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L'Idéal et la Cause 1 – Pénombre
L'Idéal et la Cause 1 – Pénombre
L'Idéal et la Cause 1 – Pénombre
Livre électronique267 pages3 heures

L'Idéal et la Cause 1 – Pénombre

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À propos de ce livre électronique

Un groupe de révolutionnaires isolés rêve d'imposer ses principes à la nation. Mais, l’idéal prôné est-il vraiment voulu et ressenti par tous, de la même façon? Ce roman décrit l'évolution des pensées d'un jeune idéaliste confronté aux mentalités et aux réalités.
LangueFrançais
Date de sortie12 juil. 2013
ISBN9782312012193
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    Aperçu du livre

    L'Idéal et la Cause 1 – Pénombre - Yvon-Pierre Delaporte

    cover.jpg

    L’Idéal et la Cause

    Yvon Pierre Delaporte

    L’Idéal et la Cause

    1 – Pénombre

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01219-3

    Avant-Propos

    En tous lieux, existent ou apparaissent des raisons de contestations et des buts à atteindre. De tous temps se sont créés des révoltes, des révolutions.

    Pour y parvenir des individus se rassemblent.

    Ce roman décrit la vie d’un de ces groupes de rebelles dans un pays d’Amérique du sud,

    Il nous plonge dans l’univers de la Cause…

    Dans l’isolement de ce mouvement, les convictions s’affermissent. Si le régime est abhorré, la solution existe et s’affirme. Il suffit que la Cause soit imposée au pays et la nation sera guérie car la Cause c’est l’idéal.

    Pourtant, dans cette communauté, l’entente est-elle réelle ? L’idéal de démocratie prôné est-il vraiment voulu et ressenti par tous, de la même façon, avec la même profondeur ? Certains ne font-ils pas, aux règles, quelques entorses vite excusées par la Cause qu’ils doivent défendre ? N’invoquent-ils pas cette même Cause, comme un but à atteindre quels qu’en soient les moyens ? N’usent ils pas de son nom comme d’un paravent protecteur ou ne le brandissent-ils pas comme d’un étendard prouvant, à priori, la pureté de nobles sentiments dont ils sont, en fait, dépourvus ?

    Dans ce contexte, aveuglé par son idéalisme et ayant voué une foi inconditionnelle en la démocratie et en la fraternité, Pedro Agado, rebelle intègre s'est rallié à « la Cause ».

    Lors de ses périples, dans un climat de guerre atroce, ses divers entretiens lui permettent d'entrevoir des vérités.

    Son ascension, soutenue par la confiance de ceux qui l’entourent, est, malgré tout, semée d’embûches et de souffrances affectives.

    Déroutant, de stratégie dans la guérilla, ce roman l’est aussi par ses intrigues. Celles-ci illustrent l’ambigüité du combat contre la mégalomanie.

    L’idéalisme est confronté à l’orgueil et à la jalousie. Otage constant de cette lutte la cohésion du groupe est, sans cesse, mise en balance.

    Les échanges stupéfiants montrent la force des émotions.

    Illusions déçues

    Bercée par le chant persistant de sa mélodie lancinante.

    La Cause est pure,

    Personne ne peut l'exploiter.

    Elle sera toujours sure,

    Car elle est pureté.

    … une chevauchée vers la lumière …

    1 – LA CAPTURE

    Un orgueilleux soleil blanchissait une grange. Le ciel clair de ce matin était une bénédiction de la nature. La vallée rougeoyante s'étendait, immense, paraissant infinie. Elle était pourtant limitée par de véritables murailles montagneuses. Dans le lointain, celles-ci formaient son horizon l'entourant quasiment de cette barrière naturelle.

    Les yeux pleins de lumière, le jeune homme s’élançait dans l'immensité. La terre courait sous les pieds du coursier, blessant les sabots fatigués. Une colère étrange brillait dans le regard du cavalier, entraînant son orgueil dans un délire de projets que sa chevauchée folle ne parvenait pas à calmer.

    Sur un des sommets, il y eut un éclair bref. La monture et l'homme avaient tressailli. Les sourcils de celui-ci se levèrent, son corps se redressa puis, d'un seul coup, les deux éperons s'enfoncèrent dans les flancs de l’animal, l'emportant dans une ultime course effrénée.

    Entre deux rochers une saignée lumineuse s'agrandissait à leur approche. Le cheval hennit doucement, se cabra et repartit sans pouvoir augmenter son allure. L'ouverture était maintenant devant eux, suffisamment large pour leur permettre de s'enfoncer dans l’anfractuosité brusquement sombre. Il fallut contourner une roche saillante. Ceci les ralentit considérablement et ce fut presque au pas qu'ils réapparurent après le virage. D'un coup d'éperons, le cavalier s'apprêtait à faire repartir la monture, mais une masse maillée s'était abattue sur eux. Les jambes prises, le cheval s'écroula sur le sol entraînant le jeune homme dans sa chute.

    Celui-ci tenta bien de se relever. D'une main il essaya de dégainer tandis que de l'autre il dégrafait le fourreau de son couteau ; mais, pêle-mêle, le fouillis de ficelles, son immense chapeau, son propre corps engourdi, lui gênaient la vue et les gestes. De toute façon, il n'eut pas le temps de se débattre ; deux corps lourds et immenses s'écrasèrent sur lui, lui ôtant immédiatement tout espoir de liberté.

    L'instant d'après, débarrassé de son filet, mais les mains liées par une corde solide, il se retrouva emporté au petit trot vers la ville la plus proche.

    Le soleil était fort haut. La chaleur transformait les cavaliers en de véritables éponges. Juché sur son cheval, le prisonnier suait plus que les autres. La course éperdue précédente mais surtout la forte frayeur qui lui tordait les tripes y étaient pour quelque chose. Ceci n'échappait pas à ses gardiens. L'un d'eux lui lança :

    – Alors Agado, tu n'es pas fier, tu mouilles, saloperie ! 

    Un rire général accompagna ces paroles. Quelques autres invectives fusèrent, mais le jeune homme ne répondit rien. Une gourde passa de mains en mains, l'un des cavaliers la lui proposa en ricanant. Pedro était sûr qu'il s'agissait d'une provocation. D'un signe de tête, il la refusa, bien que la soif le tenaille fortement. Le gardien en resta pour ses frais, il ne put que maugréer.

    ***

    Enfin la ville apparut. Pedro savait que le peuple lui serait favorable. Quelqu'un le reconnaîtrait... On préviendrait ses comparses...

    – Es Agado !... Es Agado !... 

    La nouvelle se transmettait de bouche en bouche, Pedro se sentait rassuré. Il ne manquerait pas de soutien. Soudain il sursauta.

    – El Bandido ! 

    Cette fois Pedro découvrait la foule. Dans cette ville où jusqu'ici, il s'attendait à une ovation, un encouragement, une certaine compassion pour son arrestation, il ne recueillait que des huées... La peur l'avait quitté, un grand désespoir l'avait envahi. Une pensée l'assaillit interrogative. – N'ont-ils pas compris ? Ne savent-ils pas ? Je me bats pour leur bonheur… pour leur liberté… pour eux... 

    La haine peignait les visages. Il était surpris et accablé. Personne dans cette foule ne réagissait en sa faveur. Il ne savait pas ce qu'il allait devenir et cela lui importait peu. Toute son angoisse était centrée sur cette incompréhension. Si on le tue maintenant, il mourra sans avoir pu s'expliquer, sans avoir pu même comprendre.

    Le souvenir de Luis Gacho s'imposait très fort. Le gouverneur de Brusa l'avait livré à la foule. Des sympathisants avaient pu raconter les derniers moments de Luis. Courageusement celui-ci criait pour justifier son combat. Épouvanté, il avait vainement recherché un ami autour de lui. Il n'y eut pas une réaction de sympathie. Les coups pleuvaient et ses vêtements arrachés avec brutalité laissaient sur son corps des traces sanguinolentes. Maladroitement Luis se débattait, tentait d'expliquer, jusqu'au moment où il n'eut plus aucune réaction. Pedro tressaillit. – Si le gouverneur de Cordosa décidait la même chose... 

    Le regard figé droit devant lui, le corps redressé malgré la fatigue, le jeune captif tentait de conserver une impassibilité maximum. De temps à autre, un homme ou une femme se jetait au-devant du cortège, lançant des invectives à son égard. L'un d'eux réussit même à se faufiler pour accrocher le garrot du cheval de Pedro. Il fut ceinturé par un des gardes du corps qui le remit promptement sur le côté.

    Une immense banderole – Viva Juan Aljusto – barrait la chaussée. Pedro ne pouvait que la voir. Il savait qu’il était perdu.

    ***

    Plusieurs jours et plusieurs nuits étaient passés. Un matin, un tumulte énorme réveilla Pedro qui se découvrit seul dans sa cellule. Promptement il se leva et, attiré par les cris, s'approcha de la fenêtre. S'accrochant comme il pouvait aux deux énormes barreaux, il regarda autant que le lui permettait la hauteur et l'étroitesse de l'ouverture. En bas sur la place, une foule importante s'était massée et scandait des cris de joie et d'encouragement. Pressé par sa position difficile autant que par sa curiosité, Pedro observa longuement avec étonnement jusqu'au moment où, rompu par la fatigue, il se laissa retomber sur le sol.

    Au plus fort de lui-même, son esprit se révoltait, ses pensées se bousculaient dans un mélange profond où le passé et le présent se confrontaient, s'opposant avec vivacité de part et d'autre d'une faille déchirante. Tant de crimes perpétrés, ne pouvaient être inconnus et oubliés. Tant de mauvaise foi, tant d'injustice accumulée, ne pouvaient rester ainsi impunis. Les réflexions se juxtaposaient avec difficulté dans son esprit. – Je ne comprends pas, – s'insurgea-t-il. – Ils sont fous ! – Puis brusquement, se ravisant, il s'exclama ; – Ce sont des lâches ! 

    La journée se déroulait en liesse à l'extérieur et pour Pedro en triste et lente solitude. Quelquefois, au cours d'un dur agrippement aux barreaux de sa cellule, il pouvait voir passer des tonneaux et des miches de pain, alors il tenta de se faire une raison pour se rassurer. – Quelques litres de vin et un peu de nourriture suffisent pour oublier misère et soumission. Ils ont faim, ils crient parce qu'ils savent que la distribution sera d'autant plus importante que l'accueil du tyran sera meilleur

    ***

    Comme toutes les villes importantes, Cordosa possédait une grande prison. Ce jour-là, l'atmosphère des cellules contrastait avec celui des couloirs. Une grande fébrilité existait. La visite d’Aljusto à la ville devait y être pour quelque chose car le calme avait régné jusque-là dans le bâtiment. Pedro en gardait pour preuve la nonchalante tranquillité qu’il avait pu constater chez les gardiens. Il est vrai que depuis son incarcération plus personne ne semblait se préoccuper de lui. Il est aussi vrai que de ses précédents séjours dans les geôles gouvernementales, Pedro en avait tiré une expérience si grande qu'elle déclenchait chez lui une angoisse toujours plus forte et renouvelée. Normalement, comme à l'habitude, la première précaution eut été de l'interroger.

    A cette pensée, Pedro revit défiler, dans son esprit, les mauvais traitements endurés par d’autres rebelles. Les supplices subis par Mario Eco avaient été édifiants. Trahi, celui-ci fut pris par surprise et immédiatement questionné. Ses cris de terreur et d'horreur s'entendaient très loin à la ronde autour du village. Bien à l'abri derrière les murs de sa prison, ses gardiens avaient pu le torturer pendant de longs jours. De temps en temps, ses bourreaux s'arrêtaient afin qu'il reprenne haleine ou que la vie revienne sur son corps tuméfié. Les hurlements diminuaient et quelques fois se taisaient... Tout le monde, à l'extérieur, pensait qu'il était mort. Des jurons, quelques signes de croix, des injures... puis les cris reprenant, l'espoir déchiré par la souffrance revenait, interrompu seulement par le bon vouloir des tortionnaires. Une journée, ils se relayèrent constamment. Les cris de Mario ne baissaient d'amplitude que par fatigue et pour, après un court instant, reprendre d'acuité. Ils ne cessèrent qu'à la nuit, lorsqu’enfin les gardiens se sentirent eux-mêmes lassés. Un matin, les villageois l'ont découvert, tel un pantin ensanglanté étendu sur une planche inclinée au milieu de la place du village. Il ne restait plus un seul espace de son corps qui ne fut plaie. Tous défilèrent devant lui crachant sur son cadavre ou le maudissant. Certains, tout de même, s'arrêtèrent l'observant en silence, comme sidérés. Dans les jours qui suivirent beaucoup d'hommes disparurent des villages alentour et la Cause en accueillit un grand nombre dans ses rangs.

    Soudain, Pedro prit conscience que les bruits n’étaient plus les mêmes à l'intérieur de l'édifice… Peut-être était-ce normal ? Était-ce l'entrée d'un nouveau prisonnier, la visite du Padre ou celle du Directeur ? Pedro n'était pas depuis assez longtemps dans les lieux pour pouvoir déterminer, avec suffisamment de précision, l'origine des sons. Le jeune homme évitait de plus, de se donner des raisons d’inquiétude. – Si aujourd'hui, on ne peut s'occuper de moi, c'est parce que le peuple est trop occupé par l'arrivée d’Aljusto, – se disait-il.

    Au loin, on entendit l'avant dernière grille, puis la dernière reconnaissable à son grincement si caractéristique. Le bruit de pas était très important. Les semelles battaient le dallage et se rapprochaient. Pedro sentit son cœur cogner de plus en plus rapidement et fortement dans sa poitrine. Cela sentait l'exécution, peut-être collective ou une autre surprise toute aussi désagréable. Peut-être les gardiens, seuls ou avec l'aide des villageois, avaient-ils l'intention de s'amuser avec les prisonniers comme cela s’était déjà produit plusieurs fois auparavant.

    ***

    Quelques hurlements s'élevèrent, mais deux ordres brefs fusèrent et le vacarme s'atténua faisant place à des conciliabules que Pedro avait du mal à saisir. Un mot indistinct, peut-être un nom, fut prononcé par le gardien chef et commenté d'une phrase aussi indiscernable par quelqu'un d'autre. Un silence, quelques bruits de voix et le cortège s'ébranla. Pedro venait de comprendre qu’une personnalité visitait la prison. Peut-être a-t-on voulu, à l'occasion du passage du dictateur, organiser une inspection de celle-ci. Un quelconque officiel était chargé de la mission. Mais pour quelle raison s'intéresser à une prison ? Fausse charité ou vrai contrôle de la garde des prisonniers du régime ?...

    Il n'eut pas le temps de s'interroger plus longtemps. Un raclement de métal sur métal accompagné du fort tintement d'un trousseau de clés et, brusquement dans un fracas de bois massif, la porte s'effaça livrant passage à un flot de lumière éblouissante accompagné d'un cri qui envahit la cellule.

    – Debout ! 

    Sa vue s'accoutumant, Pedro distingua les reflets d'une dizaine d'yeux fixés sur lui. Il reconnut vite l'un des surveillants. Près de lui, engoncé dans son habit amplement galonné, il y avait le chef. Celui-ci paraissait ému, mais fier de cette visite inopinée, il s'écria.

    – Agado ! Rebelle et criminel. 

    Dans un uniforme chamarré rappelant celui des gardiens de la prison, un homme moustachu s'avança d'un pas : puis, autant que le lui permettait sa petite taille, se haussa sur la pointe de ses pieds pour glisser quelques mots discrets dans l'oreille de son voisin. De ce dernier Pedro en reconnut immédiatement le visage toujours présent sur les billets et les pièces de monnaie. Ainsi Aljusto s'était déplacé pour une simple visite de prison. Depuis toujours, Pedro ne pouvait se souvenir de lui que pour avoir lancé des pierres sur le portrait de ce dictateur exécré, dans des jeux passionnés pendant lesquels chacun s'acharnait à le déchirer ou à le couvrir de tout ce qu'il trouvait de plus immonde ou de plus colorant. Pourtant à cet instant, Pedro n'eut aucune réaction, il l'avait imaginé plus jeune. Ce fut là sa grande surprise, les portraits l'avaient très certainement flatté. Agado avait souvent souri de cette guerre des affiches où son effigie, accompagnée d'une mise à prix, était au moins aussi présente que celle d’Aljusto. Les deux hommes s'observèrent avec curiosité. De taille moyenne, grisonnant, ajusté dans un simple uniforme beige, le Président portait fièrement barbiche et moustache pointues. Il commença par hocher de la tête puis, progressivement, son regard devint plus profond, plus scrutateur. Un sourire illumina le visage du vieil homme. Il redressa son front et doucement susurra.

    – Gallo ! – comme s'il n'y avait que lui-même qui devait l'entendre.

    Pedro tressaillit. Il se sentit brusquement enfant. Un bref instant, son regard exprima la candeur. Puis, d'un seul coup son visage se figea, se contracta, devint d'une grande dureté comme s'il allait cracher... Mais le groupe s'ébranla le laissant là dans ses pensées. La porte de sa cellule se referma aussi brutalement qu’elle s’était ouverte. Puis, après quelques grincements, tout redevint normal.

    Quelque chose l'avait interpellé. Certes, il n'avait pas vraiment compris le mot prononcé par le dictateur. Il était là prostré et la pénombre commençait à régner, quand soudain le bruit de la clef dans la serrure le fit sursauter. – Comment ! Ils ont déjà décidé ?... – Avec la peur, les souvenirs de plusieurs de ses camarades fusillés sans jugement lui tétanisèrent l'esprit. La porte de la cellule s'ouvrit et le gardien chef apparut flanqué de deux hommes portant des chaînes.

    – Agado ! Tu dois nous suivre. 

    Chez Pedro, l'appréhension reprit. Aussi, ce fut entravé et empli d'un tremblement intérieur mêlé d’étonnement qu'il vit se placer face à lui le directeur de la prison, celui-là même qui, quelques instants plus tôt, parlait à l'oreille d’Aljusto. Sans lever les yeux, le petit homme replet lut à haute voix une missive dont la signature semblait lui imposer le plus profond respect.

    – Sur les vœux du Président de la République, le prisonnier Pedro Agado sera transféré à Real Cruz afin d'y être jugé... transfert... décision ultérieure... 

    Pedro écoutait d'une oreille un peu distraite, reportant ses pensées envers Aljusto. Pourquoi cette décision ? Il est vrai que Pedro parvenu dans la capitale et suffisamment éloigné de ses partisans, son exécution deviendra plus facile. Enfin, il n'aurait qu'à attendre, rien n'était décidé.

    La nuit suivante fut, pour Pedro, angoissante et agitée. En bon rebelle il savait éviter les pensées qui pouvaient le rendre vulnérable. Mais, depuis son incarcération, il ne pouvait échapper à celles qui assiégeaient son esprit. Qu'était-il donc advenu de Johana ? Pedro ne pouvait échapper à son inquiétude pour l’être aimé. En se remémorant avec nostalgie la scène de son départ, un chant monta doucement dans sa gorge.

    ***

    Le lendemain matin, les détenus furent réveillés très tôt par les bruits des loquets et des guichets suivis des chocs des timbales et de la louche qui servait le petit déjeuner. Pedro se faisait une mince toilette lorsqu'un gardien ouvrit la porte de sa cellule, lui enchaîna les poignets puis, d’un coup sec sur la chaîne, lui intima l'ordre de le suivre. Quatre gardes attendaient dans le couloir. Tout d'abord, le prisonnier ne s'en étonna pas trop. Il pensait à ce qui lui avait été annoncé la veille. Ce n'était d'ailleurs pas encore l'heure de la promenade quotidienne. Il songea ensuite à un passage par le bureau du directeur. Mais le cortège ne s'arrêtant pas devant ce dernier, il frémit. L'emmenait-on pour lui faire subir un interrogatoire ?

    Des yeux, il fouilla devant lui, et, le plus discrètement possible derrière lui. Rien, aucune issue, aucun prétexte ne lui permettait de se sauver. Se redressant, il s'apprêta à faire face à la situation avec le plus de dignité possible. Il était encore fixé sur ses convictions quand, après quelques mètres, le cortège s’arrêta devant une immense porte à deux battants. Pedro comprit qu'il sortait de prison. Quelques instants plus tard, il se retrouvait, les poignets et les chevilles entravés, assis sur une banquette de train entre deux policiers.

    Les premières heures du voyage passèrent très lentement. Peut-être pensait-il à une fuite ou à ce qui l'attendait dans la capitale. Il ne lui venait pas à l'esprit de se plaindre. Dans sa vie de misère où la nourriture passait après les cartouches, les gémissements n'existaient que pour les blessures ou pour mourir. Pour tout le reste, les fêtes improvisées et l'alcool étaient les meilleurs adjuvants de l'esprit et les plus efficaces analgésiques. Qui d'ailleurs, aurait écouté le plaintif ? Lorsqu'une bouteille est pleine, on va vers elle avec envie. Lorsqu'elle est vide, on la boude. Chez ses compagnons, c'est pareil. Pour ne pas être ennuyé par une demande on s'écarte de celui qui a des besoins.

    2 – DÉCOUVERTE

    – Agado, réveille-toi. Allez lève-toi ! 

    La tête se redressa en dodelinant. Un uniforme impeccable, constellé de nombreuses décorations, se précisa devant les yeux à demi noyés de sommeil. Debout dans le couloir, les policiers de la veille attendaient. D'un geste las, Pedro se décolla du coin où il

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