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Au service du Roy: Un amiral sablais dans les guerres de Vendée
Au service du Roy: Un amiral sablais dans les guerres de Vendée
Au service du Roy: Un amiral sablais dans les guerres de Vendée
Livre électronique302 pages4 heures

Au service du Roy: Un amiral sablais dans les guerres de Vendée

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À propos de ce livre électronique

Retour sur la vie de l'amiral Pierre de Vaugiraud.

L’amiral Pierre de Vaugiraud est une figure emblématique parmi tous les héros qui ont porté haut les couleurs de la Vendée. À lui seul, il illustre toutes les qualités et tous les défauts qui font la singularité des Vendéens : esprit d’aventure, fidélité à ses convictions, courage, mais aussi entêtement, voire obstination.
Pierre de Vaugiraud effectua une brillante carrière dans la Marine royale sous Louis XV et Louis XVI ; il fut de toutes les grandes batailles navales qui ont jalonné la guerre de Sept Ans et celle d’indépendance des États-Unis. À la Révolution, fidèle à ses convictions royalistes, il s’engagea dans la contre-révolution en prenant une part active au soulèvement vendéen ; plus tard, il déclina les offres d’engagement de Napoléon. Sa fidélité ne fut récompensée qu’au soir de sa vie, sous Louis XVIII.
Sa force de caractère et sa droiture l’entraînèrent aussi bien à accomplir les actes d’une bravoure hors du commun, qui firent sa renommée en tant qu’officier de marine, qu’à s’engager dans des causes perdues qui lui coûtèrent carrière et fortune.
Si l’Histoire, avide de figures spectaculaires, n’a pas retenu son nom, Pierre de Vaugiraud n’en mérite pas moins de figurer aux toutes premières places dans le panthéon des Vendéens célèbres qui ont contribué à forger la renommée des gens de ce pays.

Un roman historique qui rend justice à l'amiral Pierre de Vaugiraud, héros oublié qui a contribué à la révolution vendéenne.

EXTRAIT

Dans la cour pavée de la demeure des Vaugiraud, l’attelage de Pierre-Marie stationnait au pied du perron. C’était une simple carriole à deux bancs à l’essieu avant pivotant, ce qui la rendait très maniable, attelée d’un bel alezan aux pieds robustes. Sur son siège surélevé, le cocher faisait promener la lanière de son fouet sur la croupe du cheval, attendant le bon plaisir de son jeune passager. À son côté, sur le siège, reposait une sacoche qui contenait une paire de pistolets. Au bas du marchepied, un garde armé d’un mousquet, le sabre au ceinturon, patientait également en observant les deux personnages qui se tenaient dans l’embrasure de la porte d’entrée. Une malle de bois au couvercle bombé, sanglée de cuir et portant le monogramme des Vaugiraud marqué au fer rouge, était déjà arrimée à l’arrière du véhicule.
Le chevalier avait opté pour ce modeste équipage plutôt que pour une lourde berline, dans l’idée qu’il serait moins susceptible d’attirer les malandrins et détrousseurs qui infestaient les routes de France.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Yvon Marquis rend enfin justice Pierre de Vaugiraud en nous entraînant dans les aventures de ce héros de la Contre-révolution. - Vendéens et Chouans

À PROPOS DE L'AUTEUR

Yvon MarquisAu service du Roy paru aux éditions La Geste, a reçu le prix 2016 de la Société des écrivains de Vendée. Il réside actuellement à Lanzac, dans le Lot.
LangueFrançais
Date de sortie31 janv. 2019
ISBN9791035304164
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    Aperçu du livre

    Au service du Roy - Yvon Marquis

    Un amiral sablais dans les guerres de Vendée

    www.gesteditions.com

    © Geste éditions – 79260 La Crèche

    Tous droits réservés pour tous pays

    Yvon Marquis

    Au service du Roy

    Un amiral sablais dans les guerres de Vendée

    À tous les Vendéens

    qui ont couru les océans et les continents.

    « Où le caractère n’est pas grand,

    il n’y a pas de grand homme,

    il n’y a même pas de grand artiste

    ou de grand homme d’action […].

    Peu nous importe le succès.

    Il s’agit d’être grand, et non de le paraître. »

    Romain Rolland,

    Vie de Beethoven (préface).

    PROLOGUE

    Le « siècle des Lumières », qui s’étendit de la mort de Louis xiv en 1715 à celle, politique, de Napoléon en 1815, fut ainsi appelé en raison du foisonnement d’idées nouvelles qui jalonna son cours. Tous les aspects de la pensée humaine furent saisis par le même mouvement progressiste qui allait faire passer la vieille Europe de l’Ancien Régime au monde moderne.

    En littérature, Montesquieu, Voltaire, Diderot ouvrirent des brèches dans l’obscurantisme des idées. Des savants comme Bernoulli, Laplace, Volta ou Lavoisier, et bien d’autres encore, posaient les fondements de la science actuelle. En musique et peinture, le classicisme céda le pas à des formes nouvelles d’expression.

    Cependant ce bouillonnement intellectuel ne touchait que la frange lettrée de la population et ne représentait, en quelque sorte, que le bon côté des choses. Car, du point de vue du petit peuple, il en allait tout autrement.

    À cette époque, sur le plan climatique, l’Europe se trouvait au cœur d’un « petit âge glaciaire ». Dans le siècle, elle eut à subir pas moins de 16 hivers extrêmement rigoureux, auprès desquels ceux des cent dernières années font figure de doux printemps. En 1708, le froid fit geler étangs et ruisseaux en moins de quatre heures et la débâcle charria des morceaux de glace d’un mètre d’épaisseur. En 1736, de fortes gelées en juin et juillet anéantirent les promesses de récolte. 1788 fut surnommée « l’année du grand verglas ».

    Chacun de ces hivers engendrait une grande disette pour au moins l’année suivante, jetait sur les chemins voleurs et maraudeurs à l’affût du peu de bétail et de récoltes ayant été épargnés, et alimentait une folle spéculation sur les produits agricoles.

    À ces malheurs récurrents, il faut ajouter les épizooties qui ravagèrent les bovins dans toute l’Europe occidentale de façon cyclique, environ tous les vingt-cinq ans, chacune pouvant s’étaler sur plusieurs années d’affilée. Celle de 1714 dura sept ans et celle de 1740, encore plus terrible, dix ans. La France ne fut, bien sûr, pas épargnée et certaines provinces vivant principalement du bétail, comme le Nivernais ou le Morvan, furent ainsi dévastées.

    Ainsi, pendant des décennies, le pays ne connut presque pas de répit, ne sortant d’une calamité que pour tomber dans une autre. Alors, si l’on admet que les philosophes ont jeté les bases de la mutation politique que fut la Révolution, il faut aussi envisager que ce ne sont pas les écrits de Voltaire qui ont poussé sur le pavé les émeutiers de juillet 1789, mais, bien plus, la grande misère des petites gens.

    La situation intérieure de la France était d’autant plus grave que Louis xiv avait laissé à son successeur un pays en ruines, épuisé par les guerres incessantes de son règne. Aux conflits continentaux s’était ajoutée la compétition acharnée entre la France et la Grande-Bretagne pour la possession des immenses territoires de l’Amérique du Nord. Cette lutte pour la domination coloniale, aux enjeux primordiaux, exigeait d’énormes moyens en or, en hommes et en navires.

    Plus au sud, le commerce triangulaire Europe-Afrique-Amérique de la traite négrière était alors à son apogée. Les navires marchands qui revenaient des Antilles ou du Brésil chargés de marchandises de valeur excitaient la convoitise des pirates. Leur protection et celle des comptoirs des Caraïbes mobilisaient de nombreux navires de guerre de la Marine royale. De leur côté, les négociants et les Grands du Royaume finançaient une intense guerre de course, autant pour tirer de considérables bénéfices des prises de leurs corsaires que pour assurer la sécurité de leurs convois.

    Or, autant Louis xiv avait accordé à sa Marine un soin attentif, autant Louis xv, qui ne découvrit la mer qu’à 39 ans en 1749, était peu au fait des questions navales. De plus, à l’encontre de son aïeul, dont la politique était jugée trop agressive, il privilégiait envers la Grande-Bretagne une politique de paix. Le budget de la Marine demeura donc, pendant des décennies, à un niveau très bas.

    En 1721, la flotte ne comptait que 31 vaisseaux en état de naviguer, soit à peine plus que soixante ans plus tôt. Beaucoup de navires restaient à quai, l’herbe poussait entre les pavés des arsenaux désertés. Le Foudroyant, seul trois-ponts lancé à cette époque, en 1724, pourrit à l’ancre avant d’être rayé des cadres en 1742, sans avoir participé à aucune campagne. Quant au Royal Louis, de 124 canons, il brûla sur sa cale de construction en 1742, et on décida d’en rester là. Ce n’est qu’à partir de 1729, face à la montée en puissance de la Grande-Bretagne, qu’on commença timidement de nouvelles mises en chantier.

    À l’opposé de cette déshérence, la Grande-Bretagne, faute de posséder une armée puissante qui était d’ailleurs mobilisée en grande partie aux Amériques, faisait porter tous ses efforts sur sa déjà fameuse Royal Navy. En 1744, la flotte anglaise comptait 120 vaisseaux de ligne, alors que les effectifs français ne s’élevaient sur le papier qu’à 51 unités dont 38 seulement opérationnelles. Les vaisseaux anglais passaient en moyenne 60% de leur temps en mer, contre 15 % pour les Français. La discipline de fer à bord et l’entraînement incessant des équipages faisaient des navires anglais de redoutables machines de combat. La cadence de tir de leurs canonniers était de deux à trois fois supérieure à ce que l’on pouvait constater sur les vaisseaux français, ce qui veut dire que, à armement égal, un vaisseau anglais avait une puissance de feu de deux à trois fois supérieure.

    Forte de cette suprématie, la Grande-Bretagne entama à partir de 1740 une politique de harcèlement des marines française et espagnole, dans le but d’affaiblir par tous les moyens le soutien des métropoles à leurs colonies américaines. Les incidents se multiplièrent tant sur les côtes du Nouveau Monde qu’au large, et jusqu’à proximité de nos côtes.

    Alors que les deux pays étaient officiellement en paix, une corvette française fut saisie entre Saint-Domingue et la Martinique. En janvier 1741, une escadre de quatre navires essuya le feu de six vaisseaux anglais… faisant semblant de les avoir confondus avec des unités espagnoles. En 1742, une escadre espagnole se réfugia à Toulon après avoir été attaquée par une escadre anglaise qui n’hésita pas à faire le blocus du port. En juin de la même année, la Navy brûla cinq vaisseaux espagnols venus se réfugier dans la rade de Saint-Tropez. En juin 1742, les batteries du cap Cépet qui défendaient Toulon eurent à tirer sur deux bâtiments anglais en train de poursuivre des Français.

    Ce ne sont que quelques exemples des exactions tous azimuts auxquelles se livra la marine britannique jusqu’en 1745. En réponse à l’intensification de ces attaques, le comte de Maurepas, secrétaire d’État à la Marine, publia, le 14 mai 1745, une ordonnance rendant les convois obligatoires. Malgré cela, en trois mois cette année-là, la marine anglaise réussit à capturer 300 navires français et 6 000 marins, affaiblissant un peu plus notre marine déjà exsangue. Ce harcèlement naval anglais venait en contrepoint des combats aussi acharnés qu’indécis que se livraient la France et la Grande-Bretagne pour la maîtrise des côtes nord-américaines et la possession des territoires du Canada et de Louisiane. Et c’est ainsi que, sans déclaration de guerre, on passa, entre les deux pays, de l’état de paix à l’état de belligérance.

    Ces escarmouches étaient en fait prémices de la guerre de Sept Ans qui commença véritablement en 1755. Le conflit, étant donné la multiplicité des théâtres d’opérations – Europe, Amérique du Nord, Extrême-Orient – fut souvent considéré comme la première guerre mondiale.

    Voici, brièvement brossé, le tableau de la France, et plus particulièrement de sa marine, qui prévalait pendant les premières années de la vie de Pierre-René-Marie de Vaugiraud de Rosnay.

    Né le 27 décembre 1741 aux Sables-d’Olonne, il était le

    deuxième fils des trois enfants de François-René-Joseph de Vaugiraud, chevalier, seigneur de Rosnay, capitaine des Garde-Côtes, descendant de bonne noblesse angevine.

    À la naissance de Pierre-Marie, Les Sables-d’Olonne, naguère premier port morutier de France, s’enfonçaient dans un lent déclin. Vingt ans plus tôt, c’étaient 80 bateaux qui, deux fois par an, en février et en août, faisaient voile vers le Grand Banc de Terre-Neuve. Les quelque 2 000 marins de la flotte habitaient à La Chaume, tandis que la plupart des patrons, armateurs et négociants étaient établis aux Sables mêmes.

    La perte de Terre-Neuve, concédée aux Espagnols par le traité d’Utrecht (1713), la prise de la baie d’Hudson et de l’Acadie par les Anglais, le détournement des capitaux nantais, l’ensablement du port se combinèrent à partir de cette date pour entraîner une baisse inexorable de l’activité du port.

    Les Vaugiraud, comme tous les notables des Sables, tiraient un confortable profit de la pêche. Les fermes du domaine familial fournissaient les vivres et denrées nécessaires à l’avitaillement des bateaux ; les campagnes duraient plusieurs mois et, pour les 25 à 30 hommes d’équipage par navire, cela représentait des quantités importantes. Les vignes domaniales fournissaient la piquette qui, additionnée d’eau, étanchait la soif des marins. Enfin, les marais salants que possédaient les Vaugiraud à La Chaume et ses environs produisaient le sel ; chaque morutier en embarquait quelque 50 tonnes.

    La déchéance du port entraîna de facto une baisse des revenus des Vaugiraud. L’aîné des garçons, Joseph, avait pris, comme il était d’usage, le métier des armes comme page à la Grande Écurie du roi à Versailles. À l’instar de tout officier de noble naissance, il pouvait espérer faire une honorable carrière, pourvu qu’il fût brillant et sût le montrer.

    Au début de l’année 1755, l’heure des choix était également venue pour Pierre-Marie, son cadet de deux ans, qui allait avoir 14 ans. Ce dernier avait très tôt montré un goût certain pour la mer et la navigation. Petit déjà, il passait son temps libre à traîner sur les quais tout proches de la demeure familiale ; il étudiait le travail des charpentiers et des calfats sur le chantier naval ; il observait l’activité des terre-neuvas, rêvant sans doute de partir un jour avec eux vers les horizons lointains. L’été, les deux frères sortaient souvent en mer à bord du petit cotre que leur père leur avait acheté. Ils tiraient des bords dans la baie, et, les jours de grand beau temps, poussaient jusqu’à Saint-Gilles ou l’île de Noirmoutier. Pierre-Marie avait tout de suite montré un don indéniable de marin, utilisant au mieux les qualités manœuvrières du petit voilier sous toutes les allures.

    Le chevalier de Vaugiraud n’envisageait pas de maintenir son fils sur le domaine, lequel n’offrait pas de perspectives très séduisantes pour le jeune garçon. Ayant constaté son goût pour les choses de la mer, il décida de l’orienter vers la marine de guerre. Pour un jeune de noble extraction, une carrière dans la Marine royale était un choix tout à fait convenable.

    Pierre-Marie montra un bel enthousiasme lorsque son père lui apprit sa décision. Elle rencontrait ses propres aspirations. Il fut convenu sans plus tarder de poser sa candidature à l’École des Gardes de la Marine¹. Puisqu’il était de noble origine, et étant donné la pénurie des effectifs, celle-ci fut acceptée sans difficultés.

    C’est ainsi que, par un matin humide de septembre 1755, nous retrouvons notre jeune héros dans la cour de la demeure familiale, sur le point de partir pour Brest, afin d’intégrer l’École qui allait faire de lui un futur officier à bord des navires de Sa Majesté le roi Louis xv.

    PREMIÈRE PARTIE

    Officier de Marine


    1 Ancêtre de l’École navale, fondée en 1830.

    CHAPITRE PREMIER

    L’École des Gardes de la Marine

    Dans la cour pavée de la demeure des Vaugiraud, l’attelage de Pierre-Marie stationnait au pied du perron. C’était une simple carriole à deux bancs à l’essieu avant pivotant, ce qui la rendait très maniable, attelée d’un bel alezan aux pieds robustes. Sur son siège surélevé, le cocher faisait promener la lanière de son fouet sur la croupe du cheval, attendant le bon plaisir de son jeune passager. À son côté, sur le siège, reposait une sacoche qui contenait une paire de pistolets. Au bas du marchepied, un garde armé d’un mousquet, le sabre au ceinturon, patientait également en observant les deux personnages qui se tenaient dans l’embrasure de la porte d’entrée. Une malle de bois au couvercle bombé, sanglée de cuir et portant le monogramme des Vaugiraud marqué au fer rouge, était déjà arrimée à l’arrière du véhicule.

    Le chevalier avait opté pour ce modeste équipage plutôt que pour une lourde berline, dans l’idée qu’il serait moins susceptible d’attirer les malandrins et détrousseurs qui infestaient les routes de France.

    Le père et le fils discutaient à mi-voix, un peu en retrait dans le vestibule au fond duquel les servantes sanglotaient à petit bruit. La mère de Pierre-Marie, quant à elle, s’était retirée dans ses appartements, après avoir longuement étreint son enfant en le suppliant de prendre soin de lui. Elle savait que les derniers instants avant le départ étaient une affaire d’hommes, et elle préférait pleurer seule plutôt que se donner en spectacle à la domesticité.

    C’était un déchirement pour elle de voir partir son dernier fils, si jeune et déjà confronté aux périls. Mais c’était ainsi, on ne pouvait rien y faire.

    François de Vaugiraud prodiguait ses ultimes recommandations à son fils. Depuis plusieurs jours déjà, il l’avait pris à l’écart dans son cabinet de travail afin de l’instruire de tout ce que sa propre existence lui avait enseigné. Et cela faisait aussi plusieurs semaines qu’il lui avait appris à charger un pistolet et à tirer correctement. Pierre-Marie était un élève doué, puisque, au terme de cet entraînement, il était capable de toucher un pantin de paille à 15 pas, ce qui était largement suffisant dans l’hypothèse d’un combat rapproché.

    Le chevalier prit un coffret sur une console près de lui. Il en défit les fermetures, dévoilant une paire de pistolets disposés tête-bêche dans leur écrin de velours bleu nuit. C’étaient au premier regard de très belles armes ; les chiens, les bassinets et autres pièces métalliques étaient damasquinée ; les culottes de crosse étaient habillées de laiton ; l’acier bleui des canons luisait dans l’ombre. Il en prit un et le soupesa.

    — Ce sont de bons pistolets, très précis. Je les ai essayés. Ils proviennent de la manufacture de Tulle². Ils m’ont été offerts par le comte de Maurepas lui-même lorsqu’il nous fit l’honneur de résider sous notre toit lors d’un de ses voyages à Rochefort, il y a une dizaine d’années déjà. Comme le temps passe vite ! soupira-t-il.

    Redressant le torse comme pour se ressaisir, il reprit :

    — Tiens, ils sont pour toi. Je te dirais bien d’en faire bon usage, mais, si c’est le cas, cela voudra dire que tu cours un danger. Que Dieu t’en préserve !

    Il referma le coffret et le tendit à son fils qui le prit avec respect et le mit sous son bras.

    — Merci, père, dit-il en essayant de prendre un ton ferme.

    Sa voix avait à peine mué et hésitait encore parfois entre le timbre enfantin et le grave de l’adulte. Cependant, au physique, il était déjà de bonne taille ; il avait de larges épaules et une apparence robuste. L’exercice et les épreuves auxquels il allait bientôt être confronté l’endurciraient sans doute très vite.

    Il portait un habit de velours bleu roi sur une chemise à jabot ; ses jambes solides habillées de bas blancs étaient chaussées de souliers vernis à boucle. Un tricorne gansé de soie achevait de lui donner l’allure d’un jeune homme de bonne famille.

    Le père saisit ensuite sur la console une poire à poudre en laiton au capuchon d’argent et un sachet de coton blanc empli de balles.

    — Ces bijoux sans les munitions ne te serviraient pas à grand-chose, je crois, dit-il avec un demi-sourire.

    Enfin, le chevalier tira de la poche de sa veste une bourse de cuir serrée par un cordon, également de cuir, et un rouleau de papier fermé du sceau des Vaugiraud.

    — Tu as là-dedans une provision de 300 livres³, ce qui devrait suffire à tes besoins pendant quelque temps. Cet or est uniquement pour ton voyage et ton argent de poche. L’école pourvoira à tout ce qui te sera nécessaire. Si toutefois tu en manques, ajouta-t-il en agitant le rouleau de papier, voici une lettre patente négociable auprès de n’importe quelle banque… Mais ce n’est pas une raison pour dilapider la fortune familiale ! ajouta-t-il en riant pour détendre l’atmosphère qui s’épaississait au fil des secondes.

    Il était arrivé au terme de ses recommandations. Saisi par l’émo-

    tion, il décida de couper court aux effusions.

    — Il est temps de partir, maintenant. Tu as une longue route à faire, dit-il en étreignant son garçon. Adieu, mon fils. Sois un homme, et fais honneur au nom des Vaugiraud.

    — Je n’y manquerai pas, et je ferai en sorte que vous soyez fier de moi, père, répondit Pierre-Marie, la gorge serrée.

    Une dernière accolade, et ils descendirent côte à côte les marches du perron. Un rideau s’écarta à l’étage, découvrant le pâle visage de Madame.

    Pierre-Marie grimpa le marchepied et s’installa sur la rude banquette de bois.

    — Germain, Francis, je vous confie un de mes biens les plus précieux. Veillez bien sur lui.

    — N’ayez crainte, monsieur. Nous le protégerons comme notre propre enfant, répondit Germain, le garde, tandis que le cocher se retournait avec un signe d’assentiment, mais sans piper mot.

    — Va, mon fils, que Dieu t’ait en Sa Sainte garde.

    — Adieu, père. Je vous écrirai bientôt.

    — Allez, Francis, ordonna le chevalier.

    D’un claquement de langue, le cocher mit le cheval en mouvement.

    Le père resta au bas du perron jusqu’à ce que la voiture eût franchi la porte cochère, tandis que son fils agitait le bras en signe d’adieu.

    Pierre-Marie était partagé entre l’appréhension de quitter le toit familial, où il avait vécu jusqu’alors dans le confort et la sécurité, et une grande excitation face à l’aventure qui commençait. Depuis que son frère aîné était parti, il ne rêvait que de le suivre au plus vite. Et voilà que ce jour était enfin arrivé.

    Rien que le voyage jusqu’à Brest serait une épopée en soi. Il faudrait bien une quinzaine de jours aux trois hommes pour parcourir les 100 lieues⁴ qui les séparaient de leur destination. Ce n’était pas une petite expédition compte tenu de l’état des routes ; et le risque de se faire détrousser en chemin n’était pas négligeable. Même les auberges relais n’étaient pas sûres.

    Avant de ranger le coffret aux pistolets dans sa besace, Pierre-Marie prit soin de les charger, pour parer à toute éventualité.

    Mais le trajet jusqu’à Nantes s’effectua sans alerte notoire. Une seule fois, à la sortie de Machecoul, ils eurent affaire à une bande de trois malandrins dépenaillés, armés de simples gourdins. L’un d’eux avait déjà saisi le mors du cheval pour le faire stopper, mais, à la vue des canons de pistolet et de mousquet qui, en un clin d’œil, hérissèrent la carriole, ils disparurent dans les fourrés sans demander leur reste. Cela mis à part, il leur fallut cinq jours pour rallier la grande ville. Le chemin était en mauvais état, détrempé par les premières pluies d’automne, jalonné de fondrières boueuses. Pour éviter de salir ses beaux habits, Pierre-Marie les avait soigneusement rangés dans sa malle ; à la place, il avait revêtu des culottes et une chemise usagées et s’était drapé dans sa cape. Plusieurs fois, il dut descendre de la carriole pour aider ses compagnons à la désembourber. Ils arrivaient alors au relais crottés jusqu’aux sourcils.

    Ils franchirent la Loire à l’ouest de Nantes sur une gabare sans mât qui faisait office de passeur. C’était ce qu’ils avaient trouvé de mieux pour faire traverser le cheval et la carriole. Cela s’avéra un bon choix, car le passage fut rapide et sûr.

    De leur point de débarquement, ils rejoignirent le grand axe qui relie Nantes à Brest. La route était beaucoup plus large et en bien meilleur état. De nombreux attelages, carrosses, berlines et autres chariots l’empruntaient ; ils rencontraient aussi beaucoup de cavaliers, nobles et négociants vaquant à leurs affaires, mais aussi courriers du roi, toujours à bride abattue. Ils traversèrent Vannes puis Lorient. Le voyage se déroulait sans encombre.

    C’est entre Lorient et Quimperlé qu’ils eurent leur plus chaude alerte. Cette partie du chemin était vallonnée et boisée. La nuit tombait, ils n’avaient pas trouvé où faire halte plus tôt et

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