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Au diable, le duc
Au diable, le duc
Au diable, le duc
Livre électronique381 pages5 heures

Au diable, le duc

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À propos de ce livre électronique

Il l’accepte telle qu’elle est, mais n’est pas amoureux d’elle…

Donovan James Arthur Sinclair, huitième duc de Manchester, est victime d’une malédiction qui l’oblige à se métamorphoser en loup tous les soirs. L’animal ne le dérange pas la plupart du temps parce que la vie d’un duc est plutôt fabuleuse, mais cette malédiction est parfois pesante, pour être honnête. Quand il sauve une demoiselle en détresse dans un petit village de campagne en lui évitant une collision avec un attelage hors de contrôle, il lui vient à l’esprit qu’il a peut-être tort.

Elle l’aime, mais n’accepte pas ce qu’il est vraiment…

Miss Alice Morrowe est aveugle, célibataire, mal-aimée et rejetée par presque tous ceux qu’elle a rencontré. Si elle est heureuse de la vie qu’elle mène, elle souhaite être acceptée telle qu’elle est. Quand elle se retrouve plaquée au sol dans un enchevêtrement de bras et de jambes par un homme entièrement nu, au milieu d’un tonnerre de sabots de chevaux, elle ne peut s’empêcher de se demander si sa vie n’est pas sur le point de changer.

Une alliance temporaire qui est tout sauf ça…

Donovan voit en elle le moyen de vaincre sa malédiction s’il parvient à la séduire et à s’en faire aimer. Alice espère trouver auprès de lui du réconfort et le frisson d’une histoire d’amour. Elle est plus que ravie de vivre enfin la vie dont elle a toujours rêvé, mais est-ce de son amour que Donovan a besoin pour se débarrasser de la bête en lui ? Quand les choses ne tournent pas comme ils l’avaient prévu l’un et l’autre, les tempéraments s’échauffent. Seule la vérité et un amour sincère pourront ramener un peu de clarté, d’espoir… et une fin heureuse.

LangueFrançais
ÉditeurBadPress
Date de sortie3 août 2023
ISBN9781667460864
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    Aperçu du livre

    Au diable, le duc - Sandra Sookoo

    La légende des Lords Maudits

    ––––––––

    Il y a longtemps de cela, quelques jeunes Lords insolents et trop gâtés prirent du bon temps avec de jolies Tziganes de passage dans la campagne anglaise. Enivrés par l’alcool et les privilèges de leur rang, ils mirent le feu à une roulotte et rirent de bon cœur lorsqu’elle s’embrasa, provoquant la fuite terrifiée du reste de la caravane. Cette roulotte appartenait à une vieille sorcière tzigane dont la longue existence devait beaucoup à la magie qui coulait dans ses veines. La sorcière s’offusqua grandement de cette destruction et de l’attitude désinvolte des Lords anglais. Alors, en cette nuit de pleine lune, elle lança une terrible malédiction sur les infortunés jeunes gens :

    « Je vous condamne à tout jamais à ne plus vivre de vie pleinement humaine et à ne plus connaître la paix. Vous resterez esclaves du monstre, de la bête ou de l’anomalie en vous. Toutes les femmes qui contempleront votre visage dans un moment d’intense émotion s’en détourneront avec dégoût car elles percevront alors la vérité, vous ne pourrez la leur cacher. Une fois votre secret dévoilé, car vous devrez le leur dire, vous leur inspirerez de la terreur. Vous pourrez vous marier, mais vous serez condamnés à la froideur d’une union sans joie, à moins de découvrir le secret et le cœur même de la vie. Vous porterez ce fardeau seul car la malédiction n’appartient qu’à vous et elle ne sera ni transférée à votre compagne ni partagée par elle.

    Mais je serai clémente, hommes sans cœur et sans morale. Tous les cinq ans, une fois par saison, la malédiction pourra être conjurée lors d’une nuit de pleine lune, si vous avez assez de sagesse pour sortir de l’ombre et reconnaître vos erreurs. Sous cette lune, lorsque vos lèvres connaîtront un baiser d’amour altruiste et pur, lorsque la vanité, la peur et la fierté tomberont, vous serez alors à nouveau libres de vivre pleinement humains, vos souffrances seront abolies et vos enfants n’en seront plus affectés. Car oui, à moins que la malédiction ne soit levée, tous vos enfants mâles la subiront également.

    Faites attention, hommes maudits, ou vous vivrez éternellement seuls, craints, solitaires et sans amour. »

    À dater de ce jour, on surnomma ces hommes les Lords Maudits de l’Angleterre, les Seigneurs de la Nuit, condamnés à vivre en compagnie de leur monstrueux alter ego, seuls, jusqu’à ce qu’ils tombent si totalement, si irrévocablement et si profondément amoureux de la dame de leur cœur qu’ils ne puissent vivre sans elle.

    Chapitre 1

    11 septembre 1815

    Shalford, près de Guildford, Surrey, Angleterre

    La froideur du sol, en cet automne précoce, pénétrait ses pattes et l’air frais ébouriffait l’épaisse fourrure de son dos pendant sa course.

    Donovan James Arthur Sinclair, huitième duc de Manchester, franchit une petite colline et s’arrêta d’un bond. Les rayons de la demi-lune filtraient entre les feuilles des arbres et nimbaient tout ce qui se trouvait au sol d’une faible lueur argentée. Chaque brin d’herbe, chaque feuille, chaque repli de l’écorce des arbres ressortaient avec un puissant contraste. Donovan rejeta son museau de loup en arrière, remplit ses poumons canins d’oxygène, puis poussa un hurlement sauvage qui se répercuta à travers la campagne.

    Le poil hérissé d’impatience, il se remit d’un bond en mouvement. Chaque muscle de son corps se contractait et se détendait pendant sa course. Ses griffes se plantaient dans le sol meuble à chaque foulée. La truffe au ras du sol, il reniflait les odeurs des proies sur les quelques feuilles mortes et sèches et sur les végétaux en décomposition.

    Les nuits comme celle-ci, il avait l’impression de ne faire qu’un avec sa moitié animale, et quand il se laissait griser par la liberté de courir, il parvenait à ignorer la malédiction qui le transformait en loup tous les soirs.

    Lorsqu’il pointa la langue entre ses mâchoires légèrement entrouvertes, les notes âcres et métalliques du sang lui envahirent le palais. Il avait récemment tué un cerf pour combler sa faim, mais même s’il avait le ventre plein, son envie de tuer était toujours aussi forte. Chasser l’amusait et puis il n’avait pas parcouru pour rien le chemin depuis Londres jusqu’au Surrey. Il y avait certainement encore quelques animaux à pourchasser. Il avait accompli en moins de soixante minutes un trajet qui lui aurait pris plusieurs heures en calèche.

    — Il y a certains avantages à laisser sortir son animal intérieur.

    Le loup jappa dans son esprit, ce que Donovan interpréta comme un rire.

    — Restons toujours comme ça. Un animal qui court librement.

    Donovan renifla dédaigneusement.

    Je ne suis pas de cet avis. J’apprécie beaucoup ma forme humaine.

    En tant que duc, il bénéficiait de certains privilèges auxquels les autres hommes de la bonne société n’avaient pas accès. En plus de posséder un titre de noblesse élevé, juste en dessous des membres de la royauté, il avait amassé l'équivalent de deux fortunes, de son vivant et à lui seul, grâce à des investissements judicieux et à un travail acharné. Et il n’avait qu’à hausser le sourcil ou pointer le doigt s’il désirait une compagnie féminine dans son lit. Il ne manquait de rien, son existence étant dépourvue des entraves et des exigences d’une femme ou d’enfants.

    Un pincement lui crispa les entrailles. Des enfants qu’il avait pris grand soin de ne pas engendrer par peur que les garçons ne soient également maudits et qu’ils ternissent davantage son nom auprès de la bonne société. S’il était le dernier de sa lignée, qu’il en soit ainsi. Mais il refusait que d’autres se retrouvent pris au piège d’un sang maudit pour une chose que ni eux, ni lui, ni, parbleu, même son grand-père n’avaient commise.

    — Je ne suis pas égoïste à ce point, pensa-t-il avec un petit rire moqueur.

    Il était cependant assez égoïste pour vivre pour son seul plaisir. Il était duc, après tout, et c’était son droit le plus strict. Sa vie était parfaite ou, du moins, elle le serait s’il n’y avait pas cette fichue malédiction contre laquelle il luttait chaque jour depuis trente-cinq ans. Une lutte incessante contre les caprices de l’animal en lui. Il plissa ses yeux de loup. Tout comme les sept ducs qui avaient porté le titre avant lui, il n’avait d’autre choix que de se soumettre aux exigences de la bête quand le désir de se métamorphoser la prenait.

    Mais il exerçait un contrôle ferme sur cet aspect de sa vie. Il refusait de tuer des gens et en cela, les métamorphoses restaient civilisées. Mais il en avait appris beaucoup sur lui-même à l’époque des guerres napoléoniennes. À cette époque-là, il avait laissé toute liberté à l’animal. Le loup avait tué beaucoup de Français – c’était la guerre, après tout – mais Donovan en avait gardé un profond dégoût de lui-même et s’était juré de ne plus jamais laisser le loup prendre le pas sur ses pensées et sa logique humaines. Il trouvait inutile de s’abaisser à une mentalité bestiale.

    La malédiction était son lot et, même s’il la détestait par moments, il essayait d’en tirer le meilleur parti. S’il n’y avait pas eu le loup, il n’aurait jamais connu le bonheur de courir dans la campagne anglaise ni su quelle liberté on éprouvait à échapper au carcan londonien et aux responsabilités inhérentes à un titre de noblesse.

    Celles qui étaient toujours en vigueur aux endroits où il était accepté sans être mis sur liste noire. Un autre « bénéfice » de la malédiction.

    Il chassa ces pensées. C’était presque l’aube, la lumière commençait à poindre à l’horizon et ces lueurs dorée et lavande lui rappelaient qu’il devrait bientôt faire demi-tour pour rentrer à Londres s’il ne voulait pas être vu sous forme animale ou, pire, entièrement nu quand il reprendrait forme humaine.

    — Restons encore. C’est agréable ici, c’est bien pour moi. Tranquille. Il y a de bonnes odeurs, les senteurs de la nature.

    Donovan résista à l’envie de montrer son agacement.

    Et Londres est agréable pour moi. Nous rentrons.

    Il était peut-être lié à l’animal, mais il n’était pas obligé de vivre comme tel. Londres était souvent bruyant, sale et surpeuplé, mais c’était chez lui.

    Le loup demeura silencieux, vexé probablement. Amusé, Donovan continua à courir avec l’intention de traverser le petit village endormi de Shalford pour rentrer à la capitale. Il longea les berges peu profondes de la rivière Tillingbourne, puis les flaira en arrivant aux abords du petit village proprement dit. En trottinant devant un moulin à aube, il dut admettre que l’endroit dégageait un charme suranné, si l’on aimait ce genre de chose. Mais il ne s’imaginait pas un seul instant passer du temps dans un lieu aussi rustique. Après tout, il visitait rarement son propre domaine de Kimbolton Castle dans le Cambridgeshire campagnard. Quel intérêt ?

    — Beaucoup de place pour courir, là-bas.

    — Et pourtant, il n’y a pas grand-chose pour s’amuser, fit-il silencieusement remarquer à son alter ego canin.

    Il y a autre chose que l’amusement, dans la vie, gémit le loup.

    Si c’était le cas, Donovan ne voulait pas le savoir.

    Quelques minutes plus tard, il atteignit un chemin de terre menant à ce qui serait un endroit très peuplé au matin. La petite artère commerçante laissait à désirer et se composait seulement d’une poignée d’échoppes : une boulangerie, une boucherie, une boutique d’articles divers, une librairie qui avait l’air de sentir le renfermé, et quelques autres encore auxquelles il ne parvint pas à accorder d’intérêt. Quels divertissements pouvait bien offrir un tel village, qui ne puissent être supplantés par Londres ?

    Lassé par la banalité du lieu, Donovan quitta le chemin pour suivre la ligne des arbres, mais juste au moment où il allait plonger sous le feuillage, une jeune femme apparut en provenance du moulin à aube. Par ennui, et n’ayant rien d’autre à faire pour s’occuper, il s’assit sur ses pattes de derrière en laissant les buissons le camoufler, puis il s’installa pour l’observer, parce qu’une femme était une femme, quel que soit l’endroit.

    Et il n’aurait pas été un mâle au sang chaud s’il n’avait pas apprécié ses formes.

    Sa simple robe de jour en fine laine d’un gris peu séduisant ne cachait ni ne mettait en valeur sa silhouette. Le tissu ondulait dans la brise et soulignait de temps en temps la longueur d’une jambe quand elle marchait. Un châle en tricot ivoire dissimulait son buste et Donovan en poussa un petit gémissement de dépit. Quelle tristesse de cacher sa poitrine par modestie ! Ces charmes étaient le seul atout qui rendait les femmes absolument délicieuses. En plus, elle avait le visage et les cheveux obscurcis par un bonnet assez laid bordé de rubans d'un bleu marine délavé.

    Enfer et damnation. Impossible de fantasmer, ce matin. Pas moyen de rêvasser non plus, lui qui adorait lentement déshabiller les femmes en pensées. Partager la couche des membres du sexe opposé lui procurait un semblant de distraction au milieu de l’océan d’ennui dans lequel il avait sombré, et qui était-il pour refuser l’opportunité d’assouvir ses désirs si la femme était consentante ?

    Déplaisantes femelles. Elles couchent avec toi par curiosité, elles convoitent ta fortune et la gloire d’avoir partagé ton lit parce que tu leur es interdit, souffla dédaigneusement le loup dans son esprit.

    Ces mots eurent le même effet qu’un seau d’eau glacée en plein visage.

    Oh, tais-toi.

    Oui, son nom ainsi que ceux des quelques autres « lords maudits » avaient été mis sur liste noire par la bonne société, même si leurs titres de noblesse étaient très anciens. Donovan et ses compagnons d’infortune n’étaient pas admis à l’Almack et ne recevaient pas non plus d’invitations aux événements les plus populaires de la Saison car s’il y avait bien une chose que les dames patronnesses et leurs mécènes aimaient encore plus que l’exercice du pouvoir, c’était de propager les rumeurs et les qu’en-dira-t-on.

    Cela n’avait pas d’importance, bien sûr, parce que ses amis et lui avaient créé leur propre petit réseau social, très soudé, qui comprenait entre autres un club privé très osé pour gentlemans. Les cercles bien-pensants de la bonne société pouvaient aller se faire voir, pour ce qu’il en avait à faire.

    Je préfère les femmes ayant un côté un peu scandaleux et, au plus elles ont d’expérience pour la chose, au mieux.

    Le loup aboya légèrement dans son esprit.

    La femme est en danger, ajouta l’animal d’un ton détaché. Nous devons l’aider.

    — Qu’est-ce que tu racontes ?

    Donovan reporta immédiatement son attention sur la jeune femme, très ordinaire, qui marchait sur la route de campagne. Dans la direction opposée, un carrick fonçait à bride abattue. Son conducteur, encore vêtu d’un habit de soirée noir plutôt chiffonné, tenait les rênes d’une main molle et arborait un teint légèrement verdâtre. Probablement un lord souffrant de gueule de bois et conduisant sans faire attention.

    — L’imbécile.

    Et pourtant, il s’était lui-même souvent comporté de la sorte en fuyant le lit d’une femme mariée quelques minutes avant le retour du mari au foyer.

    Malgré les grincements et les couinements des roues du carrick sur les pierres et les trous de la route, la jeune femme ne relevait pas la tête. Elle gardait les yeux vers le sol.

    — Bon sang de bois.

    Donovan bondit hors de sa cachette. Il fonça dans sa direction en courant, le cœur battant. Pourquoi ne faisait-elle pas attention ?

    Dans son esprit, le loup gémit.

    Tu n’es pas du genre à jouer les héros.

    Ce commentaire était assorti d’une bonne dose de sarcasme.

    Inutile de me rappeler mes défauts et puis je ne joue pas les héros. Même toi, tu admettras que nous ne pouvons pas rester en retrait et laisser cette femme se faire piétiner.

    Il s’intéressait très rarement aux affaires des autres et ni la philanthropie ni la charité n’étaient son genre. Pourquoi devrait-il se préoccuper des autres quand personne ne montrait la même considération à son égard ? En fait, il avait pris l’habitude de rester distant et à l’écart de la vie publique parce que, si la société ne l’acceptait pas, alors il n’avait pas besoin d’elle.

    Le conducteur du carrick se mit à crier tandis que son véhicule fonçait droit sur la jeune femme et elle leva enfin la tête, mais, bien qu’elle regardât dans la direction de l’attelage hors de contrôle, elle ne s’écarta pas du chemin.

    Bon sang, pourquoi ne bouge-t-elle pas ?

    Le conducteur du carrick avait beau tirer à présent de toutes ses forces sur les rênes, il ne parviendrait pas à stopper son élan à temps. Donovan mit toutes ses forces dans sa course déterminée. Le carrick était presque sur la jeune femme lorsque Donovan bondit et la poussa de son corps au niveau de la taille. Ils atterrirent tous les deux de l’autre côté de la route dans un enchevêtrement de bras, de jambes et de pattes, juste au moment où l’attelage passait à vive allure à leur hauteur. Le conducteur leur adressa une kyrielle d’injures, mais poursuivit sa route. Il ne fit pas davantage de tentatives pour s’enquérir de l’état de santé de la jeune femme.

    Quel abruti.

    Tout duc en proie à l’ennui et à l’apathie qu’il était, Donovan se serait inquiété d’une personne qu’il aurait failli renverser sur une route publique. C’était la moindre des politesses, tout de même.

    Cependant, une telle insouciance face au danger méritait une bonne remontrance et un avertissement sévère. Il saisit les jupes de la jeune femme entre les dents et la tira dans un bosquet qui longeait le bord de la route, puis la fit descendre dans un petit fossé. Ici, les arbustes les dissimulaient à peu près à la route et aux passants trop curieux, même s’il n’y en avait pas à cette heure matinale. Il rouvrit les mâchoires et la relâcha, mais resta à proximité, attendant de voir si elle était blessée.

    Elle gisait dans l’herbe, apparemment abasourdie, ses jupes entortillées autour des jambes et assez relevées pour dévoiler la courbure de fins mollets recouverts de bas ivoire.

    — Que diable s’est-il passé ?

    Sa voix douce, stupéfaite, trahissait une noble naissance et une certaine éducation. En dépit de ses vêtements simples, cette demoiselle n’était pas une paysanne.

    Intrigué, mais toujours mécontent, Donovan entama sa métamorphose et son corps se contorsionna. La douleur fusa dans ses membres, parcourut chaque terminaison nerveuse, tandis que ses os et ses organes se réarrangeaient pour reprendre leur forme normale. Le museau et les griffes se rétractèrent, remplacés par des dents et des ongles humains. La fourrure disparut pour faire place à de la peau et des cheveux puis, quand la métamorphose eut terminé son cycle, il s’effondra sur le sol aux côtés de la jeune femme qui s’efforçait, elle, de se remettre en position assise.

    Bon sang, que cette agonie sapait ses forces ! Il ne s’était jamais accoutumé à ce traumatisme. Il secoua la tête pour chasser les derniers vestiges de la métamorphose, puis examina son étrange compagne. Son bonnet était de travers et lui pendait bizarrement sur le côté de la tête. Il observa sa chevelure d’un brun chaud que les premiers rayons de l’aube embrasaient de reflets acajou étincelants. Bien que les yeux gris, écarquillés et confus de la jeune femme soient posés sur lui, elle ne manifestait aucune réaction face à son acte héroïque ni devant son indéniable nudité. Il n’y eut pas davantage de remerciements ou d’expression de gratitude. Et elle ne le regardait pas non plus avec la moindre fascination. L’ego de Donovan en souffrit un peu car il n’était pas habitué à être si sommairement congédié.

    — Bon sang de bois, pourquoi ne pas vous être écartée du danger ? Vous devez être aveugle pour ne pas avoir vu cet engin de mort foncer sur vous !

    Chaque parcelle du duc vibra dans cette réprimande adressée avec un regard noir pour faire bonne mesure.

    La jeune femme porta une main gantée à son front. Puis elle plissa les yeux. Un éclair de colère illumina ses prunelles grises.

    — Pour votre information, je suis aveugle. Mais je ne suis pas simple d’esprit. Bien que vous, vous le soyez peut-être pour m’avoir traitée de la sorte.

    Elle redressa rapidement son bonnet et ajouta :

    — J’ai entendu le vacarme, mais je ne savais pas d’où il venait.

    Sans voix, Donovan ouvrit, puis referma la bouche. Que pouvait-on ajouter après une telle réponse ? Il n’avait aucune expérience de la cécité. Alors il se réfugia derrière le mécontentement qui courait toujours dans ses veines.

    — Au moins, j’ai assez de bon sens pour ne pas me laisser piétiner par un carrick !

    Il redressa les épaules, mais resta assis dans l’herbe à côté de la jeune femme. Comment osait-elle s’opposer à lui ?

    — J’ai assez de savoir-vivre pour ne pas pousser les dames hors de la route avant de les traîner dans les buissons.

    Puis les yeux de la jeune femme s’arrondirent et une kyrielle d’émotions traversa ses prunelles orageuses : confusion, terreur et... curiosité. Elle eut un petit hoquet de surprise.

    — Vous aviez l’intention de profiter de moi, c’est cela ? Vous avez vu ce que vous espériez être une cible vulnérable et vous vous êtes jeté dessus ?

    Avant qu’il puisse réfuter cette affirmation, elle bougea la tête d’un côté à l’autre, cherchant du regard avec ces yeux qui n’avait pas la vacuité et l’inexpressivité typiques de ceux qui ont perdu la vue.

    — Pourtant j’étais certaine que ce qui m’a renversée n’était pas humain, réfléchit-elle en refermant les doigts. J’ai pensé, pendant un bref instant, avoir senti de la fourrure, comme celle d’un chien...

    Grand Dieu. Avait-elle vu ou deviné qu’il s’était métamorphosé ? Il s’arracha à sa stupeur.

    — Soyez-en certaine, c’est bien moi qui vous ai écartée de la route. Après cela, je vous ai amenée ici à travers le bosquet.

    Il déglutit avec difficulté. Quel genre de femme était-elle donc ? Toute autre noble dame, après avoir été traitée aussi rudement et en présence d’un homme entièrement nu, aurait réveillé tout le village par ses hurlements avant de finalement perdre connaissance. Et pourtant, sa compagne, bien que méfiante, ne faisait aucune de ces choses. Elle braquait les yeux sur son visage.

    — Nous n’en avons pas fini, vous et moi, commença-t-il, car j’ai bien l’intention de vous réprimander pour un si dangereux–

    — Vous sentez différemment des autres hommes, l’interrompit-elle en se penchant davantage vers lui.

    — Je vous demande pardon ?

    Ses battements de cœur lui martelaient les tempes. Cette étrange jeune femme ne soupçonnait tout de même pas sa vraie nature ?

    — Votre odeur. Elle est animale, primitive.

    Elle ôta ses gants de daim ivoire usagés et les laissa tomber sur le sol à ses côtés.

    — Puis-je ? demanda-t-elle en tendant la main vers lui. C’est la seule manière dont je peux vous voir.

    — Je... Vous avez ma permission.

    Le mystère s’épaississait et, d’une part parce qu’elle le déconcertait considérablement, d’autre part parce qu’elle n’assumait aucune responsabilité dans cette débâcle, il hocha la tête, avant de se réprimander intérieurement. Si elle disait vrai à propos de sa cécité, elle ne pouvait pas voir ce mouvement.

    — Votre façon de parler m’indique que vous devez être un homme assez important.

    La jeune femme glissa le bout des doigts sur le contour de son visage, de ses pommettes, de son front. Ses gestes étaient doux en parcourant ses sourcils, l’arête de son nez, le bord de sa mâchoire, son menton.

    Sa peau ressentait ce contact avec de plus en plus d’acuité à mesure qu’elle restait connectée à lui.

    — J’aime à le penser, parvint-il à dire dans un murmure.

    Une telle proximité, une telle intimité, exigeait un ton de voix équivalent.

    — Les hommes le pensent toujours, rit-elle.

    Ce bruit rauque le fit vibrer tout entier avant de se concentrer au niveau de son entrejambe, durcissant son membre.

    — C’est un cheminement de pensée dangereux, ajouta-t-elle.

    Puis elle glissa les mains le long de son cou, de ses épaules, et retint un petit cri de surprise.

    — Vous êtes nu.

    — Je...

    Comment diable pouvait-il expliquer cela ?

    — Pourquoi ne portez-vous aucun vêtement ?

    Elle se rapprocha légèrement de lui. Leurs jambes se touchèrent, ses jupes se rassemblèrent au niveau des genoux. Son châle avait glissé pour révéler un infime aperçu du sommet de ses seins blancs et pourtant, elle explorait toujours.

    — Comment êtes-vous parvenu à déambuler dans le village dans un tel habit de scandale ?

    Quelle manière... intéressante de le formuler ! Un peu de lucidité émergea du brouillard qui lui embrumait l’esprit.

    — Vous ne me croiriez pas, si je vous le disais.

    Et il n’était pas question qu’il fournisse volontairement cette information après une rencontre si peu orthodoxe. Il ne reverrait probablement jamais cette jeune femme, de toute façon.

    — Rien n’est impossible.

    Elle parcourut son torse du bout des doigts, les faisant glisser dans le duvet fourni qui s’y trouvait. Quand elle tira doucement sur quelques poils, il retint son souffle. Il en ressentit une brusque bouffée de désir, qui s’amplifia lorsqu’elle lissa les paumes sur son torse avant de plonger ces mains inquisitrices encore plus bas et d’effleurer les méplats de son abdomen du bout des doigts.

    — En dépit de l’inconvenance de votre tenue, je suis ravie. Cela change agréablement de l’ordinaire et ajoute un peu de mystère à notre rencontre.

    Il contracta les muscles. Quand elle descendit encore la main, sa paume passant sur le sommet dressé de son membre en érection, il la lui prit et l’écarta de sa personne.

    Donovan aspira de grandes bouffées d’oxygène tandis qu’il intimait à son corps de cesser toute réaction face à cette exploration innocente. Qu’il était maladroit de sa part de se raffermir de la sorte pour une femme qu’il ne connaissait pas ! Désireux de trouver quelque chose pour se distraire de ses bas instincts, il demanda :

    — Est-ce ainsi que vous avez l’habitude de vous présenter aux hommes que vous rencontrez ? Parce que si c’est le cas, ma question suivante sera de vous demander pourquoi l’on vous a autorisée à quitter le domicile sans chaperon ?

    Un sourire ravi illumina les lèvres roses de la jeune femme, lèvres dont il ne pouvait détacher les yeux, celle du bas étant légèrement plus pleine que celle du haut. Lèvres dont il avait envie de s’emparer pour un baiser. Ce qui, en dehors de continuer cette conversation entièrement nu, serait le meilleur moyen de finir à l’asile de Bedlam.

    — Non, ce n’est pas mon habitude.

    Puis son sourire retomba et il en ressentit une profonde déception.

    — En toute honnêteté, avoua-t-elle, les hommes ne cherchent généralement pas à me rencontrer.

    S’attarder ici était de la pure folie. Et plus il restait, plus les chances d’être découverts étaient grandes. Qui que soit cette jeune femme, il refusait de la compromettre ou de se retrouver lui-même dans une situation dont il ne voulait pas.

    — Je suis désolé de l’entendre.

    La main qu’il tenait était douce. La jeune femme ne s’écartait pas et était bien trop près de lui.

    — J’ai appris, au fil des années, que ma condition me condamnait à l’isolement.

    Sa voix semblait fatiguée, comme si elle avait déjà souvent répété ces mots.

    En cela, elle et lui étaient très semblables.

    — Je ne comprends que trop bien ce sentiment.

    Il la regarda dans les yeux, frappé à nouveau par leur vivacité, bien qu’elle ne puisse le voir. Dans la lumière ascendante de l’aube, quelques étincelles grises scintillèrent dans les profondeurs de ses iris. Le gentleman qui était en lui refit enfin surface.

    — Veuillez me pardonner de vous avoir quelque peu bousculée, mais c’était la seule manière d’éviter catastrophe et blessures.

    — Ne vous inquiétez pas. En dehors de quelques douleurs et de ce qui sera sans aucun doute une belle ecchymose, je vais très bien.

    Un sourire naquit à nouveau sur ses lèvres et Donovan sentit son propre corps manifester à sa façon son appréciation pour elle.

    — J’en suis ravi.

    C’était absurde, de rester assis ici, comme cela, à lui tenir la main pendant que dans son esprit, le loup l’encourageait à laisser parler ses instincts primaires.

    — Oh, à propos, je suis Donovan Sinclair, duc de Manchester.

    Et il faut absolument que je parte avant... eh bien, avant de faire quelque chose qui trahirait mon secret ou qui lui monterait le vaurien dégénéré que je crains d’être.

    Chapitre 2

    Miss Alice Morrowe avait l’esprit complètement chamboulé par la situation dans laquelle elle se trouvait.

    Ses côtes et sa poitrine ressentaient encore douloureusement l’impact de la collision et son postérieur était endolori, mais ce qui la captivait, c’était l’étrange idée d’être assise à côté d’un homme nu – et un duc, par-dessus le marché. Si un habitant du village les surprenait avec ses jupes froissées et ses jambes visibles des pieds jusqu’aux genoux, il penserait sans aucun doute savoir ce qui s’était passé, même si c’était bien loin de la vérité.

    Mais l’homme nu éprouvait visiblement de l’intérêt pour elle ou, du moins, une certaine partie de lui en éprouvait, comme il devait bassement en éprouver pour tout ce qui portait une jupe. Sa brève rencontre avec le bout de son membre viril et vigoureux lui chatouillait encore la paume. Elle s’émerveilla d’avoir été assez hardie pour le toucher à cet endroit car elle n’avait jamais caressé un homme, et certainement jamais cette partie spécifique de leur anatomie. Ce contact avait été accidentel, tant elle avait été fascinée de le « voir » avec le bout des doigts. Et pourtant, elle l’autorisait à lui tenir la main et ne s’écartait pas de cette position indéniablement scandaleuse.

    — Vous êtes un duc.

    Ce n’était pas une question.

    Elle aimait le sentir si proche. D’ordinaire, quand les hommes avaient connaissance du caractère incurable de sa déficience

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