Black Thistle: Tome I -Le chardon noir et l’enfant
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DES AUTEURS
Amis de longue date, Roman V. Sanchez et Max Bogaert se sont rencontrés autour des mystères de la Table ronde et de l’univers du celtisme. Depuis deux décennies, leur quête commune les a poussés à arpenter les Highlands et les plus belles cités d’Écosse. Black Thistle est un guide à travers le dédale d’un mythe littéraire et spirituel surgi des brumes du temps : le Saint Graal.
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Aperçu du livre
Black Thistle - Roman V., Max Sanchez , Bogaert
Chapitre 1
La jeune femme roulait depuis plusieurs heures et avait du mal à garder les yeux ouverts. Elle avait coincé le couffin de la petite Eileen à l’avant, entre le dossier du siège passager et la planche de bord. Elle avait accouché seule, trois jours auparavant, et se remettait difficilement de cette épreuve. Désormais, plus le choix : elle devait tenir bon. La route menant à la vallée du Glencoe était sinueuse et la pluie réduisait la visibilité. La conductrice était obligée de doubler d’attention afin de ne pas tomber dans le fossé. Il ne lui restait plus qu’une dizaine de kilomètres à parcourir avant d’arriver au point de rendez-vous, et déjà, les impressionnantes Five Sisters remplissaient l’horizon de leur noirceur. Nul ne pouvait entrer sur ces terres sans y avoir été invité par le maître des lieux, par ce roi d’une époque révolue, par cet éternel que les cieux ont rejeté. Ses aînés lui avaient conté les histoires de cette vallée sans retour où une âme de conjuré avait élu domicile, condamnée à une vie d’immortalité. La puissance des dieux et des sorciers n’y avait plus cours de ce côté-là de la frontière, c’était un sanctuaire inviolable et préservé, un temple érigé par celui qui ne peut mourir. Elle espérait pouvoir y trouver protection pour sa fille, l’enfant d’une union interdite condamnée par son sang.
Elle pénétrait désormais dans les profondeurs du Glen, là où la route ne menait plus qu’à la mélancolie. Sur ce sentier du bout du monde bordé de roches éternelles, le temps n’avait plus sa place. Pour la première fois, elle pouvait mettre une image sur la légende contée depuis des siècles par ses aïeux : une terre sans vie, car sans mort, écartée du néant, car oubliée du réel, envahie d’une brume épaisse où l’âme se perd, tout comme se perd la raison… et balayée par des vents froids et humides qui tournoient autour du vide. Ainsi décrivaient-ils ce refuge de la damnation.
Le bout du chemin s’ouvrait sur une large étendue de bruyère et de tourbe au milieu de laquelle se dressait le Manoir. C’était une vieille bâtisse que les éléments avaient épargnée, construite il y a plus d’un siècle sur les ruines d’un château médiéval. Le domaine était entouré de grandes grilles en fer forgé dont l’entrée était marquée par la présence d’un magnifique portail orné de motifs divers. Celui-ci s’ouvrît automatiquement à l’arrivée de la jeune femme, sans même qu’elle ait eu besoin de s’annoncer au préalable. Elle pénétrait alors dans une cour immense et désertique qui se jetait au pied d’un escalier massif conduisant à la majestueuse porte d’entrée en bois noirci. La conductrice se gara juste devant, puis resta sans bouger, les mains sur le volant et le regard figé sur le haut des marches. Son hôte fit alors son apparition à travers la lourde porte, habillé d’un costume en tweed gris trois-pièces et d’un long manteau de flanelle noire. Il ne portait aucune coiffe, uniquement sa chevelure brune et ondulée qu’il arborait tel un dandy. Il ne descendit pas, resta posté de toute sa hauteur, le regard plongé dans celui de la jeune femme avec pour seul filtre le pare-brise avant du véhicule stationné deux mètres plus bas.
Elle fut la première à réagir. Elle sortit de la voiture avec souplesse et dignité, et en fit le tour pour aller récupérer le couffin. Elle le saisit avec fermeté, puis monta l’escalier jusqu’à mi-hauteur avant de relever la tête. L’homme lui souriait…
Cet instant resta gravé pour l’éternité. Elle était venue dans le plus grand secret déposer au légendaire immortel ce qu’elle avait de plus cher au monde, sa fille, l’héritière de son sang, mais également du sien… une sang-mêlé maudite par la rencontre de ses parents, condamnée à un exil forcé pour échapper à la mort décidée par ses aïeux maternels. Entre deux maux, elle fit le choix du moins pire.
Elle monta les quelques marches qui la séparaient encore du maître des lieux et arriva finalement à sa hauteur.
Un silence s’installa un court instant, puis l’homme reprit :
Les yeux remplis de larmes, elle tendit le couffin à l’homme, déposa un dernier baiser sur le front de son bébé et descendit les escaliers sans se retourner. Alors qu’elle ouvrait la porte de sa voiture pour repartir, l’immortel l’interpella du haut des marches :
La jeune femme tourna son regard vers lui, silencieuse. Le vent se leva brusquement, balayant le flan de la montagne d’une bourrasque éphémère. Quelques effluves de bruyère parcoururent l’air, ainsi qu’une fleur, qui vint rouler à ses pieds ; un chardon, de couleur noire… elle se baissa pour la ramasser.
La nuit venait de tomber sur les Highlands. Dans cette atmosphère sombre et glaciale, seule une ombre demeurait encore au pas de la porte en chêne, un reflet brumeux qui portait un couffin ; à l’intérieur, une enfant au destin incertain se mit à pleurer…
Chapitre 2
Elle avait toute la vie devant elle, si belle, si jeune… mais on me l’a arrachée, et je me retrouve seul désormais, avec ma peine et ma souffrance. Elle, au moins, ne souffre plus ! C’est la seule chose qui me réconforte un peu. Et toutes ces personnes dans la rue qui s’amusent, qui rient, qui déambulent comme si de rien n’était… Mais effectivement, il n’en est rien pour elles, seulement pour moi. Je ne les supporte plus, il faut que je sorte, que je m’éloigne de tous ces cons.
De la fenêtre de mon petit studio situé dans un vieil immeuble de la Old Town, j’aperçois en contrebas les allées et venues des touristes venus assister au Festival d’Édimbourg. Ils ont du bol, le temps est clément pour une fois, pas besoin de sortir son parapluie ou d’enfiler un putain d’imperméable. Je vais en profiter pour prendre l’air moi aussi, même si je me fous bien de la pluie après tout… je me fous bien de tout désormais.
Je descends sur quatre étages l’escalier étroit et sombre de mon immeuble, puis m’engouffre d’un pas décidé dans l’artère descendante d’High Street, à contresens du flux principal des passants qui se dirige vers Castle Rock. Tous ces moutons qui se précipitent tout en haut pour assister au spectacle de clôture, ça rime à rien. Des concerts de bagpipes y’en a plein d’autres, quel plaisir ils ont à s’agglutiner comme ça ?
La nuit commence à tomber et les lumières artificielles des lampadaires viennent désormais prendre le relais sur la clarté du jour. Je m’éloigne de la foule dans cette atmosphère presque moyenâgeuse en m’engageant dans une petite ruelle peu fréquentée en direction du sud, là où le brouhaha de la ville laisse place à la résonance des bruits de pas sur le bitume. Dans ce dédale sinueux de bâtiments en enfilade, noircis par des siècles d’histoire, mon esprit s’égare dans des songes brumeux où les souvenirs s’évanouissent dans les vapeurs d’alcool. Car des verres, j’en ai bu plusieurs aujourd’hui, et j’en boirai encore ! C’est à peu près la seule chose que je sais faire d’ailleurs, boire pour essayer d’oublier, oublier qu’elle n’est plus là…
Mary m’a quitté depuis maintenant plus d’un mois, j’ai l’impression que c’était hier. Tout est allé si vite, je n’ai même pas eu le temps de lui dire au revoir. Les médecins disent que c’est son cœur qui a lâché, une crise cardiaque alors qu’elle n’avait que 33 ans. Elle était si douce, si gentille, il y a beaucoup de salopards qui méritaient de partir avant elle. Ce qui me fait le plus mal, c’est que je n’étais pas là au moment où ça s’est passé. Elle est morte dehors, toute seule, dans ce maudit cimetière. C’est comme si elle avait été emportée par tous ces cadavres gisant depuis des décennies au fond de leur trou, recouverts par une tonne de terre ornée en surface de pierres tombales. Sur certaines, les inscriptions sont effacées, on distingue à peine le nom et la date du décès, la mémoire s’éteignant avec le temps. D’autres sont brisées, comme si on leur avait asséné un violent coup de massue volontairement, laissées telles quelles sur le sol. Et pourtant, des centaines de passants traversent ce lieu chaque jour, juste pour couper. Il a un côté sympa avec cette belle église gothique dressée à l’entrée, ses petites allées bordées d’arbres centenaires, et cet énorme château qui veille massivement en arrière-plan. Mais il n’en demeure pas moins sombre, et inquiétant, surtout la nuit tombée. Je suis comme attiré, il a pris ma bien-aimée, ainsi que mon âme…
Je me pose un instant sur un banc en bois pour contempler le muret contre lequel elle se