Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Seul en la demeure: Polar
Seul en la demeure: Polar
Seul en la demeure: Polar
Livre électronique319 pages5 heures

Seul en la demeure: Polar

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Alice Dubourg, fille et épouse d’avocats fiscalistes de grand renom, et François Villon, inspecteur de la brigade de répression du banditisme, entretenaient une relation adultère, jusqu'à ce qu'ils se fassent assassiner en plein jour...

Assassinés en plein jour dans une imposante demeure à Sceaux… Cette affaire d’adultère fait grand bruit, d’autant qu’il s’agit d’Alice Dubourg, fille et épouse d’avocats fiscalistes de grand renom, et de François Villon, inspecteur de la brigade de répression du banditisme et meilleur ami d’enfance du mari trompé.
La Scientifique n’a relevé aucun indice. Le fils aîné du couple Dubourg, rentré inopinément chez lui, a découvert la scène. Retrouvé errant dans le RER, il a été hospitalisé en état de choc.
La police piétine. Mais si l’enquête n’apprend rien sur l’assassin, elle éclaire de sa lumière crue le véritable visage des protagonistes. Les masques tombent tandis que la vie continue. Élisabeth Villon et Henri Dubourg doivent rebâtir un quotidien pour les quatre orphelins, qui n’ont plus qu’eux pour croire en l’avenir.

Aucun indice a priori, l'enquête avance lentement... Découvrez un polar psychologique bien mené qui révèle peu à peu la face cachée des différents personnages qui tentent difficilement de reconstruire un quotidien.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Dans un style fluide, l’auteur nous dirige vers un dénouement surprenant. Elle a pris soin de nous décortiquer les sentiments humains, les relations familiales, les relations professionnelles avec authenticités. L’individu dans toute sa complexité. - Collectif polar

Tous les romans de Patricia, quelle que soit le degré de violence qu’ils atteignent, se veulent avant tout réalistes. Leur héros restent des gens ordinaires. Nous pourrions les rencontrer dans la rue ou à la une de nos journaux télévisés. Chers lecteurs, il est de votre bon vouloir d’influer longue vie à ces êtres de papier et d’encre en les aimant et en les défendant comme des amis fragiles. - Le Blog de Philippe Poisson
 

À PROPOS DE L'AUTEUR

Passionnée de lecture, de cinéma et d'écriture, Patricia Bertin reprend tardivement ses études pour réussir un master en lettres modernes. Depuis qu'elle a pris sa retraite, elle ne cesse de publier, des polars principalement : Car mon péché, moi, je le connais, 2013 ; Margot, 2015 ; Judith et le croquemitaine, 2016 qui a reçu le Prix France de la Journée du manuscrit francophone. Elle vit à Paris, d'où elle est originaire.
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie10 mai 2019
ISBN9782848867731
Seul en la demeure: Polar

Auteurs associés

Lié à Seul en la demeure

Livres électroniques liés

Mystère pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Seul en la demeure

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Seul en la demeure - Bertin Patricia

    pageTitre.jpg

    À Véronique pour sa confiance

    et pour tout le soin apporté à mon travail.

    « L’homme est à la fois une machine à contrôler le chaos et un propagateur de désordre. »

    Les Racines du mal, Maurice G. Dantec

    « Ne vous y trompez pas. Vous menez un combat contre la peur, non contre le mal. Le mal est une dualité interne à résoudre. La peur est une fissure, une infiltration qui fragilise. Lutter contre le mal est un combat glorieux. Contre la peur, une honteuse guérilla. L’homme doit vaincre le mal pour en sortir grandi. Nos personnages doivent vaincre la peur pour en sortir vivants. »

    La Répétition, Patricia Bertin

    En colère. Il était en colère contre l’autre faux jeton. La querelle, qui avait éclaté pour des vétilles, aurait dû s’éteindre comme un feu de paille si l’autre geignard n’avait pas pleurniché. Mais voilà, l’autre l’avait saoulé… Alors, il avait déguerpi sans demander son reste. Non pas qu’il craignait une réprimande sévère ou injuste – de cette injustice qui fait si mal qu’elle rend méchant. Non, il ne s’agissait pas de cela. Le croche-pied qui avait effacé le sourire sur la face de l’autre ne le vengeait pas de cette vilaine sensation de ne plus être courtisé. Lui qui exerçait son ascendant sur la bande, depuis qu’il nouait tout seul ses lacets, s’était senti humilié. De cette humiliation qui procure des envies de cruauté.

    À l’arrière de la maison, la porte de la cuisine n’était pas verrouillée. Il espérait tout de même ne rencontrer personne. Il se faufila à l’intérieur. L’ouïe en alerte, il traversa la cuisine, pénétra dans le salon. Sur le canapé de cuir crème, un blouson noir capta l’attention du visiteur. Il hésita : effectuer un demi-tour et renoncer à ce qu’il était venu chercher ou tenter le diable ? L’attrait de l’aventure agissait sur lui comme une drogue. Le besoin de se mesurer à un adversaire digne de ce nom, quitte à se prendre une rouste, estompa tout réflexe de survie. Mais surtout, elle le narguait avec sa passivité ostentatoire. Elle, l’arme muselée dans son holster. Il redoubla de vigilance. Il franchit la distance qui le séparait de l’objet de la tentation. Déjà, il soupesait l’engin, inspectait la ligne du canon et la courbe de la détente. Il déplaça l’appendice qui servait de cran de sûreté.

    Un gémissement figea l’apprenti cow-boy. Gagné par une curiosité malsaine, il s’engagea dans l’escalier. À l’étage, toutes les portes étaient closes, sauf celle au fond du couloir. Aux gémissements, rires et chuchotements succéda un râle bestial. Attiré par les bruits d’alcôve, l’intrus se risqua jusqu’au seuil de la porte ouverte. La scène qui s’offrit à lui le pétrifia. Le buste, bruni par de savants artifices, se cambrait au-dessus d’un torse musculeux. De la nuque tombait en cascade un épais flot d’une chevelure châtain.

    Deux mains puissantes retenaient par les hanches le corps qui semblait se briser. L’animal bicéphale se confondit dans une ultime étreinte, dans un dernier baiser anthropophage. Puis il se divisa pour n’être plus que deux corps étrangers.

    La tête de l’amant bascula sur l’oreiller. Ses pupilles, dilatées par le plaisir, s’étrécirent. Son regard heurta celui du voyeur. L’homme se redressa brutalement, chavirant l’arbre de chair planté sur son sexe. Ni paroles de confusion ni cri d’alarme ne franchirent ses lèvres entrouvertes. L’arme, dans un bruit sec, interdit toute protestation. Atteint en plein visage, l’homme fut projeté contre la tête de lit. La femme hurla. La seconde balle lui perfora la poitrine, coupant le souffle à son cri. Elle bascula et s’écrasa sur le parquet.

    Silence. Immobilité. Le passager clandestin, abasourdi par le tableau macabre, examina avec effarement l’arme qui avait mis fin au vacarme des amants. S’il n’avait pas jeté ce regard, si elle n’avait pas poussé ce braillement… Il se serait retiré lentement, très lentement, tous les sens bouleversés par le puissant et prodigieux spectacle. Tout ce gâchis, c’était leur faute !

    Dans la psyché, à l’angle de la chambre, son image se reflétait. Son bras pointait toujours une cible imaginaire. Il ne se souvenait pas de l’avoir levé, d’avoir visé tour à tour l’homme, puis la femme, d’avoir appuyé sur la détente. Il ne se rappelait que le son bref et sec, comme le claquement de doigts magique de Mary Poppins. Un claquement de doigts qui remettait tout en ordre dans la maison.

    Il sursauta. Le corps allongé sur le sol ébauchait un mouvement de reptation. Des yeux grand ouverts le suppliaient. Il recula d’un pas, de deux pas, de trois pas. Il ne parvenait pas à échapper à la limace qui glissait dans son propre sang. La main tendue atteignit le bas de son pantalon. Il se dégagea d’un mouvement brusque. Avec une force terrible, la blessée releva la tête et murmura d’une voix si douce son appel au secours que l’assassin se glaça. Ce susurrement, résonnant comme une sirène, l’alerta du péril en la demeure.

    Une rapide volte-face fit disparaître l’image ensanglantée de son champ de vision. Le couloir, l’escalier, le salon, la cuisine… Il traversa le décor en courant.

    Henri quitta le restaurant regonflé à bloc. Ce déjeuner professionnel marquait le franchissement d’un cap crucial dans sa carrière d’avocat fiscaliste. Il avait sauvé la mise à un client que Marc, son crétin de beau-frère, avait dangereusement exposé à des sanctions financières, et probablement pénales. Il avait, durant une semaine, sué sang et eau sur ce contrat mal ficelé. Le patron du cabinet et beau-père d’Henri Dubourg, Octave Villeroy, homme ordinairement peu démonstratif, ne cacha pas sa satisfaction. Il accueillit l’avocat comme le Messie. Congratulé devant tout le cabinet, Henri n’était pas dupe. Son ennemi privé numéro un, en la personne de Villeroy junior, ne lui pardonnerait jamais ce coup d’éclat. Dans son laïus, le patriarche souligna que, malgré ses origines paysannes – qu’il n’omettait jamais de mentionner –, Henri avait prouvé qu’il était le meilleur d’entre eux. Il se félicita d’avoir été visionnaire en engageant ce jeune homme tout juste diplômé de la faculté de droit. Il lui renouvela sa confiance. Il conclut que cette décennie de collaboration se révélait plus fructueuse qu’il n’aurait pu l’imaginer en voyant débarquer ce garçon lourdaud qui, à peine son stage achevé, lui avait demandé la main de sa fille Alice. Un enfant était en route, forçant la mésalliance dans cette famille rigoriste où le scandale avait valeur d’anathème.

    À trente-cinq ans, Henri Dubourg incarnait le prototype même de la réussite sociale. Évadé de son trou normand, il avait conquis la capitale, et son nom figurait dans les carnets d’adresses des hommes d’affaires les plus en vue. Quant à sa vie privée, il affichait un bonheur paisible. Son épouse, de deux ans sa cadette, ne nourrissait comme ambition que d’être la plus belle et la plus brillante dans les soirées mondaines et de dévaliser les boutiques les plus chics avec ses copines. Alice, qui se complaisait dans le superlatif et le superficiel, ne manquait pas pour autant de caractère. Elle s’arrangeait avec les us et coutumes de la vieille aristocratie dont elle était issue pour se dégager des espaces de liberté. Ses deux garçons, de dix et sept ans, pétillants de santé et bons élèves, provoquaient en lui une étrange sensation de continuité de soi. Grâce à la paternité, il avait découvert le tendre sentiment de la complicité entre des êtres vivants, dans deux mondes si étrangers que sont celui de l’enfance et celui de l’âge adulte.

    Face au parc de Sceaux, sa maison, un deux cents mètres carrés sur deux étages en pierre de taille, agrémentée d’un jardin, dissimulait un intérieur où luxe et modernité rivalisaient. Quant à sa situation au sein du cabinet Villeroy et consorts, elle risquait fort de changer après le coup de maître du jour. Un instant, le héros imagina l’enseigne : Villeroy et Dubourg associés. Il sourit. L’intitulé sonnait agréablement à ses oreilles.

    Henri subit les assauts de félicitations avec humilité. Il avala une gorgée de champagne et reposa sa coupe. Après un festin comme celui du déjeuner, il ne pouvait plus rien ingurgiter. Le patron signifia la fin de la récréation. Tous les collaborateurs regagnèrent leur poste, excepté Henri, qui avait amplement mérité son quartier libre. Il n’était pas rentré chez lui depuis soixante-douze heures – pire qu’une garde à vue. Dans l’attente que l’hémisphère austral s’éveille pour poursuivre les pourparlers, le négociateur avait arraché quelques heures de repos sur le clic-clac du meublé contigu au cabinet. Un dressing permettait aux avocats de disposer d’une garde-robe en cas de nécessité. La plupart y gardaient une tenue de sport – survêtement ou short – pour se défouler dans la salle du quartier à la pause du midi.

    Une grande fatigue envahit l’avocat. Une fatigue nerveuse, de celle qui chasse le sommeil. Courir… Il devait se décrasser de cet épuisement. Il troqua son costume contre un jogging, et ses boots contre des baskets. Pour éviter de remonter dans le studio après sa course, il descendit au parking souterrain déposer, dans le coffre de sa voiture, son attaché-case et le sac contenant ses vêtements.

    ***

    Réguler sa foulée et sa respiration ne se fit pas sans effort après le repas trop riche et la sauterie au champagne qui l’avait couronné. Indifférent à l’environnement champêtre du parc de Sceaux, insensible aux regards experts des promeneurs qui appréciaient sa plastique, Henri purifiait son organisme. Le gaillard d’un mètre soixante-quinze, bien charpenté, compensait les heures où il restait assis derrière son bureau ou une table de négociations par ces précieux moments d’activité physique intense. Cette hygiène de vie participait pour beaucoup à sa réussite professionnelle. Le reste de sa personne – avec son visage osseux, mais dénué d’angles brutaux, où scintillaient des yeux verts en amande, et l’émail impeccable d’une denture saine – n’aurait pas juré sur la couverture en papier glacé d’un magazine de mode masculine. Mais ce qui suscitait le plus la curiosité était la teinte gris argenté de sa chevelure aux ondulations légères. Cette physionomie avenante concourait à son succès tant auprès des femmes que des hommes, les premières le trouvant fort séduisant et les seconds, très sympathique. Sauf quand la gent féminine s’affolait et sortait le grand jeu, les époux fourbissant alors leurs armes. Mais le gentleman pacifiait tout ce petit monde en usant d’une diplomatie exemplaire.

    En résumé, Henri Dubourg respirait la santé et la force tranquille.

    Cet enfant de la terre, qui se pliait avec tant de souplesse aux usages mondains en public, regrettait parfois la simplicité et la franchise qui régissaient les rapports humains dans son village. Le jeu de rôle dans lequel il s’était engagé lui semblait, dans des moments de lucidité abrupte, terriblement vaniteux et ridicule. Cependant, fasciné par son cadre de vie, il avait balayé très vite ses scrupules. Tout ce qu’il possédait, il le méritait !

    Il était doté d’une caisse enregistreuse en guise de cerveau. Élève, il ne ressentait pas le besoin de réviser une leçon, puisque écouter le maître lui suffisait pour apprendre. Regarder le déroulement de l’exemple au tableau lui permettait de comprendre. Lire un poème une fois lui était suffisant pour l’enregistrer. Être premier de la classe n’était pas une performance, mais la conséquence de sa facilité à acquérir des connaissances.

    Adolescent, Henri étouffait dans un quotidien où il était coincé entre le lycée et la ferme parentale. Certes, il aimait les moments partagés avec Justin, son grand-père, qui perpétuait les gestes ancestraux, acceptant l’outil mais refusant que la machine sépare l’homme de la matière. Émile et Rose, ses parents, partageaient la même répugnance à mécaniser à outrance les travaux des champs. Dans le voisinage, le couple suscitait moult commérages. Mais le fermier, dont la famille travaillait ces terres depuis 1793, n’en avait cure. Chez les Dubourg, on trayait, on tondait, on cueillait les fruits et on récoltait les légumes à la main. On abattait les arbres et coupait les branches avec une hache. Si les vaches laitières aux noms fleuris, les moutons laineux, le verger de pommes et le bois attenant à l’exploitation ne rendaient pas les propriétaires riches, ces ressources, complétées par le potager et le poulailler, nourrissaient le ménage.

    Émile, fils unique, revenu à la ferme muni de son diplôme d’ingénieur agronome, avait tenté de révolutionner l’ordre paisible qui régnait dans le domaine. Justin y avait mis aussitôt le holà en rappelant que, tout grand qu’était le Cid à son retour chez son père, il n’était plus que Rodrigue. Cette réplique inattendue avait coupé la chique au réformateur et avait clos définitivement le débat. Alors, le Rodrigue sans gloire s’était plié aux règles du lieu à défaut de plier bagage.

    Dès que les ouvriers eurent terminé la rénovation des ailes inhabitées du corps de ferme datant du xviiie siècle, l’ingénieur s’y était installé. Il avait épousé Rose, la fille de l’épicier du village. Elle n’avait guère poursuivi ses études au-delà du baccalauréat. Mais qu’importent les certificats officiels qui proclament les aptitudes : la quête du savoir est perpétuelle. La jeune fille avait achevé son apprentissage sous la houlette des anciens. De cette union étaient nés quatre enfants, dont deux seulement avaient survécu : une Éloïse, qui, dans une crise de mysticisme, était entrée au Carmel de Lisieux ; puis, cinq années plus tard, un Henri, que l’ennui plus que l’ambition avait entraîné dans la capitale.

    Le jeune étudiant avait décidé, contrairement à son père, que ses diplômes l’arracheraient définitivement à la malédiction de la terre qui, pour nourrir, aliène toute une vie. Devenu avocat fiscaliste, il imaginait les donneurs d’ordres se disputant ses services. Il ignorait qu’en la matière, les scénarios étaient écrits par des chasseurs de têtes tapis dans l’ombre. Certes, la rencontre avec Alice Villeroy, étudiante en littérature, à une conférence intitulée L’esprit des langues et l’articulation de la pensée, avait été fortuite. Mais l’intervention, quelques semaines plus tard, d’un recruteur n’était en rien due au hasard. La jeune femme avait évoqué le charmant garçon au cours d’un dîner de famille en vantant ses capacités d’analyse exceptionnelles. Elle avait redoublé d’arguments pour décrire le génie de l’étudiant dans l’objectif de ternir l’éclat du dernier prétendant déniché par sa mère.

    Repéré et surveillé durant sa dernière année d’études, Henri Dubourg ne s’était guère étonné quand un rabatteur l’avait abordé. Il était entré comme stagiaire dans le cabinet Villeroy, mais son curriculum vitae ne lui avait pas épargné les besognes de sous-fifre. Il était chargé, entre autres, de relire des documents pour corriger les éventuelles fautes de frappe. Lors de cet exercice, il n’avait pas tardé à soulever un lièvre en soupçonnant l’adversaire d’un client du cabinet de délit d’initié. L’infraction ayant été prouvée, l’obscur stagiaire était devenu la cible de toutes les attentions. Un intérêt, d’ailleurs, plus hostile qu’amical de la part de ses confrères, qui découvraient un rude concurrent dans la course à la promotion. Le grand patron avait encore laissé mariner la recrue durant trois mois, avant de lui offrir un contrat de travail à durée indéterminée.

    Quant à Alice, la jeune fille de bonne famille, sa fréquentation assidue avait permis au péquenot mal fagoté d’atteindre une certaine élégance tant au niveau de l’habillement que du maintien. Elle lui avait enseigné, en version accélérée, les codes de sa classe sociale. Henri, croyant avoir découvert son Amérique, disait oui à tout ce qu’elle lui proposait.

    La période d’essai à peine achevée, l’annonce de la maternité suivie du mariage précipité l’avait lié définitivement à son employeur et à sa tribu.

    Était-ce le discours d’Octave Villeroy qui avait troublé son gendre au point d’éveiller tant de souvenirs ? Henri pressentait que les événements de la journée risquaient de bouleverser son avenir, d’où cette tension qui ne le lâchait pas malgré sa longue course. Il remonta la côte menant à l’orangerie, passant ainsi pour la troisième fois devant sa maison. Il s’arrêta à la grille de l’avenue Puget. Penché, les deux mains à plat sur ses genoux pliés, il chercha son souffle, se redressa et repartit. Franchir la grille, rentrer chez lui, prendre une douche et profiter de la tranquillité du lieu, voilà ce dont il avait envie. Plus tard, il rejoindrait Alice et les garçons, invités à l’anniversaire de Mathias, le fils aîné de Sylvie. Mais la voiture… Il devait la récupérer.

    Alors, il reprit son jogging et regagna la sortie rue du Docteur Berger, remonta la rue des Écoles et pénétra dans le parking de l’immeuble. Il déverrouilla la portière de sa BMW Série 5 noire et s’y engouffra. Certes, ce véhicule, il l’avait choisi. Mais, sans les consignes de beau-papa, il viendrait travailler à pied en traversant le parc et se rendrait chez ses clients à moto. Hélas, débarquer avec les cheveux écrasés par le casque et le costard froissé par les vêtements de protection était inacceptable chez les Villeroy. Dans cette famille, le respect de l’étiquette était tel que le vouvoiement était de vigueur, même entre époux, comme avant-guerre. Règles abolies chez les Dubourg dans l’intimité, mais respectées en public. Henri sourit à cette pensée. Son premier sourire authentique de la journée.

    ***

    Il était tout juste 16 heures, ce mercredi 11 avril 2007, lorsque Henri referma la porte du garage. Une bonne douche, un café fort et un roman, voilà un programme alléchant. Mais il avait promis à Sylvie d’arriver le plus tôt possible à la fête. Il était tout de même le parrain de Mathias. Et puis sa belle-sœur leur rendait si souvent service en gardant Damien et Florian. Rien d’officiel, simplement une habitude prise par les deux frères de rentrer de l’école, de goûter et de faire leurs devoirs avec leurs cousins. Sans compter les vacances de Noël et de Pâques, où les Dubourg ne partaient qu’une semaine sur deux à cause de la charge de travail d’Henri. Là encore, Sylvie accueillait volontiers ses neveux chez elle ou en Bretagne, dans la maison familiale de Serge, son mari. D’ailleurs, si la famille Dubourg s’envolait samedi pour une semaine à Malte, il était fort probable que les enfants, la seconde partie des vacances de Pâques, s’invitent le plus clair de leur temps chez leurs cousins, bloqués à Sceaux en raison des impératifs professionnels de leur père.

    Contrairement à Alice, Sylvie était une véritable mère poule. Les deux sœurs n’avaient pas vécu leur maternité avec le même enthousiasme. L’aînée l’avait subie comme une maladie honteuse qui lui déformait le corps, tandis que la benjamine s’y était épanouie. Qu’elles soient guidées par le devoir ou par le désir, peu importait tant que les femelles du clan fournissaient leur quote-part de progéniture. Les sœurs avaient enrichi la dynastie de quatre héritiers mâles éclatants de santé, s’acquittant ainsi de leurs obligations.

    Pour Henri, les enfants concrétisaient dans leur chair l’amour d’une femme et d’un homme. Alice le taquinait parfois sur sa vision romantique du monde. Lui qui se transformait en une mécanique froide et implacable quand il défendait un client redevenait, dans le privé, un garçon réservé qui n’aspirait qu’à de menus plaisirs et ne cédait qu’à contrecœur aux exigences de mondanités.

    Henri ne comprenait pas : il aurait dû être comblé par sa journée. Pourtant, une sourde angoisse le taraudait, noircissant toutes ses pensées. Le système archaïque dans lequel évoluait sa belle-famille, et dont il se moquait d’habitude, lui pesait aujourd’hui. Leur hypocrisie, il en avait pris son parti tant que cette posture cessait dans son foyer. Alice l’aimait aussi parce qu’il ne lui avait pas demandé de choisir entre deux univers inconciliables. Henri jouait le jeu pour s’épargner la querelle entre les anciens et les modernes. Cela dit, il enviait le couple que formaient Sylvie et Serge. Eux ne dépendaient pas du cabinet Villeroy, n’attendaient rien du patriarche et agissaient à leur guise.

    Henri contourna la maison. Il traversa la pelouse jusqu’à la palissade qui, provisoirement, clôturait le jardin. Il replaça deux planches qui bâillaient. Il jura en sortant son portable de sa poche, puis de nouveau en raccrochant. Le chauffard qui, le dimanche précédent, avait embouti le mur de leur jardin avec son camion n’avait plus d’assurance, ni d’ailleurs de points sur son permis de conduire. Ces détails ne le dérangeaient guère pour poursuivre son activité de déménageur. Henri avait envoyé aux diables les assureurs. La brèche devait être colmatée avant leur départ en vacances, et tant pis pour les frais. Serge lui dégoterait un maçon en urgence, quitte à en débaucher sur l’un de ses chantiers. Il songea aussi à remplacer la porte vitrée de la cuisine par une porte en bois blindée comme celle de l’entrée principale. François l’avait averti plus d’une fois que le taux de cambriolages chez les particuliers augmentait. Si la caméra servait à vérifier qui sonnait au portail et si, dans la journée, l’alarme protégeait des intrusions la maison vide, la nuit, quand les habitants dormaient, qu’est-ce qui veillait sur eux ? L’alarme ? Henri oubliait de la brancher un soir sur deux ! Les portes et les fenêtres du rez-de-chaussée nécessitaient d’être mieux sécurisées. Pour le lieutenant de police judiciaire, cette porte ouvragée, avec sa moitié supérieure en arc de cercle qui se composait d’un vitrail dépeignant une scène bucolique, représentait le talon d’Achille de la vaste demeure.

    Henri appuya sur le prénom de son ami dans son répertoire téléphonique. Au répondeur, il proposa un barbecue le week-end suivant leur retour de Malte et l’informa de sa décision de changer la porte de sa cuisine. Ces bonnes résolutions adoptées, il se dirigea vers le portail pour récupérer le courrier dans la boîte aux lettres murale : prospectus, publicités adressées, correspondance administrative, magazines professionnels et presse people. Aucune enveloppe recouverte par des mots tracés à la main, mais uniquement crachés par une imprimante. L’homme songea à sa défunte grand-mère qui, chaque année, s’installait sur un coin de table pour rédiger ses cartes de vœux. Pas de formules toutes faites ni de phrases creuses, mais, pour chacune et chacun, une parole sincère et attentive. Gamin, Henri se moquait de ce cérémonial interminable. Que souhaiter à un bébé à part santé et longue vie ? Et la vieille dame de répondre : « Les tout-petits ont une vie à eux avec son lot de joies et de souffrances. Tu as oublié le mal de chien des dents qui poussent ? Moi, je leur souhaite que cette douleur soit soulagée autant qu’il se peut. Je les félicite pour leurs premiers mots, leurs premiers pas. »Le visage de la femme têtue se rappela à son bon souvenir. Décidément, cette journée dégoulinait de nostalgie.

    ***

    Dans le vestibule, une porte coulissante dissimulait un vestiaire. Henri y déposa son sac de linge sale. Sa serviette, il l’abandonna au pied de l’escalier. Une bonne douche, des vêtements propres et un petit jus, le plaisir de la lecture étant repoussé sine die pour cause de devoir familial. Ensuite, direction les cotillons et les serpentins.

    Tout en s’engageant dans l’escalier, il vérifia la messagerie de son portable. Dans la maison, tout était silencieux, presque trop pour des oreilles polluées par les manifestations des appareils domestiques. Il n’avait guère l’occasion de savourer un véritable moment de silence depuis l’invention de cet engin, avec ses fonctions multiples et sa propension funeste à rendre dépendante une humanité qui n’a pas grand-chose à dire, mais qui l’exprime haut et fort. Henri musela la machine infernale et, surpris de son audace, leva la tête, un sourire d’aise aux lèvres.

    Son sourire se glaça tandis que l’horreur s’insinuait dans son cerveau : Alice… Le corps dénudé d’Alice… Le corps dénudé d’Alice, étendu au milieu du couloir.

    Octave Villeroy et la police arrivèrent simultanément. Ils découvrirent Henri recroquevillé à même le sol, les genoux repliés, la tête enfouie entre les mains. À ses côtés, Alice gisait sur un tapis de sang. Les arrivants bousculèrent l’homme et l’entraînèrent vers le salon, l’arrachant ainsi à sa prostration. Quelques gestes maladroits. Quelques paroles nerveuses. Les trois hommes s’attablèrent. Tandis que le médecin légiste se penchait sur la victime, le commissaire Roland Imbert questionnait le témoin :

    — Monsieur Dubourg, avez-vous touché à quelque chose ?

    — La carotide, juste la carotide ! dit-il d’une voix blanche.

    — Ensuite ?

    — J’ai téléphoné à la police et à mon beau-père.

    — Personne d’autre dans la maison ?

    — Non, les enfants sont chez leur tante. Ma femme devait…

    — Ma fille, Sylvie, habite le sentier des Torques, de l’autre côté du parc, indiqua le père de la victime. Commissaire, permettez-moi de prévenir notre famille moi-même.

    — Si vous le souhaitez, mais nous vous accompagnerons.

    — Je préférerais…

    — Pas moi !

    — Vous ne soupçonnez tout de même pas un Villeroy ! s’offusqua le patriarche.

    — J’enquête, monsieur Villeroy, sur un homicide, et si je dois disséquer tout le carnet mondain de madame votre fille, je le disséquerai.

    — Commissaire, l’interpella une lieutenante.

    — Je n’ai pas fini, Robin ! répondit l’homme sans se retourner.

    — On a besoin de toi à l’étage, insista l’OPJ.

    Le gradé abandonna le père et l’époux dans le salon. Les deux policiers suivirent la traînée de sang qui les conduisait dans la chambre.

    — Merde, alors ! pesta le commissaire en découvrant le cadavre défiguré.

    — Un crime passionnel chez les aristos, pronostiqua le légiste en ôtant son thermomètre du foie de son second client. La presse people va s’exciter.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1