La promesse rompue
Si elle avait pris le temps de réfléchir ne serait-ce que deux minutes lorsqu’elle avait empilé son linge dans son panier, jamais Isabelle ne se serait chargée aussi lourdement pour aller jusqu’à la rivière. En vérité, de bonne heure ce matin, elle avait cherché un prétexte pour s’isoler un peu. Elle avait plus besoin de tranquillité que de laver ses draps ! Ces derniers attendraient. Quant à elle, puisqu’elle était là, elle allait s’accorder le répit auquel elle aspirait de tout son être depuis… voyons, oui, depuis le printemps dernier. Neuf mois : le temps qu’il faut à un être humain pour se former dans le ventre de sa mère… Isabelle ne l’ignorait pas, elle qui en avait fabriqué cinq. À Jacquemin avaient succédé Jehan, puis Catherine, puis Pierrelot et enfin la petite dernière, Johanne, dite Johannette. Celle-là même qui, aujourd’hui, causait tant de tracas à ses parents.
La pierre sur laquelle elle s’était assise était glaciale sous son surcot de laine, mais cela n’avait aucune importance. Isabelle était une vraie paysanne, son corps épousait sans discuter les frimas de l’hiver, de même qu’il s’épanouissait dans les feux de l’été. Ce n’était pas un peu de gel qui allait lui faire peur, en ce matin d’hiver 1429, bien au contraire. Petite déjà, Isabelle n’aimait rien tant que de s’ébattre dans la neige, grande chape blanche qui offrait un manteau duveteux aux maisons et semblait obliger la nature à ne plus s’exprimer qu’en chuchotant. On pouvait raconter ses secrets à la neige, elle ne risquait pas de nous trahir. Des secrets, on en a toujours quand on est petite, quand on n’a rien d’autre à penser qu’à grandir. Mais à presque dix-sept ans, comme Johannette, on n’est plus un enfançon. À cet âge-là, les secrets n’ont plus cours. Surtout pour une mère comme Isabelle, dont l’oreille avait toujours été attentive, le jugement équilibré, les bras prêts à s’ouvrir en grand.
coup de tonnerre avait éclaté en mai dernier, lorsque Johannette avait annoncé à ses parents, du jour au lendemain et sans qu’aucun signe préalable n’ait pu les alerter, qu’elle rompait ses fiançailles. Des fiançailles encore non officielles, il fallait bien le reconnaître : une simple promesse. Mais entre deux jeunes gens qui se connaissaient depuis l’enfance, dont les familles étaient étroitement liées. De quoi faire jaser le pays entier, vexer de braves villageois qui ne méritaient pas un tel traitement et compromettre irrémédiablement l’avenir de Johanne. D’autant plus que la décision de la jeune fille paraissait incompréhensible : non, son promis ne s’était pas montré brutal avec elle, non, elle n’avait eu à déplorer aucune mésaventure en dehors de lui. Ces premières inquiétudes apaisées – on ne savait jamais, avec les manies de sa fille de se promener seule –, Isabelle s’était montrée plus inquisitrice. Si la conduite de ce pauvre
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