Le bois de la discorde
Qu’est-ce que c’est que ça?
Jeanine poussa un hurlement épouvanté. Monmon, complètement hagard, venait d’entrer dans la cuisine, portant dans ses bras le cadavre ensanglanté d’un lapin.
– Les lapins… les lapins…
Il ne parvenait pas à terminer sa phrase. Réveillé par les cris de sa femme, Jeanjean parut en haut de l’escalier. Il débarrassa précipitamment Monmon de la pauvre bête et courut dehors en pyjama. Quand il vit une dizaine de lapins s’ébattre gaiement dans l’herbe, il comprit que les clapiers avaient été ouverts. Il monta vers la route et y aperçut un autre lapin, sans doute écrasé par une voiture. Mais le compte n’y était pas. Une vingtaine d’animaux manquaient à l’appel, sans doute égarés aux alentours. Jeanine jura ses grands dieux que ce n’était pas elle qui avait oublié de refermer les cages. Une à la rigueur, mais quinze… Bien sûr, Jeanjean pensa immédiatement à un nouveau méfait du scieur, car, depuis soixante-dix ans qu’il vivait ici, jamais une telle chose ne s’était produite. Mais une fois de plus, quelle preuve apporter, à part, à proximité, la présence du camion de la scierie, qui ne prouvait d’ailleurs rien non plus? On disait en outre que Grandperrin s’était mis dans la poche, pendant sa campagne électorale, quelques gendarmes. Certes, ces derniers n’enfreignaient sans doute pas leurs devoirs, mais fermaient peut-être opportunément les yeux parfois.
Jeanine pleura. Elle aimait ses bêtes, avait toujours parlé avec elles, tandis que Monmon caressait obstinément les lapins morts. Mais elle se contraignit à sécher ses larmes, car il fallut bientôt se préparer pour aller chercher Aurore à l’arrêt du car. Jeanjean lui avait clairement dit au téléphone que ce serait lui qui viendrait la chercher. Il se mit en route avec Monmon, coupant à travers champs. Ce dernier avait oublié les lapins, tout à sa joie de revoir sa princesse.
– Ne t’emballe pas trop vite. Elle ne viendra peut-être pas, dit Jeanjean.
Il craignait en effet une nouvelle dérobade de sa
