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Nés pour combattre: Fantasy
Nés pour combattre: Fantasy
Nés pour combattre: Fantasy
Livre électronique422 pages5 heures

Nés pour combattre: Fantasy

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À propos de ce livre électronique

Dans la cité de Vallion, un grand évènement s'annonce. Dans quelques mois, deux Auris sorciers au pouvoir absolu s’affronteront dans un combat mortel avec une récompense à la clé... Le survivant accédera au rang de Novice et pourra espérer faire partie un jour du Conseil, l'unique groupe à la tête de tous les royaumes.
Les combats sont d’autant plus intéressants qu’ils sont programmés dès l’enfance et que les adversaires n’ont aucun moyen d’y échapper. L'issue du duel à venir semble prévisible car il oppose le fils de deux Conseillers à une sorcière de basse naissance.
Les spectateurs se mettront sur le 31 pour plaire au Conseil et assister au spectacle mais ce dernier risque d’être de courte durée. Ce duel pourrait-il tout changer?

À PROPOS DE L'AUTEURE

Depuis ses quatorze ans, l’imaginaire a toujours été l'échappatoire de Sophie Germanier. Petite, sa passion pour l'écriture la poussait à dévorer les romans de Roald Dahl.
Après avoir été diagnostiquée autiste Asperger, elle fait alors de la fantasy son genre privilégié. Nés pour combattre est son premier opus.
LangueFrançais
Date de sortie24 févr. 2021
ISBN9791037719799
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    Aperçu du livre

    Nés pour combattre - Sophie Germanier

    Prologue

    La magie a toujours existé.

    Autrefois, les magiciennes à la chevelure rousse mouraient sur des bûchers enflammés, que leur culpabilité fût une certitude ou un simple doute né de rumeurs et de préjugés. La magie, qu’elle fût noire ou blanche, était traquée telle une tare et éliminée sans l’ombre d’une hésitation. Les humains l’avaient décidé sans même accorder à leurs victimes le droit d’être entendues : les magiciens avaient l’interdiction formelle d’exister.

    Cependant, à travers les décennies, la persécution développa un sentiment commun dans le cœur des véritables magiciens. L’incompréhension, la peur, la colère et la révolte se succédèrent pour se muer en véritable haine. Leur fureur fut si intense qu’elle transforma les proies en prédateurs et que les principes mêmes de la magie blanche furent rompus. Les magiciens devinrent des sorciers et la magie blanche se dégrada peu à peu en magie noire.

    En quelques années, la race humaine disparut.

    Face au chaos provoqué par les sorciers, les Dieux décidèrent d’intervenir et la magie leur fut confisquée. Afin de rétablir l’ordre, la puissance fut limitée à un sort par sorcier. Seuls de rares êtres bénéficièrent du don entier de la sorcellerie : l’Aura. Ces sorciers redoutables et quasiment invincibles furent ainsi nommés les Auris et se virent confier la responsabilité de rétablir les principes de l’humanité. La magie ne devrait plus jamais contrôler les âmes ! Ainsi, le pouvoir absolu ne devrait nullement être confié à de faibles esprits.

    Ceux qui reçurent l’Aura bâtirent un Conseil strict et discipliné, qui devint rapidement une dictature pour le reste des hommes. Ils mirent au point une formation extrêmement rigoureuse pour transformer les futurs novices en Conseillers, sachant qu’ils auraient alors la puissance absolue.

    Mais la magie, aussi belle soit-elle, demande des sacrifices et l’accès au pouvoir est limité. Afin de devenir un novice, chaque Auri devrait ainsi ôter la vie d’un autre détenteur de l’Aura lors d’un duel. Les novices suivraient ensuite une formation rude, qui permettrait de faire le tri final. Grâce à cela, les esprits faibles seraient éliminés.

    Quiconque obtiendra l’Aura devra se plier aux règles du Conseil.

    Aucun combat ne pourra être annulé.

    Tout écart sera sanctionné.

    Toute rébellion sera éliminée.

    Seule décidera la destinée…

    Première partie

    Le duel

    Chapitre 1

    Parcours parallèles

    Le cri strident sembla s’engouffrer dans chaque pièce afin d’en briser violemment chaque fenêtre. Le vent fouetta le visage de Marc, qui plissa les yeux en faisant grincer les roues usées de son fauteuil roulant le plus vite possible. La source de tout ce chaos, une petite fille de cinq ans, se tenait debout au milieu du salon, le visage rouge de colère et les mains tremblantes. Marc l’attrapa précipitamment et mit une main sur sa bouche en la serrant fortement contre lui. Il écouta le vent siffler contre les parois et faire tinter le petit carillon que sa femme aimait tant. Le pouls de sa fille ralentit enfin. Était-ce trop tard ?

    Dans la pièce voisine, il entendait son fils pleurer et espérait qu’aucun bris de verre ne l’ait blessé. Sa seconde fille, âgée de quatre ans, s’était cachée sous la table et gémissait, pourtant il savait qu’elle ne risquait rien.

    Un éclair déchira le ciel et un souffle poussa violemment son fauteuil roulant jusqu’à percuter le mur du salon. Sa petite Lydia glissa de ses bras et roula sur le parquet, jusqu’au halo de lumière que le lampadaire reflétait depuis la fenêtre. Lorsqu’elle leva ses grands yeux verts, une lueur argentée apparut devant son visage et voleta autour d’elle. La respiration de Marc en fut coupée : il était trop tard !

    Déjà, tout autour d’elle, les silhouettes s’étaient matérialisées et leurs murmures s’élevaient tandis qu’elles observaient la petite fille terrorisée à leurs pieds. Leurs larges capuchons laissaient deviner des reflets argentés sur une peau verdâtre. Parmi les manteaux verts des créatures, cinq manteaux noirs se matérialisèrent à leur tour.

    À sa droite, Marc aperçut sa seconde fille, Katia, qui voulait ramper jusqu’à lui, mais il la stoppa d’un geste, la priant intérieurement de ne surtout pas se montrer. Il aperçut alors la gouille de sang qui s’était formée sous la table et sentit la colère lui brûler la peau.

    — Allez-vous-en ! cria-t-il en faisant péniblement grincer ses roues jusqu’aux silhouettes. Partez ! Maudites créatures…

    L’un des manteaux noirs leva un bras et une lueur raviva l’ampoule brisée du salon. Katia se recroquevilla sous la table en reniflant, mais personne n’y prêta attention. Une femme à la chevelure bouclée s’était avancée. Son visage était sévère, ses yeux perçants et le roux de ses cheveux rappelaient les vieilles légendes de sorcières que l’on racontait autrefois aux enfants humains. Il s’agissait de Fatima, une Conseillère.

    — Vous n’avez rien à faire ici, reprit Marc, allez-vous-en !

    Les quatre silhouettes tenues à l’écart se tournèrent vers le père de famille. Il reconnut un à un les autres Conseillers. Les créatures en manteaux verts, elles, ne laissaient pas apercevoir un centimètre de leur visage, mais il savait quelle horreur se cachait sous leur capuchon. Son cœur s’emballa à la vue de sa petite Lydia aux genoux écorchés, qui les observaient de ses grands yeux innocents.

    — Vous connaissez les règles Marc, lança Fatima sans un soupçon de compassion dans la voix.

    — C’est ma fille, gémit Marc en luttant pour ne pas pleurer. Regardez-la, elle n’a que cinq ans !

    — Les règles sont les règles Marc, fit une voix familière qui lui glaça le sang. Ta fille possède l’Aura.

    Fatima s’approcha de la petite et se pencha vers elle.

    — NON ! hurla Marc en menaçant de faire basculer sa chaise. Ce n’est qu’une enfant ! Peut-être a-t-elle la faculté de moduler l’air ?!

    — Cela suffit ! cria soudain Fatima en levant une main, qui plaqua le père contre sa chaise et le maintint immobilisé. Dans vingt ans, jour pour jour, Lydia rencontrera son adversaire, que vous le vouliez ou non. Elle deviendra alors une novice… ou elle mourra.

    L’homme à la voix familière s’approcha de la petite sous les gémissements impuissants de Marc. Il s’agenouilla vers elle et tendit un doigt violet jusqu’à son front. Une lueur traversa alors la petite fille, qui frissonna avant de tomber sur le sol.

    Fatima abaissa son bras et la pression exercée sur la poitrine de Marc disparut.

    — Yvan, murmura-t-il en reprenant son souffle avec peine.

    Le Conseiller encore agenouillé, dont la mâchoire carrée accentuait la dureté, l’observa un instant d’un œil impassible, puis adressa un signe à ses camarades. Les Auris disparurent dans un autre éclair, laissant la petite étendue au milieu des bris de verre.

    ****

    Dix-neuf ans plus tard

    En ce premier jour d’été, Katia Widmer regarda la carte d’anniversaire que son frère lui tendait avec un léger pincement au cœur.

    — Tony, je t’avais dit que c’était inutile, lui dit-elle d’un ton faussement sévère en le prenant dans ses bras.

    — C’est juste une carte, fit son frère en s’extirpant tant bien que mal de sa prise. Je voulais te faire un cadeau, mais papa ne m’a toujours pas donné mon argent de poche ce mois-ci.

    Katia ébouriffa les cheveux de Tony en souriant tristement. Sur la carte faite artisanalement, son frère avait dessiné une sorcière devant un chaudron bouillonnant, entourée de fioles de potions. Un plus petit personnage – lui sans aucun doute – lui souhaitait joyeux anniversaire tout en volant discrètement un flacon. Katia rit en voyant l’étiquette du flacon : « Amplificateur de muscles ».

    — Ce n’est pas qu’une simple carte pour moi, avoua Katia en la serrant contre elle, merci beaucoup.

    Tony accepta timidement une bise, puis sortit de leur chambre en relevant inutilement son baggy trop large.

    Katia relut le petit mot de son frère en se mordant les lèvres. Elle détestait les anniversaires. En fait, elle détestait son anniversaire. Il lui rappelait cruellement que sa vie n’était pas celle dont elle avait rêvé petite, comme si une immense horloge tonnait au-dessus de sa tête et disait : « Tic, tac : un an de plus et rien n’a changé ! Tu ne pourras jamais être libre. ».

    À vingt-trois ans, elle habitait toujours chez son père, avec son petit frère Tony et sa grande sœur Lydia, dans un petit village perdu en lisière de forêt de la Contrée de Meldir. Au départ, leur vie avait été celle d’une famille normale de classe moyenne, jusqu’au jour où Lydia avait brisé toutes les vitres de la maison d’un simple cri capricieux. Le regard de leur père s’était alors teinté de gris et de grands hommes dont la peau brillait d’étranges symboles avaient surgi de nulle part. Ils avaient parlé d’Aura et de grande puissance, les yeux de Lydia s’étaient illuminés, tandis que le teint de leur père était devenu livide.

    Ce que Katia n’avait pas compris à l’époque était que Lydia avait reçu le don d’Aura et possédait la magie absolue, qui lui permettrait peut-être un jour de devenir une Conseillère et de faire partie des plus puissants de ce monde. Un cadeau que beaucoup enviaient, mais surtout un cadeau empoisonné, car quelques maisons plus loin, un jeune garçon avait lui aussi appris qu’il possédait ce don. Leur duel était déjà programmé.

    Katia se leva et s’approcha de la fenêtre. Les arbres de la forêt dans laquelle ils vivaient les maintenaient isolés des curieux. Son père avait préféré s’éloigner du village lorsqu’il avait appris que Lydia aurait un destin spécial. Une des rares bonnes décisions qu’il avait réussi à prendre, pensa Katia en ouvrant sa fenêtre pour humer l’air encore humide d’après pluie.

    Le village en lui-même était petit et entouré de campagne. Les sorciers aimaient cultiver les traditions et le village avait conservé un aspect assez vieillot : des maisons en pierre avec des toits de chaume, un marché à l’ancienne avec son poissonnier, son boucher, son boulanger et ses jongleurs et troubadours de tous genres. Au moins leur père ne les obligeait-il pas à se rendre à la chapelle tous les dimanches : il avait perdu la foi depuis longtemps. Comment le lui reprocher ?

    La seule chose en laquelle Katia avait foi se trouvait tout autour d’eux : la forêt ! Elle se promit d’y passer un moment dès qu’elle en aurait le temps.

    Quelques heures plus tard, la voiture bleue usée de la jeune fille se gara en gémissant dans le parking du collège.

    — Tony ! Je suis là ! scanda-t-elle en l’apercevant.

    Le petit frère de Katia lui lança un regard agacé et s’éloigna de ses copains en traînant les pieds. Comme la famille n’avait pas assez d’argent pour qu’il passe son permis malgré ses vingt ans, Katia passait le chercher tous les soirs à la fin de l’école.

    — Ça s’est bien passé ? L’école t’intéresse ? lui demanda-t-elle alors qu’il entrait dans la voiture.

    — On voit que t’as pas fait d’études, répondit-il simplement.

    Puis il lui lança un petit regard hésitant, comme s’il avait parlé trop vite. Katia démarra la voiture, qui crachota de vieillesse, et reprit :

    — C’était si terrible que ça ? demanda-t-elle en ignorant la maladresse de son frère.

    — L’école parapsychique, c’est vraiment pas fait pour moi. Tous ces gosses de riches et ces snobinards de profs… en plus on n’apprend rien d’utile.

    — Comment peux-tu conclure ça après le premier jour ? Maman disait toujours que les télépathes possédaient le monde…

    — Tais-toi, coupa-t-il sèchement. Maman n’est plus là.

    Sachant qu’elle avait touché un point sensible, Katia n’insista pas.

    Dix minutes plus tard, Tony sortit de la voiture avec son sac à dos usé.

    — Merci, lança-t-il en claquant la portière.

    La jeune fille le regarda s’éloigner en l’enviant : il allait passer le week-end loin de la maison. Elle, elle ne pouvait pas, elle devait s’occuper de son père et travailler, parce que les êtres sans pouvoir n’avaient pas accès aux études. Ils étaient considérés comme des déchets, de rares restes de l’Ancien Monde, et n’étaient pas très appréciés. « Les êtres tels que vous peuvent déjà être contents de ne pas avoir été éliminés à la naissance ! Vous ne servez à rien, n’avez aucune faculté particulière. Il faudrait en plus vous donner un rôle important dans notre société ? Vous tolérer est déjà une grande faveur. Après tout, rien ne vous différencie des humains. », avait répliqué le directeur de l’école primaire lorsqu’elle lui avait fait part de sa frustration.

    Son père n’avait jamais eu de pouvoir. Katia, elle, faisait en sorte que les gens pensent qu’elle avait hérité de cette « malédiction », parce qu’il y avait bien pire que les êtres sans pouvoir.

    La sorcière jeta un dernier coup d’œil à la magnifique villa dans laquelle pénétrait son frère, puis fit cracher le moteur de sa voiture en soupirant.

    Sans Tony, le souper lui parut plus silencieux que d’habitude. Son père semblait réfléchir, sa main droite tapotant inconsciemment l’accoudoir de son fauteuil roulant. Lydia, quant à elle, ne parlait jamais beaucoup. D’ailleurs, elle ne mangeait pas beaucoup non plus. En comparaison, Katia pouvait facilement passer pour un ogre ! Un des nombreux points qui les différenciaient, sa sœur et elle. Aussi bien physiquement que mentalement, il était difficile de croire qu’elles étaient nées des mêmes parents.

    — Tu devrais manger Lydia, osa-t-elle en voyant sa sœur repousser son assiette à moitié pleine. Il te faut des forces pour l’entraînement.

    — Non merci, je n’ai pas très faim. Les barres vitaminées me suffisent.

    — Des barres vitaminées ? Lydia…

    — Je vais couper du bois, nous n’en avons presque plus.

    Katia regarda sortir sa sœur la bouche encore ouverte. Comment diable pouvait-elle tenir debout sans ne jamais rien manger ?! Son corps musclé était aussi raide que ses longs cheveux châtains, rien à voir avec Katia, dont les hanches restaient généreuses quoiqu’elle fasse.

    — Ne t’inquiète pas Kat, murmura son père en prenant l’assiette encore pleine de sa sœur, elle est juste un peu stressée.

    — À six mois du duel, répliqua la sorcière en la lui prenant des mains, elle n’est pas la seule.

    Le silence retomba dans la petite cuisine alors que Katia débarrassait la table. Tout y avait été construit en pierre et en bois, comme l’aurait aimé sa mère avant qu’elle ne les quitte. Une maison de Blanche-Neige, pour une famille maudite.

    — Papa, nous devrions vraiment trou…

    — T-t-t ! Pas ce soir Kat, je suis fatigué. Je sais ce que tu penses de tout ça, mais nous en avons déjà parlé mille fois. Aide plutôt ton père en nettoyant la table, tu veux bien ?

    Katia acquiesça à contrecœur. Par la fenêtre, elle pouvait apercevoir Lydia qui fracassait des bûches comme le crâne d’un ennemi invisible. Elle n’extériorisait jamais ses émotions par la parole. Depuis le début de son entraînement intensif, ses gestes étaient devenus mécaniques, son visage figé, elle n’était jamais vraiment présente.

    — Tu veux t’installer dans le fauteuil du salon ? demanda Katia une fois la cuisine rangée.

    — Non merci, ma Katia, pas ce soir. Je vais plutôt aller me coucher.

    — Comme tu voudras.

    Le fauteuil crocha légèrement sur le seuil de la chambre, comme toujours, Katia donna un léger coup de hanche, qui fit rire son père, comme tous les soirs. Elle l’aida à se hisser dans le grand lit vide grâce à la barre métallique qu’avait installée Lydia, ignorant la douleur qui commençait à lui brûler le bas du dos, comme tous les soirs.

    Comme sa mère était morte tôt et que son père était resté seul, elle avait repris son rôle malgré elle. Ce dernier n’étant pas du genre débrouillard, il s’était progressivement reposé de plus en plus sur elle : adieu les rêves, adieu les amis, adieu la vie…

    — Bonne nuit, papa, marmonna-t-elle en l’embrassant sur la joue et en s’éloignant rapidement vers la porte.

    — Attends ! Katia.

    Celle-ci s’arrêta sur le seuil, sans se retourner.

    — Je sais que tout cela est dur pour toi, mais c’est temporaire.

    La jeune sorcière ferma la porte sans répondre et retourna à la cuisine observer sa grande sœur par la fenêtre. Six mois, voilà peut-être tout ce qu’il lui restait.

    ****

    — Dépêche-toi, Katia !

    — J’arrive, souffla cette dernière en déposant rapidement les boissons sur son plateau.

    — Table 8, Katia !

    — Oui, j’y vais tout de suite.

    — Et les poubelles, pourquoi sont-elles encore là ?

    — Je n’ai pas eu le temps de…

    — Alors, fais-le ! Je ne te paie pas pour que tu traînes !

    Une fois dans la voiture, Katia éclata en sanglots. Puis elle se pinça les lèvres, rectifia son maquillage et démarra. Elle devait encore préparer le souper. C’était dimanche soir, mais pour elle la semaine n’avait ni début ni fin. Elle n’avait qu’à traverser le village et emprunter une petite route pour rejoindre la lisière de la forêt dans laquelle se trouvait sa maison. Ce temps lui suffit pour reprendre son masque habituel d’impassibilité.

    À peine s’était-elle garée sur le côté de la route que lui parvint déjà la voix de son père. Elle pénétra dans la petite allée qui s’aventurait dans la forêt. Son père avait voulu construire leur maison à l’abri des regards et c’était réussi. La maison se fondait dans le décor de lierre de telle manière que personne n’aurait pu soupçonner qu’une famille habitait là.

    — Plus vite ! Allez ! criait son père en faisant de grands gestes devant la maison.

    Lydia courait sans relâche de gauche à droite.

    — Vous êtes là depuis combien de temps ? demanda Katia en rangeant ses clés de voiture dans son sac usé.

    — Trois heures, répondit son père sans lâcher Lydia des yeux.

    Cette dernière se déplaçait à une vitesse si élevée que son corps semblait se décupler. Katia secoua la tête, exaspérée, et entra dans leur maison. Tony était assis sur le canapé en silence, l’air abattu.

    — Salut.

    Tony ne répondit pas. Katia se fraya un chemin entre les engins de musculation et les vieux grimoires poussiéreux et s’assit à son tour.

    — Il a vendu la télé, déclara tristement Tony, pour acheter ça.

    Katia observa le tapis roulant qui leur faisait face.

    — Pourquoi elle court dans le jardin par ce froid si…

    Un seul regard de Tony suffit à faire comprendre à Katia qu’il ne fallait pas chercher.

    — Je le déteste, ajouta Tony en croisant les bras.

    Katia lui passa une main dans les cheveux et se leva pour regarder Lydia par la fenêtre. Cette dernière venait d’avoir vingt-cinq ans. Aucune sensibilité, aucune émotion, aucun signe de fatigue : une vraie machine. Katia soupira en pensant que ça aurait pu être elle.

    Tony s’était approché sans bruit. Elle le prit dans ses bras et lui promit :

    — Tout ira bien. Je ferai en sorte que tu puisses poursuivre tes études au Manoir Parapsychique, comme ça une fois grand, tu seras le maître des télépathes et tu pourras t’acheter une télé géante. Tu oublieras tout ça.

    — J’ai vingt ans tu sais, répliqua-t-il en faisant mine de se dégager sans grande conviction, je suis un homme maintenant.

    — Mmm, fit Katia d’un air joueur, alors tu vas pouvoir préparer le souper.

    Tony gémit sous le rire de sa sœur, qui le provoqua en le bousculant gentiment. Il répondit par une prise et le catch commença. Katia chatouilla Tony, qui voulut la soulever, le tapis glissa et ils se retrouvèrent tous deux les quatre fers en l’air au milieu du salon. Les frère et sœur éclatèrent de rire.

    Lorsqu’ils se calmèrent enfin, Katia fit mine de se relever.

    — Katia ? fit la voix de Tony dans sa tête.

    — Oui ?

    — Tu ne vas pas partir, hein ?

    Katia sentit son cœur se serrer et embrassa la joue de son frère.

    — Pas sans toi, promis, murmura-t-elle.

    Tony acquiesça en chassant ses mèches rebelles et se leva.

    — Alors, on le fait ce souper ?

    ****

    Comme les sorciers avaient autrefois pourchassé les humains jusqu’à provoquer l’extinction de leur race, le Conseil avait décidé de limiter la magie sur Terre – soi-disant sur ordre des Dieux. Ni lieu magique ni accès facilité : les sorciers devaient racheter leur faute en usant uniquement du seul pouvoir qui leur avait été octroyé à titre individuel.

    Ainsi, dans une contrée voisine, Oliver Terry jetait un coup d’œil à sa montre pour la troisième fois d’affilée. Cela faisait maintenant vingt minutes qu’il attendait son train, comme un pauvre petit humain dans un monde sans magie. Le quai était bondé de monde et les gens pressés le bousculaient sans arrêt. Le bourdonnement produit par les voix et les mouvements était insupportable. Oliver passa sa main devant son visage et une bulle invisible sembla se former autour de ses oreilles, les sons s’atténuèrent enfin. Il ferma sa veste et mit ses mains dans ses poches, comme si ça pouvait le protéger.

    Il avait vingt-huit ans et vivait seul dans un appartement en ville. En entrant au Manoir des 5 Sens, il avait été heureux de pouvoir quitter son village natal, fuyant ainsi la folie de son père. Ce dernier était tellement obsédé par la magie noire qu’il avait fait fuir tous ses amis, sans parler de ses copines. Oliver ne pouvait pas les en blâmer. D’ailleurs, il les avait finalement imitées une fois ses études terminées, en acceptant un travail miteux juste pour être loin de lui.

    Pourtant, après quelques années de tranquillité, son devoir de frère le poussait à retourner chez lui.

    Une épaule frappa violemment la sienne et sa colère le poussa à accrocher le bras du coupable pour qu’il le regarde dans les yeux :

    — Tu ferais mieux de regarder où tu marches, gronda-t-il en serrant plus fort.

    L’homme en costard se dématérialisa dans un souffle pour se dégager de sa poigne, puis disparut rapidement dans la foule. Au même moment, le train fit enfin son entrée en gare et les portes s’ouvrirent dans un grand bruit.

    Oliver était grand et bien bâti, mais son Auri de père l’avait jugé trop émotif pour lui vouer la moindre attention. Joe, lui, possédait l’aura. Il allait pouvoir en faire un soldat docile, qui suivrait son chemin vers le Conseil.

    Le sorcier prit une grande inspiration, puis s’engouffra dans le wagon parmi les autres passagers. Tout son corps lui disait de faire marche arrière, mais avait-il seulement le choix ?

    Le train se mit enfin en route. Il avait trente minutes de retard. Oliver s’installa sur une banquette en soupirant. Il imaginait déjà la tête de son père en le voyant débarquer, mais qu’importe, il avait l’habitude des disputes. Il tourna la tête et croisa le regard d’une belle noiraude assise plus loin. Il lui sourit, puis détourna précipitamment le regard. Il aurait dû porter un T-shirt avec « Danger ! » écrit dessus en rouge vif.

    Il aurait pu être le gendre idéal : riche, Maître du son, d’une famille réputée. Mais à la place, il était déshérité, marginal, d’une famille certes réputée mais avec des parents Conseillers et un frère soldat. Le combat se rapprochait dangereusement et malgré l’attitude résignée et parfois sauvage de Joe, Oliver tenait à ce qu’il reste en vie. Aux yeux du jeune homme, devenir un novice se résumait à perdre sa liberté en devenant un petit androïde au service du Conseil. Le libre arbitre n’existait plus une fois le contrat signé : les rebelles étaient rapidement remis dans les rangs ou éliminés.

    Quelle qu'en fut l'issue, ce combat n’avait rien de jouissif et Oliver aurait toutes les peines du monde à le faire comprendre à son frère. Pourtant, il avait décidé de persévérer coûte que coûte.

    ****

    La grande demeure des Terry se trouvait en pleine campagne, dans un pré isolé du reste du village. De grandes haies protégeaient leur immense jardin, histoire que personne ne vînt perturber l’entraînement de Joe, recelé dans leur forteresse de malheur. De l’argent, ils en avaient plus qu’à revendre et la majestueuse fontaine qui étincelait devant le manoir le montrait bien. Le manoir lui-même était un ovni en comparaison des petites maisons du village : baroque, immense, luxueux, Oliver et son père n’avaient pas la même conception de la discrétion – avec ou sans haies de protection.

    À peine entré dans la demeure, Oliver entendit la voix militaire de son père qui provenait du sous-sol. Il jeta son sac et descendit d’un pas déterminé.

    — Bon sang, Joe ! Remue-toi un peu !

    — Cesse donc ton acharnement ! s’écria Oliver en évitant de justesse de louper la dernière marche des escaliers. C’est un fils que tu as, pas un robot !

    Le sous-sol était un vrai champ de machines et de grimoires. Joe était complètement trempé de sueur et Oliver devina que son père lui faisait porter des charges de plus en plus lourdes.

    — Ne t’arrêtes pas mon fils, ordonna son père à Joe, ce n’est que ton faible frère qui vient pleurnicher.

    Oliver vint se mettre face à son père, qui mesurait quelques centimètres de plus que lui, et fixa ses prunelles foncées.

    — Tu vas le tuer papa ! Un tel entraînement n’est pas nécessaire !

    — Joe n’est pas comme toi Lili, il a de la force et de la volonté.

    Le jeune homme serra les poings en entendant le surnom détestable que son père lui donnait sans cesse. Une mâchoire carrée, des épaules carrées, même ses yeux semblaient carrés tant ils étaient durs !

    — Est-ce de ma faute si je tiens de toi ? répliqua-t-il avec défi.

    — Pour ça il faudrait que je te considère comme mon fils.

    — Papa ! s’écria Joe en laissant tomber ses haltères dans un fracas assourdissant.

    Oliver se tourna vers son frère avec espoir. Malgré sa coupe de cheveux militaire, son visage aussi carré que leur père et ses muscles saillants, il semblait n’avoir pas totalement perdu son humanité.

    — Ne pourriez-vous pas éviter cinq minutes de vous détester ? ajouta-t-il. Faites semblant au moins, vous êtes déprimants à force.

    — Qui t’a permis de faire une pause ?! s’écria son père en ramassant les haltères. Ton frère à peine arrivé et tu adoptes ses mauvais gènes ?

    Joe soupira en essuyant la sueur qui coulait dans ses yeux. Il était trempe de la tête aux pieds. Oliver sentit la rage bouillir en lui.

    — Tout ça ne rime à rien. Prends tes affaires Joe, on s’en va.

    Le jeune homme sentit la grande main de son père se fermer violemment sur son épaule.

    — Faut-il que je te rappelle qui commande ici ?

    Oliver s’écarta, mais son père l’agrippa par le col jusqu’à l’étrangler. Le jeune homme ferma son poing et le frappa brutalement à la mâchoire avant de s’écrier :

    — Je ne suis plus un ado !

    Son père se redressa, essuya le filet de sang qui coulait au coin de sa bouche et se mit à rire. Puis brusquement, il lui renvoya son coup avec plus de force encore. Oliver trébucha sur des grimoires entassés et tomba aux pieds de son frère. Celui-ci le releva et le plaqua contre un mur en déclarant d’une voix ferme :

    — Ne touche pas à notre père.

    Oliver ne parvenait pas à défaire la prise qui l’étranglait.

    — Il te fait… du mal…

    — Il me protège.

    Le désespoir submergea Oliver, qui ne reconnut plus aucune lueur familière dans les yeux bruns de son frère.

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