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L'Énigme et autres nouvelles
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L'Énigme et autres nouvelles
Livre électronique299 pages4 heures

L'Énigme et autres nouvelles

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À propos de ce livre électronique

- L’Immortel :
Le récit se déroule au début de notre ère, sur les traces d’Alexandre Le Grand. Partant de Palestine sur un dromadaire pour la traversée de l’immense désert d’Arabie Saoudite, puis sur un voilier pour le golfe Persique et l’océan Indien, et enfin l’Inde, en barque pour remonter l’Indus et à dos de mules jusqu’au nord du Cachemire au pied du Karakoram.
Pour fuir la persécution romaine, deux personnes, que rien ne prédispose à une telle aventure, se retrouvent entraînées dans une histoire pleine de rebondissements et de dangers.
- L’Accident :
Une histoire banale, un accident routier. Un bref instant, deux êtres se croisent puis aussitôt se perdent. Elle, persuadée d’avoir trouvé enfin son âme sœur ; lui, convaincu qu’elle est trop belle pour lui. Leurs métiers les séparent devenant rapidement des inconnus dans l’immensité de la foule.
Vaincront-ils leurs tabous et dépasser leur inhibition malgré les sollicitations et les entraves multiples que la vie courante leur réserve ?
- L’Énigme :
Le drame se passe en Normandie dans une petite station balnéaire du bord de mer. Mandaté par les familles des victimes, un privé reprend une enquête vieille de cinq ans. Au fil de ses recherches, nous connaîtrons ses peines et malheurs ainsi que ses amitiés et amours.
LangueFrançais
Date de sortie7 févr. 2024
ISBN9782312142333
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    L'Énigme et autres nouvelles - Giacomo Ihace

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    L’Énigme et autres nouvelles

    Giacomo Ihace

    L’Énigme et autres nouvelles

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    Du même auteur

    – Peinture et beauté, 2017. Chapitre.com Drame sentimental.

    – Lucile, 2019, réédition 2023. Les Éditions Du Net. Conte fantastique.

    – Dialogue avec un Ange, 2011. Drame sentimental.

    Illustration de couverture, Martine Pomel

    © Les Éditions du Net, 2024

    ISBN : 978-2-312-14233-3

    En souvenir de mes études rêveuses.

    PREMIÈRE PARTIE :

    L’immortel

    Conte d’aventures

    Prologue

    « Le désir fait naître le manque qui à son tour engendre le désir. »

    Le vent du désert soufflait en rafales, décrochant des paquets de buissons, les virevoltants tumbleweeds qui tourbillonnaient entremêlés à la poussière. L’horizon, obscurci par un épais brouillard, annonçait une tempête de sable. Comme souvent dans ce cas-là, la température était suffocante et brûlait la peau.

    – Il nous faut rejoindre un abri rapidement.

    Un passant s’était arrêté en face de l’enfant assis sur un amoncellement de roches, à l’ombre d’un pin, au bord de la voie. Il le mettait en garde devant l’imminence d’une forte tourmente. L’homme était jeune, vingt ans tout au plus. Vêtu d’une longue robe sans couture apparente de la même couleur que la terre environnante, il tenait dans sa main un solide bâton de randonneur et une sacoche plate en bandoulière. Le garçon impassible le regardait en clignant des yeux. Il se décida à parler :

    – Dans l’ancien village, il y a un endroit où l’on peut se protéger. Tu peux venir, c’est suffisamment vaste pour deux.

    L’enfant n’avait pas terminé sa phrase qu’il s’était dressé d’un bond pour gagner le refuge. Aussitôt, l’adulte lui emboîta le pas pour ne pas le perdre, car l’air en quelques secondes s’était épaissi. Maintenant, ils se distinguaient à peine et avaient du mal à se frayer un chemin à travers les éboulements et amoncellements de pierres. Ils pénétrèrent dans, apparemment, l’unique maison encore debout au milieu des décombres, la seule à avoir résisté aux fréquentes secousses sismiques que la région subissait depuis plusieurs années. C’était une mansarde. Il était impossible de fermer la porte qui frottait par terre. Une étoffe devant le visage, ils s’assirent chacun à un coin de la pièce, la tête entre les mains, les coudes en appui sur leurs genoux relevés.

    – Quel est ton nom ? Le mien est Joshua.

    – Iacob.

    – Où sont tes parents ?

    – Ils sont morts il y a huit ans lors d’un tremblement de terre.

    – Oh ! Je suis désolé ! Tu étais alors presque un bébé ! As-tu de la famille par ici ?

    – Non.

    – Mais comment arrives-tu à subsister ?

    – Des petits boulots. Je ne suis pas exigeant et il ne faut pas grand-chose pour vivre. De l’eau, quelques dattes et figues c’est bien suffisant. Ne crois-tu pas ?

    Cette fois Joshua resta sans voix. Ce garçon l’intriguait. Si jeune et déjà plus de sagesse que lui-même. Après une période de réflexion, il se décida à répondre :

    – N’as-tu pas peur de te faire agresser ?

    – Eh l’Araméen ! Tu en poses bien des questions ! Iacob avait haussé le ton. Lui, Iacob se renseignait-il sur l’étranger ? Lui demandait-il son âge ? D’où venait-il ? Si son père et sa mère étaient encore de ce monde ?

    – Tu as raison, je n’aurais pas dû. Excuse-moi. Je vais en profiter pour faire un petit somme.

    Sur ce, il plia sa musette en deux pour en faire un oreiller, s’allongea et s’endormit la tête sous une capuche. L’homme l’intriguait, mais Iacob ne tenait pas à s’assoupir dans son voisinage. Il avait une autre planque. Immédiatement, il s’y rendit au mépris des fortes bourrasques qui déferlaient maintenant sur les ruines de l’ancienne bourgade. À l’accent de Joshua, Iacob avait tout de suite su qu’il n’était pas de la région. Malgré son jeune âge, il avait appris à se méfier des inconnus, surtout les mielleux et les trop aimables. Combien de fois s’était-il sorti de leurs griffes grâce à sa bonne étoile ou à un coup de canif bien placé qui lui permettait de prendre la fuite et de disparaître ! Pourtant, celui-là semblait différent, paisible et sans méchanceté.

    Le lendemain, il n’eut pas à le chercher, il était au point d’eau en train de faire ses ablutions.

    – Salut Iacob. Es-tu bien reposé malgré le bruit du vent ? Sa voix était mélodieuse, lente et pondérée, son regard d’une grande clarté. Mais c’étaient ses yeux qui intriguèrent le plus Iacob ; ils étaient lumineux, comme les phares d’un port. Rassuré, Iacob jeta :

    – Je suppose que tu n’as pas de quoi manger ? Viens !

    Prestement, le garçon s’éloigna et Joshua se hâta de le suivre. Ils retournèrent dans la bicoque de la veille. Avec peine, Iacob décala deux grosses roches, et extirpa un petit coffre en bois. Figues et dattes séchées, ainsi que des galettes de froment et de blé noir composaient sa pitance. C’était maigre, mais suffisant pour deux. Remarquant l’hésitation de l’étranger, Iacob s’empressa de le rassurer :

    – Ne t’en fais pas ! J’irai au débarcadère dans la journée. Je trouverai bien un job pour payer mon repas.

    Cette fois, l’étonnement de Joshua avait fait place à de l’ébahissement. Il partageait son repas de pauvre, sans atermoiement. Il ne posait aucune question et l’acceptait comme il était avec toute sa bizarrerie.

    – Je te remercie pour ta générosité. Je suis persuadé qu’il ne t’arrivera que de bonnes choses dorénavant.

    Iacob ne releva pas, car il ne comprit pas. Rapidement, ils engloutirent leur collation. Joshua se leva :

    – Ma route est encore longue et la matinée est déjà pas mal entamée. Je suis content d’avoir croisé une personne comme toi. Tu seras toujours dans mon cœur.

    Il prit sa robuste canne de pèlerin, sa besace et sortit de la masure.

    – Tu vas vers le nord ? Je connais un raccourci pour traverser les ruines.

    Quelques centaines de mètres après, au moment de se séparer, la tristesse les avait envahis.

    – Nous nous reverrons souvent. Sois-en sûr. Prends soin de toi, conclut Joshua en s’éloignant sans se retourner, le dos légèrement voûté.

    Iacob, juché sur le plus haut mur, l’accompagna jusqu’à sa disparition à l’horizon. Pensif, il resta à réfléchir à cette rencontre durant plusieurs minutes. Il jeta un dernier regard plein de nostalgie avant de redescendre de son perchoir. Le ciel commençait à s’embrumer d’un voile de fines poussières, prémices d’une nouvelle tempête. La chaleur petit à petit se réinstallait pour la journée.

    Iacob et Joshua

    Joshua pensait à Iacob. Comment faisait-il pour subsister dans ce lieu hostile ? Qui l’avait aidé après la mort de ses parents ? L’endroit paraissait totalement désert. Quant à Iacob, comme pour faire échos, il répondait aux questions que se posait Joshua, en se souvenant de son passé proche. Il avait trois ans au moment du drame. La bourgade avait été entièrement détruite. La population anéantie. Pas un seul survivant excepté une très vieille dame qui habitait sur la colline en dehors du village et qui gardait quelques chèvres. C’est, au lendemain du tremblement de terre, tôt le matin, qu’elle l’avait trouvé en pleurs, coincé sous une série d’amoncellements infranchissables. Comme elle s’appelait Chahar, ce qui signifie aube, elle avait vu là un signe et adopta immédiatement l’enfant. Elle lui donna le nom de son cher époux décédé. Elle ne put veiller sur le garçon que deux petites années, car rapidement, il dut prendre soin d’elle jusqu’à sa mort un an plus tard. Il avait alors six ans. Elle lui avait transmis suffisamment de savoir pour subsister dans des conditions extrêmes. C’est ainsi que Iacob grandit en ne comptant que sur lui-même. À force de lutter en permanence, il avait attrapé une énergie et une joie de vivre. Jamais d’état d’âme. Il prenait les choses comme elles venaient. Heureux de se réveiller encore vivant. Lorsqu’on vit seul, à la longue, on s’accommode fort bien de la solitude. On s’organise autour d’elle et avec elle. Finalement, peu de personnes peuvent vous comprendre. Le langage disparaît au profit de la pensée.

    Le temps passa, plusieurs années même. Iacob était certain de ne plus jamais revoir Joshua. Pourtant, cet inconnu si étrange, si attirant, occupait souvent son esprit. Iacob était devenu un jeune homme de dix-huit ans, et travaillait comme marin à bord d’un bateau marchand, genre de cymba avec quille transformée en voilier. Le navire cabotait entre Ascalon et Tyr et, selon les saisons et le parcours, transportait de la laine, du bois de construction, des animaux et, de temps en temps, des soldats de l’armée romaine. Occasionnellement, il arrivait que l’on confie au navire des petits paquets contenant des perles rares en provenance de l’île de Tylose (de nos jours Bahreïn). Du golfe Persique, elles devaient traverser, à dos de dromadaires, le grand désert d’Arabie. Cette cargaison peu encombrante, mais hautement précieuse et recherchée était destinée aux dignitaires romains des principales villes de garnison de l’Empire. La plupart du temps, quelques voyageurs accompagnaient le fret, ceux qui voulaient s’éviter le chemin fastidieux et laborieux sur cette énorme et pénible distance. C’est au cours d’une escale à Ptolémaïs, alors qu’il descendait du rafiot, que Iacob tomba sur Joshua. Sept ans depuis leur première rencontre. Il le reconnut tout de suite, car il était vêtu de la même bure couleur sable. Longuement, ils se regardèrent avant de se serrer fort l’un contre l’autre. Joshua avait terriblement vieilli. Une barbe de plusieurs mois recouvrait son visage. Ses traits étaient tirés. Iacob en l’examinant s’en inquiéta aussitôt :

    – Tu as maigri ! Manges-tu suffisamment ? Je n’ai pas l’impression ! Comme ça, tu ressembles à un ermite.

    Joshua ne prêta pas attention aux remarques, seul importait Iacob.

    – Bonjour, mon Iacob ! Je suis heureux de te voir et en plus en bonne santé. Tu es maintenant un homme… Je prendrai ton navire pour me rendre à Joppé. Aussi nous aurons tout le loisir de parler. As-tu terminé ta journée ?

    – Ah ! C’est formidable. Je suis content… Oui, j’ai quartier libre pour le restant de la soirée. Nous attendons une cargaison qui arrive de Tibériade. Elle ne sera pas là avant demain matin.

    – Alors, viens avec moi. Je te dois un repas. Un dîner dans la famille, ça te va ?

    – Je risque de déranger…

    – Il y a un argument qui te fera fléchir. Figure-toi qu’ils ont une fille, d’à peu près ton âge, qui devrait certainement te plaire.

    Iacob s’approcha de Joshua et lui tapa dans le dos.

    – C’est loin ?

    – Dans la vieille ville.

    Joshua observait Iacob du coin des yeux ; il n’avait pas changé. Son beau visage sculpté par les vents, la mer et le soleil était plein de bonté et de franchise. Tout était intact. Combien de dures épreuves avait-il dû traverser ? Malgré cela, il gardait cette foi au destin d’un homme sur cette planète. Pour Joshua, Iacob symbolisait une source intarissable, toujours fraîche.

    Bien que modeste, la demeure des amis donna l’impression à Iacob d’entrer dans un palais. Il ne parvenait pas à laisser sa vue se poser un instant sur un objet que tout de suite il était attiré par un autre. Tout lui était étrange. En commençant par le « bonjour Rabbouni » adressé à Joshua en arrivant ainsi que la façon dont les hôtes l’honoraient en se tenant à distance avec révérence. Lorsque Joshua demanda que l’on présente leur fille à Iacob, l’étonnement de celui-ci fut à son paroxysme. Elle était plus jeune que lui, mais déjà une femme. Le regard noir de jais et une chevelure pareillement sombre qui ondulait au moindre de ses mouvements. Iacob, les yeux ébahis par cette apparition, restait muet. Joshua s’approcha de lui et murmura en lui tapotant le dos :

    – Iacob ? Reprends-toi ! Ce n’est qu’une femme ! Ce n’est pas un ange ! Souris et dis-lui bonjour !

    La bouche en banane immédiatement il obtempéra :

    – Bonjour ! Je n’ai jamais vu une maison aussi belle que la vôtre.

    – Oh ! Merci. Quel est votre nom ?

    Sa voix était telle qu’elle lui chatouillait les tympans. Il dut faire un effort pour ne pas se gratter les oreilles. Il lança un timide « Iacob » suivi d’un « et le vôtre ? » étranglé.

    – Tamar. Vous aimez ?

    – Oui ! Beaucoup.

    Il répondait n’importe quoi, car chez elle tout lui plaisait : son teint couleur d’ambre, ses dents d’un blanc absolu, ses mains délicates et musclées à la fois. Pendant qu’ils échangeaient, les parents de Tamar et Joshua s’étaient retirés dans la cour intérieure où était dressé le repas. Une fontaine coulait en permanence accentuant la fraîcheur du soir et couvrait les discussions. Contraste entre la lourdeur du dehors et ce havre de paix. Iacob n’avait jamais approché une jeune fille de bonne famille, bien éduquée et suffisamment aisée, pour se changer plusieurs fois par semaine. Elle dégageait une odeur de jasmin et de rose. Les mouvements de sa bouche ressemblaient à la houle d’une mer calme.

    – Vous n’êtes pas très bavard.

    – C’est vrai ! Veuillez me pardonner. J’ai un net penchant pour écouter.

    En riant franchement, elle gazouilla :

    – C’est parfait, car j’ai de la conversation pour deux. Joshua vous apprécie beaucoup. Êtes-vous un de ses disciples ?

    – Un quoi ! Un « disciple » ? Non ! Nous sommes simplement amis.

    – Vous avez de la chance. On nous appelle pour aller manger.

    Pendant le repas, Tamar ne cessait d’observer en coin Iacob. Lorsqu’ils se séparèrent, elle babilla :

    – Joshua m’a dit que vous quittiez le port demain soir. Je présume que vous n’aurez pas le temps de revenir ? Alors je me rendrais sur les quais avant l’appareillage pour vous saluer.

    – Oh oui ! J’aimerais beaucoup.

    Au cours du périple, Joshua s’approcha de Iacob affairé à plier un cordage :

    – Depuis que nous sommes partis, je te regarde faire, tu n’arrêtes jamais. Ton patron doit être satisfait d’avoir un marin comme toi.

    Iacob se retourna pour le fixer, les paupières plissées, un sourire aux lèvres :

    – Il va y avoir une tempête, il faut que tout soit bien arrimé. La traversée en face de Césarée est particulièrement remuante.

    Joshua était accompagné d’un groupe d’hommes, vêtus comme lui d’une longue robe beige. Ils se tenaient à l’écart assis contre le bastingage, à l’arrière du navire.

    – Vous ne faites pas escale à Césarée ?

    – Rarement. Sauf si l’armée d’occupation réquisitionne le bateau pour transporter des matériaux de construction. La ville n’est pas encore achevée. C’est la cité royale d’Hérode et le siège de l’administration romaine. Tous les Juifs ont été expulsés.

    – Je change de sujet, Tamar est venue te souhaiter bon voyage. J’ai la nette impression que tu lui as tapé dans l’œil !

    – Elle est vraiment extraordinaire, ne trouves-tu pas ?

    – Oui. C’est ma cousine ! Elle porte le deuxième prénom de ma mère. Penses-tu la revoir ?

    – J’aimerais beaucoup ! Mais il y a ses parents… Je ne suis qu’un gueux, un traîne-savates.

    – Aie confiance ! Tout se passera comme tu le désires si tes intentions sont nobles, et je sais qu’elles le sont.

    – Il faut que j’y aille ! À tout à l’heure.

    Et il fila, appelé pour la « prise de ris ». Le vent s’était levé et soufflait par rafales. Le bateau tanguait et attrapait un peu trop de gîte. Il devait encore réduire la voilure. Au mépris des éléments déchaînés, Iacob escalada le mât pour replier la toile un peu plus sur sa vergue. Joshua le regardait, plein d’admiration. En même temps que la nuit, la pluie s’était mise à tomber accentuant la dangerosité du travail.

    Quand ils descendirent à Joppé, à sept dannas (un danna = 10,8 km) de Césarée et à cinq d’Arimathaïa, la colline des morts, Iacob, accaparé par sa tâche, n’eut pas le loisir de saluer Joshua. Pas même un petit signe de main. Sa déception était visible lorsqu’il s’aperçut que le navire était vide.

    Lorsque le bateau mouillait à Ascalon, Yowceph, le commandant, son patron, accordait une journée de repos à tout l’équipage. Iacob en profitait pour aller planquer les quelques zouzims (drachmes) de son maigre salaire. Il n’avait qu’à déplacer les pierres pour y avoir accès.

    – Iacob ! As-tu peur de mourir ?

    Surpris, Iacob releva la tête, les sourcils froncés. Joshua se tenait là, debout derrière lui, comme s’il avait surgi de nulle part !

    – Pas du tout.

    Barbu, les joues creuses, un sourire sur les lèvres, Joshua semblait le scruter.

    – Sais-tu ce que c’est, au moins ?

    – Je devrais être au courant. N’est-ce pas l’état où nous étions avant de naître ?

    De plus en plus amusé par la fraîcheur de ses réponses, Joshua poursuivit son interrogatoire :

    – Mais alors, tu ne crois pas à la résurrection ?

    – Toi, avec toutes tes questions ! T’as une idée derrière la caboche ? N’est-ce pas ?

    – Non, pas du tout, je suis simplement intrigué de connaître ta perception sur la condition humaine, admit Joshua de plus en plus impressionné par le jeune marin.

    – La façon dont nous nous conduisons est un gage de réussite dans cette vie ou dans la prochaine. Comme pour donner du poids à ses paroles, il marqua un temps d’arrêt avant de conclure : j’en suis intimement convaincu… Pas toi ?

    – Bien sûr que si. Je suis stupéfié ! Tu as beaucoup de sagesse.

    Pendant un instant, il scruta le visage de Iacob avant de rajouter :

    – Je voudrais te montrer une chose particulière. Sortons.

    Il pointa du doigt un minuscule point bleu qui scintillait au milieu du firmament :

    – Tu l’as repérée ! C’est mon étoile. Elle t’indiquera toujours le bon chemin. Surtout, ne l’oublie jamais. Puis se ressaisissant, il se fait tard, il faut que je me sauve. J’ai beaucoup à faire. On se reverra à Ptolémaïs. Prends soin de toi. Et il disparut comme il était venu.

    Un vent indolent jouait à l’extérieur et envahissait la pièce de bouffées brûlantes remplies de poussière. Iacob ferma la porte et fut englouti, tout à coup, dans une lassitude sans fond.

    Quelques années auparavant.

    Enfant, Iacob avait pris l’habitude de se rendre au port d’Ascalon pour accomplir des petites besognes. Aller porter des missives à un commerçant ou à un autre bateau, nettoyer les cabines ou laver le pont. Sa réputation était sans failles, on le connaissait courageux, travailleur et peu exigeant. Aussi c’est facilement qu’il trouvait un emploi. Yowceph l’avait remarqué très tôt, peu de temps après la rencontre avec Joshua. Alors que Iacob s’acharnait à rouler un cordage trop lourd pour lui, Yowceph s’approcha et demanda :

    – Tu te nommes Iacob, je crois ? Aimerais-tu devenir marin ?

    Iacob savait ce que ce mot voulait dire : partir à l’aventure, voir du pays, ne plus courir après sa nourriture, ne plus errer au risque de recevoir une rouste par une crapule. Aussi, il répondit immédiatement :

    – C’est évident !

    – Nous levons l’ancre en fin de journée. File de suite prévenir ta famille.

    L’enfant, un large sourire au visage ne bougeait pas.

    – As-tu entendu ?

    – Je n’ai ni père ni mère ! Personne ! Je vis seul.

    – Alors, viens avec moi. Je vais te montrer ta cabine et t’indiquer les tâches à accomplir.

    En marchant sur le pont, Yowceph continuait d’informer le nouveau mousse :

    – Sept personnes sont membres de l’équipage, avec toi, cela fera huit. Tu ne prendras tes ordres que de moi.

    En arrivant dans la chambrée composée de quatre lits superposés, il lui désigna le sien et son coffre de rangement.

    – Tu trouveras à l’intérieur une tenue. Elle appartenait à Tovi, l’apprenti précédent. Il nous a quittés pour se marier. Il habite maintenant en Égypte. Un garçon vraiment gentil, mais mauvais marin. Il souffrait du mal de mer. Puis regardant fixement l’enfant :

    – Et toi ! Es-tu malade sur un bateau ?

    – Je ne peux répondre tant que je n’ai pas navigué. Cependant, je suis en pleine forme.

    Yowceph gloussa :

    – On verra !

    Tamar et le grand désert

    « Un homme ne va jamais plus loin que lorsqu’il ignore où il va. » Jean Giono.

    À Ptolémaïs, un mois après la visite inopinée et étrange de Joshua dans les ruines.

    Iacob était occupé à brosser le pont du navire pollué par les animaux transportés. En se relevant pour étirer ses muscles ankylosés par la position, il remarqua, sur le quai au loin, Joshua en grande conversation avec un groupe de personnes. Lorsque Joshua l’aperçut, il lui fit signe. Iacob s’empressa de terminer son ouvrage afin de le rejoindre.

    – Yowceph ! Je reviens dans un instant. Juste le temps de saluer Joshua.

    – Prends tes aises, la journée touche à sa fin et je crois qu’il souhaite te dire quelque chose, lança Yowceph en sortant de sa cabine.

    En arrivant à la hauteur de Joshua, Iacob nota immédiatement la gravité de son visage. Il voulut lui demander la raison, mais Joshua ne lui laissa pas la possibilité de commencer une phrase et même d’émettre le moindre son :

    – Iacob ! Pourrais-tu te rendre dans la maison de Tamar ? Elle a quelque chose à te remettre.

    – Ce n’est que ça ! Avec plaisir !

    Sur le moment, Iacob ne réalisait pas que Joshua désirait autre chose, de beaucoup plus difficile, bouleversant à jamais sa tranquillité. Il ne se doutait pas qu’après cela, il lui faudrait tout quitter : pays, amis, travail, habitudes. Il ne soupçonnait pas, ne serait-ce qu’une demi-seconde, qu’il devrait partir, maintenant, tout de suite et qu’ils ne se reverraient jamais plus. Joshua parla avec tellement de sérieux que Iacob s’effondra. Ses yeux se remplirent de larmes. Son dos se courba avant d’être secoué par les pleurs.

    – Ici, tu es en danger. Tous ceux ou celles qui m’ont approché le sont également.

    Iacob aurait aimé lui demander pourquoi, mais il restait paralysé par les paroles. Se séparer des seules personnes qui avaient de l’importance paraissait au-dessus de ses forces. Joshua le prit dans ses bras et rajouta :

    – N’oublie jamais, je serais à tout instant avec toi. J’accompagnerai chacun de tes pas. Il suffira que tu te souviennes de moi pour que tu surmontes tes moments de faiblesse. Ne te décourage pas, tout finit par s’arranger. Ton patron est au courant. Il souhaiterait que tu viennes le saluer avant ton départ. Après, file vite voir

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