mieux que mon dur labeur comme motivation pour m’attribuer ce mérite ?

    À la sortie de la douche, qui ai-je vu devant moi ? Lolaya ! Elle tenait dans sa main l’enveloppe verte. Lolaya avait cette mauvaise habitude de toujours fouiller dans la voiture pour vérifier si je n’y avais rien oublié. C’était un bonobo que j’avais ramené de ma visite touristique au cœur de la forêt tropicale. Je l’avais baptisée « Lolaya » en l’honneur d’une fantastique fondation que j’y avais visitée et qui protégeait les bonobos depuis plusieurs décennies. Je lui donnais tout ce dont elle avait besoin pour être heureuse et épanouie, mais elle voulait toujours se sentir utile. Pour ce faire, elle suivait tous mes mouvements dès que j’étais à la maison afin que je n’oublie et ne perde rien. Elle s’est précipitée vers moi et m’a tendu l’enveloppe verte, qui ressemblait tant à l’enveloppe dans laquelle j’avais l’habitude de lui mettre des cartes de vœux. Dès que j’ai saisi l’enveloppe, elle m’a sauté à l’épaule et l’a pointée. Ensuite, ses lèvres ont pris la forme de la lettre « U ». C’était sa façon à elle de me demander de l’ouvrir.

    J’avais appris à communiquer avec Lolaya dès son plus jeune âge, et on parvenait à bien se comprendre à travers des mots de ma part et des gestes de la sienne. Elle tapait son ventre pour demander à manger, sa gorge pour demander à boire. Elle m’avait adopté comme maman de substitution et voulait toujours rester accrochée à moi lorsque j’étais à la maison. Je me suis demandé plusieurs fois si elle se sentait vraiment exister en vivant avec moi, en occupant toujours cette place de l’enfant adapté et soumis. En effet, dans la forêt, la société des bonobos était complexe et très différente de ce que je lui offrais ici. Leur société était très pacifique et collaborative, et la femelle était le sexe dominant. Cette dernière avait un besoin inné d’encadrer et de coordonner les choses, ce qui pouvait expliquer le comportement de Lolaya. Il n’y avait pas vraiment de hiérarchie dans leur société, mais plutôt une alliance de femelles dirigeantes. Pour bien diriger et calmer les mâles, elles utilisaient très souvent les rapports intimes comme monnaie d’échange. C’était l’outil ultime de négociation, de tranquillisation et de calmement face aux multiples tensions et conflits qui pouvaient exister dans les communautés. Les mâles étaient soumis et obligés d’adopter tous les petits de manière équitable étant donné qu’ils ne savaient pas qui en était le père. Cela m’a toujours émerveillé et, plusieurs fois, j’ai eu la sensation que leur conscience de soi ainsi que leur compassion étaient de loin supérieures à celle des humains, leurs cousins censés être au sommet de la pyramide de l’évolution. Depuis plusieurs années, la survie des bonobos était mise en danger par la montée du niveau des eaux. Alors, ils essayaient de sauter entre les hautes branches des arbres pour se déplacer, et plusieurs finissaient par se noyer. L’accroissement de la déforestation n’améliorait pas du tout leur sort, car elle limitait énormément le nombre de hautes branches dont ils disposaient pour se déplacer aisément. Pour ceux qui parvenaient à échapper à l’eau, des braconniers les attendaient avec des pièges de l’autre côté de la rive. J’avais pris conscience de cette situation déplorable durant mon voyage touristique en pleine forêt tropicale. Je m’étais dit qu’en achetant un bonobo et en lui offrant une vie de rêve, je pouvais ainsi poser ma part de brique et laver ma conscience pour le tort qu’on leur avait causé. J’avais toujours du mal à croire qu’on me l’avait vendue à un prix inférieur à celui d’un menu « fast food ». J’avais encore plus de mal à croire qu’elle profitait vraiment de cette vie que je lui offrais. Si seulement je pouvais percevoir ce que les animaux ressentent dans leur cœur.

    Je me suis efforcé de lui faire comprendre que je n’avais pas de temps pour ouvrir cette enveloppe qui n’était pas importante à mes yeux. Après avoir insisté pendant plus de cinq minutes, j’ai fini par céder pour lui faire plaisir et aussi, il est vrai, pour assouvir ma curiosité vis-à-vis de son contenu. Je l’ai ouverte et j’y ai trouvé une lettre écrite au verso de vieux papiers de publicité, avec un stylo plume et une encre verte. Elle semblait avoir été écrite depuis plusieurs années, car la publicité au recto mentionnait une promotion faite par une boutique de vêtements de luxe vingt-deux ans auparavant. Sans plus tarder, j’ai entamé la lecture : « Bonjour à toi mon semblable qui lis cette lettre. Elle est destinée à toute personne qui voudrait bien lire mon message jusqu’au bout. Je m’appelle Greene. Je suis né sur une terre très lointaine, qui est presque entièrement recouverte par une énorme calotte de glace. Mon père venait d’ailleurs, mais il travaillait sur une base scientifique établie sur cette terre gelée. Il y analysait la mémoire de la glace dans le but de reconstituer notre histoire. En effet, en coupant de la glace et en étudiant la composition de ses différentes couches, il pouvait remonter aux cycles climatiques du passé, et même aux espèces qui avaient vécu à cet endroit. Ma mère était botaniste, elle développait des approches utiles au maintien de la biodiversité. Pendant sa grossesse, elle a passé beaucoup de temps seule et très loin de mon père, car il avait beaucoup de travail sur la terre gelée. Voulant absolument passer le réveillon avec lui, elle a bravé à la fois la distance et le mauvais temps pour le retrouver sur sa base scientifique. Un chansonnier de l’époque de mon arrière-grand-père disait : « Le mauvais temps n’est pas le froid ou le gris, c’est ce qu’on s’était juré, qu’à force on oublie ». Mes parents, eux, après leur union, s’étaient juré de passer tous les réveillons ensemble, jusqu’à la fin de leur vie. Mais voilà que leurs occupations menaçaient déjà de les empêcher de respecter leur engagement, dès la première année. Il était pratiquement impossible que je vienne au monde à ce moment-là, car ma mère n’était qu’à vingt-six semaines de grossesse. Elle était censée n’y rester que trois jours avec mon père, et repartir immédiatement après le réveillon. Mon père était à la fois très surpris et émerveillé de sa visite sur la terre gelée, et ils y ont passé d’heureux et d’inoubliables moments ensemble. Mais le troisième jour, celui de son retour, elle a commencé à avoir des contractions. Tous les collaborateurs de mon père étaient en même temps dans l’inquiétude et la tristesse, car il semblait physiologiquement impossible que je puisse survivre en venant au monde à cet âge, en plus sans couveuse et dans des conditions aussi rustiques.

    Les conditions dans lesquelles nous venons au monde conditionnent une grande partie de notre destin. Je n’ai jamais compris pourquoi tout le monde parle du jugement dernier, alors que personne ne s’occupe du jugement premier. Pendant que certains naissent dans une chaleur adoucissante, d’autres naissent dans un froid glacial, sans qu’on ne sache ce qu’ils ont fait au préalable pour mériter l’un ou l’autre. Cet environnement de naissance, que nous n’avons pas choisi, mais juste subi, conditionne énormément notre survie, notre qualité de vie, notre évolution et même notre fin. C’est la première chose qui influence les rouages de notre destin et de notre odyssée vers le jugement dernier. Cependant, le mauvais temps qui m’accueillait dans ce monde ne me faisait pas peur, et j’avais hâte de venir le découvrir. D’après ce que m’avaient raconté mes parents, je suis venu au monde pendant une éclipse solaire. Mes parents ont fait venir toute une équipe médicale d’urgence avec une couveuse pour m’amener à la maison. À la grande surprise de tout le monde, je me portais très bien à ma naissance. Mais plus on m’éloignait de cette terre gelée, plus je me sentais mal et plus je pleurais. À mon arrivée à destination, j’ai même dû passer soixante-douze heures dans le coma, mais les médecins ont pu me ramener à la vie à l’aide d’un traitement par le froid.

    La visite non officielle de ma mère et les dégâts que cela avait causés ont coûté à mon père son poste sur la base. Après cela, il n’a plus jamais trouvé la motivation pour continuer ses travaux de scientifique. Il passait désormais son temps à manger, boire de l’alcool et jouer à la loterie. J’ai grandi dans une famille très rigoureuse, mais j’aimais la tendresse. J’avais un voisinage très chaleureux, mais j’aimais le froid. Quand j’étais tout petit, m’isoler tout seul au milieu de la nature était ce qui me procurait le plus de plaisir. Je profitais des jeux de cache-cache avec ma famille pour aller me planquer dans le réfrigérateur. En hiver, je préférais passer mes journées à l’extérieur de la maison. En été, je n’arrivais pas à garder sur moi les vêtements, et lorsque la famille faisait des barbecues sur la terrasse, je me contentais des glaces. »

    Cette histoire commençait à m’intéresser et me faisait presque oublier le rendez-vous avec mes amis qui m’attendaient pour la soirée. Je me suis installé confortablement dans le canapé avec Lolaya pour lire la suite. Elle était silencieuse et concentrée. C’était comme si elle m’accompagnait dans la lecture et était encore plus passionnée que moi. Je l’ai prise dans mes bras, et nous avons continué : « Je suis né dans des conditions particulières, et en grandissant, ma particularité ne faisait que s’accentuer. Mes parents avaient envoyé un message à ma grand-mère immédiatement après ma naissance, dans lequel il était écrit que j’avais des yeux bleus. Mais une fois réanimé, je me suis réveillé avec des yeux marron. Après cela, lors de chaque hiver, mes yeux avaient toujours tendance à redevenir bleus. Crois-moi, mon cher, ce n’est pas l’unique élément de mon corps qui avait tendance à s’adapter en fonction du climat. Les cycles de la vie m’ont toujours imposé de rudes changements physiques et comportementaux. J’étais vraiment particulier dans tout ce que je faisais, ce qui m’a valu d’être très souvent isolé, et d’être même traité de renard polaire par mes camarades à l’école. À un certain moment, ça ne me choquait plus, car j’avais vraiment l’impression d’être venu d’ailleurs, d’être une personne étrangère à ce corps et à ce monde.

    Ma meilleure amie, c’était la nature. À neuf ans, en revenant de l’école, j’ai trouvé sur la route un chevrillard blessé qui agonisait. Je l’ai recueilli et ramené à la maison pour lui procurer des soins. Mes parents ont tout fait pour me convaincre que ça ne valait pas la peine de m’occuper de lui, qu’on n’avait pas le nécessaire pour ça, et qu’il était potentiellement porteur de parasites ou de microbes. Voyant que je ne parvenais plus à manger, ils m’ont finalement permis de prendre soin de lui. À l’aide de vidéos regardées sur internet et de conseils lus sur des blogs, j’ai eu des idées et établi des méthodes pour le soigner et le nourrir. Après quelques jours de traitement, sa peine a pu être soulagée et il s’est remis sur pied. Le revers de la médaille est que je n’arrivais plus à me séparer de lui. Maman s’est efforcée de me persuader que sa place était dans la nature et qu’on allait finir par lui faire du mal si on le gardait avec nous. Après plusieurs semaines de persuasion, j’ai fini par la comprendre. Mais une fois que nous l’avons conduit en pleine nature, il semblait encore plus effrayé par la vie sauvage que nous et ne voulait pas partir. Cela était un grand soulagement pour moi et une bonne excuse pour le garder. Je l’ai baptisé « Kernun », en hommage à la nature pour ce don merveilleux et pour la beauté de ses cycles biologiques. Enfin, je ne me sentais plus seul. C’était mon compagnon pour profiter à fond des espaces verts. Ensemble, on s’amusait dans le jardin et on se baladait dans les parcs. Mais nos destins se sont séparés quand, un soir, à mon retour de l’école, j’ai trouvé ma mère qui m’attendait dans ma chambre, toute triste. Elle m’a annoncé qu’il avait été percuté par une voiture sur la route et y avait laissé la vie. Cela m’a tellement fait mal. J’en voulais à cette route qui divisait notre communauté, et encore plus à ces voitures qui y roulaient toujours à un train d’enfer malgré la présence des autres ayants droit de cet espace commun, qui, tout comme nous, n’avaient pas un temps de réaction génétique adapté pour réagir suffisamment vite face à ces vitesses extrêmes.

    Après le décès de Kernun, je me sentais encore plus seul, car je n’avais jamais eu de compagnie avant lui et je commençais à m’y habituer. À l’âge de treize ans, un psychologue a conseillé à ma maman de m’inscrire sur un site web pour rencontrer des amis. Le premier ami sur lequel je suis tombé me convenait parfaitement. En fait, toute personne m’aurait convenu, car je n’avais aucun critère de sélection, toutes les cases à cocher sur le site étaient restées vides. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Zhelty, et j’ai commencé à correspondre avec lui. Il vivait à l’autre bout du monde et prétendait que toutes les personnes qu’il avait rencontrées avant moi étaient ennuyeuses. Lorsque je lui ai parlé de mon intérêt pour la nature et les espèces de la Terre, il m’a parlé de son intérêt pour les étoiles et les planètes de l’Univers. Elles étaient ses meilleures amies avant qu’il ne fasse ma connaissance. Il aimait les regarder le soir et se servait très souvent du télescope de ses parents. Dans nos correspondances, il me parlait sans cesse des étoiles, des planètes et ne cessait de répéter qu’il irait vivre sur une étoile lorsqu’il serait plus grand. Il m’envoyait continuellement les dessins des navettes spatiales qu’il comptait construire. Je lui faisais des suggestions, je l’aidais à les améliorer et je le supportais pour concrétiser ce rêve d’enfant.

    Pour aider Zhelty, je devais comprendre la physique du vol. Pour ce faire, j’ai décidé de m’inspirer des oiseaux et des insectes volants. J’ai commencé par observer leur vol dans le ciel. Mais ils n’étaient jamais assez proches pour que je les étudie convenablement. J’en ai parlé à ma mère et elle a décidé de m’aider à attirer toute une colonie d’animaux chez nous. Nous avons d’abord ajouté des plantes mellifères puis des arbustes indigènes au potager et au pré fleuri qui existaient déjà dans le jardin. On tondait désormais moins le gazon dans certaines zones du jardin, il y avait des herbes qui atteignaient une hauteur de quarante centimètres. On laissait trainer des feuilles mortes, des branchages, des planchettes, et des cailloux dans différents coins, ce qui encourageait les hérissons et les musaraignes à y aménager leur refuge. Les ouvertures à travers la clôture leur permettaient d’aller se balader tranquillement à l’extérieur et de rentrer regagner leur abri à tout moment. Nous avons ajouté des points d’eau artificiels dans le jardin, où les animaux pouvaient facilement s’abreuver. À l’aide des troncs d’arbre percés, de la paille et des cannes de bambou, nous avons créé des hôtels à abeilles un peu partout. Il y en avait de différentes classes, en fonction du confort désiré par les locataires. Il y avait aussi des dortoirs faits de terre pour ceux qui étaient plus modestes. De plus, nous avons aménagé des villas, ainsi que des immeubles avec différents étages et différentes vues pour d’autres locataires en fonction de leur espèce. Enfin, nous avons disposé avec soin des pigeonniers sur quelques arbres. Pour mieux observer le spectacle du vol, j’avais prévu un nichoir sur mon balcon, non loin de la fenêtre. Au final, dans notre enclos, nous avions, en plus de notre petite famille d’hommes, une grande coalition composée de différentes espèces de notre écosystème. On pouvait y rencontrer des escargots, des grenouilles, des crapauds, des hérissons, des guêpes, des abeilles et des oiseaux, pour ne citer que celles-là.

    Je me sentais de plus en plus à l’aise, car j’avais désormais la sensation de faire partie d’un système dans lequel, malgré mon sentiment d’invasivité, je pouvais m’attribuer une certaine utilité. J’y recherchais continuellement ma place exacte, je ne cessais de m’agiter et de me poser de multiples questions. Je me sentais toujours plus comme un perturbateur plutôt qu’un collaborateur. Cependant, c’était un système dans lequel toutes les autres espèces trouvaient leur place et s’entraidaient mutuellement. Après des mois de répétition, la mélodie des oiseaux de notre jardin avait trouvé la bonne fréquence pour se propager vers nos voisins, puis chez les voisins de nos voisins, et ainsi de suite. C’est ainsi qu’on voyait des prés fleurir partout dans le quartier, et des petits écosystèmes se développer.

    J’ai vécu cette vie paisible et très animée jusqu’à mes dix-huit ans, âge auquel je devais quitter la maison pour aller à l’université. J’ai voyagé avec un poussin de faucon qui s’était retrouvé sans mère dès sa naissance. Sa mère, Afroda, avait été tuée quelques jours avant l’éclosion de l’œuf. Elle avait fait son nid dans un arbre du jardin et venait couver l’œuf tous les soirs. Mais dans l’espace au-dessus de l’arbre, il y avait une ligne électrique qui pendait. L’arbre qui accueillait le nid s’était bagarré pendant des années avec cette ligne électrique pour se frayer un chemin vers le soleil, et cette lutte de survie avait fini par causer l’endommagement de la protection électrique. C’était comme si l’évolution n’avait pas reparti les pions de manière équitable entre les animaux et les végétaux. Les plantes étaient au cœur de tout, mais étaient les plus vulnérables aux oppressions des autres. Elles étaient la base de notre chaine alimentaire, mais avaient très souvent besoin du vent, des insectes et des oiseaux pour communiquer facilement. Elles étaient liées à la terre en permanence et souffraient de l’impossibilité de se déplacer. Cela finissait même par affecter les animaux qui les fréquentaient.

    Un soir, à mon retour de l’école, je me suis rendu compte qu’Afroda avait été électrocutée. À partir de ce jour-là, j’en voulais à ces lignes de courant qui pendaient partout dans notre espace vital, et encore plus à ce courant électrique qui ne cessait de laisser des victimes derrière lui. J’ai mis l’œuf dans une couveuse artificielle et j’ai attendu impatiemment la venue au monde du poussin. À l’éclosion de l’œuf, j’étais là, devant ce tout petit poussin, qui naissait dans des conditions encore plus rudes que les miennes. Je l’ai pris sous mon aile, et en grandissant, il ne cessait de me suivre partout où j’allais. En voyageant pour la ville universitaire, je ne savais pas trop comment m’y prendre pour continuer à m’occuper dignement de lui. J’en voulais un peu aux contraintes d’éducation de notre société, car à cause de ma présence obligatoire à l’école, je n’avais pas été là pour protéger ces animaux qui m’étaient si chers. À un certain moment, j’ai pensé à laisser tomber l’université pour devenir autodidacte, mais la société m’obligeait à avoir un diplôme si je voulais que mes connaissances soient certifiées. À la cité universitaire, on m’appelait tantôt l’homme-oiseau, tantôt le renard polaire.

    J’avais choisi d’étudier les sciences de l’ingénieur, car je désirais avoir les connaissances nécessaires pour concevoir une navette qui permette de voyager vers des horizons très lointains et encore inconnus. Zhelty, de son côté, étudiait l’astrophysique, pour mieux comprendre l’environnement cosmique, notre univers et les multivers. Je me sentais très à l’aise dans la filière que j’avais choisie à l’université, et ma principale motivation était la soif de comprendre les phénomènes de la nature afin d’aider Zhelty à réaliser son rêve. À vingt-six ans, j’ai obtenu mon doctorat et j’ai été recruté par un laboratoire de mon université. Mais il restait encore tellement de questions sans réponse et tellement de mystères scientifiques que j’avais l’impression que l’école que j’avais suivie n’était pas la bonne, ou du moins était largement insuffisante. Je voulais connaitre la direction du temps. Je voulais pouvoir expliquer pourquoi la glace était si volumineuse. Je voulais savoir la différence entre le fait d’exister et le fait de vivre, et à partir de quel moment on pouvait dire qu’une substance vit. Je voulais percer le mystère de la limite de la vie et de la fontaine de jouvence. Pour nous les hommes qui prétendions être les seuls à avoir une âme, je voulais savoir à quel moment notre corps recevait son âme. Était-ce lors de la fécondation ? Ou lors de l’accouchement ? Il avait été proclamé que les animaux n’étaient que des machines et n’avaient pas d’âme. Mais avais-je une chance de revoir ces chers animaux que j’avais perdus dans la prochaine vie qui m’attendait ? Qui savait si, effectivement, à leur mort, le souffle des hommes montait en haut, tandis que celui des animaux descendait en bas de la terre ?

    Mes enseignants et supérieurs voulaient toujours me dire ce que je devais faire et comment je devais procéder, car ils ne voulaient pas que je me pose mes propres questions, mais plutôt que j’accepte leurs réponses, qui manquaient très souvent d’explications. Les sages étaient censés tenir la science en réserve, et la bouche de l’insensé était une ruine prochaine. J’essayais de rester objectif et productif pour la société à laquelle j’appartenais et, pour cela, je me devais de faire disparaitre à tout prix ces questions de mon cerveau, comme s’il s’agissait d’un mauvais rêve. Cependant, je n’arrivais plus à continuer dans ces conditions, car à chaque fois que j’ouvrais un livre de nos bibliothèques si riches et fournies, tout me paraissait si vide. Et plus j’essayais d’effacer ces questions de mon cerveau, plus le mauvais rêve tournait au cauchemar. Cela m’a conduit vers une résiliation, et j’ai convenu avec moi-même de ne plus

    chercher les réponses à l’extérieur et de me concentrer sur les questions qui émanaient de l’intérieur, de moi-même. Plus de quatre-vingt-dix pour cent de la science qu’on utilisait était empirique et basée sur d’épaisses couches de postulats. On acceptait et utilisait ce qui était, sans comprendre ni expliquer pourquoi cela l’était. Je me disais qu’à la place de ces approches d’asservissement de la nature qu’on enseigne dans les écoles, on pouvait trouver une approche holistique par laquelle, connaissant l’énergie qui anime les corps qui nous environnent et la force des vecteurs de la vie, nous pouvions les employer de façon à nous mettre en symbiose avec les éléments de la nature. Ma passion pour l’exploration, la recherche de la vérité et la découverte du monde sauvage a fini par prendre le dessus. On avait encore tellement à apprendre et comprendre de la nature et des éléments qui nous environnaient. On avait le choix entre considérer la nature comme une alliée ou comme un bien à consommer. Si les sciences de la nature avaient pris le temps de bien comprendre les lois qui régissaient notre coexistence avec elle et bâtir notre société sur ce socle, on ne serait jamais arrivés à l’impasse face à laquelle on était confrontés.

    C’est alors que j’ai entrepris une aventure à la recherche du savoir, à la découverte de la nature, et à la connaissance de mon être. J’ai quitté la maison avec plusieurs affaires et équipements, mais sur ma route, je me suis progressivement débarrassé de tout ce qui était inutile à mon esprit et à mon cerveau. Curieusement, mon esprit se libérait de plus en plus, et je pouvais me concentrer sur le moindre détail du monde intérieur et scruter tout ce qui se passait entre les éléments de la nature.

    Je commençais à percevoir les liens entre l’énergie solaire et les minéraux de la terre, qui représentaient le socle sur lequel reposait notre existence. Je percevais les vibrations de l’eau, l’air et la terre, et les vecteurs qui véhiculaient les énergies de la vie. J’apprenais à cerner les énergies qui liaient les éléments de la nature, et les équilibres qui devaient être conservés. Certaines créatures retournaient à la terre, d’autres prenaient forme de la terre, mais la terre subsistait toujours et restait la même. L’une des

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