Le bois de la discorde
Papa ! papa !
Monmon tambourinait à la porte de la chambre. Jeanjean grogna : qu’est-ce qu’ils avaient tous ce matin ? Aurore qui l’avait réveillé en repartant, Jeanine qui avait fait un boucan d’enfer dans la cuisine, contrariée apparemment d’avoir à aller passer la journée chez le maire et à rencontrer la belle Suzanne, des bruits de tronçonneuse au loin… Bon sang ! pourquoi les gens commençaient-ils à travailler de si bonne heure? Heureusement, il s’était rendormi et ronflait à présent comme un sonneur. Mais Monmon insistait et Jeanjean finit par se dresser sur son séant. Le gamin n’avait qu’à bien se tenir, car s’il le réveillait, comme cela lui arrivait parfois, pour lui dire qu’il ne trouvait pas son bol ou que le chien avait pissé dans la cuisine, il allait voir de quel bois il se chauffait.
– Oui… grommela-t-il, qu’est-ce que c’est ?
– Ouvre-moi…
Une fois Monmon dans la chambre, il put se rendre compte de l’extrême agitation du garçon, comme s’il était prêt à faire une de ces crises nerveuses dont il les gratifiait dans les premières semaines de son arrivée à la maison. Il se mit à bégayer :
– Ils sont en train de… de couper…
Il désigna la fenêtre à Jeanjean, lui faisant signe de l’ouvrir.
En s’approchant, ce dernier crut remarquer une luminosité inhabituelle, lui qui connaissait par cœur les variations du jour matinal à travers les volets. Là, la lumière semblait plus crue, plus violente.
Il poussa les volets grinçants et ouvrit grand la bouche comme si l’air lui manquait soudain. Reculant en chancelant, il murmura :
– Il a osé, nom de D… il a osé…
Puis il s’abattit sans connaissance sur son lit.
Une immense trouée crevait en effet le paysage, ruinant la fameuse vue de Jeanjean. Sur les six hectares de la parcelle Grandperrin, à laquelle Georges n’avait jamais touché, non plus que les générations de scieurs Grandperrin précédentes, un quart déjà à peu près avait été abattu, par une dizaine d’ouvriers zélés à l’œuvre sur le terrain. On apercevait les gigantesques troncs jetés sur le sol, deux camions jaunes garés un peu plus loin et, de minute en minute, la trouée s’élargissait, l’immuable paysage se modifiait, prenait des allures de désolation, de champ de bataille. Des rochers de granit, telles des pierres tombales, se dressaient çà et là, qu’on n’avait jamais vus auparavant, cachés qu’ils étaient par l’épaisseur de la sapinière.
Monmon se mit à hurler, à tourner sur lui-même telle une toupie. Il n’osait toucher Jeanjean, persuadé qu’il était mort. Mais ce dernier
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