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Peinture et Beauté
Peinture et Beauté
Peinture et Beauté
Livre électronique330 pages4 heures

Peinture et Beauté

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À propos de ce livre électronique

À bout de souffle, une criminelle en cavale se réfugie dans l’antre doré d’un homme seul. Embastillée et condamnée à ne pouvoir sortir. Sans échappatoire, elle est à la merci de ce peintre solitaire, ancien baroudeur qui consacrera son temps et ses loisirs, sans brusquerie, à la séduire à travers leurs différents états d’âme.
Atmosphère remplie de couleurs et d’harmonie.
Incursion dans l’univers de la création à travers l’œil exercé d’un professionnel polarisé par son art et obnubilé par la beauté.
Cette douce quiétude sera bouleversée par l’excès de zèle d’un enquêteur pourri qui mettra en péril les personnages les plus délicats du roman, provoquant un drame.
LangueFrançais
Date de sortie16 juil. 2019
ISBN9791029009822
Peinture et Beauté

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    Aperçu du livre

    Peinture et Beauté - Giacomo Ihace

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    Peinture et Beauté

    Giacomo Ihace

    Peinture et Beauté

    Les Éditions Chapitre.com

    123, boulevard de Grenelle 75015 Paris

    © Les Éditions Chapitre.com, 2019

    ISBN : 979-10-290-0982-2

    Prologue

    Lyon 1968

    – Comme tu n’as pas d’école aujourd’hui, si tu veux, tu peux nous accompagner à notre travail. Juste à côté, dans l’autre aile du bâtiment, il y a une exposition sur les paysagistes du XIXe. À midi, nous pourrions déjeuner au restaurant du théâtre ?

    – …

    – Cela te tente ?

    Focalisé sur son occupation, l’enfant persistait dans son silence.

    – Es-tu partant ?

    L’adulte parlait à un garçon, d’environ 10 ans, à genoux, affairé à essayer de remonter, plutôt mal que bien, un réveil en pièces. Visiblement, il attendait une réponse, car il insistait :

    – Jacques ! M’entends-tu ?

    – …

    – Tu viens ou non ? Maman s’impatiente !

    Émergeant de sa concentration, Jacques se releva d’un bon en s’exclamant :

    – Oh oui ! J’aimerais assez ça… Je vais me préparer. Je ne serai pas long.

    Sa voix s’évanouit dans l’escalier menant à sa chambre, alors qu’il grimpait les marches quatre à quatre – enfin, ce que permettaient ses courtes jambes… En proposant cela, l’homme savait très bien que l’enfant adorait regarder les livres d’art ou se promener dans une galerie de peintures. Les paysagistes avaient nettement sa préférence.

    Au musée, ils le confièrent à Bernard le gardien, un ami, avant de gagner l’auditorium voisin, lieu de la répétition. Au cours de la matinée :

    – Rachel ? Simon n’est pas revenu de la pause, s’enquit le chef d’orchestre, constatant l’absence du violoncelliste.

    – Notre fils est à côté. Il est juste allé jeter un œil… Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase que Simon, tout essoufflé, apparaissait.

    – Excusez-moi ! Je ne voulais pas perturber, glissa-t-il en réintégrant le groupe.

    Le chef lui indiqua prestement de retourner s’asseoir. Quelques coups de baguette sur le rebord du pupitre pour attirer l’attention des autres musiciens ; la séance allait reprendre. Immédiatement, le doux murmure des violons accompagnés en sourdine par les bois entrelacés du roulement étouffé des cymbales envahit la salle et la baigna d’une onctuosité crémeuse et veloutée.

    À la pause déjeuner, sur le coup de midi, le couple se précipita à la galerie retrouver leur enfant. Assis sur un banc, la tête entre les mains, celui-ci contemplait un paysage de Corot, « Le Pont de Mantes ». D’après Bernard, le gardien, il n’avait pas bougé de toute la matinée. En apercevant ses parents, Jacques sursauta avant de s’écrier :

    – Quand je serai grand, je serai peintre !

    Le père et la mère se regardèrent en souriant.

    – Tu sais, Jacques, tu as encore du temps devant toi pour choisir ?

    – Non ! C’est ça !

    – Pourquoi précisément ce tableau ? s’enquerra sa maman, toujours sous le choc de la surprise.

    – Tout est dans des nuances de vert, sauf le chapeau rouge du pêcheur. Je n’ai jamais rien vu de plus beau. Il parlait d’une voix enjouée, empreinte à la fois d’enthousiasme, de gravité et de maturité. Il avait du mal à freiner le trop-plein d’excitation qui bouillait en lui.

    – C’est… c’est…

    Les mots les plus simples ne lui venaient plus à l’esprit. La vision troublée, le paternel se taisait, bouleversé par ce qu’il avait entendu.

    Depuis cette révélation, Jacques passa la majeure partie de son temps à dessiner. Pour la famille, cette date devint historique. Malgré les risques d’un métier on ne peut plus précaire, en aucun cas ses parents n’essayèrent de l’en dissuader. La traversée de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte ne changea en rien sa détermination. Jamais il ne renonça à sa vocation, et garda toujours en lui sa flamme originelle.

    PREMIÈRE PARTIE :

    La rencontre

    Chapitre 1

    Reims 1998 (trente ans plus tard)

    Arrivée à la gare, elle attrapa le premier train. La destination de Lyon lui convenait parfaitement. Elle prendrait une correspondance pour Clermont-Ferrand, puis Millau. C’était la ville de ses grands-parents maternels. Sa tante Gabrielle y habitait également. De plus, la mère de son père séjournait dans une maison de retraite toute proche. Un billet en poche, sans regarder autour d’elle, la tête baissée, elle dévala à vive allure les marches qui menaient au hall central. Puis brusquement, prenant conscience de la présence quasi certaine de caméras de surveillance qui ne manqueraient pas de la repérer si elle sortait du rang, elle ralentit sa course. Elle devait se fondre le plus possible dans la masse et disparaître dans la première voiture. Avant d’aller prendre place dans le wagon, Ann Somerset examina la monnaie qui lui restait ; pas de quoi faire des folies ! À peine assise, par réflexe, elle s’intéressa immédiatement aux déambulations des voyageurs pour essayer de discerner les policiers en civil. Même si la chose était rendue facile par le peu de monde circulant un jour férié après-midi, la difficulté de la tâche la découragea rapidement. De plus, dans moins de deux heures, la foule des soirs de fin de week-end se presserait sur ces quais, effaçant toute trace. Elle regarda de nouveau sa montre en implorant aux aiguilles d’avancer. Brusquement, elle sursauta quand elle entendit une voix qui criait tout près de sa fenêtre :

    – Je l’ai trouvé !

    Ann Somerset se figea avant de réaliser qu’il s’agissait d’un homme qui venait de retrouver un objet égaré. En cavale depuis seulement quarante minutes, sur le qui-vive, elle demeurait en alerte maximale. Elle fut soulagée quand son train s’ébroua alors que deux rames plus loin, un autre en partance pour la capitale commençait à se remplir de son flot d’étudiants venus passer le week-end en famille.

    Insuffisamment couverte pour la saison, le froid transperçait ses épaules, un frisson parcourut son corps. Elle se recroquevilla un peu plus sur son siège, croisa les jambes en les serrant fortement. Elle s’était sauvée en catastrophe et n’avait eu que le temps de saisir ce qui traînait dans sa chambre ; son sac, un pull en coton molletonné et, par chance, l’imper qui s’éternisait au portemanteau du bureau des infirmières. Chaussée de ballerines aux semelles minces, ses pieds étaient de véritables glaçons. Une tenue complètement décalée pour cette période de l’année. Elle farfouilla fébrilement dans une poche de sa besace pour en extirper, tant bien que mal, le sweat-shirt à capuche tout chiffonné. Elle l’enfila prestement par-dessus son corsage et se couvrit la tête avant de remettre le ciré.

    Malgré la fatigue, elle ne put fermer l’œil, trop préoccupée par les événements. Son visage marqué par le froid reflétait un désarroi proche de la panique. À Lyon, pas d’attente, juste le loisir de changer de quai. La correspondance était deux voies plus loin. La morosité de l’endroit alliée à la grisaille d’un matin blafard n’était pas pour lui remonter le moral. Le regard hagard d’une nuit sans sommeil ; déchirée par ce qui venait d’arriver et terrifiée par ce qui pourrait survenir. Obsession délirante. Se comporter de la sorte en permanence la détruisait à petit feu. Elle devait se ressaisir et cesser ses enfantillages. Elle était maintenant seule au monde, irrémédiablement seule. Mais mieux vaut être ainsi que mal accompagnée. Cette dernière pensée la rassura. En passant devant le kiosque à journaux, en première page, dans le canard du coin elle crut discerner sa photo. Elle ne prit pas le temps de lire les commentaires, le nom « Ann Somerset… » suffisait. Son sang se glaça. Incapable de faire un pas de plus, pendant une fraction de seconde, son esprit tourna dans le vide. Elle devait réagir au plus vite et déguerpir, car dans peu de temps, il y aurait des policiers plein la gare. Un bref instant, elle chercha le numéro de sa voiture et disparut aussitôt à l’intérieur.

    Angoissée par les arrêts répétitifs de l’omnibus, elle décida de modifier le voyage prévu initialement. Millau n’était pas une bonne idée, ses poursuivants ne manqueraient pas de faire le lien. Cousu de fil blanc, l’itinéraire fut donc abandonné et remplacé par un parcours aléatoire, sans aucune réflexion. À Vichy, elle sortit pour attraper le premier autocar qui démarrait. Sans connaître la destination exacte, elle acheta un billet pour le terminus. Peu importait ! Toujours encapuchonnée jusqu’au nez, elle se cala toute au fond du véhicule, ferma le rideau et fit mine de dormir. En entrant, elle avait remarqué le regard inquisiteur et indiscret d’un jeune homme visiblement en quête d’aventure. Elle voulait éviter à tout prix ce genre d’histoire et dans la mesure du possible, essayez de passer inaperçue.

    C’est dans un charmant village d’Auvergne, en bordure d’une rivière, que le périple motorisé prit fin. Furtivement, la tête enfoncée dans les épaules, elle descendit du bus, pour le longer jusqu’à l’arrière et s’éclipser dans la première rue. Une épicerie à l’ancienne enseigne, des « Économats du Centre », partiellement effacée, capta son attention. Une bouteille d’eau accompagnée d’un paquet de Petits LU au beurre devrait apaiser momentanément les tiraillements de son estomac. En sortant de la boutique, elle continua la route qui semblait se diriger vers l’extérieur de l’agglomération. Pressée de disparaître, elle hâta le pas, dépassa une grosse villa bourgeoise, genre de château, fermée de toutes parts et dont la grille impressionnante devait dissuader bon nombre de malfaiteurs. En s’éloignant, les constructions se raréfiaient, laissant place, petit à petit, à des jardins puis, brusquement, à une forêt de chênes et de hêtres majestueux. En bordure, quelques bouquets de noisetiers et, par endroits, des parcelles de pins sylvestres entrecoupaient les feuillus, rompant toute monotonie. Sans crier gare, virage après virage, la chaussée se raidissait fortement. Plusieurs épingles, toutes plus abruptes les unes que les autres, ponctuaient le trajet et permettaient à la jeune femme de contempler, sans se retourner, les coteaux opposés aux sommets hantés par les fantômes blanchâtres de vaches charolaises au pacage. Une demi-heure plus tard, au niveau d’une aire de stationnement, la voie se séparait en deux. L’une reprenait, semble-t-il, la direction du village, la deuxième, signalée par une pancarte LES CHÈNEVIS – PROPRIÉTÉ PRIVÉE, persistait à grimper en obliquant légèrement sur le flanc sud de la montagne. Le choix était facile. N’avait-elle pas décidé de s’éloigner le plus possible de l’agglomération ? Rétréci, le nouveau chemin n’autorisait plus le croisement de véhicules, mais demeurait, néanmoins, parfaitement carrossable, car toujours goudronné. Les abords, tondus récemment, reflétaient encore la civilisation. Depuis le magasin, pour se réchauffer, Ann Somerset marchait à vive allure, sans fléchir, malgré le handicap représenté par ses chaussures. Leurs semelles étaient si minces qu’à chaque pas, elle ressentait les graviers du revêtement transpercer ses pieds. Une pluie fine, mêlée au brouillard, s’était mise à tomber, soulignant les lieux d’un peu plus de tristesse. Quand, deux cents mètres après la fourche, la route s’arrêta net devant un grand porche clos par un solide portail en bois clouté, elle éprouva un soulagement. Un moment de répit pour s’abriter. Faire une pause en grignotant sa maigre pitance et boire un coup lui redonnerait, peut-être, du courage, car pour l’instant son moral était au plus mal. La bruine devenait plus épaisse et amplifiait le déclin du jour, rendant les formes encore plus impressionnantes. Devant l’ampleur des tracas à surmonter, une peur panique s’empara d’elle. Elle ne pouvait pas demeurer figée sous peine de prendre racine. Elle devait se secouer, trouver coûte que coûte un endroit où passer la nuit. Demain, elle improviserait de nouveau. Elle se décida à sonner, pas de réponse. Elle recommença plusieurs fois, rien. En longeant le mur d’enceinte par un petit chemin fraîchement tondu, elle découvrit à l’angle une tour carrée sans ouverture. La propriété paraissait inexpugnable, une véritable forteresse. Elle redressa le menton pour aller chercher au plus profond un peu d’énergie. « S’il le fallait, je ferai de l’escalade », soupira-t-elle en retournant à l’entrée. Elle risqua un œil à travers un minuscule trou dans le portail ; le rouge d’un parterre de fleurs lui barrait toute autre vision. Un bref instant, elle se prit à rêver. Une douce musique l’envahit. Cette habitation, elle la voyait confortable, ensoleillée, avec des rires dans chaque pièce et des chuchotements dans les couloirs. Au cours du voyage, n’avait-elle pas pensé squatter une grange abandonnée ou dormir dans une église ! Prendre possession des lieux en se cachant à l’intérieur du confessionnal avant la fermeture ! L’opération semblait possible ! Elle aurait bien eu besoin d’un bon coup de dopamine pour chasser ses idées noires et lui donner du courage.

    Plus tard, aux Chènevis, deux gendarmes en mission.

    – Fournissez-moi une seule raison de vouloir fouiller ma maison sans mandat ? Le ton était acerbe, coupant.

    – Viens, partons. Merci, Monsieur ! s’empressa de répondre l’adjudant Delaunay.

    – Nous reviendrons. Soyez tranquille, rétorqua l’enquêteur Lapointe d’une voix rauque et le regard lugubre ?

    – C’est ça, de l’intimidation. Bravo. Je m’aperçois que vous n’êtes guère respectueux des règles de loi. Rappelez-moi votre nom, c’est bien Lapointe ? Je vais signaler ça à mon avocat. Et n’oubliez pas, là où vous êtes actuellement, c’est déjà ma propriété.

    – Excusez-le. Nous appliquerons les mesures afin que pareil incident ne se renouvelle pas, réagit instantanément le gradé en grommelant, visiblement en colère contre son subordonné.

    – Au revoir Monsieur Rhace. Merci pour votre coopération.

    Le fourgon démarra et disparut, avalé par le premier virage. À l’intérieur du véhicule, le dialogue entre les deux collègues ne fut pas le même :

    – Qu’est-ce qui s’est passé pour justifier un tel dérapage ? T’es tombé sur la tête ? Provoquer un citoyen sans raison ! Le règlement, en pareil cas, m’impose de te suspendre de toute enquête jusqu’au conseil de discipline. Manifestement, l’adjudant n’était pas content, car il continuait de plus belle :

    – Tu te prends pour qui ? Espérons qu’il ne mette pas ses menaces à exécution. Tu perdrais ton job et moi aussi. En ce moment, l’administration est très pointilleuse là-dessus.

    Enfoncé dans son siège, le deuxième gendarme se taisait.

    Monsieur Rhace ne se pressa pas pour refermer, attendant qu’il ne discerne plus aucun bruit de moteur. Un brouillard assourdissant avait pris place et absorbait le paysage en dissimulant toutes formes.

    À l’intérieur de la resserre aux senteurs de chaux éteinte et de sable séché, l’inconnue, recroquevillée d’épouvante, n’osait bouger de peur de réveiller les esprits de l’obscurité. Inondé d’un noir épais, le silence était total, seul résonnait dans ses tempes le crépitement de son cœur. Le manteau posé sur ses épaules diffusait sa douce chaleur et lui redonnait un peu de vie. Elle n’eut pas le temps de penser à son hôte et à tous les événements de ces dernières vingt-quatre heures qu’elle entendit des pas se rapprocher. Sans délai, elle sortit de sa cachette, attendant derrière la porte en se balançant d’une jambe sur l’autre. La silhouette de Monsieur Rhace, qu’encadrait la très faible lumière du jour tombant, comme une ombre dangereuse jaillissant de l’embrasure, déclencha en elle une crise de détresse. Tremblements, sanglots, gémissements.

    – Ils sont partis. Ils ne reviendront pas.

    Quelque chose en elle se crispa quand il parla. L’estomac noué par la peur. La voix était dure, presque rude, inappropriée. Pourtant, les paroles qui suivirent n’étaient pas en concordance avec la tonalité employée. L’homme se donna un instant en se raclant la gorge avant de poursuivre :

    – Vous pouvez rester ici le temps qu’il vous plaira. La demeure est suffisamment grande. On ne se gênera pas. Une des ailes de la maison est complètement indépendante et entièrement équipée ; chambre, salon, salle de bains et cuisinette. Si vous désirez vous montrer discrète pendant quelque temps, on vous oubliera vite. Vous pourrez alors reprendre vos activités. Les voisins sont éloignés et réservés. À part de rares promeneurs, on ne s’aventure guère dans les parages. Il marqua un moment d’arrêt pour écouter le souffle rapide de la jeune femme. Cette fois, il continua plein de douceur :

    – Venez ! Rentrons manger. Une bonne bouteille, ça vous tente ? Salade de mâche sauvage, confit de canard avec légumes frais du jardin et pour terminer un Saint-Nectaire de derrière les fagots. Absolument fabuleux !

    Pendant tout ce temps, elle n’avait pas pu contenir ses larmes, ses gémissements. Effarouchée. Fugitive, criminelle, recherchée par la police de tout le pays. La permission de tuer sans sommation en quelque sorte. Mais pour l’instant, elle était douloureusement vivante. Pour combien de temps encore ? Dans cette immense demeure, isolée de tout, avec un homme apparemment seul, peu prolixe. C’était allé de Charybde en Scylla. Cependant, une petite voix, celle du courage et de l’audace, résonnait en elle : « Ne sois pas rétive, tu t’es sortie une fois d’un danger. Pourquoi n’en éviterais-tu pas un second ? Cède la place à ton cœur. Fais confiance au destin. » Pour faire taire ses frayeurs, pour retrouver du calme, inlassablement, comme une litanie, elle répétait ces paroles. Surtout ne pas retomber dans ses travers. Elle en avait trop bavé pour s’en tirer… La décision prise, contrainte et forcée, était la meilleure… La situation commençait à lui échapper, il fallait qu’elle se ressaisisse… Ne pas revenir en arrière… Ostensiblement, la pénombre s’était installée. Ils se distinguaient à peine. On ne devinait plus leur face qu’au sombre des cavités oculaires et aux boursouflures des lèvres. Taches floues diluées. Il tourna les talons, elle le suivit. La traversée de la cour se déroula d’un pas hésitant tellement la nuit, subitement, était devenue noire, sans reflets. Monsieur Rhace avait atteint l’entrée. Il laissa passer la jeune femme et n’alluma que lorsque la porte fut refermée.

    – Votre chambre est au premier, à droite en haut de l’escalier. La salle de bains est attenante et la literie est dans la commode. Attrapez un de mes pyjamas pour dormir. Si je ne suis pas dedans, il n’y a aucun risque, se permit-il de rajouter un large sourire sur le visage. Pendant ce temps, je prépare le dîner. Je vous attends.

    Les mains ankylosées à force de les serrer l’une contre l’autre, elle les secoua comme des gants vides. La nervosité qu’elle montrait plus tôt semblait avoir disparu.

    Être en cavale, recherchée comme criminelle, le choix était tout tracé pour un homme comme Monsieur Rhace. Il n’aimait pas l’autorité et encore moins les flics.

    Quant à l’inconnue, une fois la douche prise, gagnée par la fatigue et le sommeil, elle ne redescendit pas, anéantie.

    Chapitre 2

    1995 (trois ans auparavant)

    La route s’arrêtait là, loin de tout, au milieu de nulle part. La fin d’un voyage qu’il se reprochait d’avoir accompli. Errance éreintante et inutile. Souvent d’humeur mélancolique, il préférait demeurer seul. Peur de la dépendance affective, crainte de souffrir à nouveau. En se mettant à l’écart, Monsieur Rhace espérait que son passé ne le hanterait plus, que la peinture se réapproprierait ses droits. La résurgence de son vécu était comme verser du sel sur une plaie encore vive. Douleur insoutenable.

    – Regrets de ne pas avoir pu dire à ses parents avant leur disparition combien il les aimait, combien il aurait souhaité leur montrer ce qu’il était devenu !

    – Remords de ne pas avoir fait le bon choix dans ses fréquentations. D’avoir fait confiance aux mauvaises personnes et de s’être privé de celles qui le méritaient : « Mon histoire est embarrassante, elle ne sert qu’à m’encombrer, autant l’éliminer », se répétait-il inlassablement.

    Il repensait à Luc, son condisciple aux Beaux-Arts et ami militaire qui le corrigeait :

    – En voulant gommer les choses tristes, ne risques-tu pas d’effacer par la même les phases heureuses ?

    Il répliquait immédiatement :

    – La mémoire est envahissante et ralentit notre réflexion. Exerçons-nous à la rendre plus rapide, privilégions de préférence notre analyse de l’instant présent, sans fouiller dans le passé. C’est plus confortable.

    Invariablement, Luc répondait :

    – Mon petit Jacques, j’ai la nette impression que tu es resté seul trop longtemps, car plutôt que de t’endurcir, la solitude t’a fragilisé. Au bout d’un moment, c’était à prévoir… Te cacher pour si peu ! Tu dois de nouveau te frotter au monde. Ce n’est pas parce que tu ne supportes plus les éléments qui constituent certaines périodes de ton existence que ta vie est un échec, bien au contraire.

    La discussion, en général, se terminait par un fou rire et des tapes dans le dos.

    Il devait trouver un emplacement suffisamment sauvage, retiré, avec assez de vide pour que son esprit se distende et que l’envie de peindre le reprenne ; unique moyen efficace de se rééquilibrer. Songer à sa résonance intérieure, aux thèmes de ses prochains tableaux en se servant, en premier, de l’émerveillement que provoque la découverte d’un site. Les pics et les escarpements rocheux des gorges donnaient à l’environnement l’étrangeté d’un paysage d’estampes japonaises, rendant encore plus propice la création.

    Comme pour les passereaux, il était arrivé avec la première pluie chaude du printemps et le chant du coucou. Un matin, devant le portail, stationnait une voiture de teinte sombre. L’endroit était de nouveau habité. Passé les premiers mois de transformation, la résidence retrouva vite sa tranquillité. L’homme vivait seul. Personne dans le voisinage ne connaissait son visage. Non pas qu’il le cachât, mais la curiosité ne faisait pas partie de la palette des villageois. Le silence comme religion.

    Le lieu-dit « Les Chènevis » se trouvait sur les hauteurs d’une vallée boisée où, au fond, coulait une rivière calme ou fougueuse selon les portions et les saisons. En amont, paressant dans son lit de sable et de roseaux, elle amorçait une série de méandres ponctués d’îlots de joncs et de saules nains. Ensuite, à l’approche des gorges, elle attrapait un flot rapide, métamorphosée en un torrent impétueux, bouillonnant et tumultueux. Apaisée et rompue, trois kilomètres plus loin en aval, elle reprenait un peu de tranquillité pour sillonner joyeusement parmi les cailloux et les grosses roches. Quand les vents venaient d’ouest, le ruissellement du cours d’eau sur les galets montait jusqu’à la demeure en un bruissement mélodieux.

    L’achat comportait un domaine de dix-huit hectares composés, sur deux de ses côtés, d’une forêt de chênes matures entremêlés, çà et là, de hêtres et de charmes et à l’arrière, d’une colline sauvage garnie d’un épais maquis. La maison, une immense construction principale en « L » d’un étage et de plusieurs appentis, était clôturée à l’avant et au sud, par une imposante fortification fermée d’un solide portail sous un porche en pierres taillées. Une tour carrée dont le premier niveau servait de pigeonnier et le rez-de-chaussée de poulailler bouclait l’est de l’enceinte. Un muret supportant une forte grille recouverte de glycine et de vigne vierge enfermait le reste des surfaces, y compris le parc derrière les bâtisses. Un hallier de lauriers, lilas, chèvrefeuilles, tamaris, cytises, thuyas doublait la palissade en un rempart de verdure. À gauche de la colline, un verger de pommiers, poiriers, cerisiers, pêchers, cognassiers, abricotiers et pruniers. Juste devant, le potager ceinturé par une haie de cassis, framboisiers, groseilliers et myrtilles. Plus en avant, à la limite de la cour et de la prairie arborée, à l’abri des vents d’ouest par les maçonneries et de ceux du nord par une remise, une dizaine de figuiers colonisaient l’endroit avec bonheur au vu de la dernière récolte. Un nuage vaporeux de myosotis, ponctué de temps en temps et au hasard par des primevères, occupait une margelle barrant

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