Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les sorcières de Blackstone: Solstice, #1
Les sorcières de Blackstone: Solstice, #1
Les sorcières de Blackstone: Solstice, #1
Livre électronique381 pages5 heures

Les sorcières de Blackstone: Solstice, #1

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Willow Lewis, dix-sept ans, ne rêve que d'une chose : que les évènements étranges et incontrôlables dont on l'accuse cessent.

Le jour où elle emménage à Blackstone dans l'État du Massachusetts, son quotidien morne bascule. Will est une sorcière, la dernière dotée du don de voyance. Accueillie par le clan de Blackstone, elle fait ses débuts dans ce monde surnaturel, épaulée par Hellawes Godwinson l'érudite et Calliopée Van Ersherg l'enchanteresse.

Mais alors qu'elle vient en aide à Charles Banker, un ancien traqueur, pour retrouver un Ombre sanguinaire, son don de voyance reste inaccessible.

Will est-elle vraiment douée de pouvoirs ? Ou la réalité est-elle plus terrible encore ?

LangueFrançais
Date de sortie28 juin 2022
ISBN9782494099012
Les sorcières de Blackstone: Solstice, #1

Lié à Les sorcières de Blackstone

Titres dans cette série (1)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fictions initiatiques pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les sorcières de Blackstone

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les sorcières de Blackstone - Adella Jane Broochmitt

    Les sorcières de Blackstone

    A.J Broochmitt

    Les sorcières de Blackstone

    Ce livre vous a plu et vous souhaitez soutenir l’auteure ?

    N’hésitez pas à commenter sur le site d’achat !

    Malgré mes innombrables relectures et toute mon attention, il peut subsister des coquilles. Vous avez toutes mes excuses si cela se présente.

    Copyright © 2022 A.J Broochmitt

    ISBN 978-2-494099-00-5

    Dépôt légal : juillet 2022

    Impression à la demande

    Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction et la traduction, même partielles, de cet ouvrage sont strictement interdites.

    Prologue

    Amesbury, Massachusetts, octobre 1692

    Marie Joy sillonna l’allée boueuse, ses sabots de bois inconfortables et froids martelant la terre glacée du village. Une petite nappe de fumée blanche sortait de sa bouche à mesure qu’elle soufflait pour garder le rythme de sa course effrénée. Le soleil se couchait sur Amesbury et elle avait réussi à filer en douce de chez elle. Tromper sa mère se révélait aisé quand cette dernière s’occupait sans cesse de ses cinq frères et sœurs.

    Ses habits modestes de seconde main la couvraient à peine par ce temps glacial. Une couche de neige fraîche se déposait le long des toits de chaume et le ciel sanglant du soir était maculé de gros nuages noirs menaçants. Une tempête approchait certainement et plongera bientôt le village dans un mutisme complet. Cependant, l’heure était à la fête. Et Marie ne voulait rater cela pour rien au monde, quitte à s’attirer les foudres de sa mère.

    Ce soir, une sorcière sera exécutée au bûcher.

    Marie brûlait d’impatience de voir ce spectacle. Elle imaginait déjà la sorcière avec une peau verte et fripée, les doigts crochus et un nez pointu. Elle aurait sûrement des cheveux gras, des verrues sur ses joues et des pustules sur son front.

    Marie eut un sourire. Père Sam menait la sentence ce soir. Elle éprouvait pour lui le plus grand respect, ainsi que la plus grande admiration pour avoir affronté cette sorcière.

    Elle arriva enfin sur la place de l’église. Une foule immense s’était déjà rassemblée. De sa petite taille, Marie ne voyait rien. Agacée, elle tenta de se frayer un chemin. Impossible, les gens étaient si serrés qu’elle ne pouvait se faufiler nulle part. Elle tenta de jouer une nouvelle fois des coudes et se reçut le regard sévère d’une vieille dame. Elle fit alors demi-tour, l’air boudeur. Elle regarda autour d’elle et aperçut un arbre aux branches dénudées, replié de la foule. Son angulation parfaite lui donnait l’occasion de pouvoir profiter de toute la scène avec, en plus, un recul assez enchanteur. Elle distingua une charrette de foin laissée non loin de là, ce qui lui servit d’estrade pour attraper la première branche. Agile, elle se hissa rapidement jusqu’à environ six ou sept pieds du sol. Elle cala son dos contre le tronc, enjambant une branche solide, et soupira d’aise. D’ici, elle pouvait tout voir. L’église s’élevait devant elle, de toute sa puissance et de toute sa majesté, symbole et témoin de la grandeur de Dieu. Des corbeaux croassaient, se posant sur la croix dirigée vers le ciel, curieux du spectacle qui se donnait en bas. Devant l’église, une large poutre de bois sec avait été érigée. Des brindilles et du foin étaient parsemés tout autour, serrés et entrelacés. Des gardes en armure coiffés de leurs lourds casques en fer encerclaient la zone afin de sécuriser les spectateurs, venus nombreux. Leurs lances affûtées dissuadaient quiconque de vouloir s’approcher davantage. Marie ne pouvait percevoir leur visage et cela rendait la scène encore plus mystique. Une large flèche d’argent barrait leur plastron, symbole de leur compagnie. Marie avait entendu parler d’eux, les chasseurs de sorcières. Depuis le début de cette crise, eux seuls semblaient avoir le pouvoir de repousser les méchantes sorcières.

    Soudain, les cloches de l’église sonnèrent. Marie en eut des frissons. L’heure était arrivée. Le glas sombre et sinistre résonnait dans tout le village et un silence de plomb régnait dans l’assemblée. On attendait l’arrivée de la sorcière.

    Le père Sam sortit de l’église, vêtu de son habit ecclésiastique, une robe de soie pourpre coiffée d’un chapelet de perles de bois et d’une croix en or. Il portait la Sainte Bible dans ses mains et était accompagné de deux frères qui tenaient un seau en étain rempli d’eau bénite. Le père échangea quelques paroles avec l’un des gardes — sûrement le chef, car il n’était pas coiffé et son allure laissait entrevoir une certaine supériorité. Ce dernier acquiesça et siffla entre ses doigts. Alors, trois gardes sortirent de nulle part une femme frêle et pâle. Menottée par de solides liens, elle faisait peine à voir avec ses cheveux noirs, raides et sales tombant devant ses yeux. Marie comprit que les gardes l’avaient cachée afin d’éviter que la foule ne se jette sur elle.

    En effet, galvanisés par sa simple présence et leur nombre insolent, les habitants d’Amesbury commencèrent à gronder et à s’agiter.

    Les gardes les rappelèrent à l’ordre en resserrant les rangs. Marie était ravie d’avoir pris de la hauteur afin de pouvoir observer l’arrivée de la sorcière. Elle l’examina longuement. Elle était vêtue d’un haillon brun rapiécé et ses pieds nus, écorchés par le froid et le gel, battaient furieusement au sol. Maigre comme ce n’était pas permis, elle avançait en tremblant, poussée sans ménagement par les gardes. Ils gardaient une certaine distance de sécurité avec elle, comme si elle pouvait d’un coup se retourner et les tuer tous jusqu’au dernier.

    Père Sam, pendant ce temps, bénissait le bûcher en lisant la Bible, éclaboussait les branches d’eau bénite et traçait des signes de croix avec ses doigts. Quand il eut fini, il se tourna vers les gardes et leur fit un petit signe de la tête. Comme un seul homme, ils tirèrent la femme, la hissèrent sur le bûcher et l’attachèrent fermement à la poutre. Elle commença alors à se débattre, d’abord faiblement, puis avec plus d’ardeur. L’un des gardes la gifla et elle se mit à hurler, un hurlement qui glaça le sang de Marie. D’un coup, elle releva la tête et Marie en eut le souffle coupé : elle était si jeune !

    Elle ne ressemblait pas à la description des contes qu’on lui avait faite petite. Elle n’avait ni peau verte, ni pustules, ni verrues, ni doigts crochus ou gros nez. Elle avait les joues creusées par la famine, la peau translucide et froide, deux yeux bleus de glace perçants et plein de colère, ainsi que des dents blanches comme la lune. Marie ne comprenait pas. Cette jeune femme ne pouvait pas être une sorcière.

    Ce n’était pourtant pas l’avis de la foule qui se mit à gronder de plus en plus fort.

    —  Sorcière !

    —  Brûle, ordure !

    —  Va en Enfer !

    On commença à lui jeter des tomates et autres fruits pourris. L’un d’eux éclata contre sa tête. Elle siffla de colère, un sifflement animal et rauque sortant du fond de sa gorge et qui donnait froid dans le dos. La foule eut un mouvement de recul, hésitant à poursuivre l’humiliation de cette créature.

    Père Sam, en homme respecté et respectable, obtient le silence et l’ordre en quelques secondes. Les gardes descendirent du bûcher, laissant la jeune femme seule, attachée au milieu des branches. Des larmes commencèrent à couler le long de ses joues.

    —  Sarah Wrinkled, clama Père Sam, vous êtes accusée de pratiquer la sorcellerie, d’avoir possédé et maudit Anne McLegan et Karl Drew, d’avoir de ce fait enjambé les pas de Satan et renié notre Père Tout-Puissant. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

    —  Je n’ai rien fait, sanglota la jeune femme d’une voix tremblante. Je vous en prie, arrêtez ! Je vous en supplie, mon père ! Vous avez dit que vous m’aideriez !

    —  Dieu accorde son pardon, mon enfant. Mais, pour ce faire, nous devons laver ton corps de tous tes péchés. Alors, Dieu t’accueillera dans sa demeure et t’ouvrira les portes du Paradis.

    Il traça une croix, joignit ses mains en signe de prière et fit signe au chef des chasseurs de sorcières. Ce dernier enflamma une torche recouverte d’un tissu imbibé d’alcool et l’approcha du bûcher. La sorcière s’agita davantage.

    —  Non ! Non ! Pitié !

    Marie ne pouvait détourner ses yeux du spectacle. Elle commençait à se demander si sa mère n’avait pas eu raison de lui interdire de venir. Maintenant, elle était complètement obnubilée par la scène qui se déroulait.

    Les flammes embrasèrent le foin et les brindilles. En un craquement, le feu commença à se répandre, léchant les chevilles de la sorcière qui hurla de plus belle.

    —  Soyez maudits ! Je vous maudis tous !

    Son expression avait changé. Haineuse, ravageuse, elle effraya Marie. Elle n’avait plus rien à voir avec la jeune femme larmoyante qui lui brisait le cœur. C’était maintenant une effroyable créature dont la voix glaçante sifflait à travers la place. Des veines noires parcoururent sa peau, la rendant encore plus terrifiante.

    —  Naudhiz ! s’exclama-t-elle d’une voix d’outre-tombe et résonnante.

    Les flammes autour d’elle commencèrent docilement à tournoyer, de plus en plus fort. Sarah cligna plusieurs fois des yeux, la chaleur intenable du feu lui brûlant les pupilles. Les cendres noirâtres du brasier s’élevèrent, tels des flocons de ténèbres sur le village.

    —  Que ta force devienne mienne et me protège de ces flammes ! Que ta puissance réponde à mon appel !

    Une vague de froid parcourut l’assemblée, annonciatrice d’un mauvais présage. Marie crut que le feu allait sortir du bûcher et s’emparer de la foule. Mais la spirale s’arrêta d’un coup et les flammes s’emparèrent du corps de la sorcière. Ses hurlements devinrent inhumains, bestiaux, et marquèrent l’esprit de Marie à jamais.

    Dans un dernier élan, la sorcière se tourna vers le père Sam et cria :

    —  Menteur ! Vous m’avez tué !

    Sa phrase se termina dans un long cri de douleur avant de s’éteindre lentement. De cette sorcière, il ne restait plus qu’un cadavre à l’aspect inhumain, solidement attaché sur le bûcher crépitant.

    Chapitre 1

    Une grande dévotion

    Blackstone, Virginie, août 2000

    La pleine lune éclairait le cimetière de sa lumière argentée et froide. Une forte odeur de terre et de moisissure régnait. Un vent glacial se leva, soulevant les branches nues des arbres qui grincèrent de protestation. La nuit était déjà bien avancée quand un groupe de sorciers, encapuchonnés dans de longues capes noires, se pressait entre les tombes. La femme qui dirigeait ce groupe ne cessait d’observer le ciel avec appréhension. Les astres allaient bientôt s’aligner. Il n’y avait pas de temps à perdre.

    —  Je suis sûr que c’est n’importe quoi, se plaignait un homme derrière elle.

    Elle retint un soupir d’agacement.

    —  Silence ! imposa-t-elle d’une voix forte.

    Elle avait attendu ce moment depuis si longtemps. Enfin, elle allait pouvoir exaucer son souhait le plus cher. Personne ne l’arrêterait.

    L’homme se renfrogna et ne broncha plus. Le groupe arriva devant une grande crypte poussiéreuse qui tenait à peine debout. De toute évidence, personne n’avait mis les pieds dans ce cimetière depuis très longtemps. Un homme attendait là, vêtu d’une cape similaire. Ses cheveux blonds descendaient le long de son torse et ses yeux bleus perçaient à travers l’obscurité. Il avait les bras croisés et semblait très mécontent.

    —  Tu es en retard, Ida, siffla-t-il.

    Sa voix tranchante et glacée n’empêcha pas Ida de l’affronter du regard.

    —  J’ai eu un peu de mal à trouver des... volontaires.

    L’homme esquissa un mince sourire. L’un des membres du groupe s’exclama alors :

    —  C’est vrai ce qu’on raconte ? La Grande Prêtresse... Va-t-elle réellement nous donner toute la puissance que nous souhaitons ?

    —  Oh, mais assurément, attesta l’homme aux cheveux blonds.

    —  Pourquoi avez-vous besoin de nous dans ce cas ? Vous pourriez le faire seuls ? demanda un autre.

    Ida repoussa ses longs cheveux roux d’un geste impatient. Si elle avait su, elle en aurait pris des moins bavards. L’homme aux cheveux blonds ne laissa rien paraître.

    —  Les incantations de résurrection sont extrêmement difficiles à mettre en place et demandent beaucoup de puissance magique. Nous avons besoin d’un grand nombre de participants.

    Cette explication parut convaincre tout le monde. Avec soulagement, Ida vit le sorcier blond ouvrir la crypte et leur faire signe d’entrer. Les hommes s’y engouffrèrent en se bousculant, tels des animaux agités. Ida entra en dernière, suivie de l’homme blond. Ils échangèrent un regard entendu.

    La crypte sentait le renfermé. Une grande statue représentant la Vierge Marie se tenait, brisée, au centre de la pièce. Une puissante énergie maléfique régnait en ce lieu.

    —  Mettons-nous au travail, ordonna l’homme aux cheveux blonds.

    Ida hocha la tête et se plaça face aux hommes qui attendaient, fébriles et enjoués. Son visage s’était durci si bien qu’une sensation de malaise s’éleva peu à peu.

    —  Eh bien, dites-nous, qu’attendons-nous ? demanda l'un d'eux en brisant le silence gênant qui s’était installé.

    Ida leva un sourcil amusé vers son complice. Ce dernier inclina la tête en signe d’acquiescement. Vive, elle saisit son athamé avant d'en attraper un par les cheveux. D’un geste sec, elle lui trancha la gorge. Le sang fusa de la large plaie tandis que le corps se secouait violemment. Dans un cri étouffé, la victime s’écroula au sol.

    Les autres membres du groupe, horrifiés, reculaient avec terreur. L’homme blond placé derrière eux chuchotait des paroles qu’ils ne saisirent pas, mais qui les figèrent instantanément. Ida s’approcha d’eux et les égorgea, un à un.

    —  C’est tout de même fou comme la soif de pouvoir peut occulter la raison elle-même, susurra Ida en achevant la dernière victime.

    Cinq cadavres gisaient au sol dans une mare de sang. Une odeur métallique commençait à remplir la crypte. L’homme blond enjamba les corps dans une démarche silencieuse et glaçante.

    —  Dépêchons, nous avons déjà perdu suffisamment de temps.

    Ils se placèrent au centre de la pièce et tracèrent un pentacle à l’aide du sang de leurs victimes, prenant soin d’orienter la pointe de l’étoile vers le bas. L’homme traça plusieurs symboles qu’il entrelaça tout autour du pentacle tandis qu’Ida referma le cercle de l’inscription avec un frisson de plaisir. Enfin ! Tout ce chemin, tous ces sacrifices allaient enfin lui être récompensés !

    L’homme blond sortit cinq bougies blanches qu’il disposa sur chacune des branches. Ida sortit une baguette de bois au manche d’argent et souffla « Fehu ! ». Les mèches des bougies s’enflammèrent aussitôt. L’homme plaça au centre de l’étoile des restes d’os et de cendres ainsi qu’un énorme sceptre aux branches entrelacées. Ils étaient prêts.

    Ils se placèrent de part et d’autre du pentacle et commencèrent à psalmodier des paroles dans la langue des anciens. Leurs voix étaient profondes, gutturales et fortes. Lentement, les murs de la crypte se mirent à trembler et la pierre à s’effriter. Ils redoublèrent d’ardeur dans leur incantation, les mains tendues vers le ciel. Soudain, les flammes des bougies jaillirent et provoquèrent un immense brasier au centre du pentacle. Le souffle prodigieux des flammes souleva les cheveux d’Ida. Malgré son enthousiasme, elle ne perdit en rien sa concentration.

    Le brasier monta jusqu’au plafond de la voûte. Tout à coup, une puissante onde de choc balayait la pièce et les projeta hors du cercle. La chaleur des flammes cessa aussitôt. En se relevant, Ida aperçut une silhouette décharnée au centre du pentacle. Recroquevillée sur elle-même, vêtue d’une longue robe noire en haillons, la femme ne bougeait pas. Ida retint son souffle. Progressivement, la silhouette se redressa. Elle avait un aspect squelettique, de longs cheveux gris emmêlés et une odeur de chair pourrie. Elle ouvrit les paupières, dévoilant deux yeux d’un bleu de glace pétrifiant. Ida et l’homme s’inclinèrent respectueusement. La silhouette fit un premier pas tremblant, puis un autre, s’accrochant à son sceptre. Elle posa son regard sur les deux sorciers inclinés dans la crypte.

    —  Grande Prêtresse, souffla l’homme blond avec un profond respect. Nous sommes vos humbles serviteurs. Guidez-nous vers la puissance. Guidez-nous vers le pouvoir.

    La créature observa l’homme avec un peu plus d’intérêt. Elle s’approcha de lui, lentement et de manière saccadée. Elle attrapa son menton entre ses doigts et ses yeux révulsèrent dans ses orbites. L’homme ferma les yeux et retint un frisson d’extase sous la puissance de la femme qu’il pouvait ressentir. Ce moment fut bref. La Grande Prêtresse revint à elle, une expression terrible sur le visage.

    —  Trouve-moi l’enfant, ordonna-t-elle d’une voix décharnée.

    Chapitre 2

    Une nouvelle vie

    Dix-sept ans plus tard

    Il pleuvait sur Mary Green avenue. Il pleuvait toujours sur Mary Green avenue. Cette rue était comme hors du temps. Toujours sombre, toujours humide, toujours sinistre. Contre le verre de la fenêtre, les gouttes de pluie s’écrasaient avec violence et traçaient des sillages humides. La lumière de la vie nocturne d’une grande métropole s’y reflétait et rappelait les guirlandes de Noël d’un sapin.

    —  Vous êtes toujours avec moi, Miss Lewis ?

    Will s’arracha à sa contemplation. La salle de consultation chaleureuse du Dr Jeen n’avait jamais réussi à apaiser ses angoisses. Seule la pluie battante contre les carreaux lui apportait du réconfort.

    Elle remonta les manches de son épais sweat-shirt. Elle aimait la protection que lui offrait ce vêtement. Sa mère râlait toujours devant ses vêtements avalant chaque partie de son corps. Mais elle s’en moquait. Ce corps lui appartenait. Elle le trouvait trop maigre, trop osseux, trop fragile. Les vêtements amples lui donnaient un air plus imposant, moins « la peau sur les os ».

    —  Oui, oui.

    Elle rabattit une mèche de cheveux noirs derrière son oreille. Le Dr Jeen ne la lâchait pas des yeux. Elle observait d’un œil attentif et bienveillant ses mains se tordre sous l’anxiété et son pied battre un rythme effréné contre la moquette. D’un geste souple, la doctoresse inscrivit quelques notes sur son calepin.

    Will se demandait souvent ce qu’il y avait de si intéressant à noter. Elle n’aura jamais la réponse, à présent.

    —  Bon, nous allons nous arrêter là. J’ai transféré votre dossier à ma consœur, le Dr Perkins. Vous avez déjà pu avoir une entrevue avec elle ?

    Will secoua la tête. L’idée de ne plus la revoir lui serrait le cœur.

    —  Vous verrez, elle est très gentille. Elle prendra soin de vous.

    Le sourire du Dr Jeen était sincère. Will lui répondit par un rictus et se leva.

    —  Tenez, j’ai renouvelé votre ordonnance.

    Elle observa le papier où s’inscrivait à la hâte son traitement. Elle le considéra un moment avant de le prendre et de le fourrer dans sa poche.

    —  Merci.

    —  J’ai légèrement augmenté la dose. Votre voyage va être assez long, cela vous permettra de vous calmer et d’empêcher des crises de venir le temps que vous voyez le Dr Perkins. D’accord ?

    Elle hocha la tête et rejoignit sa mère dans la salle d’attente. Mme Lewis se leva dès qu’elle la vit. Sa chevelure identique à celle de sa fille soulignait sa mâchoire carrée. Ses vêtements sobres accentuaient avec grâce ses formes généreuses et sa taille fine. Mme Lewis avait toujours été une femme élégante. À côté d’elle, Will passait pour un manche à balai.

    Les deux femmes échangèrent quelques mots. Will patientait en frottant du pied une tache sur la moquette. Ce soir, c’était le grand soir. Ça la rendait nerveuse. Une nouvelle vie. Une nouvelle ville. Encore.

    Le déménagement vers une nouvelle ville était toujours une épreuve pour une jeune fille de dix-sept ans. Sauf pour Will. Elle était habituée à ce genre de changements. Elle s’en lassait même à présent.

    M. et Mme Lewis avaient loué une petite maison dans le centre-ville de Blackstone. Vu les problèmes de Will, ils avaient abandonné l’idée de devenir propriétaires. Le travail de M. Lewis permettait, fort heureusement, d’être muté un peu partout en Amérique. Mme Lewis, quant à elle, préférait un poste convenable dans n’importe quel bureau qui accepterait ses multiples déménagements.

    Will s’était renseignée brièvement sur Blackstone. Ville de neuf mille habitants environ, on était loin de Los Angeles. C’était une vieille ville du Massachusetts aux charmantes maisons, à la nature luxuriante et au calme apaisant. En tout cas, c’est ce qui était inscrit sur leur site internet. Son nom mystique sonnait familier dans son esprit sans qu’elle parvienne à se souvenir d’où il provenait. Ils avaient arpenté tant de routes, logés dans tant de villes qu’il n’était pas impossible qu’ils aient loué une résidence dans la ville voisine.

    Ce qui avait attiré M. et Mme Lewis à Blackstone restait un mystère et elle préférait éviter le sujet. Elle était la raison de ces nombreux déménagements et cela ne faisait qu’empirer leurs relations déjà tendues.

    À son arrivée, elle déballa ses cartons et aménagea la pièce qui lui servait de chambre. C’était assez grand, à l’extrémité de la maison, et la grande fenêtre avec son spacieux rebord la charmait. Elle se voyait déjà l’accommoder de coussins et de petites lumières afin d’en faire un endroit relaxant et cocooning.

    Elle contempla l’extérieur à travers la fenêtre. On ne pouvait pas apercevoir l’éclat de la lune à cause de la pluie. Les jours de beaux temps, elle imaginait déjà sa lumière réjouissante à travers les carreaux.

    Elle avait toujours ressenti une émotion particulière quand la lune s’élevait. Elle aimait quand le soir arrivait, que le soleil se couchait, baignant le ciel de douces couleurs chaudes, et que la nuit tombait progressivement. La lune brillait alors, éclairant la terre de sa belle lumière, accompagnée des étoiles. Cependant, ces sensations de plénitude se transformaient en ivresse totale lors des pleines lunes. Il s’y passait toujours les trucs, les choses, les évènements pour lesquels elle prenait son traitement depuis maintenant cinq ans.

    Une fille passait dans la rue, accompagnée d’une enfant aux tresses blondes. Son sac rebondissait sur chacun de ses mouvements, balancé par ses larges hanches. Elle s’immobilisa et se tourna vers la fenêtre. Leurs regards se rencontrèrent brièvement. Will sentit un picotement familier traverser ses joues. Pendant un instant, elle crut que les choses allaient revenir. Puis, la fille la salua timidement de la main avant de poursuivre son chemin. Will soupira de soulagement et observa les silhouettes disparaître dans la nuit noire.

    Cette nuit-là, elle ne rêva pas. Pour la première fois, elle dormit paisiblement dans sa nouvelle chambre et ne se réveilla qu’au petit matin. Pas de choses, pas de trucs, pas d’évènements bizarres. Elle jeta un coup d’œil au flacon du Dr Jeen. Peut-être avait-elle enfin le bon dosage ? Elle se mit à penser à un retour à la vie normale. Un sourire étira ses lèvres. En cinq ans de traitement, c’était la première accalmie.

    Elle descendit les escaliers en trombe et déboula dans la cuisine. Encore acculée de cartons, la plupart de la vaisselle y était rangée. Mme Lewis préparait du café et quelques toasts pour son mari. Ce dernier observait le journal télévisé du matin, l’air pensif. Sa cravate n’était pas encore bien nouée autour de son cou et sa chemise comportait quelques plis.

    —  Bonjour, lança Will d’un air joyeux. Je...

    —  Will, peux-tu me passer le sel s’il te plaît ? coupa Mme Lewis.

    Sans lui adresser un regard, sa mère lui désigna le condiment devant elle. Will acquiesça et lui tendit le pot.

    —  Tiens. J’ai super bien dormi cette nuit !

    —  Merveilleux. Passe l’assiette à ton père, je dois retourner les œufs.

    Will prit le plat contenant du bacon et un toast au beurre. L’odeur des œufs brouillés aux oignons emplissait la pièce mal aérée. Elle déposa le plat devant son père.

    —  Ce que je veux dire, c’est que je n’ai pas eu ces... ces trucs.

    M. Lewis serra la fourchette dans sa main et s’attaqua à son petit-déjeuner. Son geste n’échappa pas à Will.

    —  Tu n’es pas content ?

    —  Je serai content si tu ne te fais pas expulser du lycée demain.

    —  Tu as pris tes médicaments ce matin ? demanda Mme Lewis.

    L’enthousiasme de Will redescendit. Elle sentit les traits de son visage retrouver leur morosité habituelle. Mme Lewis la désigna de sa cuillère pleine d’œufs.

    —  Ah, tu vois ! Aller, c’est l’heure.

    Will prit un grand verre d’eau, s’installa sur le canapé et tira les flacons de sa poche de sweat. Anxiolytiques, antidépresseurs et neuroleptiques. Le cocktail parfait contre ses choses. Comment de si petits comprimés pouvaient-ils agir sur le mal qui la rongeait de l’intérieur ? Elle prit un cachet de chaque et les fourra dans sa bouche. Un goût amer se déposa sur sa langue lorsqu’elle effleura la surface lisse de l’un d’entre eux. Elle déglutit péniblement et suivit leur trajet dans sa trachée.

    La chaise de M. Lewis racla au sol. Will l’entendit se lever, embrasser furtivement sa mère, prendre ses clés et marquer un temps d’hésitation derrière elle. Elle ne bougea plus, n’osa même pas lever les yeux. Elle sentit néanmoins sa main ébouriffer ses cheveux. Ce geste se voulait tendre, mais il ne faisait que refléter la gêne installée entre eux.

    L’après-midi arriva bien trop vite à son goût. Dans le cabinet de son nouveau psychiatre, elle ne se sentait pas à l’aise. Les premiers rendez-vous l’agaçaient toujours. Il fallait toujours tout relater.

    —  Ces choses dont vous parlez, est-ce qu’elles s’adressent à vous ?

    La voix claire du Dr Perkins résonnait dans les murs bleus de la salle de consultation. La lumière filtrait à travers un rideau de lin et rendait l’atmosphère paisible. Un parquet vieilli et bruyant recouvrait le sol. La grande bibliothèque derrière la doctoresse manquait de place. Quelques bibelots achetés en voyage ornaient les étagères. Une odeur de jasmin flottait dans l’air. Sûrement le parfum du Dr Perkins.

    Elle ne ressemblait pas aux autres docteurs qu’elle avait eus. La jeunesse de son visage lui donnait un air doux et sensible. Elle ne portait pas de blouse, simplement une chemise de soie, un pantalon élastique et un foulard rose. Des roses et des camomilles brodaient le calepin sur lequel elle notait.

    —  Vous n’avez pas lu mon dossier ?

    —  Si. Mais il est important que je reprenne chaque point avec vous.

    Will soupira. Si les déménagements incessants ne la marquaient pas, déblatérer tous ces évènements l’épuisait beaucoup.

    —  Non, elles ne parlent pas. Elles ne sont même pas vivantes. Je dis choses ou trucs parce que je ne sais même pas comment les appeler.

    —  Est-ce que vous pourriez me les décrire ?

    Will battit de son pied le parquet. Ce mouvement l’apaisait chez le Dr Jeen. Ici, le son grinçant du parquet amplifiait sa nervosité. Elle pesta, se positionna autrement et serra les dents sous le bruit du stylo plume griffonnant contre le papier.

    —  Ça arrive certains soirs. Surtout quand la lune est pleine.

    Le Dr Perkins hocha la tête tout en notant dans son carnet. Will décolla le col de son sweat de sa gorge pour guetter un peu de fraîcheur.

    —  Vous ne me croyez pas ?

    —  Je ne suis pas là pour vous

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1