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Le Bilboquet
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Livre électronique140 pages2 heures

Le Bilboquet

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À propos de ce livre électronique

Ce roman de mœurs se déroule dans le milieu très restreint d’une banque privée parisienne, la banque Morhange. L’héroïne est une jolie et très attachante lycéenne de 17 ans, Caroline, qui va tout tenter pour satisfaire à l’idée fixe de son arrière grand-père Gustave Morhange : trouver un héritier perpétuant le nom.
Le livre, au rythme vif et soutenu, suit Caroline, ses camarades et sa famille dans les multiples rebondissements de leurs vies affectives. Les portraits sont brossés avec un grand sens de l’observation, un soupçon d’humour et beaucoup de finesse.
LangueFrançais
Date de sortie10 mai 2016
ISBN9782312043272
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    Le Bilboquet - Bernard Picon

    cover.jpg

    Le Bilboquet

    Bernard Picon

    Le Bilboquet

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2016

    ISBN : 978-2-312-04327-2

    Le Bilboquet

    A Paris, chaque jour de classe ou presque que Dieu bénissait, quelques élèves de première sortant du lycée Janson de Sailly s’attendaient rue de la Pompe pour aller boire un pot avant de rentrer chez soi. Ce petit groupe issu de familles fortunées s’était constitué suite à l’invitation à une soirée de fils et filles choisis par Jacques Morhange, membre d’une puissante dynastie de banquiers, qui voulait pour sa fille unique Caroline des amis sélectionnés avec soin. C’est ainsi qu’il avait découvert quelques « acceptables », dont il connaissait les parents, de fait ou de réputation.

    Jacques Morhange s’était retrouvé veuf de bonne heure car la famille Morhange, on pouvait le croire ou non, souffrait depuis plusieurs générations d’une sorte de malédiction : les épouses trouvaient une mort accidentelle au bout de deux ou trois ans de mariage. Elisabeth, la femme de Jacques Morhange, n’avait pas échappé à cette fatalité et la petite Caroline avait à peine connu sa mère. Elle possédait peu de souvenirs d’elle sinon une très belle huile que son père, mécène à l’occasion, avait commandée à un artiste célèbre. Elisabeth avait d’abord refusé de poser et son mari avait dû insister, mais avec beaucoup de tact, car il ne fallait pas lier l’urgence du tableau à la perspective d’une mort prochaine à laquelle elle pensait trop souvent : en entrant dans la famille Morhange la jolie et pétillante Elisabeth n’allait-t-elle pas tarder à être victime de la terrible fatalité qui poursuivait les jeunes épouses ?

    Mais en attendant cette éventualité il fallait vivre et Jacques Morhange avait tout fait pour rendre sa femme heureuse. Il disposait alors de larges loisirs car sa présence à la banque n’était pas bien nécessaire, sa compétence encore peu affirmée, et surtout parce que son père, très autoritaire, voulait éviter les discussions et ne lui confiait que des tâches secondaires et peu contraignantes. Pour ne pas le voir traîner dans les bureaux et prendre de douteuses initiatives, il l’avait chargé des relations extérieures, sinécure née d’un modus vivendi entre le père et le fils. Jacques Morhange se contentait fort bien de cette responsabilité dont il abusait : il passait le plus clair de ses après-midi avec sa femme, généralement sur un parcours de golf, et de préférence sur celui de Saint-Germain en raison de son tracé élégant et de ses immenses greens. Certes à ce sport il n’arrivait pas à la cheville de sa chère Elisabeth, mais il faisait parfois d’utiles rencontres professionnelles au club-house peint en vert et dont les colombages blancs d’inspiration campagne anglaise le charmaient toujours. Ils aimaient passer une heure dans de bons fauteuils, se levant parfois, lui pour saluer quelque connaissance et l’accompagner au bar déguster un bon whisky, elle pour rejoindre des amies et se régaler d’une tasse du fameux chocolat. Ces sorties constituaient une excuse à son manque d’assiduité. Mais tout ceci relevait du passé car il s’était écoulé maintenant près de quinze ans depuis la mort accidentelle de sa femme et c’était à lui qu’incombait maintenant la haute direction de la banque.

    Le drame se produisit en Suisse, un beau soir d’avril où la vaudaire soufflait assez fort : la voiture de sport que Jacques conduisait trop vite s’était écrasée contre un arbre. Il essayait souvent de se rappeler les circonstances exactes de l’accident, mais n’y arrivait pas, comme si un rideau de brume l’empêchait de se souvenir des secondes ayant précédé l’événement. Jacques et sa femme devaient aller coucher à Genève ; ils s’arrêtèrent à Montreux au Safran, élégant restaurant que Jacques connaissait bien pour y avoir souvent déjeuné avec des amis et, contrairement à ses habitudes, il prit deux verres de whisky pour se doper un peu, car il se sentait fatigué. Au repas, il but une bouteille entière de vin malgré les supplications d’Elisabeth. Il se voit encore la regarder agressivement, lui reprochant de ne pas le laisser faire ce qu’il voulait. C’était leur première dispute, ce fut aussi la dernière. Lorsqu’il se trouva sur la route, il accéléra au maximum, par bravade et pour bien montrer qu’il jouissait de toutes ses facultés, puis ce fut un grand choc, le brouillard complet, et des gens s’affairant autour de lui. Dans l’ambulance, alors qu’on le croyait sans doute dans le coma, il entendit vaguement : « Lui, il s’en tirera, mais la femme, elle est bien morte ». Hospitalisé près de trois semaines dans une clinique de Lausanne, il y subit plusieurs opérations, dont une assez délicate au genou. Depuis lors il boitait légèrement, surtout en fin de journée et il avait ressenti cette claudication, qui le poursuivrait toute sa vie, comme une juste punition pour son imprudence. Ce n’était cependant pas une réelle punition, car sa démarche, grâce à une belle canne à pommeau en argent, lui donnait un air très « british », on aurait dit autrefois « officier des Indes », que par politesse lui enviaient ses amis. Il consacrait beaucoup de son temps à l’éducation de sa petite Caroline et avait essayé de compenser son chagrin (mais peut-on compenser la mort d’une mère ?) par une vie la plus heureuse possible. Maintenant qu’elle allait prendre dix-sept ans, il s’employait à l’entourer d’amis qui « promettaient », dont l’un pourrait éventuellement devenir son mari. C’était sans doute voir un peu loin, mais il ne s’en rendait pas bien compte, obnubilé par sa faute, qu’il ne savait comment réparer.

    Caroline buvait donc un pot avec ses amis. Pas d’alcool bien sûr, car aucun n’avait 18 ans. C’était déjà bien qu’on les laissât entrer. Le petit groupe s’entendait bien, mais on sentait depuis quelque temps sourdre une jalousie entre deux garçons, Etienne et Laurent, qui se disputaient les faveurs de Caroline. Celle-ci s’en amusait car elle aimait être un peu courtisée, et ne prenait pas du tout la chose au sérieux. Elle riait même de bon cœur de voir la tête des deux soupirants lorsqu’ils n’avaient pas trouvé place près d’elle. C’était d’ailleurs devenu presque un jeu : Caroline s’asseyait vite à une table et demandait à deux filles de l’entourer ; Etienne et Laurent allaient alors tristement s’installer l’un près de l’autre, comme si ce rapprochement pouvait diminuer leur dépit. Et les jours où Caroline se voulait un peu plus cruelle, c’est à deux garçons autres qu’Etienne et Laurent qu’elle demandait de venir près d’elle. Cette attitude quasi enfantine ne faisait qu’aviver la passion des deux amoureux.

    La pause au Café ne durait d’ailleurs pas bien longtemps, car le chauffeur de Jacques Morhange attendait dans la rue et Caroline n’aurait pas voulu le faire trop languir ; elle n’avait pas encore atteint l’âge où cette sollicitude ne lui viendrait même plus à l’esprit. Caroline partie, tout le groupe s’égaillait, à part Etienne et Laurent qui restaient tous les deux, allez comprendre pourquoi.

    La famille Morhange avait des racines juives. De sommaires recherches généalogiques effectuées à la demande de Léopold Morhange, le père de Jacques, avaient permis de découvrir que leurs lointains ancêtres banquiers habitaient dans la Judengasse de Francfort et se nommaient en réalité Lévi. Le surnom de Morhange avait dû être attribué à une branche qui tenait un comptoir à Morhange, en Lorraine. Les Morhange, ex-Lévi, vinrent ensuite s’installer à Paris où, peu pratiquants, ils abjurèrent et se convertirent au catholicisme une vingtaine d’années avant la Révolution, sans doute pour avoir accès à des professions interdites aux juifs. Cette ascendance ne leur causa pas d’ennuis sous l’Occupation, car elle était très ancienne. En revanche, elle les marqua dans la noblesse et la haute bourgeoisie françaises dont certains membres n’oubliaient pas de rappeler perfidement l’origine des Morhange. Un mariage que souhaitait Léopold pour son fils Jacques n’avait d’ailleurs pu aboutir en raison des réticences plus ou moins avouées de la famille de la jeune fille. On lui trouva néanmoins une délicieuse épouse en la personne d’une très aristocratique petite hongroise d’origine, dont les grands-parents avaient fui le régime communiste. Son prénom, Elisabeth (Erzébel), lui avait été donné en hommage à la grande sainte, vénérée dans tout le pays magyar, ce qui ne l’avait pas empêchée de mourir toute jeune, en laissant notre petite Caroline sans maman. L’enfant ne s’en était pas bien rendue compte, confiée qu’elle était aux soins exclusifs d’une femme de chambre, Adèle, et d’une nurse anglaise ; car c’était une obligation chez les Morhange, les enfants devaient apprendre à parler parfaitement l’anglais, sans aucun accent, dès leur plus jeune âge. Caroline n’avait pas échappé à cette exigence, et en était bien heureuse maintenant.

    Toujours habillée avec beaucoup d’élégance, pleine de charme, Caroline possédait une beauté certaine mais cependant pas exceptionnelle. Elle affichait des traits réguliers éclairés par de jolis yeux verts ou bleu-vert (selon la luminosité) et son sourire, dévoilant des dents parfaites, faisait se dessiner de charmantes fossettes. En revanche elle ne pouvait cacher un nez trop marqué (celui des Morhange, mais elle se promettait de le faire rectifier), et des cheveux rebelles, malgré les vains efforts de son coiffeur du moment, car elle en changeait fréquemment, espérant toujours trouver l’artiste qui mettrait mieux en valeur sa blondeur naturelle. Elle regrettait aussi que ses jambes, pourtant fines et bien galbées, n’eussent pas la longueur de celles de certaines de ses amies. Mais ce qui frappait surtout chez Caroline c’était la douceur exceptionnelle de sa peau : lorsqu’on l’embrassait on touchait une peau si douce, d’un velouté si rare, qu’on avait du mal à se retenir de lui en faire le compliment. Certains ne s’en privaient pourtant pas, notamment Etienne, qui seul avait droit de donner un baiser plus ou moins appuyé au creux de l’épaule, entre la base du cou et la bretelle du soutien-gorge. Cette familiarité naquit un jour où Caroline, enrhumée, le dispensa de lui « faire la bise ». Il avait alors demandé s’il pouvait l’embrasser dans le cou, endroit moins exposé à la contagion. Caroline avait accepté en riant, et c’était devenu une habitude. Avec chez Etienne un peu plus que de la simple camaraderie : la peau, si douce au creux de l’épaule, devait l’être plus encore en descendant un peu. Mais il n’osait pas même effleurer la naissance du sein, par peur d’une réaction hostile de Caroline, qui pouvait se montrer aussi vive qu’imprédictible.

    Cette familiarité faisait enrager Laurent, qui trouvait sa vengeance en embrassant Caroline sur la joue, mais à la limite de la commissure des lèvres. Il devait d’ailleurs faire très attention, car il savait qu’un tout petit écart serait sévèrement sanctionné. C’était à Caroline, si elle voulait lui faire plaisir, de tourner légèrement la tête, mais elle ne le faisait pas. Pourquoi ? Laurent se le demandait à chaque fois : était-ce par pudeur, par déplaisir, ou simplement n’avait-elle même pas remarqué les approches discrètes de son camarade ?

    Les autres garçons l’embrassaient normalement, sur les deux joues, en pensant sans doute à autre chose. Seul Antoine, un peu plouc, répétait l’opération, à droite, à gauche, puis encore à droite et à gauche. Cela faisait rire les autres, mais peu lui importait ; son grand-père possédait des intérêts dans tant de sociétés qu’il n’arrivait même pas à les énumérer toutes et il avait un jour sorti non sans humour : « A quoi me servirait-il d’avoir inventé la poudre à couper le beurre, puisque j’ai le beurre et l’argent de la crémière ? »

    Caroline était déposée devant le perron de l’hôtel particulier des Morhange, où l’attendait Joseph, le majordome, averti par un discret coup de klaxon. Son accueil consistait surtout à indiquer où se trouvait Jacques Morhange : « Monsieur est dans son bureau ; Monsieur est dans le salon ; ou Monsieur n’est

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