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Grand OEuvre
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Livre électronique543 pages7 heures

Grand OEuvre

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À propos de ce livre électronique

L’abbé entendant faillit s’étrangler. Baldwin de Chartres, était un démonologue oublié, presque inconnu, alors qu’il avait été le chantre reconnu des philosophes occultes du XVe siècle. L'Abbé avait pu feuilleter un de ses ouvrages, la Clavicule de Berthus. Les propos hérétiques qu’il renfermait, avaient permis à Jean Wier de calculer la formule mathématique comptabilisant les 666 légions infernales et leurs 66 princes. De quoi s’étrangler en effet ! Dans son malheur, pour faire passer sa toue, on servit avec empressement du rosé frais à Monsieur l’Abbé.
« … En lisant leurs ouvrages, notamment la première version de 1556 de la Philosophie des Anciens Egyptiens de Baldwin, j’ai compris que ce à quoi je croyais, n’était peut-être qu’illusion et tromperie ! »
- Peut-être n’avez-vous pas compris tout simplement, ses écrits qui doivent demeurer interdits !, Lança Monsieur l’Abbé.
- Monsieur l’Abbé, durant tout le moyen-âge, les peuples de l’Europe ont suivi des messes en Latin, langue qu’ils ne connaissaient pas. Encore aujourd’hui, vos fervents croyants récitent des prières dont les mots leurs sont incompréhensibles. Les Textes Saints sont issus d’une tradition et des mythes, qui remontent bien avant leur traduction en hébreux. Je peux donc, sans désir de blasphème, vous retourner cette réflexion. Qui peut dire qu’il a saisi les véritables symboles contenus dans la Bible ?
Monsieur l’Abbé, s’étouffa de nouveau dans son verre. L’assistance, elle, bien qu’amusée, écoutait religieusement.
« La problématique de Satan, m’apparaissait ainsi. L’Evocation de Dieu et l’Invocation du Diable. »
La formule était bien trouvée. Elle plut à la Duchesse.
« Au début de mes recherches, je n’avais pas d’attirance particulière pour le Diable. Je vous rassure, je n’en ai pas non plus aujourd’hui. Mais, étudier la philosophie sans étudier les religions est aberrant. Etudier les Religions, sans étudier la place du Diable, est de même, ridicule. Il me fallait un point de départ. Si nous gardons le postulat que Dieu est créateur de toute chose, dans ce principe que personne ne saurait remettre en cause, il est le créateur du bien et du mal… De Lucifer, en idée comme en fait… Tout comme il est le père des hommes, Dieu est le père du Diable ! »
LangueFrançais
Date de sortie26 sept. 2012
ISBN9782312006819
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    Aperçu du livre

    Grand OEuvre - Eliphas Llewy

    978-2-312-00681-9

    Introduction

    Allait-il enfin trouver l’endroit caché ? Celui qui lui permettrait de laisser s’écouler sa vie, tranquillement, sans avoir d’autres yeux sur lui-même, que ceux qui le regarderaient lorsqu’il se pencherait au-dessus des eaux ? Pourrait-il poser ses bagages une dernière fois, dans un lieu sans loi, sans administration, sans gouvernement, sans patrie, sans âme ?

    Ses bagages ! Le terme était plus qu’excessif, tout comme son rêve l’était. Lui ! Qui avait vécu dans le luxe, au milieu d’une opulence large. Lui ! Qui avait construit sa pensée autour d’une idée grandiose, celle d’appartenir au système. De tenir un rôle dans cet Etat Nation, d’obéir à ses lois et aux obligations qu’il imposait. Depuis presque toujours, il avait eu en lui des doctrines bien ancrées. Aujourd’hui, le réveille était là. Il ne croyait plus en rien ni surtout en personne. Effacées, ces vaines promesses qui proposaient aux hommes, la liberté, la fraternité et l’égalité en échange de l’obéissance aveugle. Il avait ouvert les yeux et l’ancien monde imaginé, puait.

    Aujourd’hui, il se retrouvait à pouvoir compter ses possessions sur les doigts de sa main. Et cette vérité, on l’avait poussée à la vivre. Non pas en lui retirant son portefeuille, ou l’usage de ses biens. Non ! Pas seulement ! Pas uniquement ! En lui volant sa chair ! Et pour cela, il en voulait au monde. Il restait cependant, conscient. Il savait, n’être que le seul architecte de cette réalité. Il ne croyait plus en rien ni en personne, à commencer par lui-même. Il avait laissé faire, refusant de combattre les hydres marines, qui l’attiraient inexorablement vers le fonds des abysses.

    Et, ses dernières possessions, il pouvait les voir devant lui. Elles se résumaient à un sac noir, dans lequel il avait glissé quelques habits, trois paires de chaussettes, du savon et d’autres linges propres. Ensuite, une tente militaire volée, reconnaissable à sa mauvaise couleur vert kaki tirant vers le noir, qu’il avait soigneusement pliée, afin d’en faire un baluchon. Dans celui-ci, pour rendre le port facile, il avait de nouveau glissé le reste de ses linges propres. En guise de nourriture, une miche de pain de campagne, aux bords rugueux, dérobé en cuisine.

    « Je pêcherais ! »

    Une affirmation qui ne vivrait qu’un temps et à laquelle il ne croyait pas vraiment. Par la fenêtre, il regardait les nuages noirs qui déjà volaient au loin. Ces ombres cracheuses, semblaient attendre pour lui donner raison.

    « Je pêcherais ! »

    Mais il pêchait déjà !

    Cette évidence, il ne se l’était pas reprochée à lui-même et avait quitté la maison qui le recueillait depuis quelques mois déjà. Il laissait l’intérieur chaud d’une demeure de pierre, qui attendait peut-être son aide, pour être enfin terminée. Les murs étaient creusés, minés par l’impatiente d’une couche de décoration finale qui tardait à venir. Au milieu d’eux, le chant des oiseaux dans les cages, survivraient à son départ. Tout comme la tranquillité des lieux, n’en serait pas troublée.

    Il était enfin sorti, une dernière fois. Depuis plus d’un mois déjà, il préparait sa fuite. Après un rapide coup d’œil à droite et à gauche, la rue étant déserte, il parcourra les quelques pas qui le séparaient de la boite aux lettres. Il y déposa les clefs de son dernier refuge. Pas un mot, pas un au revoir où même un merci. Aucun geste vers les rideaux des voisins, qui trahissaient la présence de ces vieilles veuves, qui espionnaient, ennuyées par le temps qui passait trop lentement.

    C’était comme cela !

    Les raisons de son départ avaient été déjà trop longuement couchées sur le papier, la première fois qu’il avait fui. Car en effet, ce n’était pas l’unique départ, le seul chemin qu’il employait pour quitter le monde. Il ne croyait plus en rien et n’avait aucune envie de croire de nouveau. Après qu’il eut été retrouvé, caché dans un grenier, il était resté trop souvent plongé en lui. Caché dans cette maison ouverte, les livres qu’il dévorait, le poussaient à tenter de comprendre. Et de la lecture, il passa à l’écrit. Les maladroites expressions qu’il se faisait, les douleurs vagabondes, n’abandonnaient que rarement les pages qu’il gravait de sa plume. Pauvres écrits, qui relataient avec dégout et violence abusive, le fond d’une pensée que la forme éprouvait. Ecrivant à outrance, tout en cachant ces mots, il croissait d’idées en délaissant ses muscles. Couché sur ses papiers toute la sainte journée, fit, que pendant une longue période, aucune pratique sportive ne rythma sa vie. Il ne fit pas plus de cinq cents pas en trois mois. Certes, il n’était pas sportif, mais tenait une forme physique que les abus en alcool ou en nourriture n’avaient jamais trahie. Il avait autrefois touché à l’opium, mais en était revenu, sans grand mal.

    « Je n’aime pas ne plus être mon propre maître ! »

    C’était la raison principale. C’était en tout cas la sienne, celle qu’il voulait croire. C’était la plus grande logique qu’il se trouvait. Cet homme gardait en effet, un point d’honneur à mesurer chacune de ses paroles, chacun de ses actes. Il ne se serait pas risqué sous l’emprise d’une drogue, à trahir une angoisse. Un trouble, derrière lequel il n’aurait pu se cacher.

    Il avait la frousse en effet. Sous des couverts de personne insensible, sous sa façade rocailleuse imperturbable, il cachait une réalité triste. Il était ce roc déstabilisant, inviolable quel que soit l’alpiniste, mais pourtant si fragile, les pieds de son glacier glissant sur la poudreuse. Il était paniqué et ceci depuis toujours. Mais de quoi, avait-il peur ? Tout simplement, de se reconnaître. D’être ce qu’il avait longtemps refusé d’admettre être.

    Ces quelques mois passés, seul, au milieu des siens, après avoir survécu presque un an en ermite volontaire, avaient percés la façade. Sous la brique d’un couvercle de conscience, son fond intérieur avait été réveillé. Il savait qui il était et cette réalité continuait à renforcer, presque à libérer cette puissance, cette force tremblante qu’il cachait au plus profond de lui.

    Le réveil avait été difficile. Mais, aujourd’hui, le dormeur avait les yeux ouvert. Son regard était sûr. Il travaillerait à Cela, il serait bientôt libéré.

    « Nous l’avons tous en nous. A nous de vivre avec, de le réduire ou de l’ignorer. Aujourd’hui, je décide de l’accepter et de lui donner la part belle. Il n’est plus en moi. Il est moi ! »

    première partie

    Lumière de la Lune

    Chapitre N°1

    La Décision

    Avec son sac et sa tente en balluchon, il avait une idée précise sur l’endroit qu’il désirait atteindre pour y commencer sa nouvelle vie.

    « Il doit vivre caché, avant d’être libéré. Totalement ! »

    Alors, il avait marché, marché, s’éloignant des contreforts des lieux qui pourraient encore le protéger. Il abandonnait les êtres qui lui étaient chers et dont il regrettait la souffrance qu’il créait avec son départ.

    Toute sa première journée il avait avancé, infatigable, la pensée enfermée dans un cocon noir. Cette chrysalide qui ferait naitre ce papillon de nuit. Il avait poussé ses maigres jambes à l’amener jusqu’à la mer. Malgré les souffrances, que le repos de plusieurs mois lui faisait maintenant connaître, il souriait en regardant les étendues merveilleuses qu’il pouvait admirer devant lui. D’un large regard qui embrassait un panorama mouvant, il avalait la beauté du monde qu’il avait toujours pensé libre. La lumière du soleil lui réchauffait le corps. A sa gauche, la falaise courbe, couverte d’arbres qui dansaient dans le vent, torturés par sa puissance. Cette falaise aux dents brisées, elle plongeait à pique dans la mer moutonneuse. Il pouvait percevoir un couple de goéland se disputer la carcasse d’on ne sait quel animal. Piégé par la roche torturée, il s’était lui-même condamné à se jeter volontairement dans les profondeurs. Poussé par le vent, sourd et brutal, il avait joué à l’albatros aux ailes atrophiées.

    En suivant l’horizon du regard, il contemplait les sept îles que dessinait l’anse rocailleuse. Sa forme s’étirait, écartelée comme un croissant de lune gigantesque à ses pieds. La marée était haute et crachait ses embruns sur les parois déchirées de ces sept cercueils de granite arrachés depuis des millénaires au fond marin. C’est là, sur la troisième île qu’il poserait sa tente et peu importait que cette île soit habitée par deux ou trois familles ancestrales et sans doute consanguines. Mais sur l’heure, la mer était trop haute et aucun gué ne permettrait la traversé à pied. Alors, les mains dans les poches, assit sur un vieux banc de bois craquelé par les ans, pourri par le froid, la pluie et le soleil, pollué par le guano, il patientait. Dans cette attente, il pouvait observer les effets chamboulant du changement de marée.

    Il aurait voulu resté seul. Seul au monde ! C’était sa destinée choisie. Un nouveau Robinson volontaire, qui aurait tué son Vendredi. Mais, non loin de lui, un homme s’approchait. Il ne le vit pas de suite, attiré par le travail de nettoyage méticuleux, qu’opéraient les deux goélands sur la pauvre carcasse animal tombée au fond du gouffre. Ce n’est que lorsque le trouble des pas de l’inconnu, interféra avec l’intermittence du souffle du vent, qu’il réalisa qu’il allait bientôt ne plus être tranquille. Plus seul au monde ! A cette idée, son calme disparu. Il n’était plus serein, car, s’il y avait une chose dont il ne voulait pas, c’était bien d’être vu. Et si l’inconnu le connaissait ?

    Il avait passé plusieurs années de suite, ses vacances dans la région. Bien qu’il ne soit pas du genre à lier facilement amitié avec les autres, et c’était déjà vrai dans son enfance, il avait tout de même gardé des camarades de jeu. A cela, son père vivait ici et il n’était pas difficile de leur reconnaître des ressemblances. La physionomie des hommes de la famille était particulière. Une connaissance de son père le croisant et il était démasqué. Démasqué ? Ce n’était pas le mot dont il aurait voulu se servir. Ce mot, démasqué, identifiait un sentiment de cachoterie, d’embuche, de fourberie. Le terme n’était donc pas approprié. Mais il n’arrivait pas à en trouver un autre, plus juste, qui aurait marqué un rapport plus exact entre lui et sa fuite.

    L’homme s’approchait de plus en plus de son banc martyrisé par les éléments. Il plissa les yeux, pour mieux se perdre derrière l’horizon afin de discerner le visage de l’impudent qui avait décidé de croiser son chemin.

    « Arnault Chatille ? », Pensa-t-il.

    « Impossible ! Arnault est mort écrasé dans la course de Maison Lafitte. Piétiné par son cheval, qu’il fallut abattre. Il y a dix ans. C’était en 1903, un 27 juillet. »

    Pauvre Arnault, il n’aura donc jamais eu de chance dans sa vie. Elevé à la dur, par un père ivrogne, Arnault Chatille ne connut que très peu sa mère qui se tua à la tache dans une usine de conserve à Quimper. Il fallait bien rembourser les dettes d’alcool de son ivrogne de mari et subvenir aux besoins de ses cinq enfants. Lui, avait connu Arnault, un jour où celui-ci avait réussi à s’échapper miraculeusement, du ceinturon de son père. Il ne voulait pas rentrer chez lui, enfin, pas tout de suite. Il espérait, sans trop y croire, que le Dieu Bacchus l’aiderait à assoupir son père avant son retour au foyer.

    – Qu’é tu fais là, tô ?, Avait lancé Arnault.

    Je regarde la lune !, Lui avait-il répondu.

    Elle était encore basse et se riait du soleil qui périclitait à l’horizon.

    – Mô aussi, de’fois j’l’i parle et j’li d’mande pourquô, elle m’fait ça ?

    Arnault s’était assis à ses côtés. Ils avaient tous les deux les yeux en l’air, restant à contempler l’astre lunaire. Il n’y avait pas de nuage et seul un petit vent frais venait perturber les deux nouveaux amis.

    En se rappelant cela, il fut surpris de s’apercevoir que l’on pouvait suivre une scolarité de plus de dix ans avec quelqu’un, sans jamais lui avoir adressé un mot. Que ce quelqu’un on l’appellerait pourtant « camarade ». Là, en deux phrases, Arnault et lui étaient devenus des amis inséparables. Ils ne se quittèrent plus, essayant sans doute de comprendre chacun à l’ombre de l’autre, pourquoi la lune leur faisait cela.

    L’homme passa auprès de lui, lui sourit et continua son chemin après l’avoir poliment salué. Un salut qu’il ne lui retourna pas. Ce n’était pas Arnault, mais bien qu’il l’ait mille fois souhaité, il le savait déjà. Il suivit discrètement des yeux, l’homme qui s’éloignait en silence. De dos, il aurait pu le prendre pour un de ses professeurs.

    Il secoua la tête, pour revenir à ses pensées présentes. C’était plus raisonnable, plus souhaitable. Redevenir froid, concentré, imperturbable, voilà ce à quoi il aspirait. Replongeant son regard au loin, il lui sembla, en observant le banc de sable que la mer caressait sur sa droite, que celle-ci commençait à fuir. L’heure de la marée haute était révolue. Bientôt les premières pierres vaseuses montreraient leur sale visage aux rayons du soleil. Il les dessècherait méchamment jusqu’à ce que leurs faces glissantes se figent comme des statues de sel. Alors, il pourrait passer. Peut-être même, aurait-il le temps de récolter quelques fruits de mer avant la nuit tombée.

    Ce n’était pas à cet endroit, mais bien plus au sud, qu’il partageait, jadis, les joies de la pêche à pied avec sa famille, ses sœurs, son père et sa mère. C’était une époque où la lune ne lui avait pas encore révélée, ses effets néfastes, sa vraie nature à elle comme à lui. Ils étaient heureux ces moments en famille. Mais il secoua de nouveau la tête en fermant les yeux. Il ne voulait pas se souvenir et pour assurer qu’aucune remonté de mémoire ne plonge ses yeux de larmes, il se noya dans le spectacle des deux goélands.

    De leur bec, ils s’acharnaient toujours dans les entrailles du cadavre. L’outil de dépeçage, devenu rouge sang, dégoulinait de chair.

    « Voilà une chose naturelle ! », Se dit-il.

    « Le sang nourrit la terre, la terre sourit aux cieux, les cieux saignent… »

    – Et le sang nourrit la terre !, Conclut une voix derrière lui.

    – Professeur La Fère ?, S’écria-t-il, lui, qui pourtant n’était pas du genre à se faire remarquer en haussant la voix.

    – Comment va mon élève ?, Demanda le professeur, sans même le regarder, les yeux fixant le large.

    – Maître, vous ici ? Vous êtes sans doute la personne la plus inattendue et pourtant la plus désirée à être rencontrée aujourd’hui !

    – Ta décision est prise, petit ?

    – En voyez-vous une autre ?

    Il attendait une réaction de son maître. Mais celui-ci ne bougeait pas, comme s’il faisait partie du paysage, dont les lueurs du soleil vieillissant, donnaient en aura sépia.

    « Vous y voyez quelque chose à redire ? », Continua-t-il.

    – Je vais te raconter une histoire mon garçon. Moi aussi, je suis parti comme un voleur. Sans merci, sans au revoir, à la période de Pâques. Je n’ai pas choisi le jour de la Résurrection, comme toi tu l’as fait. Beaucoup de choses m’ont amené à cette conclusion. Outre ma séparation et le vol de ma chair, c’est le doute qui s’installa et qui travailla cette situation.

    Il restait stoïque et écoutait avec silence et respect, les paroles de son maître. Cependant, quelque chose le gênait. Etait-ce l’écharpe de son professeur, qui volait au vent, frappant son visage ? Son maître continua.

    « J’ai été baptisé, fait ma communion. J’ai suivi les cours de catéchisme. Ainsi, bien que non pratiquant de fait, je restais un fervent croyant en pensée. J’avoue sans honte avoir porté discours avec le Christ et même avec Dieu, sans bien entendu, n’entendre de réponse à mes questions. Par ce fait, je n’avais pas d’attirance particulière pour les côtés obscures de l’au-delà, bien que j’aie su très tôt que la visite régulière de ses habitants sur notre terre, donnait lieu à de grande catastrophes et fléaux. Mais cela n’était pas une certitude et j’étais loin de penser à ce que serait ma vie après ma mort. Jusqu’au jour, où, on me priva de l’amour des miens. J’en perdis l’amour pour les autres. Ma haine s’est alors déversée avec autant de violence, que le mal qu’on me faisait était grand. Le problème, vois-tu, c’est que cette violence déborde toujours de son récipient. Elle éclabousse tout et tout le monde, en n’oubliant pas de salir le porteur lui-même. Et, vous ne pouvez cracher sur le monde, ses gens et son Dieu, sans garder la place propre et nette pour le gardien des enfers ! »

    Le professeur marqua une pause. Sa longue écharpe flottait toujours dans le vent. Accroché aux lèvres de son maître, il ne put retenir sa langue après un court, mais lourd silence.

    – Est-ce à dire, que vous avez construit de votre vivant, votre maison dans l’au-delà et que cette demeure est vilaine à voir ? Vos mots sont graves et sous-entendent un bien mauvais acte. Auriez-vous réitéré le premier crime de l’humanité ? Vous avez fini les restes de la pomme, qu’Eve et Adam avaient croqués avant vous, sous l’influence du serpent ?

    – Et par cela, tu voudrais savoir si, tout comme Lucifer, je suis tombé du ciel ?, Continua le professeur.

    « Je suis un fils des hommes, mais plus celui de Dieu. Il est créateur de toute chose, Lucifer est son enfant. Son fils ainé ! Il est le plus beau des anges. Son nom, est synonyme de beauté rayonnante. C’est un ange de feu, porteur et faiseur de Lumières. Mais, cette traduction oublie d’être juste. Ce n’est pas en latin que Lux Fero a été appelé par le premier homme. »

    – Et ?, Reprit il, perdu aux pieds de son maître.

    – Tout ceci est faux ! Son nom, comme son titre ! Le « porteur de Lumière », n’est pas le nom que Dieu lui a choisi après lui avoir fait dont d’un pouvoir prodigieux. On ne nomme pas l’évidence. On ne définit pas la puissance par un jeu de mot. Le pouvoir est, sans raison. Il est partout, du fin fond de l’espace où le soleil éclaire, à la profondeur insoupçonnée du centre de la terre, où le même soleil vibre. Ce pouvoir était en moi ! Il est aussi en toi, aussi vrai que l’Homme a été fait à l’image de Dieu !

    Il était de plus en plus dérangé par quelque chose. Un quelque chose qu’il n’arrivait pas à déceler. Les paroles, la présence, la chaleur froide de son maître, il les sentait. Mais alors, que voyait-il ? Un paysage, qui sous la souffrance du soleil, lui apparaissait dorénavant en noir et blanc. Un décor monochrome, dans lequel les oiseaux faisaient du surplace, bloqués par le vent, qui figeait également les vagues dans leurs élans. Comme si le temps s’était arrêté, le tableau semblait être peint sur une toile craquelée, dans une couleur qui rappelait un souvenir. Celui-ci revenait à sa mémoire. C’était en avril 1890.

    C’était le retour du congé de Pâques. Tous, étaient présents dans la cour de l’école. Lui et ses camarades se donnaient des nouvelles sur leurs petites vacances, comme s’ils ne les avaient pas passées ensembles. Les élèves de l’école, une fois passées les grilles du portail de l’établissement, ne se quittaient pas, hormis peut-être lui, qui détestait être avec les autres. Les autres d’ailleurs, ne cherchaient pas non plus à être avec lui. De toutes les façons, ces courtes vacances religieuses étaient biens finies et ils allaient retrouver leur professeur, Monsieur La Fère. Les enfants attendaient sagement, main dans la main, deux par deux. Il y eu alors une rumeur dans les rangs. C’est lui qui la lança.

    « Monsieur La Fère est parti et ne viendra pas nous chercher ! »

    Certains priaient pour que cette prédiction soit vraie. Les devoirs n’avaient pas été tous fait pour la rentrée, les récitations non apprises. D’autres disaient que ce n’était pas la vérité, puisqu’ils avaient vu le professeur un peu plus tôt, arriver à l’école. Ils l’avaient croisé et lui avaient dit bonjour.

    « Monsieur la Fère est parti ! », Insistait-il à voix basse.

    Petit à petit, les classes montaient dans leur bâtiment avec leur professeur. Si bien, qu’au bout de cinq minutes, il ne restait plus qu’une classe à attendre encore dans la cours. Les surveillants regardaient leur montre, inquiets. Ils avaient beau fixer le bâtiment dans lequel tenait classe, Monsieur La Fère, il n’en venait pas plus vite.

    – Jeune homme !, Appela le premier surveillant en le fixant avec le doigt pointé.

    « J’ai cru ouïr, que vous pensiez que votre professeur était parti ? Pouvez-vous m’éclairer sur le sujet ? »

    – Oui, Monsieur !

    – Et bien ? Parlez ?, Continua le premier surveillant, en faisant des moulinets avec sa main droite.

    – Monsieur La Fère est parti Monsieur !

    – Et ? C’est tout ?, Dit surpris, le surveillant.

    – Oui Monsieur !, Reprit-il.

    Le surveillant ne comprenait rien.

    – Jeune homme, puisque vous nous semblez être très malin, je vous prierais d’aller chercher Monsieur La Fère en son étude, afin de prendre de ses nouvelles et de l’informer que sa classe l’attend.

    – Mais ? Monsieur La Fère est parti, Monsieur !

    – Suffit ! Allez chercher votre professeur et pressé le pas !

    Il s’était exécuté. Après un bon quart d’heure, il était revenu prendre sa place au milieu de ses camarades, sans rien dire. Aucune trace de Monsieur La Fère après lui. Le premier surveillant, les sourcilles froncés, avait regardé l’enfant revenir dans les rangs. La cour était silencieuse. Les surveillants discutaient entre eux, regardant le groupe, la cour déserte, le bâtiment duquel on s’attendait d’une minute à l’autre, à voir apparaître le professeur en retard. Mais, rien !

    Par excès de zèle, le premier surveillant prit l’initiative.

    « S’il n’est pas dans sa classe, j’en réfère à Monsieur le Directeur ! »

    Et, il partit tel un coq de Bavière, affrété pour le combat, le torse gonflé, la tête haute.

    Un court instant passa. Ce fut le cri d’une pucelle qui brisa le silence. Sur ce signal, les surveillants et les élèves de Monsieur La Fère accoururent vers l’endroit d’où émanait la voix tremblante. Celle-ci venait de la salle 121. Les plus rapides s’étaient arrêté à la porte, la bouche ouverte, les yeux écarquillés. Bientôt, ce fut une foule qui se pressa pour constater les raisons de ce chahut désagréable et inaccoutumé. La pucelle n’était autre que le premier surveillant, qui sous la panique, après avoir vidé ses poumons de l’aire qui les remplissait en de petits cris de femme, s’était couché sous l’émotion trop forte, évanoui par la peur et la surprise. Ainsi, les élèves et les surveillants amassés devant la porte de la classe 121, pouvaient contempler le spectacle d’un pantin désarticulé, autrefois terrifiant, appelé premier surveillant, couché à terre comme foudroyé. Au-dessus de lui, Monsieur La Fère, plus beau que jamais, planait dans les aires, une cravate de lin pour unique habit, était nouée à une poutre d’un côté et à son cou de l’autre.

    Le Directeur alerté par les cris, arriva sur ce fait.

    – Vite, éloigné les enfants de ce spectacle odieux !

    Mais, chacun tendit l’oreille. Des bruits de bois frappant le sol, s’entendaient, s’approchant. C’était ceux de vieilles galoches qui martelaient le planché ciré, tranquillement. Au milieu du couloir qui séparait les classes, un jeune garçon, le sac de classe sur le dos et les mains dans les poches, s’était arrêté.

    – Je vous avais bien dit, qu’il était parti !

    Ce flash mémoriel passé, il se retrouvait sur son banc, face à la mer. Personne n’était avec lui. Son vieux professeur l’avait laissé, il y avait plus de vingt ans. Il avait rêvé ! Il avait dû rêver !

    Le temps passé sur le banc de bois, avait permis à la mer de se retirer. Il pouvait se lever et partir pour cette troisième Ile. Pourquoi, avait-il choisi celle-ci ? Cette question, il se l’était déjà posée. Pourquoi, la troisième des sept ?

    La première Ile était pourtant la plus aisée d’accès. Avec de bonnes bottes et en connaissant les lieux, il paraissait que l’on pouvait y accoster à pied, même à marée haute. Autant dire, que cette Ile n’était pas celle de la tranquillité et que les chasseurs, braconniers ou autres, y vivaient quasiment toute l’année. Elle était boisée, car protégée des vents. Un abri était facile à faire, au milieu des genêts, qui poussaient libres aux pieds des grands arbres droits. La faune était vivace et permettait de survivre. Son défaut, venait que cette île était terre dangereuse, les braconniers utilisant les galeries creusées avant eux par les naufrageurs, sa terre s’écroulait d’un rien. L’île perdait ainsi, plusieurs acres par ans, qui tombaient dans la mer. Une étude scientifique, avait supposé, qu’elle aurait disparu avant la fin du xxe siècle. Son nom, était l’Ile Caduque.

    La deuxième Ile, alors ? Une légende disait qu’elle était hantée. Il est vrai qu’à l’époque où se déroulaient les procès de Louvain en Flandre, au xvie siècle, les mêmes procès pour Sorcellerie furent lancés sur cet îlot. Pour ceux qui en cherchaient les preuves, on disait que les traces des Croix brûlées il y avait 400 ans, ancrées profondément dans la poussière du sol stérile de cette terre maudite, étaient encore visibles, presque fumantes. Malgré cette mauvaise réputation, l’île n’était pas pour autant déserte. Une abbaye y trônait en effet depuis le vie siècle. Ses moines au nombre de neuf, travaillant le sel dans les salines presque millénaires, qui couvraient près des trois quart des surfaces émergées. C’était un sel spécial, qui n’était pas vendu à n’importe qui, mais seulement à certaines personnes ou… certains groupes. De mauvaises langues affirmaient, que ce sel était « le sel du diable », le même qu’utilisaient les premiers alchimistes et les derniers exorcistes de la Sainte Eglise. Autrefois, il paraissait que la « Torture des décharnés », c’est-à-dire la Question qui consistait à retirer doucement la peau des membres avant que de frictionner les plaies ainsi faites, avec de pleines poignées de sel, était née ici. On soutenait d’ailleurs, que cette torture ne pouvait donner de résultats divins sans l’utilisation de ce sel noir unique, issu de cette petite île. Ce petit morceau de terre entouré d’eau, se nommait « Ile Moustier », en raison de son abbaye. Enfin, ceci était une légende sans en douter.

    La quatrième île, était nommée la Sainte. Rien n’y poussait hormis de légères plantes dont les fleurs multicolores qui apparaissaient seulement une fois par an, à la Toussaint, étaient un régal aux yeux, mais devenaient un poison féroce sous la langue. Elle était fort belle en été, cette large bande de terre. Mais désespérément triste, en hiver. Il ne fallait pas compter sur elle, pour s’offrir un abri, même les animaux l’évitant. Il paraissait, qu’hormis les fourmis, rien ne vivait là-bas. Aucune ombre lorsque le soleil pointait, ni de bois à faire bruler lorsque le froid agressait les chairs. Cette île n’avait pas été nommée la Sainte sans raison. Personne, ne pouvait la toucher.

    De toutes les îles, la cinquième semblait avoir hérité de meilleures grâces. C’était en effet sur celle-ci, que l’Empereur Napoléon III avait commandé la construction d’un observatoire astronomique en 1854, afin de faire plaisir à une de ses cousines préférées, dont l’histoire a oublié le nom. Plusieurs scientifiques et astrologues y travaillaient en permanence. A quoi ? Nul ne le su jamais. Ce qui est certain, c’est que leur travail avait continué, malgré le changement de Régime. On racontait que ses scientifiques recherchaient le moyen d’aller sur la Lune, ou encore la réponse à la question épineuse de pourquoi les glaciers fondent. Cette île s’appelait Espérance, du nom que lui donna l’Empereur Napoléon III. Avant cette décision, les gens du pays la nommaient tout simplement l’île Grande, car c’était la plus étendue des sept.

    La sixième était dite de la Duchesse. Ce n’était pas son nom, mais depuis peu, l’habitude en était venue de la nommer ainsi. Tout simplement, parce qu’une Duchesse, Madame de Bonplaisirs, noblesse d’Empire, y avait élue domicile. Madame la Duchesse, devait ce cadeau empoisonné, à son défunt mari. Il avait en effet, stipulé sur son testament, que toutes ses richesses reviendraient à son épouse si celle-ci respectait une clause : « habiter l’île à jamais », selon les termes. La Duchesse dut donc quitter son Château et sa Cours de la banlieue Parisienne, pour la modeste bicoque réhabilité par son époux sur cette île désolée. Cette île, nommée Créant, et devenue Duchesse. Son petit nid de repos, ne faisait que 400 m2 habitables, mais devait suffire, suivant la décision de son défunt époux, à ses vieux jours. Heureusement, une partie du gratin des Etats-Majors Européens, aimait tant la Duchesse et ses belles formes qu’elle donnait facilement, qu’elle venait avec grand plaisir, consulter la sublime mais si triste veuve.

    La septième île, était chasse gardée de la République. La disposition des terres, en effet, formait un golf, qui créait un courant particulier et ainsi, des mouvements liquides propres à intéresser ces Messieurs des Services de l’Electricité. Un service d’Etat nouvellement créé, qui n’avait pas encore apporté de raison à son existence. Après de âpres discours, suppositions, théories et autres fadaises sur les possibilités de créer à partir des flux marins, l’énergie suffisante à éclairer une ville entière, un des hommes du Président de la République, avait crié « stop ! » et « chiche ! ». Stop, les scientifiques avaient compris. Mais chiche ? Alors, il s’était expliqué.

    « Messieurs, vous parlez, supposez, invoquez, proposez et encore supposez… Je dis stop et avec moi, le président. Il n’est plus l’heure pour vous d’imaginer que cela marche. Nous voulons plus que des réponses, nous voulons des faits ! »

    Ainsi, l’île de Yann, nom d’un marin breton qui s’y était noyé, fut déclarée zone de recherches électriques avec l’objectif affiché de « moins de promesse, mais plus de résultats ». Les scientifiques avaient trois ans pour assurer leurs propos et rassurer la République et son Ministre des Finances.

    Enfin, celle que l’on numérotait humblement sous le chiffre trois. La troisième île, celle sur laquelle il avait décidé de s’installer. Son nom était l’île du Diable. Un beau présage en vérité. C’était la plus éloignée en mer des sept îles. Elle était à l’ouest, ce qui lui conférait un recul qui accentuait la force des vagues qui s’y fracassaient, celles-ci ne venant pas de la côte, brisées par les falaises, mais du grand large libre et cruel. En quelque sorte, c’était l’île qui supportait la misère des tempêtes, cassant les furies des vents et la folie de Poséidon, avant que sa rage brisée n’atteigne vraiment les côtes habitées de la péninsule. Les hommes du pays, l’appelaient la « gardienne du golf ». Malgré tout, c’était la seule île où de vrais habitants y vivaient depuis toujours. En vérité, ils étaient trois familles et ce, depuis des générations, peut-être et sans doute, parce que cette île était la seule à avoir un puis d’eau douce exploitable.

    Il prit la route pour ce qu’il appelait déjà son île. Pour y arriver, il devait suivre par l’île Caduque et prendre ensuite, par l’île de la Duchesse. La mer était maintenant basse et les gués étaient visibles. Il était dix-neuf heures. Le soleil vaincu, baissait pour un temps sa garde. Il, pouvait avancer vers sa dernière demeure.

    Chapitre N°2

    La Chute

    – Ga’d’zou, qui vient là ?, Lança Guiton.

    – D’pi quand tu causes vendéen, tô ?, Répliqua l’ancien.

    – Laisse, l’ancien. Souvenance du Camp de Vacances de la république. Y’avait plein de vent’e à choux avec me, lô ! T’aurais vu combien m’en ramassait. Pure honte, si ma p’ôve mère, l’avait vue !, Relança le Guiton.

    – Cause correc’, ici c’t’en Brez, pas en vent’e choux, qu’on c’ôse ! La république l’a fait bien assez d’misère à no’t pauv’ langue !, Fini l’ancien écrasant sa casquette sur son front, enfermant dans le noir ses deux yeux bleus fatigués.

    – N’empêche, c’est qu’j’ai un margoulin dans la visée !

    – Et, alors ? C’t’un prussien ? Si loin d’la Lorraine ? Manqu’rait plus qu’ils amputent no’t Bretagne à la France. Y’aura p’us d’France, que les parigo, cons comme leur magot. A croire qu’l’argent c’est l’parlé ! Hi ! Hi !, Dit le vieux en tirant sur sa pipe.

    « Si les blaireaux s’étaient aussi instruits qu’leurs billets de banque, on comprendrait pourquô il faut expliquer plusieurs fois à ces cons qu’une rarafouene n’est pas p’us dangereuse que leur bonne femme quand elle est ivre ! »

    Et le vieux se mit à rire. Le jeune Guidon souriait en regardant l’ancien, bien qu’il n’ait rien compris à la blague. Le vieux remit de son humour, Guiton reprit.

    – N’empêche que j’ai un margoulin dans ma ligne de tire ! Y passe le gué pour venir sur no’t île !

    Le vieil homme regarda le gamin.

    – Et alors, t’y veux tirer quelqu’un qui t’a r’in fait ?

    – Non… juste guetter… si jamais on m’appelle aux armées… On fait pas son service militaire sans aller une fois à la guerre… Faudra bien que je sache regarder…

    – Et tu crois que d’y regarder dans ton viseur, peut aider à être un bon soldat ? Ah ! Ah ! Laisse-moi rire jeune trou du cul ! Y a de bons soldats que ceux qui sont morts, sauf un… Choînet ! Lui c’est le haut de gamme, le soldat de l’Empereur. Mais jamais tu pourras l’y ressembler, p’tit. Et t’y sais pourquoi ? Parce qu’y a plus d’Empire Français et plus d’Empereur.

    – Et l’Afrique ? Lança le Guiton.

    « C’t’un sacré Empire, l’Afrique ! »

    Le vieil homme se redressa sur sa chaise. Il tira une grosse bouffée de sa pipe, qui par ce fait lança un rayonnement rouge dans toute la casemate enterrée.

    – L’Afrique ? J’peux t’en c’ôser… j’y sais que c’est. Du sab’e, du sab’e et encore du sab’e. Alors, si c’est pour met’ ses pieds dans le sab’e qu’on va en Afrique, autant rester le cul en Bretagne assit sur un galet !

    L’ancien se rassit.

    « Voilà c’que j’y dis à l’Empire Républicain d’Afrique ! », Et il cracha en lâchant un vent.

    Une fois son envolé paysanne effectuée, le vieillard se radoucit.

    – Sert m’y donc un coup d’niole, veux-tu !

    Le jeune Guiton s’exécuta et le servit. Puis, il resta debout devant le grand père, la bouteille à la main sans dire une parole. Il regardait le vieux avec une légère moue, mais sans bouger. Le vieil homme sourit de nouveau et sans fixer le jeune Guiton, lui lança en rembourrant sa pipe,

    « Voui ! Tu peux en prendre un d’même ! »

    Et le jeune Guiton fou de joie, s’assit à la table du vieux, à la droite du père. Il retourna un des verres qui étaient devant lui et se servit avec délectation du précieux nectar, symbole de la virilité de l’homme mature.

    « J’ai seize ans, j’suis un homme maintenant ! »

    Fixant ses mains robustes et jeunes, il continuait dans ses pensées.

    « Elles pourraient en tuer des prussiens, celles-là ! »

    Le vieil homme restait silencieux, pensant que cinquante ans plus tôt, c’était lui le jeune Guiton, le jeune trou du cul. Le vieillard se massa les yeux avec les doigts de sa main droite, empoigna son verre de la main gauche et après avoir gardé un quart de seconde son verre stationnaire à dix centimètres de sa bouche, il avala son contenu d’un trait. Puis, il reposa son verre en le claquant violemment, ce « clac » bruyant voulant dire « encore ».

    – T’y sais p’tit ! J’crois qu’t’y penses mal quand t’y penses à la guerre !

    Le jeune Guidon ne regardait plus ses mains, mais le dur et beau visage de l’ancien, aux rides et à la peau creusée par les années. Sa face brillait aux éclats de la lampe à huile accrochée au plafond bas.

    « Tuer une bête, un lapin, un r’nard… c’est facile ! Tuer un cerf, c’est déjà plus difficile… Mais, liquider un homme… ! Vois-tu, lors j’ai participé la prime fois de ma vie à une Grand’ Chasse, c’est-dire au cerf, l’étais le plus excité des hommes. J’devais avoir ton âge, p’tit. Toute la journée, s’avons couru après elle. C’te bête nous échappait comme par miracle, apparaissant et disparaissant lors qu’on croyait l’avoir cernée. Enfin ! Enfin, en fin d’après-midi, nous l’avions coincée. R’battu par les chiens, l’cerf était enfermé dans un corridor de terre qui surplombait le vid’. En dessous, la mer ! Nous d’un côté, le vide de l’autre. »

    Le vieil homme, attrapa son verre, toujours de la main gauche, le vida et le claqua de nouveau sur la table, signe que suivit d’effet le jeune Guiton qui ne ratait aucune des paroles du vieil homme.

    « L’était magnifique. D’une robe rare, ces bois devaient b’en faire plus d’un mèt’e chacun. S’étions fascinés par la grandeur de c’te bête. L’était d’une noblesse qui manque à plus d’un homme. Enfin, l’état de grâce était passé et l’était plus le roi des animaux qui était devant nous, mais la viande fraiche et le trophée que nos balles allaient nous faire gagner. On visa ! »

    Le vieil homme reprit sa gymnastique alcoolique de la main gauche. « Clac », le verre se remplit de nouveau.

    « Le cerf avança doucement vers nous et l’vant la tête fièrement, nous fit comprendre qu’il choisirait sa prop’e mort. Et il sauta dans le vide ! »

    – Baao !, Lança bouche bée, le jeune Guiton.

    – Le bel animal alla s’écraser plusieurs mèt’es plus bas. C’t’alors qu’y se mit à entonner son chant funèb’e et lugub’e.

    Un frisson parcourra le corps du vieil homme. La flamme de la lampe à huile qui éclairait la casemate, tremblota de même.

    « Le chant des blessés… Et sais-tu à quoi y ressemble le chant d’agonie d’un cerf ? »

    Le vieil homme regardait le jeune Guiton qui fit non de la tête. « Aux pleures d’un enfant ! »

    Le silence se fit. Même la flamme de la lampe à huile, arrêta de trembloter dans l’air.

    « Ai fait la guerre, p’tit ! En Afrique ! Si l’chant d’agonie d’un cerf est une litanie difficile à entend’e, r’in n’est pire que la mélodie lugubre d’un homme blessé qui voit la mort v’nir. Tuer, l’est pas un jeu ! La guerre l’est pas un jeu ! »

    Le vieil homme savait qu’il avait effacé toute volonté du jeune Guiton, à jouer au soldat. Mais il savait également que cette volonté ne durerait qu’un temps.

    « Allons p’tit ! », Lança l’ancien, buvant son verre et le reposant renversé sur la table.

    « L’est plus temps de boire, ni de causer d’nos histoires de guerre ! Le gibier n’attendra pas, allons à sa cueillette ! »

    Il avançait vers son île. Il n’avait pas perçu le regard du jeune Guiton, qui, caché dans sa casemate enterrée, avait suivi l’œil dans la mire de son arme, son passage à gué. Il avait traversé la première île, l’île Caduque et n’avait rencontré personne. Mais, il savait que sous la terre, avait été creusées d’innombrables galeries dans lesquelles, les chasseurs et les braconniers avaient remplacées depuis longtemps les pirates et les corsaires qui sévissaient avant eux. Il y avait moins de deux cent ans, les naufrageurs sévissaient ici. Comme à l’époque, le noir de la nuit étalait son sombre manteau. Le soleil s’était couché et le mettait dans une situation inconfortable. Il ne voyait plus où il mettait les pieds. Seule la lune éclairait légèrement le chemin, bien que celle-ci ne soit pas encore montée bien haut dans le ciel lugubre et qu’elle fut souvent voilée par de noirs nuages. Il faisait donc bien attention où il posait les pieds, afin de ne pas glisser, ou pire, se blesser en tombant dans un piège inventé par un illuminé chasseur ou un inventeur de chausse trappe à gibier. Bien que la lune continuât son ascension dans le ciel étoilé, sa luminosité lui restait insuffisante pour pouvoir réellement assurer ses pas.

    « Je ne peux pas attendre l’aube pour avancer ! »

    « PAN ! PAN ! »

    Des coups de feu venaient d’éclater dans l’air. Il aurait même juré qu’une balle lui avait sifflée aux oreilles.

    « Oh ! Du calme ! », Avait-il crié, dans l’espoir d’être entendu.

    Mais le vent, qui avait redoublé de violence peu avant le coucher du soleil, ne semblait pas vouloir permettre que les mots ne s’entendent au loin. La réponse ne lui parvint que sous l’attrait d’autres coups de feu.

    « Ils me prennent pour un gibier ! »

    Et comme un lapin, il se mit à décamper. Il détalait le plus vite possible qu’il pouvait, sans regarder derrière lui, avec la frénésie d’une proie acculée. Il courait, courait. Si bien, que

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