NE LE DITES PAS AUX AFRICAINS: POST-SCRIPTUM
Par André Bila
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À propos de ce livre électronique
Pourtant, au bout de quelques hivers, ma soif de réussir demeurait inassouvie et mes rêves se traduisaient en cauchemars. Désillusionné, âme mutilée par l'immigration, aigreur plein les veines, malaises sans noms, multiples complexes et frustrations, j'ai vécu mes premiers dix ans en pur automate, marchant dans les rues de Montréal et poursuivi par les fantômes de mes rêves et projets avortés. Moi qui avais cru croquer dans ma nouvelle vie à pleine dent, au fil du temps, ma motivation était devenue cariée. Mon énergie elle, s'était glacée par le froid des rudes hivers canadiens. J'avais fini par constater amèrement que mes revers n'étaient majoritairement causés que par ma propre ignorance du fonctionnement de l'Amérique, fonctionnement qui n'a d'ailleurs rien à voir avec celui de l'Afrique.
Et, hormis ma faillite personnelle, mon séjour en Occident m'avait fait découvrir et goûter à un autre système, plus subtil, incrusté dans la culture, perceptible dans les us et coutumes, et qui se révélait au quotidien. Dans ce système, la couleur de peau est un élément essentiel dans les rapports entre les gens. Étonnement, malgré tout le développement de l'Occident, le grand nombre d'intellectuels qui y sont formés, l'abondance des regroupements qui militent pour les droits de l'homme, la couleur de la peau est jusqu'à ce jour un facteur qui influence amplement le traitement qu'on vous donne. Plus votre peau est foncée, plus vous courrez le risque d'être stéréotypé.
Après cette décennie parsemée d'échecs et de mal de vivre, j'avais décidé de me lancer dans une quête, sans plan précis, afin de pénétrer la source de mes maux. En route, j'ai découvert que mon cas était loin d'être isolé, plusieurs autres immigrants souffraient autant de ce profond désarroi, chacun l'endurant à sa façon. Ce n'est qu'au bout de quelques années que j'ai pu trouver la réponse à ses nombreux malaises ainsi qu'à la multitude de questions qui se posent sur le développement, le peuple et la diaspora du continent africain.
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Aperçu du livre
NE LE DITES PAS AUX AFRICAINS - André Bila
PROLOGUE
Son commentaire m’avait frappé telle une foudre, sans crier gare. Mon être entier était électrocuté, sidéré, sans mot, sans voix. La foudre laissa un chaos, un long silence qui aggrava la douleur. Atteint par cette phrase dure, maniée comme une épée à double tranchant blessant mon âme, ma fierté en avait pris un sérieux coup. Je n’écoutais plus la suite de la conversation, il n’y avait que bourdonnement autour de moi. Puis, malgré tout, je suis resté calme, je me suis levé sans prononcer un mot en direction des toilettes…
Mes grands yeux ouverts, je fixais mon reflet, immobile. J’étais planté là, dans la salle de bain face au miroir, depuis un moment. Les questions sans fin qui s’accumulaient dans ma pensée me causaient un mal aigu qui s’amplifiait. Mon cœur battait d’un rythme si violent, comme s’il tentait de sortir pour me rendre justice. Je l’entendais. Il bondissait. Rouge, dans ma cage thoracique.
J’ai lavé mon visage pour ne pas laisser paraître ces grosses larmes qui avaient coulé… pour rien. Papa m’avait toujours dit : « un homme ne pleure jamais ». Je suis un homme, je peux encaisser sans m’effondrer.
Je me dévisageais en m’essuyant. Mes yeux rouges accusaient ma peine, ma lèvre supérieure tremblotait de colère. Je regardais ensuite mes mains, les retournant, inspectant les ongles, les articulations, les poils, les plis, les veines, les pores…
En ce qui me concerne, j’avais refusé de m’asseoir à la place qui m’avait été assignée, celle des « victimes ». Je ne savais pas être cette personne qu’on voulait faire de moi. Je savais que, par ignorance et par mépris, celui qui m’insultait se sentait mal dans sa propre peau et cherchait un bouc émissaire sur qui cracher sa frustration personnelle.
J’avais presque 18 ans lorsque je me suis rendu compte que la couleur de la peau et les origines des gens peuvent soit les encenser ou les rabaisser, peu importe l’agneau ou le loup qui s’y cache.
Ce jour-là, les dés étaient jetés. Je m’étais promis de manifester un jour l’homme que je savais être au fond de moi…
Ne connaissant pas le chemin ni la formule pour y arriver, je m’étais lancé dans le vide. Puis la vie me guida.
I
COMMENT TOUT A COMMENCÉ
Des feux d’artifice de toutes les couleurs jaillissaient de toute part. Des spectateurs émus acclamaient, des cris de joie s’élevaient de la foule, des visages éblouis par la beauté de ce spectacle… et clac! En pleine joue, je reçus une gifle de mon frère qui m’ôta violemment le sommeil. Sorti de mon rêve, je continuais malgré tout à entendre les cris et les boums enclenchés par la pyrotechnique. Le sérieux de son visage, sans qu’il ne dise un mot… me ramena aussitôt à la réalité. Peu à peu, je me rendis compte qu’au-dehors, ces cris n’étaient pas ceux de joie et ces coups étaient ceux d’armes à feu… « Il y a pillage dehors », me cria-t-il… « Pillage? », dis-je. Je ne savais pas ce que ce mot signifiait, jusqu’à ce qu’il me crie, affolé : « Des gens cassent tout dehors, ils surgissent dans les maisons, pénètrent les boutiques et les restaurants! Ils s’introduisent partout, ils arrachent les biens d’autrui et partent avec! ».
Arrivé au salon, la frayeur se lisait sur les visages. Chacun était assis, effrayé, près l’un de l’autre. On ne se parlait pas. Il n’y avait rien à dire, si ce n’était que de murmurer quelques mots de prière afin que cette folie s’arrête.
Personne n’était sorti durant ces jours qui avaient mis la ville de Kinshasa à terre.
Et plus tard cette semaine-là, la désolation régnait dehors. L’effroi était palpable. Des gens marchaient au hasard, cherchant leurs enfants. Des militaires fouillaient les passants et arrachaient quelques butins des mains des pilleurs. Les marchands erraient en larmes, constatant les dégâts irréparables causés par cette vague de déraison, de haine, de vengeance… d’irresponsabilité.
Dans les rues de la ville traînaient encore quelques chaussures en demi-paire, des disques en vinyle dépourvus de leurs pochettes, de la vaisselle brisée, des boîtes éventrées, vidées à la hâte, des documents froissés, des carcasses de voitures brûlées, des douilles, du sang sur la chaussée, et des milliers d’objets méconnaissables, attestant les stigmates de la violence ô combien grave qui avait emporté des centaines et des milliers de citoyens durant ces heures interminables.
Kinshasa, qui n’était plus La Belle, depuis longtemps, venait de perdre le peu de charme qui lui restait.
On avait instauré un couvre-feu et mon école fut fermée, le temps que la quiétude regagne les cœurs de tous, ou presque.
J’avais 12 ans.
Cette année-là, la conséquence pour moi a été la même que pour bien des étudiants : j’ai redoublé mon année scolaire faute d’avoir eu cours.
Deux ans plus tard, avant même que les plaies subies lors du pillage de septembre 1991 ne guérissent, le peuple, civils tant que militaires, récidiva, multipliant ses atrocités et plongeant une autre fois la capitale du Zaïre et quelques autres provinces dans le marasme trouble. Nos commerçants, qui peinaient déjà à se relever des derniers coups, fermèrent boutique de façon définitive.
C’était la faillite. Le couteau était profondément remué dans la plaie non cicatrisée.
On constatait de nombreux cas de viols, de casses, de morts gisant au sol, baignant dans leur sang, butin plein les poches, d’enfants perdus à la recherche de leurs parents, de soldats courant les bras pleins : téléviseurs sur la tête, canapés ou appareils électroménagers…
Cette fois-là, un plus grand nombre de foyers furent visités par les pilleurs qui se vengeaient soit de leurs anciens patrons, soit d’un membre d’une famille riche qu’ils estimaient chiche. Des gardiens et des gardes du corps s’étaient retournés contre leurs protégés. Certains attaquaient leurs voisins, et saccageaient tout, par envie… par haine.
Les pilleurs, cette fois-là, semblaient plus organisés que lors du premier pillage. On pouvait s’imaginer qu’ils ne comptaient ni rater ni gaspiller cette seconde chance qui s’était offerte à eux. Certains, arrangé en petits groupes ou en famille, allaient çà et là vers les maisons qu’ils enviaient depuis longtemps, y ayant déjà séjourné ou travaillé par le passé.
Une fois de plus, des éclats de verre et des immondices tapissaient les rues. Bulletins de classe, documents confidentiels, factures… lampadaires fracassés par l’impact des voitures neuves pillées chez les concessionnaires et conduites par des chauffards n’ayant jamais même démarré une automobile… Le désordre était démesuré. Pour une énième fois, le pays était à terre.
Ce second pillage, survenu en janvier 1993, fut plus douloureux et beaucoup plus traumatisant pour le peuple. En plus d’avoir subi des pertes matérielles, certaines victimes reconnurent leurs pilleurs, de simples employés ou membres de leur famille, sur qui aversion et jalousie brillaient au fond des pupilles…
Nous assistions une fois de plus à la désolation. La terreur et le branle-bas devenaient si tangibles qu’on pouvait certifier que l’enfer était parmi nous.
Une suite d’histoires d’horreur de toutes sortes s’enchaîna; des actes de barbarie perpétrés au vu et au su de tous. Il y a eu l’épisode des égorgeurs qui arrachaient la gorge de leurs victimes, des hiboux qui enlevaient ceux qui traînaient dehors la nuit, des tentatives de coups d’État, des enlèvements, des séquestrations, des tortures… La terreur était le plat consommé au quotidien, tant dans la capitale que dans les régions. L’espoir de vivre de beaux jours s’évanouissait au fur à mesure que le temps passait.
J’ai, comme les millions de Zaïrois de l’époque, connu cette vie stérile, ces longues heures d’angoisse, ces journées ville morte à répétition, ces pillages dégradants… Nous avions vu et entendu ces balles qui sifflaient pour tout et pour rien… avions même côtoyé et enterré les victimes de ces balles perdues. Le désespoir et l’opprobre d’être fils de la nation nous accablait ainsi chaque année, chaque mois, chaque semaine, chaque jour.
Frustration et colère en partage au quotidien
Au quotidien, l’accumulation de simples ennuis empoisonnait la vie des citoyens, peu importe l’humeur au lever. Les coupures d’eau et les pannes d’électricité frappaient quasiment tout foyer. Ainsi, se laver, manger et boire n’étaient guère ordinaire. Après avoir réalisé l’impossible et, une fois prêts à sortir pour se rendre au boulot, le problème de transport surgissait. Il fallait être habile et vigilant, tel un chasseur, pour monter à bord d’un taxi ou d’un bus, à cause de la pénurie et de la condition des véhicules. À cela s’ajoutait l’état des routes : la saison des pluies était la plus terrible puisque les routes de la capitale devenaient comme des bassins remplis d’eau, de boue et de vieilles voitures flottantes.
Après un nombre incalculable d’acrobaties, on finissait par se rendre à destination.
Une fois sur le lieu de travail, on pouvait brusquement interrompre nos tâches par manque de matériel essentiel ou à cause d’une coupure de courant.
À l’école, en général, les salles de classe étaient bondées. Sous la chaleur accablante, sans climatiseur ni ventilateur, seuls nos cahiers, improvisés en éventails, nous procuraient une brise approximative pour s’aérer. Nos fenêtres cassées se foutaient des élèves lors des averses. De septembre en juin, c’était la saison de pluie… équatoriale.
Dès l’après-midi, et jusqu’en fin de soirée, le transport, avec ironie, pouvait clouer les usagers durant plusieurs heures aux arrêts. On apercevait les citoyens se disputer rudement afin d’attraper le bus, le taxi, une benne de camion ou une motocyclette… Parce qu’à l’impossible nul n’est tenu. L’essentiel était de rentrer à la maison.
Une fois chez soi, on revivait nos coupures d’eau et d’électricité. On ôtait nos vêtements salis, quelquefois déchirés, suite aux bousculades à l’arrêt du bus. Puis venait le dîner, s’il y en avait. Un peu de social en famille, chacun racontant sa journée, et on se couchait alors, à la tombée de la nuit, qui nous annonçait un lendemain égal. Préparés à nous vautrer une fois de plus dans ce cycle infernal, nous étions prêts à revivre une journée pareille à la précédente. Décidés à supporter l’insupportable.
La règle et son exception
Le paradoxe qui en frappait plus d’un, était qu’en dépit de la crise et de la pauvreté qui rongeaient la population, la classe dirigeante de la fonction publique et de la haute sphère politique ne manquait ni de pain, ni de vin. Ces « dinosaures » tels que surnommés par l’opinion publique, étaient avides des richesses et des biens qu’ils avaient accumulés sur le territoire.
Lorsque la crise et la misère prirent des dimensions plus spectaculaires, les patrons voulant demeurer sur leur piédestal et maintenir une vie opulente, avec un goût extrême du luxe et de fantaisies, devinrent plus voraces. Pour ce faire, la première ressource ciblée était la caisse de l’État. Elle fut vidée de toutes ses substances comme un boucher vide les tripes d’une vache à lait après l’avoir dépecée. Puis vint le tour des trésors du pays. On avait vendu tout ce qui pouvait s’acheter : ressources du sous-sol, trésors rares, voire, uniques de notre faune, carrés miniers, informations confidentielles de la nation… Tout. Tout sauf rien. Tant qu’existait un acheteur, un marché adapté était exploitable.
C’est ainsi qu’au su et à la vue de tous, les dignitaires continuèrent à multiplier divers coups d’éclat à gros budget, à titre privé et pour leur propre égo. Auparavant, on signalait à voix basse ces détournements de fonds publics, cette corruption généralisée, cette folie des grandeurs qui s’emparait de certains jusqu’au délire. Et plus tard, rien ne pouvait demeurer dissimulé. Plus personne n’ignorait les nombreux méfaits commis contre la nation.
Dans les rues, sur toutes les bouches, les plaintes du peuple se laissaient entendre. Le cadavre du Zaïre commençait à sentir la putréfaction, ses bourreaux ne sachant plus comment le cacher.
Nos corps ici… Nos âmes… déjà parties.
À la longue, malgré le soleil, les joies, les heures privilégiées en famille, le bon voisinage, l’entraide entre citoyens, les mariages, les naissances, les fêtes et les rêves, une envie soudaine parvenait toujours à s’infiltrer dans nos pensées, tenaillant ainsi nos cœurs, croissant jusqu’à devenir une certitude. Cette conviction se traduisait simplement en un véritable souhait, une aspiration claire : Partir loin, peu importe où, mais ne plus vivre ici.
En se promenant dans la ville, on découvrait vite que ce « virus » en avait déjà atteint plusieurs. Chacun cherchait à partir, même si peu l’avouaient.
Les étudiants voulaient quitter le pays, question de poursuivre leurs études dans de meilleures conditions. Les malades aspiraient à des soins médicaux abordables, à la fine pointe de la technologie. Les artistes eux, toutes catégories confondues, visaient le rêve américain. Les chômeurs soupiraient après un emploi stable, où le salaire ne disparaîtrait plus.
Dans les rues, les traits dessinés sur le visage des gens manifestaient la déception et les marques profondes que laissent les promesses non tenues par des politiciens qui s’éternisent au pouvoir. Et par-dessus tout, on pouvait lire ce désir de partir ailleurs, de se sauver de cette vie en pleine dégénérescence.
En attendant ce départ, chacun se battait avec ses propres moyens pour dénicher un passeport et surtout, un visa… Un billet aller simple, le retour n’étant pas envisagé.
Nous vivions le corps dans notre pays, mais nos âmes étaient déjà autre part. Très loin ailleurs.
À la poursuite d’une vie meilleure
Le visage collé sur le hublot, j’observais sans mot Kinshasa qui se rapetissait jusqu’à disparaître. Comme pour bien d’autres qui étaient partis avant moi, et comme ceux qui partiraient après moi, je m’en allais le cœur gros, résigné, espérant une vie plus tranquille. Ce jour-là, c’était simplement mon tour. J’avais, comme des centaines de milliers avant moi, pris le large, souhaitant de tout mon cœur que ce cher pays trouve un jour la paix, peut-être même la joie… enfin… si c’était possible.
Nous étions si jeunes, mais déjà, nous étions las de subir l’insolite jour après jour.
Nous sommes entrés au Canada par Montréal. Maman, mes frères et moi avions laissé notre pays natal pour un tout nouveau, afin de bâtir autrement notre vie. Écrire notre destin, non pas sur une nouvelle page, mais dans un tout nouveau cahier.
Après de longues heures, nous avions quitté le poste des douanes bien fatigués, mais soulagés. Malgré nos cernes, nos yeux brillaient, émerveillés. Sourire aux lèvres, nous contemplions en silence ce nouveau territoire inconnu à travers la glace de l’autobus qui nous emmenait jusqu’au centre-ville de Montréal, à l’endroit qui nous avait été assigné par l’agent d’immigration pour quelques jours.
Cette première nuit en Amérique du Nord n’avait rien d’ordinaire. Malgré l’épuisement, je n’arrivais pas à fermer l’œil. Le décalage horaire s’additionnait à cette excitation que je n’avais jamais ressentie auparavant.
Après avoir passé deux ou trois heures éveillé à essayer de calmer cette euphorie sans nom, le sommeil m’avait emporté. J’avais dormi à poings fermés comme lorsque j’étais petit garçon, insouciant des choses de la vie.
Et, le lendemain matin, je jouissais de l’eau courante, de l’électricité, du pain… et de la paix.
Là, tout était à découvrir. La nouveauté poussait à la curiosité. Je
