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Tout au fond de ma mémoire
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Livre électronique281 pages3 heures

Tout au fond de ma mémoire

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À propos de ce livre électronique

Sion, durant le caniculaire été 1953. Un drame s'apprête à se jouer dans la grande demeure de la famille Dupré, au coeur de la petite capitale alpine. Macel, 6 ans, le fils des propriétaires, est témoin de phénomènes étranges. Sa nurse est prête à tout pour le protéger, bien que le destin semble vouloir l'en empêcher.


LangueFrançais
Date de sortie1 sept. 2021
ISBN9782970131564
Tout au fond de ma mémoire
Auteur

Audrey Moulin

Audrey Moulin est née dans le canton du Valais, en Suisse. Dès son plus jeune âge, elle se passionne pour la lecture et rêve de faire de l'écriture son métier. Après des études de littérature anglaise à l'Université de Liverpool ainsi qu'à l'Open University, elle retrouve son Valais natal où elle travaille en tant qu'enseignante entre de nombreux voyages. C'est en 2013 qu'elle met enfin un point final à son premier roman jeunesse, Esmeralda et l'Arbre du Temps . Fin 2016, après une année passée à San Diego, elle auto-édite le tome 2, Esmeralda et les Secrets Dévoilés . Dès le mois de janvier 2017, de retour chez elle, elle s'attèle à l'écriture de sa première fiction historique, A l'ombre des collines . Il s'agit d'un véritable retour aux sources après deux romans inspirés de son expérience de globe-trotteuse. Avec A l'ombre des collines , elle rend hommage à sa ville de Sion, dont les châteaux perchés sur des collines l'ont toujours fascinée.

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    Aperçu du livre

    Tout au fond de ma mémoire - Audrey Moulin

    Prisonnière du passé

    Sion, juin 2019

    L

    e sommeil de Manon était troublé. La chaleur accablante de ce début d’été avait à peine faibli durant la nuit. Bien que les trop nombreux mojitos consommés la veille sur la terrasse du bistrot situé au pied de son immeuble l’aient aidée à s’endormir comme une masse, elle en payait désormais la taxe. Elle entrouvrit un œil, cherchant à localiser le verre d’eau qu’elle était certaine d’avoir déposé sur sa table de nuit avant de se coucher. Mais elle le referma aussitôt. Sa chambre tournait, la rendant nauséeuse. À l’aveugle, elle tendit un bras et tâtonna la surface de la table de nuit, en vain. Elle grogna dans son oreiller et prit son courage à deux mains pour se lever.

    « Va au diable, Manon bourrée d’hier soir, marmonna-t-elle en se mettant sur ses deux pieds. »

    Elle se dirigea vers la cuisine, se cognant au passage dans l’encadrement de la porte, puis ouvrit le robinet. Son grand verre rempli d’eau fraîche prit soudain des allures de Saint Graal et Manon se sentit revenir doucement à la vie à mesure que son corps absorbait cette source d’hydratation dont il avait cruellement besoin. Elle s’aspergea ensuite le visage pour se rafraîchir, un geste inutile dans la fournaise qu’était la capitale valaisanne durant l’été. Manon ouvrit le frigo et une merveilleuse vague d’air froid l’enveloppa. Elle ferma les yeux et profita de ce court instant de répit, rêvant de pouvoir y entrer tout entière, fuyant ainsi la chaleur et le bruit du monde extérieur. Elle ouvrit la partie congélateur du frigo et saisit la poche de gel bleu qu’elle gardait toujours au frais pour les cas désespérés. Elle se la colla sur le front, oubliant presque où elle se trouvait, rêvant aux neiges de l’Antarctique. Elle rebroussa ensuite chemin et s’écroula sur son lit, la pochette congelée plaquée contre sa poitrine, espérant grappiller quelques heures de sommeil supplémentaires.

    Yo k'e è myo doyen ? Mè fô o retrouvâ !

    — Madame ? Madame ? Vous allez bien ?

    — Yo k'e è myo doyen ? Mè fô o retrouvâ !

    — Madame, comment vous appelez-vous ?

    — Myo doyen ! Mè fô o retrouvâ !

    — Tu comprends ce qu’elle dit ?

    — Pas la moindre idée. C’est du patois de l’une de nos vallées, mais je ne comprends pas.

    — Tu m’étonnes, il n’y a plus que les vieux qui le parlent encore, malheureusement. Madame, vous me comprenez ?

    — Peu se fire k'é onko din a maizon. Mè fô retorna.

    — Vérifie si elle a des papiers sur elle.

    — Elle est en chemise de nuit, pieds nus, et elle doit avoir presque 90 ans. Tu penses franchement qu’elle a ses papiers sur elle ?

    — On ne sait jamais.

    — Edye mè !

    Manon leva la tête de son oreiller et regarda l’heure sur son téléphone. 5 h 30. Elle s’était à peine rendormie vingt minutes. Elle avait pourtant rêvé, mais ne savait plus de quoi. Elle se rappelait d’une voix de femme parlant une langue oubliée.

    « Grand-mère ? dit-elle à voix haute, pensant à sa mamie, morte une décennie plus tôt. »

    Perturbée par ce rêve qui lui échappait, elle garda les yeux ouverts, espérant se souvenir. Puis elle réalisa que des voix résonnaient sous sa fenêtre grande ouverte. Manon vivait dans la vieille ville. D’un côté, son appartement donnait sur une ruelle animée par son bar préféré. De l’autre se trouvait la terrasse verte et ombragée d’un restaurant ainsi qu’une rue piétonne bordée de commerces. Il y avait également, bien sûr, la grande maison, ancienne Préfecture du temps où Bonaparte avait cru bon, durant de courtes années, de venir se mêler des affaires du Valais. Le quartier était calme une fois les terrasses fermées et l’animation ne reprenait pas avant 7 heures du matin. Manon s’étonna donc de ces présences dans la rue. De plus, les voix qu’elle entendait semblaient appartenir à des personnes sobres, pas à des fêtards sortant d’un after et ayant oublié que les gens normaux étaient profondément endormis. Elle tendit l’oreille.

    — Je vais chercher la voiture, dit l’une des voix, appartenant à un homme. On va l’emmener au poste. On finira bien par découvrir qui elle est et d’où elle vient.

    « Des flics ? » s’étonna Manon. « Qu’est-ce qu’ils fichent ici à une heure pareille ? Ils collent des amendes au petit matin maintenant ! »

    — On va d’abord faire un crochet par la maison de retraite Les Tilleuls. Je ne serais pas étonné qu’elle vienne de là, répondit une deuxième voix d’homme.

    Manon était désormais complètement réveillée, malgré un mal de tête lancinant qui commençait à s’installer. Elle se levait une deuxième fois de son lit lorsque les mystérieuses paroles résonnèrent à nouveau sur les pavés de la rue.

    — Myo doyen ! Myo doyen ! se lamentait la vieille femme, la gorge nouée par les sanglots.

    Manon se précipita à la fenêtre et s’y pencha afin d’apercevoir le visage de la grand-mère. Sa suspicion fut immédiatement confirmée et, oubliant toute considération pour le sommeil de ses voisins, elle cria :

    — Madame Joris ? C’est bien vous ?

    Les policiers sursautèrent et se retournèrent vers elle. Son visage ridé s’illumina et elle tendit les bras en direction de Manon, qui se trouvait au deuxième étage du bâtiment.

    — Manon ! Manon ! Edye mè !

    — Madame Joris ! Qu’est-ce qu’il vous arrive ? Ne vous inquiétez pas, je descends.

    Sans un regard pour les policiers, qui ne comprenaient rien à toute cette histoire, Manon disparut de la fenêtre et s’habilla en hâte. Elle attrapa ses clés et son téléphone puis descendit les escaliers en trombe. L’entrée de son immeuble donnait sur la ruelle, pas sur la terrasse du restaurant où se trouvait Mme Joris. Elle fit donc le tour de l’immeuble en courant, inquiète pour la santé de sa patiente préférée. Lorsqu’elle tourna au coin de la ruelle, Mme Joris se précipita vers elle avec une étonnante rapidité compte tenu de son grand âge. Elle lui tomba dans les bras, tremblante, désorientée et paniquée.

    — Manon ! Manon ! Edye mè !

    — Calmez-vous, Marthe, tout va bien. Je vais vous ramener à la maison.

    La vielle dame faisait de la peine à Manon. L’Alzheimer pouvait évoluer très rapidement et, depuis quelques semaines, Marthe Joris avait plongé dans un monde parallèle. Seule Manon parvenait à l’atteindre. Cependant, l’usage exclusif du patois rendait la communication compliquée.

    — Yo k'e è myo doyen ? pleura Marthe.

    — Votre petit ? s’étonna Manon, qui n’avait compris qu’une bribe de la phrase.

    — Vous parlez le patois ? demanda l’un des policiers, un grand brun d’une trentaine d’années.

    — Un petit peu. Ma grand-mère m’avait appris quelques mots quand j’étais enfant. Mais je ne pourrais pas tenir une conversation entière.

    — Comment connaissez-vous cette madame Joris ? demanda le deuxième policier, plus jeune et plus petit que son collègue, tandis que l’intéressée sanglotait doucement.

    — Je suis infirmière à l’EMS¹ Les Tilleuls. Elle est l’une des patientes de mon étage.

    — Et ça lui arrive souvent de s’enfuir comme ça ?

    — Pas vraiment. Ces dernières semaines, son état s’est brutalement dégradé. Ça vient sûrement de là, malheureusement, expliqua Manon.

    Lorsque le plus jeune des agents de police eut rapproché la voiture de l’endroit où ils se trouvaient, Manon tenta d’y faire monter Marthe, ce qui provoqua une nouvelle crise. Elle répétait inlassablement la même phrase, que Manon ne comprenait qu’à moitié, et était désemparée. Elle ne réagissait pas aux paroles rassurantes de l’infirmière. Elle résista lorsque Manon la prit doucement par la main pour la diriger vers la voiture. Marthe tendait les bras en direction de la maison de la Préfecture et ne cessait de parler de « son petit ». Finalement, Manon dut se résoudre à demander de l’aide aux policiers qui, aussi délicatement que possible, portèrent la vieille dame jusqu’au véhicule. Manon monta à côté d’elle et la voiture démarra, prenant la direction de l’EMS situé à peine trois cents mètres plus loin.

    Vingt minutes plus tard, Manon avait trouvé refuge dans la salle de pause des infirmières. Sa tête la faisait souffrir le martyre et elle avait grand besoin d’un remontant pour se réveiller. Elle attrapa son mug personnel dans le buffet et choisit la capsule de café la plus forte. Le ronronnement de la machine sonnait comme une symphonie à ses oreilles. Elle huma la concoction brûlante après l’avoir versée dans sa tasse en espérant qu’elle lui rendrait son énergie habituelle.

    — Je croyais que c’était ton jour de congé ? lui demanda Henriette, l’une de ses collègues, la faisant sursauter.

    — Ce boulot me suit partout… jusque sous mes fenêtres ! rétorqua Manon en essuyant le café qu’elle avait renversé avec un torchon.

    — Toi, tu es sortie hier soir ? devina Henriette en scrutant le visage fatigué de Manon.

    — Ma tête de déterrée est si terrible que cela ?

    — Honnêtement, oui, dit Henriette en riant. Soirée mojitos sur la terrasse du Rio ?

    — Je suis vraiment trop prévisible, répondit Manon en souriant. Madame Joris, par contre, est pleine de surprises. Elle a filé cette nuit, tu n’as pas entendu ? Je l’ai trouvée en grande discussion en patois avec deux flics désemparés, sous mes fenêtres, il y a moins d’une heure.

    — Voilà qui est original, répondit Henriette en se servant à son tour une tasse de café. Dire que les gens pensent que de travailler avec des « vieux » est monotone et chiant.

    — Ils n’imaginent pas à quel point nos aînés sont imaginatifs, soupira Manon. Bon, je vais retourner auprès de notre chère Marthe. J’espère que la pauvre trouvera un peu de sérénité.

    — Elle ne doit plus en avoir pour longtemps, prédit Henriette.

    Manon se contenta de hocher la tête. Elle travaillait à l’EMS depuis de dix ans. Elle savait que sa collègue avait raison.

    — Oui, je suis là, Madame Joris. Vous vous sentez mieux ? lui demanda Manon en s’asseyant sur un tabouret à côté de son lit.

    — Mè fò tornâ bâ lé ! Mè fô o retrouvâ !

    — Chut, chut, calmez-vous Marthe, chuchota Manon en caressant les cheveux de la grand-mère. Essayez de vous reposer maintenant.

    — Qui est ce petit dont elle ne cesse de parler ? demanda le plus âgé des policiers, qui était entré dans la chambre si silencieusement que Manon ne l’avait pas remarqué.

    — Je ne sais pas. Je ne comprends pas tout ce qu’elle dit, malheureusement.

    — A-t-elle perdu un enfant ?

    — Elle n’en a jamais eu, expliqua Manon. Je crois qu’elle a été nurse dans les années cinquante. Elle parle peut-être d’un enfant dont elle s’est occupée.

    — C’est étrange, tout de même, commenta le policier.

    — Ce genre de crise est fréquent chez les patients atteints d’Alzheimer. Ils perdent la notion du temps passé et revivent des scènes de leur jeunesse. C’est parfois très stressant pour eux.

    — Pour vous aussi, je suppose. Au fait, je m’appelle Éric.

    — Manon, répondit l’infirmière en lui rendant sa poignée de main.

    — Nous devons filer, notre service n’est pas terminé. Au revoir, Madame Joris, ajouta-t-il à l’attention de la vieille dame. Évitez les escapades nocturnes à l’avenir.

    — Nous y veillerons, rétorqua Manon en riant.

    Le policier s’en alla et Manon resta auprès de sa patiente durant quelques minutes supplémentaires. Elle s’était calmée et s’apprêtait à sombrer dans le sommeil.

    — Marsèle ë pardu, murmura Marthe avant de s’endormir.

    « Qui est Marcel ? », chuchota Manon, de plus en plus intriguée.

    > Chapitre 2

    Chez les Dupré

    Sion, juillet 1953

    M

    arcel ! Maarceeel ! Où est-ce que tu t’es encore caché, petit chenapan ?

    La jeune femme monta les escaliers jusqu’au premier étage de la demeure et ne fut qu’à moitié surprise de constater qu’il y régnait un silence de cathédrale. Marcel savait se montrer très discret lorsqu’il jouait à se cacher. Elle portait un uniforme flambant neuf et ses cheveux noirs étaient relevés dans un chignon impeccable. Elle était jeune, tout juste sortie de l’école de nurse, et n’avait pas cru à sa chance lorsqu’elle avait été assignée à son premier poste. Paul et Amandine Dupré faisaient partie de l’une des plus grandes familles de la région, des notables depuis des siècles, qui habitaient dans la merveilleuse maison de la Préfecture, au cœur de la petite cité. Leurs fils Marcel avait presque 6 ans et une imagination débordante, ainsi qu’un penchant pour les farces, dont sa nurse adorée faisait souvent les frais. Elle jouait volontiers le jeu, charmée par ce petit garçon si intelligent.

    — Marcel, ta cachette est bien trop sophistiquée aujourd’hui. Impossible de te trouver ! s’exclama-t-elle après avoir inspecté les trois premières chambres. Serais-tu caché… dans cette malle ? lança-t-elle en ouvrant soudainement la grande valise en cuir. Encore raté ! Te serais-tu volatilisé ? Comme les enfants du livre que tu aimes tant que je te lise ? Oui, c’est sûrement cela ! Tu es parti au pays de Narnia !

    Elle tendit l’oreille et, comme prévu, elle décela des petits bruits étouffés provenant de la nurserie. À pas de loup, elle se glissa dans la pièce et, prenant garde à ne pas faire craquer le vieux plancher en bois, elle s’approcha de la grande armoire encastrée. Elle l’ouvrit d’un coup sec, mais fut surprise de ne pas y trouver Marcel. Le petit garçon était décidément plein de ressources ! Elle s’apprêtait à chercher dans le reste de la pièce lorsqu’elle repéra une petite trappe dans la paroi du placard dont elle avait, jusque-là, ignoré l’existence. Elle se mit à quatre pattes et se faufila au fond de l’armoire. Elle entendit à nouveau les légers bruits étouffés. Plus aucun doute, il était là ! Elle tira sur la poignée de la trappe et découvrit son protégé, les deux mains collées sur la bouche pour se retenir de rire. Cette précaution fut levée aussitôt qu’il se retrouva face à face avec sa nounou.

    — Tu es trop forte, Marthe ! s’exclama-t-il en riant.

    — Tu m’as donné du fil à retordre aujourd’hui ! répondit-elle en riant elle aussi. Je ne savais même pas que cette cachette existait !

    — Je suis le seul à la connaître, précisa Marcel en chuchotant soudainement.

    Il plaça ensuite son doigt sur sa bouche pour faire comprendre à Marthe qu’il s’agissait d’un secret.

    — Bouche cousue, promit-elle avec le plus grand sérieux. À condition que vous veniez prendre votre goûter, jeune homme ! La tarte aux abricots du jardin sort tout juste du four !

    Il n’en fallut pas plus pour faire bondir Marcel hors de sa cachette. Les abricots étaient ses fruits préférés et poussaient abondamment dans la région. Chaque été, il s’en gavait à la moindre occasion.

    Comme chaque jour depuis trois mois, Marthe profitait de ces derniers instants de sérénité avec Marcel, à déguster l’une des délicieuses tartes de Marguerite, la cuisinière, avant que la réalité ne reprenne ses droits.

    — Du bon jus de pomme fraîchement pressé, dit Marguerite en déposant deux verres remplis du précieux nectar sur la table en fer blanc de la cuisine, devant Marcel et Marthe.

    Un unique rayon de soleil entrait dans la pièce par la fenêtre qui donnait sur la cour, rendant la luminosité de la cuisine presque irréelle. La scène ressemblait à une aquarelle, un moment privilégié de bonheur domestique. À peine Marcel et Marthe eurent-il avalé le dernier morceau de tarte qu’une porte claqua à l’étage et des pas lourds descendirent les escaliers.

    — Maman est réveillée, chuchota le petit garçon avec appréhension.

    > Chapitre 3

    Laura

    É

    Sion, juin 2019

    puisée, Manon s’était affalée sur son sofa dès son retour chez elle.

    « Tant pis pour la grasse mat’ », soupira-t-elle.

    Elle alluma la télé et, sans surprise, n’y trouva rien d’intéressant. Elle lança donc la deuxième saison de Friends, qu’elle avait déjà vue au moins vingt fois, puis ferma les yeux. Elle ne tarda pas à s’endormir avec, en bruit de fond, les rires enregistrés et les dialogues loufoques provenant du légendaire appartement new-yorkais. La sonnerie de son téléphone finit par la sortir de son sommeil sans rêves, deux heures plus tard.

    « Qui est-ce qui m’écrit à une heure pareille un dimanche ? » se demanda-t-elle, agacée. « Laura, quelle surprise. »

    Sa meilleure amie était une lève-tôt durant le week-end et une lève-archi-tôt durant la semaine. Le dimanche, elle s’accordait un repos prolongé en dormant jusqu’à 8 heures. Ensuite, elle partait faire un jogging suivi d’une séance de yoga. « Une folle », selon Manon.

    « Tu as fait fort hier soir à ce que je vois ! Dernière apparition sur WhatsApp à 5 heures 45 ! » avait écrit Laura. « Pas trop mal à la tête ? »

    « Plus 20 ans », rétorqua Manon en ajoutant un emoji aux cheveux gris. « Mais je me suis pourtant couchée à minuit et demi. Si j’étais réveillée à 5 heures, c’est à cause de madame Joris. »

    « ??? » répondit Laura.

    « Je t’expliquerai. Café et dessert au tea-room cet après-midi ? 14 heures ? »

    Laura répondit par un pouce en l’air et la conversation s’arrêta net. Manon ferma à nouveau les yeux, espérant se rendormir, tandis que sur sa télé, les six protagonistes visitaient un appartement à la déco kitsch et criarde, que l’un d’entre eux avait cru bon de s’offrir après avoir décroché le rôle de sa vie. Manon connaissait l’intrigue par cœur et souriait, malgré ses yeux fermés, visualisant parfaitement la scène. Les effets des mojitos de la veille pas encore estompés, elle s’assoupit à nouveau. Sa dernière pensée fut pour Laura qui, de son côté, devait être en plein jogging.

    — Tu ne crois pas que tu devrais mener l’enquête ? demanda Laura à Manon, entre deux bouchées d’éclair au chocolat, après avoir écouté attentivement toute l’histoire.

    — À propos de quoi ? rétorqua Manon.

    — Ben de ce Marcel. Ça doit forcément être important pour elle.

    — J’y ai pensé, mais je ne sais pas… Parfois nos patients les plus atteints ont tendance à tout mélanger. Ce Marcel est peut-être simplement un voisin d’enfance ou un cousin. Peut-être même son frère. Mais rien ne prouve qu’il soit « son » petit.

    — Oui, mais dans le doute, insista Laura. En plus, tu n’as pas compris tout ce qu’elle a dit. Tu es peut-être passée à côté d’une info capitale.

    — Ça, par contre, ça me travaille, répondit Manon en soupirant. Je suis tellement frustrée à chaque fois qu’elle me parle en patois. Quand elle était encore un peu lucide, je pouvais lui demander de traduire en français ce que je n’avais pas compris. Mais maintenant, je suis dans le flou total.

    — Tu devrais

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